Texte intégral
Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 1er juillet 1983, d’une part, par MM Etienne Dailly, André Bohl, Alfred Gérin, Alphonse Arzel, Yves le Cozannet, Georges Lombard, Adolphe Chauvin, Maurice Prévoteau, Pierre Vallon, Auguste Chupin, Raoul Vadepied, Jean-Marie Bouloux, Marcel Lemaire, Pierre Salvi, André Rabineau, Jean Francou, Charles Bosson, Henri Le Breton, Paul Pillet, François Dubanchet, Daniel Hoeffel, Jacques Mossion, Roger Boileau, Jean Gravier, Marcel Daunay, Roger Poudonson, Pierre Lacour. Octave Bajeux, Paul Séramy, Jean Cauchon, Pierre Ceccaldi-Pavard, Jean Colin, Louis Jung, Jean-Marie Rausch, René Jager, Pierre Schiélé, René Tinant, Georges Treille, Raymond Bouvier, Edouard Le Jeune, Louis Virapoullé, Charles Ferrant, Raymond Poirier, Charles Zwickert, Jacques Genton, Charles Pasqua, François O Collet, Roger Romani, Henri Belcour, Georges Repiquet, Yvon Bourges, Edmond Valcin, Jean Chamant, Paul Kauss, Paul Malassagne, Adrien Gouteyron, Geoffroy de Montalembert, Jean Amelin, Henri Portier, Charles de Cuttoli, Pierre Carous, Marcel Fortier, Louis Souvet, Jean-François Le Grand, Sosefo Makape Papilio, Michel Alloncle, Marc Bécam, Michel Maurice-Bokanowski, Jacques Valade, Jean Natali. Jean Chérioux, Paul d’Ornano, Lucien Gautier, Jacques Chaumont, Jacques Delong, Bernard Hugo, Michel Giraud, Michel Chauty, Raymond Brun, Jacques Braconnier, Maurice Lombard, Philippe François, Henri Collette, Philippe de Bourgoing, Jacques Descours Desacres, Michel Miroudot, Louis Boyer, Jacques Ménard, Guy Petit, Louis de la Forest, Pierre-Christian Taittinger, Bernard Barbier, Guy de La Verpillière, Serge Mathieu, Frédéric Wirth, Roland Ruet, Jean Puech, Roland du Luart, Louis Lazuech, Marc Castex, Jean-Pierre Fourcade, Pierre Louvot, Pierre Croze, Jean-Marie Girault, Jules Roujon, Michel d’Aillières, Louis Martin, Lionel Cherrier, Michel Crucis, Jean Bénard-Mousseaux, Jacques Larché, Jacques Pelletier, Paul Girod, Raymond Soucaret, Joseph Raybaud, André Morice, Jean-Pierre Cantegrit, Mme Brigitte Gros, MM Max Lejeune, Guy Besse, Jacques Moutet, Pierre Jeambrun, Henri Collard, sénateurs, et d’autre part, par MM Claude Labbé, Jean Falala, Jacques Chaban-Delmas, Jacques Marette, Philippe Séguin, Michel Barnier, Etienne Pinte, Jacques Toubon, Mme Hélène Missoffe, MM Emmanuel Aubert, Roger Corrèze, Gabriel Kaspereit, Jean-Louis Goasduff, Pierre Mauger, Bernard Pons, Marc Lauriol, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Robert-André Vivien, Bruno Bourg-Broc, Christian Bergelin, Michel Cointat, Roland Vuillaume, Jacques Godfrain, Michel Noir, Serge Charles, Claude-Gérard Marcus, Gérard Chasseguet, Pierre Gascher, Pierre-Charles Krieg, Jean de Lipkowski, Daniel Goulet, Jean-Louis Masson, Georges Tranchant, Camille Petit, Benjamin Brial, Didier Julia, Robert Wagner, Michel Debré, Yves Lancien, Jean-Paul de Rocca Serra, Alain Peyrefitte, Georges Gorse, Pierre Bachelet, François Fillon, Charles Miossec, Jacques Lafleur, Jean Foyer, Jean-Claude Gaudin, Charles Millon, Pascal Clément, Michel d’Ornano, Jean Brocard, Philippe Mestre, Jean-Pierre Soisson, Gilbert Gantier, Jean Rigaud, Francisque Perrut, Roger Lestas, Jacques Fouchier, Jean Bégault, Yves Sautier, Jean Briane, Jean-Marie Caro, Olivier Stirn, René Haby, Jacques Dominati, Georges Mesmin, Jacques Proriol, Claude Wolff, Maurice Dousset, François d’Aubert, Alain Madelin, députés, dans les conditions prévues à l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative à la démocratisation du secteur public.
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Le rapporteur ayant été entendu
1. Considérant que les députés et les sénateurs, respectivement auteurs des saisines par lesquelles la loi sur la démocratisation du secteur public est déférée au Conseil constitutionnel, font valoir à l’encontre des dispositions de cette loi des griefs tantôt communs à l’une et à l’autre saisines, tantôt propres à l’une d’elles ;
. Sur les articles 1er à 4 relatifs au champ d’application de la loi :
2. Considérant que le champ d’application de la loi est défini par le titre 1er comprenant les articles 1 à 4 ;
3. Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi : « Sont régies par les dispositions de la présente loi les entreprises suivantes :
« 1° Etablissements publics industriels et commerciaux de l’État, autres que ceux dont le personnel est soumis à un régime de droit public ; autres établissements publics de l’État qui assurent tout à la fois une mission de service public à caractère administratif et à caractère industriel et commercial lorsque la majorité de leur personnel est soumise aux règles du droit privé ;
« 2° Sociétés mentionnées à l’annexe I de la présente loi ;
« 3° Entreprises nationales, sociétés nationales, sociétés d’économie mixte ou sociétés anonymes dans lesquelles l’État détient directement plus de la moitié du capital social ainsi que les sociétés à forme mutuelle nationalisées ;
« 4° Sociétés anonymes dans lesquelles plus de la moitié du capital social est détenue, directement ou indirectement, depuis plus de six mois, à lui seul par l’un des établissements ou sociétés mentionnés au présent article, et dont le nombre de salariés employés en moyenne au cours des vingt-quatre derniers mois est au moins égal à 200 ;
« 5° Autres sociétés anonymes dans lesquelles plus de la moitié du capital social est détenue, directement ou indirectement, depuis plus de six mois, conjointement par l’État, ses établissements publics ou les sociétés mentionnés au présent article et dont le nombre de salariés employés en moyenne au cours des vingt-quatre derniers mois et au moins égal à 200 » ;
4. Considérant que les articles 2 et 3 de la loi ont pour objet d’exclure la prise en compte pour le calcul de la majorité du capital social visée aux 4 et 5 de l’article 1er de certaines participations ou actions ;
5. Considérant que l’article 4 de la loi dispose : « Les établissements publics et sociétés mentionnés aux 1 et 3 de l’article 1er dont le nombre de salariés employés en moyenne au cours des vingt-quatre derniers mois est inférieur à 200 et qui ne détiennent aucune filiale au sens du 4 de l’article 1er, ainsi que les établissements publics et sociétés énumérés à l’annexe II de la présente loi, sont exclus du champ d’application des dispositions du chapitre Ier du titre II. Toutefois, les conseils d’administration ou de surveillance de ces établissements publics et sociétés comprennent des représentants des salariés élus dans les conditions prévues au chapitre II. Un décret fixe le nombre de ces représentants ; il peut prévoir, si les spécificités de l’entreprise le justifient, la représentation de catégories particulières de salariés au moyen de collèges électoraux distincts. Les dispositions du chapitre III sont applicables à tous les représentants des salariés. En outre les établissements et entreprises publics énumérés à l’annexe III de la présente loi sont exclus du champ d’application de l’ensemble des dispositions du titre II » ;
. En ce qui concerne les 4 et 5 de l’article 1er :
6. Considérant qu’il est reproché aux dispositions des 4 et 5 de l’article 1er, par les sénateurs auteurs de l’une des saisines, d’avoir inclus dans le champ d’application de la loi non seulement les entreprises publiques proprement dites dans lesquelles l’État détient directement plus de la moitié du capital social, et qui sont visées au 3 de l’article 1er, mais encore des sociétés dont la majorité du capital social n’est aux mains de la puissance publique que de façon indirecte ;
7. Considérant que la détermination du champ d’application d’une loi est, dans le respect de la Constitution, librement opérée par le législateur lui-même ;
8. Considérant que, sans doute, il convient de réserver le point de savoir si chacune des prescriptions de la loi est conforme à la Constitution à l’égard de chacune des catégories d’entreprise ou de chacune des entreprises entrant dans le champ d’application ainsi défini ; que cet examen résultera de l’analyse des critiques dirigées par les auteurs des saisines contre les dispositions des titres II, III et IV de la loi et du jugement qu’appellent ces critiques ;
9. Considérant qu’ainsi les dispositions des 4 et 5 de l’article 1er de la loi ne sont pas contraires à la Constitution ;
En ce qui concerne le 2 de l’article 1er, l’article 4 et les annexes I, II et III de la loi :
10. Considérant que les députés et les sénateurs respectivement auteurs de chacune des deux saisines font valoir qu’après avoir donné du champ d’application de la loi des critères généraux, le législateur y a dérogé, soit en incluant dans ce champ, aux termes du 2 de l’article 1er, des entreprises nominativement désignées dans une annexe I et ne répondant pas à ces critères généraux, soit en en excluant, au moins partiellement, aux termes de l’article 4, d’autres entreprises répondant à ces critères généraux et nominativement désignées dans les annexes II et III ;
11. Considérant que, toutes les dispositions législatives ayant la même force juridique, aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle n’interdit au législateur, après avoir adopté une règle générale, d’y faire exception ou d’y déroger fût-ce par voie de disposition particulière ;
12. Considérant cependant que ce pouvoir du législateur trouve ses limites dans le respect du principe d’égalité ; que, précisément, les auteurs de l’une et l’autre saisines font valoir que les dérogations apportées au critère général définissant le champ d’application de la loi, par le 2 de l’article 1er renvoyant à l’annexe I et par l’article 4 renvoyant aux annexes II et III, seraient contraires à ce principe ; que ces dérogations conduiraient à des inégalités contraires à la Constitution au détriment de certaines entreprises, de leurs actionnaires et de leurs salariés ;
13. Considérant que l’inclusion dans le champ d’application de la loi des entreprises visées par le 2 de l’article 1er renvoyant à la liste de l’annexe I n’enfreindrait le principe d’égalité que s’il était établi que ces entreprises ne présentent pas de caractéristiques particulières les différenciant objectivement des sociétés du secteur non public ; qu’au contraire, il apparaît que, concrètement, ces sociétés ne peuvent être regardées comme identiques ou analogues aux sociétés commerciales du secteur privé ;
14. Considérant que l’exclusion partielle du champ d’application de la loi des entreprises visées à l’article 4 et aux annexes II et III ne serait contraire au principe d’égalité que si ces entreprises ne présentaient point de caractéristiques particulières par rapport à celles auxquelles la loi est totalement applicable ; qu’aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne s’opposait à ce que le législateur module les effets de la loi en tenant compte, par exemple, du nombre de salariés des entreprises considérées, des équilibres déjà établis dans certaines entreprises entre les intérêts locaux, professionnels ou catégoriels, de la spécificité de certaines activités, des engagements précédemment pris par l’État ;
15. Considérant, enfin, de façon générale qu’avant même le vote de la présente loi, le secteur public constituait un ensemble divers et complexe, de telle sorte que l’emploi de critères généraux définissant ce secteur et de règles générales s’y appliquant devait nécessairement s’accompagner de dérogations et d’exceptions qui, loin d’être contraires au principe d’égalité, permettaient de traiter de façon spécifique des situations différentes ne pouvant entrer dans un cadre uniforme ;
. En ce qui concerne la deuxième phrase de l’alinéa 2 de l’article 4 :
16. Considérant que les députés auteurs de l’une des saisines soutiennent que la deuxième phrase de l’alinéa 2 de l’article 4 de la loi est contraire à l’article 34 de la Constitution ;
17. Considérant qu’après avoir, dans son alinéa 1er, exclu du champ d’application des dispositions du chapitre Ier du titre II certaines entreprises, l’article 4 précité, dans son alinéa 2, prévoit que leurs conseils d’administration ou de surveillance comprendront obligatoirement des représentants des salariés ; que le début de la deuxième phrase de l’alinéa 2 dispose : « Un décret fixe le nombre de ces représentants… » ;
18. Considérant que la fixation de l’importance de la représentation des salariés met en cause des principes fondamentaux touchant soit au droit du travail, soit aux obligations civiles et commerciales que l’article 34 de la Constitution réserve à la loi ; qu’il n’était donc pas loisible au législateur d’abandonner totalement au pouvoir discrétionnaire du Gouvernement cette fixation ; que, par suite, doit être déclaré contraire à la Constitution le membre de la deuxième phrase de l’alinéa 2 de l’article 4 de la loi ainsi conçu : « Un décret fixe le nombre de ces représentants » ; que la suite de la phrase, rédigée comme suit : « il peut prévoir, si les spécificités de l’entreprise le justifient, la représentation de catégories particulières de salariés au moyen de collèges électoraux distincts », qui ne comporte en elle-même aucun chef d’inconstitutionnalité, n’est qu’une disposition accessoire de celle contenue dans les premiers mots de la phrase dont elle ne saurait être séparée ; que, pour cette raison, elle est atteinte par la déclaration d’inconstitutionnalité qui concerne la disposition principale contenue en début de phrase ;
. Sur le principe de la représentation des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance, posé par les articles 5 et 6 de la loi :
19. Considérant que les articles 5 et 6 de la loi présentement examinée déterminent la composition des conseils d’administration ou de surveillance des entreprises entrant dans le champ d’application de la loi ; qu’il ressort de ces dispositions que tous les conseils d’administration ou de surveillance desdites entreprises comportent des représentants des salariés élus par ces derniers ;
20. Considérant que les sénateurs auteurs de l’une des deux saisines contestent, dans son principe même, la représentation des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance des sociétés commerciales comprenant des actionnaires privés et entrant dans le champ d’application de la loi ; qu’ils soutiennent que les dispositions imposant dans ces conseils la présence de représentants élus des salariés portent atteinte au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre et doivent donc être déclarées non conformes à la Constitution ;
21. Considérant qu’au soutien de ce grief, la saisine fait valoir que « la propriété d’une action, à la différence des obligations, confère en effet à son titulaire le droit de participer à la vie de la société, principalement par la désignation ou la révocation de ses dirigeants » et que, de façon générale, « le droit de vote est un attribut essentiel de l’action » ; que « les actionnaires privés seront tenus à l’écart de la désignation des représentants des salariés puisque ces derniers ne seront pas élus par l’assemblée générale, mais par les salariés eux-mêmes » ; que « les actionnaires privés seront en quelque sorte « expropriés » de ce droit au profit des salariés » ; qu’ainsi « les dispositions de la présente loi violent le droit de propriété comme la liberté d’entreprendre en ce qu’elles retirent, sans aucune indemnisation, aux actionnaires privés le droit de participer à la désignation de la totalité ou d’une partie du conseil d’administration ou du conseil de surveillance des sociétés concernées » ;
22. Considérant que les actionnaires des sociétés commerciales entrant dans le champ d’application de la loi présentement examinée conservent la propriété de leurs actions, qui ne sont frappées d’aucune indisponibilité, ainsi que le droit au partage des bénéfices sociaux et, éventuellement, les droits qui naîtraient pour eux de la liquidation de la société dont ils sont actionnaires ; que la restriction apportée à leur droit de vote ne concerne que la désignation de certains des dirigeants sociaux ; que, d’ailleurs, les règles du droit des sociétés relatives à la protection des actionnaires minoritaires contre les abus de majorité demeurent applicables ; qu’ainsi les dispositions des articles 5 et 6 de la loi présentement examinée relatives à la représentation des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance n’opèrent aucune privation de propriété qui tomberait sous le coup de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui n’implique nullement que les lois ne puissent restreindre l’exercice du droit de propriété sans une indemnisation corrélative ;
– Sur la composition des conseils d’administration ou de surveillance telle qu’elle résulte des articles 5 et 6 de la loi :
. En ce qui concerne la représentation de l’État et des actionnaires dans les sociétés entrant dans le champ d’application de l’alinéa 1er de l’article 5 de la loi :
23. Considérant que l’alinéa 1er de l’article 5 de la loi concerne : « les établissements publics mentionnés au 1 de l’article 1er, d’une part, et, d’autre part, … les entreprises mentionnées au 3 du même article dont plus de 90 p 100 du capital est détenu par des personnes morales de droit public ou par des sociétés mentionnées à l’article 1er, ainsi que les sociétés centrales de groupes d’entreprises nationales d’assurance, les sociétés à forme mutuelle nationalisées, la Banque française du commerce extérieur et la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur » ;
24. Considérant qu’aux termes des alinéas suivants du même article le conseil d’administration ou de surveillance de chacune de ces entreprises comprend :
« 1° Des représentants de l’État et, le cas échéant, des actionnaires, nommés par décret ;
« 2° Des personnalités choisies, soit en raison de leur compétence technique, scientifique ou technologique, soit en raison de leur connaissance des aspects régionaux, départementaux ou locaux des activités en cause, soit en raison de leur connaissance des activités publiques et privées concernées par l’activité de l’entreprise, soit en raison de leur qualité de représentant des consommateurs ou des usagers, nommées par décret pris, le cas échéant, après consultation d’organismes représentatifs desdites activités ;
« 3° Des représentants des salariés élus dans les conditions prévues au chapitre II » ;
25. Considérant que, selon les sénateurs auteurs de l’une des saisines, ces dispositions auraient pour effet, dans les sociétés visées à l’alinéa 1er de l’article 5, d’exclure les actionnaires privés de la désignation des membres des conseils d’administration ou de surveillance, directement nommés par l’État, et donc de les priver du droit de participer à la nomination et à la révocation des administrateurs de la société, ce qui, selon une thèse déjà exposée, équivaudrait à une expropriation sans indemnité ;
26. Considérant que, compte tenu de la nature des entreprises visées à l’alinéa 1er de l’article 5, dans lesquelles l’importance des capitaux publics est très largement prépondérante, la désignation directe de représentants de l’État, d’ailleurs souvent prévue par la législation antérieure, si elle déroge au droit commun des sociétés commerciales, ne retire en fait aux actionnaires privés, très étroitement minoritaires, aucun avantage, alors d’ailleurs qu’ils se voient assurer, « le cas échéant », c’est-à-dire quand il existe de tels actionnaires privés, une représentation propre qui ne leur aurait pas été garantie par le jeu normal de l’élection des dirigeants sociaux par l’assemblée générale ;
27. Considérant, en revanche, que la disposition prévoyant la désignation par décret, « le cas échéant », des représentants des actionnaires n’est pas conforme à la Constitution ; qu’en effet, la détermination des conditions dans lesquelles est assurée la représentation d’une personne privée pour l’exercice de ses droits patrimoniaux met en cause un principe fondamental du droit de propriété et des obligations civiles et commerciales relevant, aux termes de l’article 34 de la Constitution, du domaine de la loi ; que, dès lors, il n’appartenait pas au législateur de conférer purement et simplement au Gouvernement le pouvoir discrétionnaire d’assigner des représentants à des actionnaires privés ;
28. Considérant qu’il y a donc lieu de déclarer non conformes à la Constitution les mots « nommés par décret » figurant au 1° de l’article 5 ;
. En ce qui concerne l’alinéa 5 de l’article 5 de la loi :
29. Considérant que l’alinéa 5 de l’article 5 de la loi est ainsi conçu : « Dans les établissements publics de l’État mentionnés à l’article 1er, le nombre des représentants de chacune de ces catégories est déterminé par décret, le nombre des représentants des salariés devant être égal au moins au tiers du nombre des membres du conseil d’administration ou du conseil de surveillance » ;
30. Considérant que les députés auteurs de l’une des deux saisines soutiennent que ces dispositions sont contraires à la Constitution ; qu’en effet, selon eux, si elles assignent à la représentation des salariés une proportion minimale, elles ne lui assignent aucune proportion maximale et permettent ainsi au Gouvernement de mettre en cause un principe fondamental du droit du travail, relevant en vertu de l’article 34 de la Constitution, du domaine de la loi ;
31. Considérant que, si le grief ainsi fait aux dispositions précitées n’est pas inexact dans son principe, il est inopérant ; qu’en effet, s’agissant d’établissements publics, tels que ceux visés à l’article 1er de la loi, en dehors des cas où la proportion des représentants des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance est déjà fixée à un taux sensiblement supérieur au tiers, l’élévation sensiblement supérieur au tiers, l’élévation du nombre des représentants du personnel à une telle proportion aboutirait à la création d’une ou de plusieurs nouvelles catégories d’établissements publics, matière réservée par l’article 34 au législateur, qui n’a point, dans la loi présentement examinée, entendu autoriser une telle création ; qu’ainsi les pouvoirs conférés à l’autorité réglementaire par les dispositions présentement examinées relatives à la proportion des représentants des salariés, demeurent dans des limites répondant aux exigences de l’article 34 de la Constitution ;
. En ce qui concerne les quatre premiers alinéas de l’article 6 :
32. Considérant que les quatre premiers alinéas de l’article 6 de la loi présentement examinée sont ainsi conçus : « Dans les entreprises non visées à l’article 5, le conseil d’administration ou de surveillance compte dix-huit membres lorsque la majorité du capital social est détenue par l’État et de neuf à dix-huit membres dans les autres cas. Toutefois, dans les banques, le nombre des membres des conseils d’administration ne peut excéder quinze. Dans tous les cas, le conseil comprend des représentants des salariés élus dans les conditions prévues au chapitre II. Dans les entreprises mentionnées aux 4 et 5 de l’article 1er dont l’effectif est compris entre 200 et 1000 salariés à l’exclusion des banques nationalisées par la loi du 11 février 1982 précitée, le nombre de ces représentants est de deux. Dans les autres entreprises, ces représentants constituent le tiers des membres du conseil » ;
33. Considérant que les députés auteurs de l’une des saisines soutiennent que ces dispositions permettent au Gouvernement de faire varier à son gré la proportion des représentants des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance ; qu’en effet, pour les entreprises visées à l’alinéa 3 de l’article 6 le nombre des représentants des salariés est fixé à deux, cependant qu’en vertu de l’alinéa 1er, le nombre total des membres du conseil d’administration ou de surveillance peut varier de neuf à dix-huit, de telle sorte que les deux représentants des salariés dans ces entreprises peuvent constituer soit un neuvième, soit deux neuvièmes, soit une proportion comprise entre ces deux fractions, de l’effectif total du conseil considéré ;
34. Considérant que, selon la même saisine, s’agissant de la mise en cause d’un principe fondamental du droit du travail, le législateur ne pouvait, en vertu de l’article 34 de la Constitution, laisser à une autre autorité que lui-même le soin de moduler l’importance de la proportion des représentants des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance ;
35. Considérant que le législateur, dans le cas particulier présentement examiné, a fixé lui-même indirectement mais certainement à un neuvième et à deux neuvièmes la proportion minimale et la proportion maximale des représentants des salariés et a ainsi déterminé avec une précision suffisante les conditions dans lesquelles devait être mis en oeuvre le principe de la participation des salariés ; qu’il a ainsi satisfait aux exigences de l’article 34 de la Constitution ;
. En ce qui concerne le dernier alinéa de l’article 6 de la loi :
36. Considérant que le dernier alinéa de l’article 6 de la loi dispose : « Les autres membres desdits conseils sont désignés, dans les entreprises constituées en forme de sociétés, par l’assemblée générale des actionnaires conformément aux dispositions de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 modifiée sur les sociétés commerciales, sous réserve, le cas échéant, des représentants de l’État, qui sont nommés par décret… » ;
37. Considérant que les sénateurs auteurs de l’une des deux saisines font valoir que ces dispositions paraissent ouvrir la possibilité à l’égard des sociétés entrant dans le champ d’application de l’article 6, de la nomination d’administrateurs par décret et non par l’assemblée générale des actionnaires ; que, selon un raisonnement déjà exposé, l’atteinte portée par là aux droits des actionnaires constituerait une expropriation sans indemnité entachée d’inconstitutionnalité ;
38. Considérant que les termes « sous réserve, le cas échéant, des représentants de l’État qui sont nommés par décret » ne formulent aucune prescription de caractère positif ou négatif et, selon leur lettre même, réservent seulement l’éventualité de dispositions particulières, de nature législative, réglementaire ou statutaire, en vigueur ou à intervenir, qui assureraient à l’État, dans certaines sociétés visées par l’article 6, une représentation propre au sein des conseils d’administration ou de surveillance ;
39. Considérant qu’ainsi le dernier alinéa de l’article 6, qui ne préjuge ni la validité de telles dispositions ni l’appréciation qui pourrait être portée par les autorités ou juridictions compétentes sur leur régularité, ne saurait être regardé comme contraire à la Constitution ;
En ce qui concerne l’ensemble des articles 5 et 6 :
40. Considérant qu’indépendamment des critiques qui viennent d’être examinées, les députés auteurs de l’une des deux saisines reprochent aux articles 5 et 6 de la loi de créer des inégalités considérables dans la représentation des salariés au sein des conseils d’administration ou de surveillance ; qu’en effet, que ce soit en valeur absolue, ou que ce soit en valeur proportionnelle, les nombres exprimant l’importance de la représentation des salariés varient considérablement selon les catégories d’entreprises visées ; que cette atteinte au principe d’égalité entacherait d’inconstitutionnalité la loi déférée à l’examen du Conseil constitutionnel ;
41. Considérant qu’aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle n’exige que le nombre ou la proportion de représentants des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises du secteur public soient les mêmes pour toutes les entreprises ; qu’en tenant compte, pour déterminer l’importance de la représentation des salariés, de caractéristiques telles que la forme juridique des entreprises, la nature de leur activité, le nombre de leurs salariés ou la répartition de leur capital, le législateur n’a procédé à aucune discrimination arbitraire contraire à la Constitution ;
. Sur l’article 12 de la loi relatif à la révocation des membres des conseils d’administration ou de surveillance :
42. Considérant que l’article 12 de la loi dispose : « Il peut être mis fin à tout moment par décret au mandat des représentants de l’État dans les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises mentionnées à l’article 1er, nommés par décret. En cas de faute grave, il peut être mis fin par décret au mandat des personnalités choisies comme membres desdits conseils au titre du 2° de l’article 5 ci-dessus. L’assemblée générale ordinaire des sociétés mentionnées à l’article 1er peut révoquer à tout moment les membres des conseils d’administration ou de surveillance qu’elle a nommés. Les représentants des salariés peuvent être révoqués individuellement pour faute grave dans les conditions prévues à l’article 25 » ;
43. Considérant que les députés auteurs de l’une des deux saisines font valoir diverses critiques à l’égard des dispositions précitées ;
. En ce qui concerne l’alinéa 1er de l’article 12 relatif à la révocation des représentants de l’État :
44. Considérant qu’il est reproché aux dispositions de l’alinéa 1er de l’article 12 d’être contraires au principe d’autonomie de gestion des entreprises publiques en ce qu’elles placeraient les représentants de l’État dans les conseils d’administration ou de surveillance sous la dépendance du Gouvernement et au principe d’égalité en ce qu’elles institueraient, pour ces représentants, un régime de révocation différent de celui applicable aux autres membres des conseils ;
45. Considérant que, pour établir qu’il existe un principe d’autonomie de gestion des entreprises publiques ayant valeur constitutionnelle, la saisine présentement examinée invoque les dispositions du Préambule de 1946, selon lesquelles « tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité », desquelles il résulterait implicitement « que les entreprises publiques sont la propriété non pas du Gouvernement, mais la propriété de la Nation et qu’en conséquence le Gouvernement qui a nommé les administrateurs au sein des conseils d’administration des entreprises publiques n’est pas en droit de les révoquer librement sans invoquer à leur encontre une quelconque faute grave » ;
46. Considérant que l’existence d’un principe ou d’une règle de valeur constitutionnelle ne saurait procéder de telles déductions ;
47. Considérant, d’autre part, que, si les conditions dans lesquelles peuvent être révoqués les représentants de l’État sont différentes de celles concernant la révocation des autres membres des conseils d’administration ou de surveillance, cette différence qui s’applique à des situations elles-mêmes différentes ne constitue pas une atteinte au principe d’égalité ;
. En ce qui concerne l’alinéa 2 de l’article 12 de la loi :
48. Considérant qu’il est reproché à l’alinéa 2 de l’article 12 de la loi de permettre, en cas de faute grave, la révocation par décret des personnalités choisies comme membres des conseils au titre du 2° de l’article 5, alors que la révocation des représentants des salariés ne peut, aux termes de l’article 25 de la loi, auquel renvoie le dernier alinéa de l’article 12, être prononcée que par l’autorité judiciaire sur la demande de la majorité du conseil d’administration ou de surveillance intéréssé ; qu’ainsi l’alinéa 2 de l’article 12 méconnaîtrait le principe d’égalité ;
49. Considérant que les procédures de révocation de membres procédant les uns de la nomination par le Gouvernement, les autres de l’élection par les salariés peuvent être différentes sans qu’il soit porté atteinte au principe d’égalité ;
– Sur l’article 13 relatif à certaines mesures de révocation en cas de dissensions graves entravant l’administration de la société :
50. Considérant que, selon les députés auteurs de l’une des saisines, les dispositions de l’article 13 ouvrant la possibilité de certaines révocations de membres des conseils d’administration ou de surveillance en cas de dissensions graves entravant l’administration de la société seraient contraires au principe de l’autonomie de gestion des entreprises publiques ;
51. Considérant que, comme il a été dit plus haut, il n’existe pas de principe de l’autonomie de gestion des entreprises publiques ayant valeur constitutionnelle ;
– Sur l’article 14 de la loi :
52. Considérant que l’article 14 de la loi dispose : « Les représentants des salariés son