Décision 84-181 DC – 11 octobre 1984 – Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse – Non conformité partielle

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Décision 84-181 DC – 11 octobre 1984 – Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse – Non conformité partielle

Texte intégral

Le Conseil constitutionnel a été saisi, d’une part, le 12 septembre 1984, par MM Charles Pasqua, Jean Cluzel, Etienne Dailly, Georges Mouly, Paul Robert, Paul Girod, Raymond Soucaret, Charles Beaupetit, Michel Durafour, Pierre Merli, Victor Robini, Jean François-Poncet, Max Lejeune, Mme Brigitte Gros, MM Guy Besse, Joseph Raybaud, Jean-Pierre Cantegrit, Jacques Moutet, Jacques Pelletier, Roland du Luart, Christian Bonnet, Louis de la Forest, Roland Ruet, Albert Voilquin, Yves Goussebaire-Dupin, Jean-Marie Girault, Jean-François Pintat, Jacques Ménard, Jean Bénard Mousseaux, Hubert Martin, Jean-Pierre Tizon, Guy de La Verpillière, Jean-Pierre Fourcade, Pierre Louvot, Pierre-Christian Taittinger, Michel Crucis, Louis Boyer, Pierre Croze, Michel Miroudot, Jean-Paul Chambriard, Louis Lazuech, Henri Elby, Jacques Larché, Jean Boyer, Michel Sordel, Richard Pouille, Jules Roujon, Jacques Thyraud, Jacques Descours Desacres, André Bettencourt, Charles Jolibois, Philippe de Bourgoing, Marcel Lucotte, Jean Arthuis, Jean-Pierre Blanc, Roger Boileau, Raymond Bouvier, Pierre Brantus, Pierre Ceccaldi-Pavard, Adolphe Chauvin, Auguste Chupin, Jean Colin, André Diligent, Jean Faure, Charles Ferrant, André Fosset, Jean Francou, Henri Goetschy, Daniel Hoeffel, Jean Huchon, Jean Lecanuet, Bernard Lemarié, Georges Lombard, Jean Machet, Jean Madelain, Louis Mercier, Daniel Millaud, René Monory. Jacques Mossion, Dominique Pado, Francis Palmero, Raymond Poirier, Roger Poudonson, André Rabineau, Jean-Marie Rausch, Pierre Schiélé, Pierre Sicard, Michel Souplet, Pierre Vallon, Albert Vecten, Louis Virapoullé, Jean-Marie Bouloux, Marcel Daunay,

Alfred Gérin, Roger Lise, Michel Alloncle, Jean Amelin, Hubert d’Andigné, Marc Bécam, Henri Belcour, Paul Bénard, Amédée Bouquerel, Yvon Bourges, Jacques Braconnier, Raymond Brun, Michel Caldaguès, Pierre Carous, Auguste Cazalet, Jean Chamant, Jacques Chaumont, Michel Chauty, Jean Chérioux, François O Collet, Henri Collette, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jacques Delong, Charles Descours, Franz Duboscq, Marcel Fortier, Philippe François, Michel Giraud, Adrien Gouteyron, Bernard-Charles Hugo, Roger Husson, Paul Kauss, Christian de La Malène, Jean-François Le Grand, Maurice Lombard, Paul Malassagne, Paul Masson, Michel Maurice-Bokanowski, Geoffroy de Montalembert, Arthur Moulin, Jean Natali, Lucien Neuwirth, Paul d’Ornano, Christian Masson, Sosefo Makapé Papilio, Christian Poncelet, Henri Portier, Alain Pluchet, Claude Prouvoyeur, Josselin de Rohan, Roger Romani, Michel Rufin, Maurice Schumann, Louis Souvet, Dick Ukeiwé, Jacques Valade, Edmond Valcin, André-Georges Voisin, sénateurs.

et, d’autre part, le 14 septembre 1984, par MM Jean-Claude Gaudin, Jacques Dominati, Jean Rigaud, Francisque Perrut, Germain Gengenwin, Marcel Bigeard, Paul Pernin, Gilbert Gantier, Claude Birraux, Bernard Stasi, Albert Brochard, Joseph-Henri Maujoüan du Gasset, Alain Madelin, Jean Brocard, Michel d’Ornano, Philippe Mestre, Edmond Alphandéry, Pierre Micaux, Charles Fèvre, Georges Mesmin, Jean Briane, Jean Desanlis, Francis Geng, Jean-Pierre Soisson, René Haby, Jacques Blanc, François d’Aubert, Charles Deprez, Adrien Durand, Adrien Zeller, Pascal Clément, Jacques Fouchier, Mme Louise Moreau, MM Loïc Bouvard, Jean-Paul Fuchs, André Rossinot, Charles Millon, Alain Mayoud, Maurice Dousset, Roger Lestas, Raymond Barre, François d’Harcourt, Marcel Esdras, Jean Seitlinger, Claude Labbé, Jacques Chirac, Bernard Pons, Jacques Toubon, Marc Lauriol, Bruno Bourg-Broc, Georges Tranchant, Roger Corrèze, Robert-André Vivien, Philippe Séguin, Gabriel Kaspereit, Mme Nicole de Hauteclocque, MM René La Combe, Daniel Goulet, Jean-Paul Charié, Pierre Weisenhorn, Jacques Godfrain, Emmanuel Aubert, Pierre Messmer, Jean-Louis Goasduff, Claude-Gérard Marcus, Pierre Mauger, Christian Bergelin, Maurice Couve de Murville, Alain Peyrefitte, Pierre-Charles Krieg, Didier Julia, Pierre Bachelet, Robert Wagner, Jean de Préaumont, Michel Debré, Etienne Pinte, Tutaha Salmon, Robert Galley, Roland Nungesser, Edouard Frédéric-Dupont, Jean Tiberi, Pierre Raynal, Jean-Paul de Rocca Serra, Régis Perbet, Michel Cointat, Charles Paccou, Michel Barnier, Michel Péricard, Georges Gorse, Jacques Baumel, Yves Lancien, députés, dans les conditions prévues à l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse.

Le Conseil constitutionnel,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Sur la procédure législative :

1. Considérant que les auteurs de l’une et de l’autre saisines soutiennent que la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel aurait été adoptée selon une procédure irrégulière ; qu’ils exposent que, lors des première et seconde lectures devant l’Assemblée nationale, le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales a présenté un rapport ne comportant pas de conclusions, notamment en ce qui concerne les très nombreux amendements présentés ; que, selon les auteurs de l’une des saisines, cette procédure aurait également enfreint les articles 43 et 44 de la Constitution ;

2. Considérant que l’article 43 de la Constitution dispose : « Les projets et propositions de loi sont, à la demande du Gouvernement ou de l’assemblée qui en est saisie, envoyés pour examen à des commissions spécialement désignées à cet effet. – Les projets ou propositions pour lesquels une telle demande n’a pas été faite sont envoyés à l’une des commissions permanentes dont le nombre est limité à six dans chaque assemblée » ; que l’article 44 dispose : « Les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d’amendement. – Après l’ouverture du débat, le Gouvernement peut s’opposer à l’examen de tout amendement qui n’a pas été antérieurement soumis à la commission. – Si le Gouvernement le demande, l’assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement » ;

3. Considérant que le projet dont est issue la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel a été examiné en commission, avant sa discussion en séance publique, lors de chacune de ses lectures ; qu’aucun amendement n’a été rejeté au motif qu’il n’aurait pas été soumis à la commission ; que, par suite, les articles 43 et 44 de la Constitution n’ont pas été méconnus ;

4. Considérant que les articles 86, 90 et 91 du règlement de l’Assemblée nationale précisent l’objet, le contenu et la forme du rapport qui doit, après que la proposition ou le projet de loi ait été soumis à une commission comme le veut l’article 43 de la Constitution, être présenté aux députés au nom de la commission ;

5. Considérant que les règlements des assemblées parlementaires n’ayant pas en eux-mêmes valeur constitutionnelle, la seule méconnaissance des dispositions réglementaires invoquées ne saurait avoir pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution ;

6. Considérant, dès lors, que la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel a été adoptée selon une procédure qui n’est pas contraire à la Constitution ;

Sur l’article 2 de la loi :

7. Considérant que l’article 2 de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel est ainsi conçu : « Dans la présente loi : 1° le mot « personne » désigne une personne physique ou morale ou un groupement de droit ou de fait de personnes physiques ou morales ; 2° l’entreprise de presse s’entend de toute personne définie au 1° du présent article et qui édite ou exploite une ou plusieurs publications ; 3° le contrôle s’entend de la possibilité pour une personne d’exercer, sous quelque forme que ce soit et par tous moyens d’ordre matériel ou financier, une influence déterminante sur la gestion ou le fonctionnement d’une entreprise de presse » ;

8. Considérant que les députés auteurs de l’une des saisines soutiennent que les définitions ainsi énoncées présentent un caractère extensif et imprécis ; que, par suite, les dispositions pénales de la loi qui font référence, directement ou indirectement, à ces notions insuffisamment définies enfreignent le principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines proclamé par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; qu’en outre lesdites définitions permettent l’application de la loi aux partis politiques en violation de l’article 4 de la Constitution ; que les sénateurs auteurs de l’autre saisine reprennent ce dernier grief à propos de l’article 21 de la loi ;

9. Considérant, d’une part, que les termes de « personne », « entreprise de presse », « contrôle » sont définis de façon suffisamment précise pour que les dispositions de caractère pénal qui s’y réfèrent, directement ou indirectement, ne méconnaissent pas, de ce seul chef, le principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines ;

10. Considérant, d’autre part, que l’article 4 de la Constitution dispose : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie »;

11. Considérant que ces dispositions n’ont ni pour objet ni pour effet de conférer aux partis politiques, en matière de liberté de la presse, des droits supérieurs à ceux que l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 reconnaît à tous les citoyens ; qu’il incombe seulement au législateur de formuler des prescriptions tendant à empêcher que l’application des règles relatives à la transparence financière et au pluralisme des entreprises de presse n’entrave l’activité spécifique des partis politiques dont le libre exercice est garanti par l’article 4 de la Constitution ;

12. Considérant que l’article 21 de la loi dispose : « Pour l’accomplissement des missions qui lui sont assignées par la présente loi, la commission peut recueillir tous les renseignements nécessaires auprès des administrations et des personnes sans que puissent lui être opposées d’autres limitations que celles résultant du libre exercice de l’activité des partis et groupements politiques visés à l’article 4 de la Constitution  » ;

13. Considérant qu’il est ainsi satisfait aux exigences de l’article 4 de la Constitution ;

14. Considérant, dès lors, que l’article 2 de la loi n’est pas contraire à la Constitution ;

Sur les dispositions du titre Ier de la loi relatives à la transparence et sur celles du titre IV relatives aux sanctions correspondantes :

15. Considérant que le titre Ier de la loi, dans ses articles 3 à 9, est consacré aux dispositions relatives à la transparence ; que les articles 26 à 31 du titre IV relatif aux sanctions pénales tendent à assurer le respect de ces dispositions ;

16. Considérant que, loin de s’opposer à la liberté de la presse ou de la limiter, la mise en oeuvre de l’objectif de transparence financière tend à renforcer un exercice effectif de cette liberté ; qu’en effet, en exigeant que soient connus du public les dirigeants réels des entreprises de presse, les conditions de financement des journaux, les transactions financières dont ceux-ci peuvent être l’objet, les intérêts de tous ordres qui peuvent s’y trouver engagés, le législateur met les lecteurs à même d’exercer leur choix de façon vraiment libre et l’opinion à même de porter un jugement éclairé sur les moyens d’information qui lui sont offerts par la presse écrite ;

17. Considérant que, sans contester dans son principe l’objectif de transparence, les auteurs des saisines soutiennent que certaines des dispositions susvisées ne sont pas conformes à la Constitution ;

En ce qui concerne les articles 3 et 26 :

18. Considérant que l’article 3 de la loi dispose : « Il est interdit de prêter son nom, de quelque manière que ce soit, à toute personne qui possède ou contrôle une entreprise de presse » ; que l’article 26 dispose : « Quiconque aura prêté son nom en violation des dispositions de l’article 3 sera puni d’un emprisonnement de trois mois à un an et d’une amende de 6000 F à 200000 F. Les mêmes peines seront applicables à celui au profit de qui l’opération de prête-nom sera intervenue. Lorsque l’opération de prête-nom aura été faite au nom d’une personne morale, les peines seront appliquées à celui qui aura réalisé cette opération pour le compte de la personne morale » ;

19. Considérant que les députés auteurs de l’une des saisines font valoir que ni l’article 3 ni l’article 26 précités ne définissent les éléments constitutifs de l’infraction de prête-nom, notamment en ce qui concerne le domaine de l’interdiction, et sont ainsi contraires au principe de la légalité des délits et des peines proclamé par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ;

20. Considérant, d’une part, que les éléments constitutifs de l’infraction ressortent des termes mêmes de l’article 3 dont il reviendrait aux juridictions compétentes de faire application dans les espèces qui leur seraient soumises ; que, d’autre part, il résulte nécessairement de la place de ces dispositions dans une loi tendant à assurer la transparence financière des entreprises de presse que l’interdiction de prête-nom visée par ces dispositions ne concerne, sans préjudice de semblable interdiction en d’autres matières, que les actes de prête-nom pouvant porter atteinte aux règles de transparence financière intéressant les entreprises de presse ; qu’ainsi les articles 3 et 26 de la loi ne sont pas contraires à la Constitution ;

En ce qui concerne les articles 4 et 27 :

21. Considérant que l’article 4 de la loi impose la forme nominative aux actions représentant le capital social d’une entreprise de presse et à celles d’une société qui détient directement ou indirectement 20 p 100 au moins du capital social d’une entreprise de presse ou des droits de vote dans cette entreprise ; qu’il précise : « Les dirigeants d’une société qui constatent l’une des situations visées au premier alinéa du présent article doivent publier un mois au plus après cette constatation, dans un journal d’annonces légales, un avis aux porteurs d’actions les invitant à mettre leurs titres sous la forme nominative » ; que l’article 27 punit de peines correctionnelles « les dirigeants de droit ou de fait d’une société par actions qui, en violation des dispositions de l’article 4, auront émis des actions au porteur ou n’auront pas fait toute diligence pour faire mettre les actions au porteur sous la forme nominative dans les délais prévus à cet article » ;

22. Considérant que les députés auteurs de l’une des saisines font valoir que les expressions « dirigeants de droit ou de fait », « qui n’auront pas fait toute diligence » sont d’une imprécision telle que l’article 27 méconnaît le principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines ;

23. Considérant que, malgré leur généralité, les termes critiqués et qui sont d’ailleurs employés dans d’autres textes législatifs définissent de façon suffisamment précise les infractions pénales visées à l’article 27 ; que celui-ci n’est donc pas contraire à la Constitution ;

En ce qui concerne l’article 5 :

24. Considérant que l’article 5 de la loi est ainsi conçu : « Les actionnaires des sociétés mentionnées à l’article 4 peuvent consulter le compte des valeurs nominatives tenu par ces sociétés. Le même droit est reconnu aux membres de l’équipe rédactionnelle des publications visées à l’article 1er, alinéa 1er » ;

25. Considérant que, selon les députés auteurs de l’une des saisines, ces dispositions méconnaîtraient le droit au secret des affaires et du patrimoine, éléments essentiels du droit au respect de la vie privée ;

26. Considérant que le texte critiqué qui, pour assurer la transparence financière, permet à certaines personnes ayant un intérêt légitime de consulter le compte des valeurs nominatives des sociétés visées à l’article 4 ne méconnaît aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ;

En ce qui concerne les articles 6 et 28 de la loi :

27. Considérant que l’article 6 de la loi dispose : « La cession ou promesse de cession d’actions ou de parts ayant pour effet d’assurer la détention directe ou indirecte de 20 p 100 au moins du capital social d’une entreprise de presse ou des droits de vote dans cette entreprise doit faire l’objet, dans le délai d’un mois, d’une insertion dans la publication ou les publications éditées par cette entreprise » ;

28. Considérant que l’article 28 de la loi est ainsi conçu : « Le défaut d’insertion dans le délai prescrit à l’article 6 sera puni d’une amende de 6000 F à 40000 F. La même peine sera applicable au directeur de la publication qui aura volontairement omis de procéder à cette insertion » ;

29. Considérant que les députés auteurs d’une des saisines font tout d’abord grief à ces dispositions de ce que les termes « détention directe ou indirecte » employés dans l’article 6 seraient d’une imprécision telle que l’infraction définie à l’article 28 par référence à l’article 6 serait édictée en méconnaissance du principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines ; que cette critique n’est pas fondée ;

30. Considérant que ces mêmes députés font valoir, en second lieu, que l’article 6 ne précise pas à quelle personne – cédant ou cessionnaire – incombe l’obligation d’insertion prescrite par le texte ; qu’ainsi l’infraction visée par la première phrase de l’article 28 est édictée en méconnaissance du principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines puisque la détermination de son auteur est incertaine ;

31. Considérant que cette critique est fondée ; que, par suite, la première phrase de l’article 28 n’est pas conforme à la Constitution ; que la rédaction du texte rend la seconde phrase de l’article 28, qui cependant n’appelle pas en elle-même de critique du point de vue constitutionnel, inséparable de la première ; qu’ainsi l’article 28 dans son ensemble n’est pas conforme à la Constitution ;

En ce qui concerne les articles 8 et 30 :

32. Considérant que l’alinéa 1er de l’article 8 de la loi est ainsi conçu : « Toute personne détenant directement ou indirectement 20 p 100 au moins du capital social ou des droits de vote d’une entreprise de presse ou d’une entreprise en assurant la gérance est tenue de répondre aux demandes de renseignements sur la propriété, le contrôle et le financement de la publication qui lui sont adressées par la commission instituée à l’article 16 » ; que l’article 30 punit de peines d’amende les infractions à ces dispositions ;

33. Considérant que les députés auteurs de l’une des saisines soutiennent que ces dispositions sont contraires au secret des affaires et au secret du patrimoine, éléments essentiels du droit au respect de la vie privée ;

34. Considérant que ces dispositions qui se justifient par l’objectif de transparence financière ne méconnaissent aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle, alors d’ailleurs qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 21 « les renseignements ainsi recueillis ne peuvent être utilisés à d’autres fins que l’accomplissement des missions de la commission et leur divulgation est interdite » et que l’article 35 punit de peines d’amende les auteurs de divulgations illicites ; qu’ainsi les articles 8 et 30 de la loi ne sont pas contraires à la Constitution ;

Sur les dispositions du titre II de la loi relatives au pluralisme :

35. Considérant que l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 énonce : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » ;

36. Considérant que le principe ainsi proclamé ne s’oppose point à ce que le législateur, compétent aux termes de l’article 34 de la Constitution pour fixer « les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques », édicte des règles concernant l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer ;

37. Considérant que, cependant, s’agissant d’une liberté fondamentale, d’autant plus précieuse que son exercice est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale, la loi ne peut en réglementer l’exercice qu’en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d’autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ;

38. Considérant que le pluralisme des quotidiens d’information politique et générale auquel sont consacrées les dispositions du titre II de la loi est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; qu’en effet la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ne serait pas effective si le public auquel s’adressent ces quotidiens n’était pas à même de disposer d’un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents ; qu’en définitive l’objectif à réaliser est que les lecteurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l’article 11 de la Déclaration de 1789 soient à même d’exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions ni qu’on puisse en faire l’objet d’un marché ;

39. Considérant que, dans leur principe, la recherche, le maintien et le développement du pluralisme de la presse nationale, régionale, départementale ou locale sont conformes à la Constitution ; qu’il convient d’examiner si les modalités de mise en oeuvre de ce principe le sont également ;

En ce qui concerne les articles 10, 11, 12 :

40. Considérant que l’article 10 de la loi est ainsi conçu : « Une personne peut posséder ou contrôler plusieurs quotidiens nationaux d’information politique et générale si le total de leur diffusion n’excède pas 15 p 100 de la diffusion de tous les quotidiens nationaux de même nature. – Est considéré comme national un quotidien, toutes éditions confondues, qui réalise 20 p 100 au moins de sa diffusion en dehors de ses trois principales régions de diffusion ou qui consacre de manière régulière plus de la moitié de sa surface rédactionnelle à l’information nationale et internationale » ; que l’article 11 dispose : « Une personne peut posséder ou contrôler plusieurs quotidiens régionaux, départementaux ou locaux d’information politique et générale, si le total de leur diffusion n’excède pas 15 p 100 de la diffusion de tous les quotidiens régionaux, départementaux ou locaux de même nature » ; que l’article 12 est ainsi conçu : « Une personne peut posséder ou contrôler un ou plusieurs quotidiens régionaux, départementaux ou locaux d’information politique et générale et un ou plusieurs quotidiens nationaux de même nature si la ou les diffusions de ces quotidiens n’excèdent pas : 1° pour les quotidiens nationaux, 10 p 100 du total de la diffusion de tous les quotidiens nationaux de même nature ; 2° pour les quotidiens régionaux, départementaux ou locaux, 10 p 100 du total de la diffusion de tous les quotidiens régionaux, départementaux ou locaux de même nature » ;

41. Considérant que, prises isolément ces dispositions seraient évidemment inconstitutionnelles ; qu’en effet elles imposeraient à tout moment aux personnes possédant ou contrôlant les quotidiens visés le respect de plafonds dont le dépassement peut dépendre du succès auprès du public desdits quotidiens ou des mécomptes des quotidiens concurrents ; qu’elles porteraient ainsi à la liberté de ces personnes et, plus, encore, à la liberté des lecteurs, une atteinte directement contraire à l’article 11 de la Déclaration de 1789 ;

42. Considérant cependant que l’article 13 de la loi dispose : « Les plafonds de 15 p 100 fixés aux articles 10 et 11 et ceux de 10 p 100 fixés à l’article 12 s’apprécient sur une même période constituée par les douze derniers mois connus précédant l’acquisition ou la prise de contrôle. – Pour les situations existant au moment de la publication de la présente loi, ces plafonds s’apprécient sur une même période constituée par les douze derniers mois connus précédant la publication de la présente loi » ;

43. Considérant que les articles 10, 11 et 12 de la loi ne sauraient être lus que compte tenu des termes de l’article 13 précité qui limitent l’application des plafonds énoncés aux articles 10, 11 et 12 à deux hypothèses seulement : d’une part, en cas de dépassement au moment de la publication de la loi et, d’autre part, pour l’avenir, aux cas de dépassement provenant exclusivement d’acquisitions ou de prises de contrôle ; que la loi elle-même exclut le jeu des plafonds au cas de création de nouveaux quotidiens ou au cas de développement de la diffusion dû à d’autres causes que des opérations d’acquisition ou de prise de contrôle ; que, donc, la liberté de création et de développement naturel des quotidiens n’est en rien atteinte ni le libre choix des lecteurs ;

44. Considérant que cette interprétation d’ailleurs conforme aux travaux préparatoires doit prévaloir ; qu’en conséquence toute autre interprétation qui conduirait à faire application des dispositions des articles 10, 11 et 12 de la loi en dehors du cadre tracé par l’article 13 serait contraire à la Constitution ;

En ce qui concerne l’article 13 :

45. Considérant que l’article 13 définit, comme il vient d’être dit, le champ d’application de la loi dans le temps et comporte deux séries de dispositions, les unes portées à l’alinéa 2 relatives aux situations existant au moment de la publication de la loi, les autres, portées à l’alinéa 1er relatives aux situations réalisées postérieurement à la publication de la loi ;

Quant au deuxième alinéa de l’article 13 :

Sans qu’il soit besoin de statuer sur d’autres moyens ;

46. Considérant que l’effet des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 13 serait d’obliger des entreprises de presse à se conformer au respect des plafonds définis par les articles 10, 11 et 12, alors que la situation existante de ces entreprises s’est constituée sous l’empire d’une législation ne comportant pas de tels plafonds ;

47. Considérant que, s’il est loisible au législateur, lorsqu’il organise l’exercice d’une liberté publique en usant des pouvoirs que lui confère l’article 34 de la Constitution, d’adopter pour l’avenir, s’il l’estime nécessaire, des règles plus rigoureuses que celles qui étaient auparavant en vigueur, il ne peut, s’agissant de situations existantes intéressant une liberté publique, les remettre en cause que dans deux hypothèses : celle où ces situations auraient été illégalement acquises ; celle où leur remise en cause serait réellement nécessaire pour assurer la réalisation de l’objectif constitutionnel poursuivi ;

48. Considérant, d’une part, que l’alinéa 2 de l’article 13 ne fait aucune référence au caractère licite ou illicite des conditions de création des situations existant au moment de la publication de la loi, pas plus qu’aux décisions, même éventuelles, des tribunaux, seuls compétents en la matière, pour apprécier ce caractère ;

49. Considérant d’autre part, en ce qui concerne les quotidiens nationaux, qu’il ne peut être valablement soutenu que le nombre, la variété de caractères et de tendances, les conditions de diffusion de ces quotidiens méconnaîtraient actuellement l’exigence de pluralisme de façon tellement grave qu’il serait nécessaire, pour restaurer celui-ci, de remettre en cause les situations existantes, notamment en procédant à des transferts ou à des suppressions de titres éventuellement contre le gré des lecteurs ;

50. Considérant, dès lors, que les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 13 qui tendent de façon indivisible à l’application des plafonds des articles 10, 11 et 12 aux situations existant lors de la publication de la loi ne se justifient ni par une référence à l’illégalité de ces situations ni par la nécessité de restaurer un pluralisme effectif qui aurait déjà disparu et ne sont donc pas conformes à la Constitution ;

Quant au premier alinéa de l’article 13 :

51. Considérant que, selon l’interprétation ci-dessus exposée, qui est la condition impérative de la constitutionnalité des articles 10, 11 et 12, l’alinéa 1er de l’article 13 de la loi soumise au Conseil constitutionnel tend à interdire que soient dépassés les plafonds définis aux articles 10, 11 et 12 lorsque ce dépassement serait le résultat d’opérations d’acquisitions ou de prises de contrôle postérieures à la publication de la loi, sans que ces plafonds puissent s’appliquer en quoi que ce soit aux situations résultant de la création de nouveaux quotidiens ou du développement de la clientèle des quotidiens existants et, compte tenu de la déclaration de non-conformité à la Constitution concernant l’alinéa 2 de l’article 13, sans que soient remises en cause les situations existant lors de la publication de la loi ;

52. Considérant que, dans l’acception ainsi strictement définie, les dispositions de l’alinéa 1er de l’article 13 ne sont contraires ni à l’article 11 de la Déclaration de 1789, ni à aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle concernant la liberté définie par ce texte ; qu’elles n’empêchent ni la création de nouveaux quotidiens ni le développement des quotidiens existants lors même qu’il en résulterait un dépassement des plafonds fixés par les articles 10, 11 et 12 ; qu’elles ne font application de ces plafonds qu’au cas où leur dépassement résulterait de pures transactions financières de nature à desservir le pluralisme dont le maintien et le développement sont nécessaires à l’exercice effectif de la liberté proclamée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; qu’ainsi, les critiques adressées à ces dispositions par les auteurs des saisines sur le fondement dudit article 11 ne sont pas justifiées ;

53. Considérant que ceux-ci ne sauraient davantage soutenir que ces dispositions méconnaissent la liberté d’entreprendre alors qu’elles ne limitent en rien la création de nouveaux quotidiens ou l’expansion de la clientèle des quotidiens existants ;

54. Considérant que, si l’interdiction de certaines opérations financières ayant pour effet le dépassement des plafonds fixés par les articles 10, 11 et 12, limite les conditions de l’exercice du droit de propriété des personnes qui seraient à même d’entreprendre de telles opérations, cette limitation qui ne s’accompagne d’aucune privation du droit de propriété ni d’aucune interdiction de ses autres modes d’exercice et qui se fonde sur la nécessité de préserver le pluralisme de la presse, ne constitue pas, contrairement à ce que soutiennent les auteurs des saisines, une méconnaissance des dispositions de l’article 17 de la Déclaration de 1789 ;

55. Considérant que, si effectivement, les plafonds de 15 p 100 concernant d’une part les quotidiens nationaux et d’autre part les autres quotidiens sont beaucoup moins protecteurs du pluralisme pour ces derniers que pour les premiers, cette différence de rigueur entre deux catégories de publication de caractère différent ne saurait être regardée comme enfreignant le principe d’égalité ;

56. Considérant qu’il ressort de ce qui précède que l’alinéa 2 de l’article 13 de la loi n’est pas conforme à la Constitution ; que l’alinéa 1er, en revanche, n’est pas contraire à la Constitution en tant qu’il ne concerne que les acquisitions ou les prises de contrôle postérieures à la publication de la loi ; que, si l’alinéa 1er peut être regardé comme séparable de l’alinéa 2 et donc échapper à une déclaration de non-conformité à la Constitution, ce n’est qu’à la condition impérative que l’article 13 ainsi privé de son alinéa 2 soit entendu comme n’ayant aucune possibilité d’application aux acquisitions ou prises de contrôle antérieures à la publication de la loi ;

En ce qui concerne les articles 14 et 33 :

57. Considérant que l’article 14 de la loi dispose : « Toute publication quotidienne d’information politique et générale est tenue dans le délai d’un an à compter, soit de la publication de la loi pour les publications existantes, soit de leur création pour les autres, de comporter sa propre équipe rédactionnelle permanente composée de journalistes professionnels au sens de l’article L 761-2 du code du travail. – L’équipe rédactionnelle doit être suffisante pour garantir l’autonomie de conc


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