Décision 81-132 DC – 16 janvier 1982 – Loi de nationalisation – Non conformité totale

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Décision 81-132 DC – 16 janvier 1982 – Loi de nationalisation – Non conformité totale

Texte intégral

Le Conseil constitutionnel,

Saisi le 18 décembre 1981, d’une part, par MM Charles Pasqua, Jean Chérioux, François Collet, Paul Malassagne, Christian de La Malène, Marc Jacquet, Michel Giraud, Raymond Brun, Maurice Schumann, Geoffroy de Montalembert, Edmond Valcin, Michel Alloncle, Sosefo Makapé Papilio, Roger Romani, Michel Maurice-Bokanowski, Henri Collette, Jacques Delong, Maurice Lombard, Michel Chauty, Georges Repiquet, Michel Caldaguès, Lucien Gautier, Adrien Gouteyron, René Tomasini, Jean Amelin, Paul Kauss, Bernard Hugo, Hubert d’Andigné, Yvon Bourges, Jean Natali, Amédée Bouquerel, Marcel Fortier, Marc Bécam, Henri Belcour, Jacques Braconnier, Louis Souvet, Henri Portier, Pierre Carous, Roger Moreau, Jacques Valade, René Touzet, Etienne Dailly, Paul Girod, Raymond Soucaret, Jacques Moutet, Jean-Pierre Cantegrit, Jacques Pelletier, Henri Collard, Charles-Edmond Lenglet, Charles Beaupetit, Charles de Cuttoli, Mme Brigitte Gros, MM Paul Robert, Adolphe Chauvin, Daniel Hoeffel, Alphonse Arzel, Octave Bajeux, René Ballayer, Jean-Pierre Blanc, Maurice Blin, André Bohl, Roger Boileau, Charles Bosson, Jean-Marie Bouloux, Raymond Bouvier, Louis Caiveau, Jean Cauchon, Pierre Ceccaldi-Pavard, Auguste Chupin, Jean Cluzel, Jean Colin, Marcel Daunay, François Dubanchet, Charles Durand, Charles Ferrant, André Fosset, Jean Francou, Jacques Genton, Alfred Gérin. Henri Goetschy, Marcel Henry, Jean Gravier, Rémi Herment, René Jager, Louis Jung, Pierre Lacour, Henri Le Breton, Jean Lecanuet, Yves Le Cozannet, André Lejeune, Marcel Lemaire, Bernard Lemarié, Louis Le Montagner, Roger Lise, Georges Lombard, Jean Madelain, Kléber Malécot, Daniel Millaud, René Monory, Claude Mont, Jacques Mossion, Dominique Pado, Francis Palmero, Paul Pillet, Raymond Poirier, Roger Poudonson, Maurice Prévoteau, André Rabineau, Jean-Marie Rausch, Marcel Rudloff, Pierre Salvi, Jean Sauvage, Pierre Schiélé, Paul Séramy, René Tinant, Georges Treille, Raoul Vadepied, Pierre Vallon, Louis Virapoullé, Joseph Yvon, Charles Zwickert, Bernard Laurent, Philippe de Bourgoing, Lionel Cherrier, Richard Pouille, Michel Miroudot, Pierre-Christian Taittinger, Pierre Sallenave, Jean Bénard Mousseaux, Jean-Pierre Fourcade, Modeste Legouez, Jean-Marie Girault, Guy Petit, Albert Voilquin, Serge Mathieu, Louis Lazuech, Michel d’Aillières. Pierre Louvot, Michel Crucis, Bernard Barbier, Pierre Croze, Paul d’Ornano, Jean Chamant, André Bettencourt, Guy de La Verpillière, Roland Ruet, Marcel Lucotte, Michel Sordel, Jean Puech, Paul Guillard, René Travert, Robert Schmitt, Jacques Ménard, Jules Roujon, Jean-François Pintat, Hubert Martin, Louis Martin, Léon Jozeau-Marigné, Louis de la Forest, Henri Olivier, Jacques Larché, Paul Guillaumot, Frédéric Wirth, Marc Castex, Louis Boyer, Jacques Descours Desacres, Henri Torre, Hector Dubois, Jacques Habert, Jean Desmarets, Yves Durand, Roland du Luart, Raymond Bourgine, Charles Ornano, sénateurs,

et, d’autre part, le 19 décembre 1981, par MM Claude Labbé, Marc Lauriol, Roger Corrèze, Pierre Bas, Michel Barnier, Daniel Goulet, Michel Cointat, Michel Debré, François Fillon, Jean Narquin, Edouard Frédéric-Dupont, Charles Miossec, Pierre Weisenhorn, Pierre Raynal, Jean Tiberi, Jean de Préaumont, Lucien Richard, Jean-Paul de Rocca Serra, Jean-Louis Goasduff, Bernard Pons, Yves Lancien, Pierre Sauvaigo, Jacques Marette, Philippe Séguin, Jacques Chirac, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Jacques Godfrain, Maurice Couve de Murville, Emmanuel Aubert, Pierre Mauger, Jacques Toubon, Jacques Chaban-Delmas, Robert Wagner, Michel Péricard, Pierre-Bernard Cousté, Olivier Guichard, Claude-Gérard Marcus, Régis Perbet, Jean-Louis Masson, René La Combe, Georges Tranchant, Georges Gorse, Roland Nungesser, Mme Florence d’Harcourt, MM François Grussenmeyer, Michel Noir, Germain Sprauer, Jean Valleix. Etienne Pinte, Jean Foyer, Pierre-Charles Krieg, Pierre Messmer, Pierre Gascher, Gabriel Kaspereit, Robert-André Vivien, Antoine Gissinger, Jean Falala, Didier Julia, Christian Bergelin, Robert Galley, Camille Petit, Charles Millon, Raymond Marcellin, Raymond Barre, Edmond Alphandery, Jean-Claude Gaudin, Roger Lestas, Claude Birraux, Emile Koehl, Pascal Clément, François d’Aubert, Victor Sablé, François d’Harcourt, Henri Baudouin, Jean Desanlis, Emmanuel Hamel, Jean Rigaud, Marcel Esdras, Maurice Ligot, Alain Madelin, Paul Pernin, Jean Bégault, Marcel Bigeard, Olivier Stirn, Michel d’Ornano, Philippe Mestre, Claude Wolff, Francisque Perrut, Charles Fèvre, Jean-Pierre Soisson, Jean-Paul Fuchs, Henri Bayard, Germain Gengenwin, Jacques Fouchier, Albert Brochard, Jean Proriol, Jean Brocard, Jean Briane, Maurice Dousset, Christian Bonnet, Charles Deprez, Francis Geng, Jacques Barrot, Jean-Marie Daillet, Pierre Micaux, Jacques Blanc, Adrien Durand, Pierre Méhaignerie, Joseph-Henri Maujoüan du Gasset, André Rossinot, Jean Seitlinger, Mme Louise Moreau, MM Bernard Stasi, Gilbert Gantier, Georges Delfosse, René Haby, Alain Mayoud, Georges Mesmin, Gilbert Mathieu, Loïc Bouvard, Yves Sautier, François Léotard, députés, dans les conditions prévues à l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, du texte de la loi de nationalisation, telle qu’elle a été adoptée par le Parlement le 18 décembre 1981 ;

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Ouï le rapporteur en son rapport ;

I – Sur la procédure législative :

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance de l’article 40 de la Constitution :

1. Considérant qu’il est soutenu que la loi de nationalisation soumise à l’examen du Conseil constitutionnel aurait été adoptée en méconnaissance de l’article 40 de la Constitution du fait que les dispositions de cet article auraient été opposées à tort à plusieurs amendements et du fait que des amendements auraient été rejetés sans discussion.

2. Considérant, d’une part, que les amendements dont il s’agit tendaient soit à garantir un taux minimum de 11 p. 100 par an pour les intérêts attachés aux obligations données en échange des actions des sociétés nationalisées, soit à prévoir pour l’amortissement de ces obligations une durée inférieure à celle prévue au projet de loi, soit à instituer au profit de certains actionnaires des sociétés nationalisées une indemnité en espèces, soit à aménager les règles sur l’imposition des plus-values d’une façon dérogatoire au droit commun en ce qui concerne celles réalisées lors de la cession d’obligations émises pour l’indemnisation des anciens actionnaires, soit, enfin, à mettre à la seule charge de l’État les ressources de la caisse nationale des banques nécessaires à l’indemnisation des anciens actionnaires ; que chacun de ces amendements aurait eu pour effet d’aggraver une charge publique et que c’est donc par une exacte application de l’article 40 de la Constitution qu’ils ont été déclarés irrecevables.

3. Considérant, d’autre part, qu’aucune disposition de la Constitution n’a été méconnue en l’espèce dès lors que les amendements dont il s’agit n’ont pas été indûment déclarés irrecevables, qu’ils ont pu être soutenus et que leur rejet a résulté de votes de l’assemblée devant laquelle ils ont été déposés ;

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance de l’article 1er, alinéa 4, et de l’article 2, alinéa 5, de l’ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances :

4. Considérant qu’il est soutenu que les dispositions de la loi de nationalisation génératrices de dépenses qui affecteront l’équilibre financier de plusieurs années ont été votées en méconnaissance des règles posées par l’article 1er, alinéa 4, et par l’article 2, alinéa 5, de l’ordonnance du 2 janvier 1959 du fait qu’une loi de finances n’a ni prévu ni évalué ni autorisé ces charges nouvelles ;

5. Considérant qu’il résulte de l’ensemble des dispositions de l’ordonnance du 2 janvier 1959, rapprochées des dispositions du titre V de la Constitution, que les règles posées par son article 1er, alinéa 4, et par son article 2, alinéa 5, ont pour objet de faire obstacle à ce qu’une loi permette des dépenses nouvelles alors que ses incidences sur l’équilibre financier de l’année, ou sur celui d’exercices ultérieurs, n’auraient pas été appréciées et prises en compte, au préalable, par des lois de finances ;

6. Considérant que la loi de nationalisation ne méconnaît pas ces règles dès lors qu’elle ne permet pas qu’il soit fait face aux charges qu’elle implique sans qu’au préalable les crédits nécessaires pour chacun des exercices en cause aient été prévus, évalués et autorisés par une ou plusieurs lois de finances ;

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance de l’article 15 de l’ordonnance du 2 janvier 1959 :

7. Considérant qu’il est soutenu qu’en prévoyant que la caisse nationale de l’industrie et la caisse nationale des banques émettront des obligations destinées à être remises aux anciens actionnaires à titre d’indemnisation et que ces obligations pourront être utilisées comme moyen de paiement d’une dépense publique, les dispositions de la loi de nationalisation seraient contraires à l’article 15 de l’ordonnance du 2 janvier 1959 qui exige que les émissions d’emprunt fassent l’objet d’une autorisation donnée par une loi de finances et qui interdit, sauf disposition expresse d’une loi de finances, l’utilisation de titres d’emprunt d’État comme moyen de paiement d’une dépense publique ;

8. Considérant que la remise, à titre de paiement, d’obligations aux anciens actionnaires des sociétés nationalisées ne constitue pas une opération d’emprunt au sens de l’article 15 de l’ordonnance du 2 janvier 1959 ; qu’ainsi, les dispositions critiquées, n’entrant pas dans le champ d’application de cet article 15, ne sauraient l’avoir méconnu.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 18 de la même ordonnance :

9. Considérant que, contrairement à ce qui est allégué, les ressources de la caisse nationale de l’industrie et de la caisse nationale des banques provenant de la redevance versée par les sociétés nationalisées et dont le montant sera fixé chaque année par la loi de finances n’ont pas à figurer au budget de l’État ; qu’en effet elles constituent des ressources d’établissements publics et non des ressources de l’État ; qu’ainsi les articles 12 et 24 de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel ne sont pas contraires à l’article 18 de l’ordonnance du 2 janvier 1959 ;

En ce qui concerne le moyen tiré de la violation de l’article 74 de la Constitution :

10. Considérant que, selon les sénateurs auteurs de la saisine, la loi de nationalisation, en raison des conséquences qu’elle aura sur la vie économique et sociale des territoires d’outre-mer, doit être regardée comme relative à l’organisation particulière de ces territoires et, comme telle, aurait dû, avant son adoption, être soumise à la consultation des assemblées territoriales intéressées ;

11. Considérant que la loi qui nationalise des sociétés dont le siège social est situé en France métropolitaine ne touche pas à l’organisation particulière des territoires d’outre-mer et, par suite, n’entre pas dans le champ d’application de l’article 74 de la Constitution ;

En ce qui concerne l’ensemble des moyens relatifs à la procédure législative :

12. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la loi de nationalisation a été adoptée selon une procédure conforme à la Constitution ;

II. – Au fond:

Sur le principe des nationalisations :

13. Considérant que l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 proclame : Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ; que l’article 17 de la même Déclaration proclame également : La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ;

14. Considérant que le peuple français, par le référendum du 5 mai 1946, a rejeté un projet de Constitution qui faisait précéder les dispositions relatives aux institutions de la République d’une nouvelle Déclaration des droits de l’homme comportant notamment l’énoncé de principes différant de ceux proclamés en 1789 par les articles 2 et 17 précités.

15. Considérant qu’au contraire, par les référendums du 13 octobre 1946 et du 28 septembre 1958, le peuple français a approuvé des textes conférant valeur constitutionnelle aux principes et aux droits proclamés en 1789 ; qu’en effet, le préambule de la Constitution de 1946 réaffirme solennellement les droits et les libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et tend seulement à compléter ceux-ci par la formulation des principes politiques, économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps ; que, aux termes du préambule de la Constitution de 1958, le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la déclaration de 1789, confirmée et complétée par le Préambule de la Constitution de 1946 .

16. Considérant que, si postérieurement à 1789 et jusqu’à nos jours, les finalités et les conditions d’exercice du droit de propriété ont subi une évolution caractérisée à la fois par une notable extension de son champ d’application à des domaines individuels nouveaux et par des limitations exigées par l’intérêt général, les principes mêmes énoncés par la Déclaration des droits de l’homme ont pleine valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété dont la conservation constitue l’un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression, qu’en ce qui concerne les garanties données aux titulaires de ce droit et les prérogatives de la puissance publique ; que la liberté qui, aux termes de l’article 4 de la Déclaration, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d’entreprendre ;

17. Considérant que l’alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946 dispose : Tout bien, toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité ; que cette disposition n’a ni pour objet ni pour effet de rendre inapplicables aux opérations de nationalisation les principes susrappelés de la Déclaration de 1789 ;

18. Considérant que, si l’article 34 de la Constitution place dans le domaine de la loi les nationalisations d’entreprises et les transferts d’entreprises du secteur public au secteur privé , cette disposition, tout comme celle qui confie à la loi la détermination des principes fondamentaux du régime de la propriété, ne saurait dispenser le législateur, dans l’exercice de sa compétence, du respect des principes et des règles de valeur constitutionnelle qui s’imposent à tous les organes de l’État.

19. Considérant qu’il ressort des travaux préparatoires de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel que le législateur a entendu fonder les nationalisations opérées par ladite loi sur le fait que ces nationalisations seraient nécessaires pour donner aux pouvoirs publics les moyens de faire face à la crise économique, de promouvoir la croissance et de combattre le chômage et procéderaient donc de la nécessité publique au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789 ;

20. Considérant que l’appréciation portée par le législateur sur la nécessité des nationalisations décidées par la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel ne saurait, en l’absence d’erreur manifeste, être récusée par celui-ci dès lors qu’il n’est pas établi que les transferts de biens et d’entreprises présentement opérés restreindraient le champ de la propriété privée et de la liberté d’entreprendre au point de méconnaître les dispositions précitées de la Déclaration de 1789 ;

Sur la désignation des sociétés faisant l’objet des nationalisations et sur le respect du principe d’égalité :

21. Considérant que les dispositions des articles 1er et 27 de la loi qui désignent respectivement les cinq sociétés industrielles et les deux compagnies financières faisant l’objet de mesures de nationalisation ont été prises sur le fondement et dans la limite des pouvoirs qui, comme il vient d’être dit, appartiennent au législateur ; que les caractères spécifiques attachés à chacune de ces sociétés font obstacle à ce que le principe d’égalité puisse être utilement invoqué par comparaison avec la situation d’autres sociétés non visées par la loi de nationalisation ; qu’ainsi les articles 1er et 27 de la loi ne sont pas contraires à la Constitution ;

22. Considérant que, s’agissant de la nationalisation de banques, l’article 13 de la loi énonce en premier lieu dans son paragraphe I la règle générale selon laquelle sont désignées les sociétés tombant sous le coup de la nationalisation ainsi que les dérogations apportées à cette règle générale, puis, dans son paragraphe II, établit la liste des sociétés nationalisées.

23. Considérant qu’il est fait tout d’abord grief au législateur d’avoir, dans le paragraphe I de l’article 13, retenu comme critère général des nationalisations de banques la détention à la date du 2 janvier 1981 par les banques inscrites sur la liste du Conseil national du crédit d’un milliard de francs ou plus sous forme de dépôts à vue ou de placements liquides ou à court terme en francs ou devises au nom de résidents selon les définitions adoptées par le Conseil national du crédit ; qu’il est reproché à cette disposition de recourir à un critère non significatif et arbitraire ;

24. Considérant qu’il appartenait au législateur, en fonction de la nécessité publique constatée par lui, d’exclure de la nationalisation les banques les moins importantes ; que le critère retenu pour déterminer le seuil au-dessous duquel les banques échappent à la nationalisation n’est pas sans rapport avec son objet ;

25. Considérant que, d’autre part, l’article 13-I de la loi exclut de la nationalisation les banques ayant le statut de sociétés immobilières pour le commerce et l’industrie fixé par l’ordonnance n° 67-837 du 28 septembre 1967 ou le statut de maison de réescompte fixé par le décret n° 60-439 du 12 février 1960 ; les banques dont la majorité du capital social appartient directement ou indirectement à des sociétés de caractère mutualiste ou coopératif ; les banques dont la majorité du capital social appartient directement ou indirectement à des personnes physiques ne résidant pas en France ou à des personnes morales n’ayant pas leur siège social en France ;

26. Considérant que, sur le principe même des dérogations ainsi apportées au critère général de la détermination des banques nationalisables, il est allégué que de telles dérogations, qui laissent hors du champ d’application de la loi des sociétés de banque non moins importantes que celles qu’il inclut, seraient la preuve que les nationalisations de banques n’étaient pas nécessaires à la réalisation des buts que le législateur a entendu poursuivre ;

27. Considérant que cette allégation ne saurait être retenue ; qu’en effet, le législateur avait le pouvoir d’apprécier quelle devait être l’étendue des nationalisations de banques pour la réalisation des objectifs qu’il assignait à ces nationalisations;

28. Considérant qu’il est, également, fait grief aux dérogations faisant l’objet des dispositions précitées de méconnaître le principe d’égalité ;

29. Considérant que le principe d’égalité n’est pas moins applicable entre les personnes morales qu’entre les personnes physiques, car, les personnes morales étant des groupements de personnes physiques, la méconnaissance du principe d’égalité entre celles-là équivaudrait nécessairement à une méconnaissance de l’égalité entre celles-ci ;

30. Considérant que le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce qu’une loi établisse des règles non identiques à l’égard de catégories de personnes se trouvant dans des situations différentes, mais qu’il ne peut en être ainsi que lorsque cette non-identité est justifiée par la différence de situation et n’est pas incompatible avec la finalité de la loi ;

31. Considérant que la dérogation visant les banques ayant le statut de sociétés immobilières pour le commerce et l’industrie ou le statut de maison de réescompte n’est pas contraire au principe d’égalité, certains des éléments des statuts de ces établissements leur étant spécifiques.

32. Considérant que, si les banques dont la majorité du capital social appartient directement ou indirectement à des personnes physiques ne résidant pas en France ou à des personnes morales n’ayant pas leur siège social en France ont le même statut juridique que les autres banques, le législateur a pu, sans méconnaître le principe d’égalité, les exclure de la nationalisation en prenant motif des risques de difficultés que la nationalisation de ces banques aurait pu entraîner sur le plan international et dont la réalisation aurait, à ses yeux, compromis l’intérêt général qui s’attache aux objectifs poursuivis par la loi de nationalisation ;

33. Considérant au contraire que la dérogation portée au profit des banques dont la majorité du capital social appartient directement ou indirectement à des sociétés de caractère mutualiste ou coopératif méconnaît le principe d’égalité ; qu’en effet, elle ne se justifie ni par des caractères spécifiques de leur statut ni par la nature de leur activité ni par des difficultés éventuelles dans l’application de la loi propres à contrarier les buts d’intérêt général que le législateur a entendu poursuivre ;

34. Considérant, dès lors, qu’il y a lieu de déclarer non conformes à la Constitution les dispositions de l’article 13-1 de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel ainsi conçues : Les banques dont la majorité du capital social appartient directement ou indirectement à des sociétés de caractère mutualiste ou coopératif.

Sur les transferts éventuels du secteur public au secteur privé :

En ce qui concerne les articles 4, 16 et 30 de la loi :

35. Considérant que les articles 4, 16 et 30 de la loi sont conçus en termes identiques ; que leurs dispositions tendent, en ce qui concerne chacune des catégories de sociétés nationalisées, à permettre aux administrateurs généraux ou aux conseils d’administration, de décider, lorsque les législations ou les pratiques propres à certains pays le rendront nécessaire, l’aliénation partielle ou totale des participations, majoritaires ou minoritaires, détenues directement ou indirectement par ces sociétés dans des filiales ou de certaines de leurs succursales exerçant leurs activités en dehors du territoire national ;

36. Considérant que les auteurs des saisines font valoir, en premier lieu, à l’encontre de ces dispositions qu’en donnant compétence en territoire étranger aux nouveaux organes des sociétés institués et désignés en vertu de la loi de nationalisation, elles méconnaîtraient un principe de droit international qui, selon eux, interdirait d’attacher aux nationalisations un effet extra-territorial ;

37. Considérant que les dispositions des articles 4, 16 et 30 ont pour objet de définir certains des pouvoirs des organes d’administration de sociétés ayant leur siège social en France ; que ces pouvoirs s’étendent nécessairement à l’ensemble des biens et des droits composant le patrimoine des sociétés ; que les limites éventuellement rencontrées dans l’exercice de ces pouvoirs hors du territoire national constitueraient un fait qui ne saurait restreindre en quoi que ce soit le droit du législateur de régler les conditions dans lesquelles sont administrées les sociétés nationalisées ;

38. Considérant qu’il est également fait grief aux articles 4, 16 et 30 de méconnaître les dispositions de l’article 34 de la Constitution en ce qu’ils autoriseraient les administrateurs généraux ou les conseils d’administration des sociétés nationalisées à procéder à des aliénations pouvant constituer des transferts du secteur public au secteur privé, alors qu’en vertu de l’article 34 de la Constitution de tels transferts relèvent du domaine de la loi ;

39. Considérant que si, aux termes de l’article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant les nationalisations d’entreprises et les transferts de propriété d’entreprises du secteur public au secteur privé , ces dispositions n’imposent pas que toute opération impliquant un transfert du secteur public au secteur privé soit directement décidée par le législateur ; qu’il appartient à celui-ci de poser pour de telles opérations des règles dont l’application incombera aux autorités ou organes désignés par lui.

40. Considérant que, si les articles 4, 16 et 30 de la loi ont pour objet de fixer, dans le cas particulier qu’ils visent, les règles selon lesquelles peuvent intervenir certains transferts, leurs dispositions attribuent aux seuls organes des sociétés nationales un pouvoir discrétionnaire d’appréciation et de décision soustrait à tout contrôle et d’une telle étendue que les dispositions critiquées ne sauraient être regardées comme satisfaisant aux exigences de l’article 34 de la Constitution ;

41. Considérant, dès lors, que les articles 4, 16 et 30 de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel ne sont pas conformes à la Constitution ;

En ce qui concerne les règles relatives à la cession éventuelle d’éléments d’actif des entreprises nationalisées au secteur privé :

42. Considérant qu’il est fait grief à la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel de ne pas comporter de disposition réglant les conditions de la cession au secteur privé de certains éléments d’actif, notamment de filiales, qui, ne correspondant pas aux objectifs des nationalisations, devraient être rendus par les sociétés nationalisées au secteur privé ;

43. Considérant que, s’il résulte des travaux préparatoires que le législateur a envisagé que les sociétés nationalisées puissent ne pas conserver certains actifs, notamment dans des filiales, ne correspondant pas aux objectifs des nationalisations et puissent les céder au secteur privé, ces aliénations, à l’inverse de celles mentionnées aux articles 4, 16 et 30, ne sont pas prévues par la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel ; que, dès lors, le législateur a pu, sans méconnaître l’article 34 de la Constitution, ne pas édicter dans la présente loi les règles applicables à ces éventuelles cessions et qui pourront faire l’objet, en tant que de besoin, de dispositions législatives ultérieures ; qu’ainsi le grief susénoncé n’est pas fondé ;

Sur l’indemnisation :

44. Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la privation du droit de propriété pour cause de nécessité publique requiert une juste et préalable indemnité ;

45. Considérant que, par l’effet des articles 2, 14 et 28 de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel, la nationalisation des diverses sociétés visées par ladite loi s’opère par le transfert à l’État en toute propriété des actions représentant leur capital à la date de jouissance des obligations remises en échange ; que les articles 5, 17 et 31 de la loi déterminent la nature et le régime des obligations qui doivent être remises aux anciens actionnaires en vue d’assurer leur indemnisation ; que les articles 6, 18 et 32 de la loi fixent les règles selon lesquelles est déterminée la valeur d’échange des actions des diverses sociétés ;

46. Considérant qu’il convient d’examiner si ces dispositions répondent à la double exigence du caractère juste et du caractère préalable de l’indemnisation ;

En ce qui concerne le caractère juste de l’indemnisation :

47. Considérant que les actionnaires des sociétés visées par la loi de nationalisation ont droit à la compensation du préjudice subi par eux, évalué au jour du transfert de propriété, abstraction faite de l’influence que la perspective de la nationalisation a pu exercer sur la valeur de leurs titres ;

48. Considérant que les dispositions relatives à la valeur d’échange des actions inscrites à la cote officielle des agents de change, telles qu’elles résultent des article 6, 18-1 et 32 de la loi sont différentes de celles relatives à la valeur d’échange des actions des sociétés de banque non inscrites à la même cote à la date du 1er janvier 1978, qui résultent de l’article 18-2 de la loi ; qu’il convient donc d’examiner distinctement chacune de ces deux séries de dispositions ;

Quant à la valeur d’échange des actions inscrites à la cote officielle des agents de change ;

49. Considérant que la détermination de la valeur des actions inscrites à la cote officielle des agents de change au jour de la dépossession ne pouvait se faire de façon directe, notamment du fait que leur cotation en bourse avait été nécessairement affectée et ceci depuis un temps assez long par la perspective même des nationalisations ; qu’il appartenait donc au législateur de déterminer des règles de calcul de la valeur d’échange propres à conduire, avec une approximation inévitable mais limitée, à des résultats comparables ; qu’il pouvait légitimement tenir compte des nécessités de simplicité et de rapidité du jeu des règles d’indemnisation, notamment en ce qui regarde le caractère préalable de l’indemnisation qui aurait été compromis si, pour l’essentiel de la valeur d’échange, la remise des obligations n’avait pu s’opérer au jour envisagé pour le transfert de propriété.

50. Considérant cependant que, quelle que fût leur force, ces nécessités pratiques ne pouvaient prévaloir sur l’exigence de la juste indemnité due à chacun des anciens propriétaires d’actions ;

51. Considérant que, sans doute, il était loisible au législateur de se référer, pour l’évaluation des actions, à une moyenne des cours de bourse pendant une certaine période, mais en assortissant cette méthode forfaitaire des aménagements propres à redresser les inégalités et les insuffisances substantielles qui pouvaient en découler ;

52. Considérant que la moyenne des cours de bourse entre le 1er janvier 1978 et le 31 décembre 1980 est composée de cotations exprimées en francs courants ; que si la dépréciation monétaire est vraisemblablement entrée en compte à la date où a eu lieu chaque cotation, il n’eût pas moins été nécessaire pour une application correcte de ce système que l’utilisation de cotations remontant loin dans le passé en vue d’exprimer la valeur des actions au 1er janvier 1982 fût affectée d’une correction adéquate, qui n’est pas prévue par la loi dans les dispositions présentement examinées ;

53. Considérant, d’autre part, que l’utilisation uniforme d’une moyenne des cours de bourse sur une période aussi longue sans tenir compte de ce que le sens de l’évolution des cours a été différent et, en certains cas, opposé pour les diverses sociétés nationalisées, aboutit à des distorsions considérables en ce qui regarde ce qu’aurait pu être la valeur réelle des actions au moment de la dépossession ;

54. Considérant, il est vrai, que, selon les dispositions susvisées, la référence à la moyenne des cours de bourse des années 1978, 1979 et 1980 n’entre que pour 50 p. 100 dans le calcul de la valeur d’échange des actions et se trouve complétée pour 25 p. 100 par la référence à la situation comptable nette et pour 25 p. 100 par la référence au produit par 10 du bénéfice net moyen ;

55. Considérant que l’appel à d’autres critères que celui de la moyenne des cours de bourse aurait dû précisément, selon l’intention du législateur, corriger les imperfections de la référence à la moyenne des cours de bourse, affectée des modalités ci-dessus relevées qui en altéraient la pertinence ;

56. Mais considérant que cette fin est inégalement atteinte par les dispositions présentement examinées ; qu’en particulier, la référence à la situation nette comptable sans prise en compte des actifs des filiales ainsi que la référence au bénéfice net moyen sans prise en compte des bénéfices des filiales conduisent pour les sociétés en cause à des résultats très différents déterminés non par la différence de données économiques et financières objectives mais par la diversité des techniques de gestion et des méthodes de présentation comptable suivies par les sociétés qui, en elle-même, ne devr


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