Texte intégral
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, sous le n° 2019-781 DC, le 16 avril 2019, par MM. Christian JACOB, Damien ABAD, Mme Emmanuelle ANTHOINE, MM. Julien AUBERT, Thibault BAZIN, Mmes Valérie BAZIN-MALGRAS, Valérie BEAUVAIS, Émilie BONNIVARD, MM. Jean-Yves BONY, Ian BOUCARD, Jean-Claude BOUCHET, Mme Marine BRENIER, MM. Xavier BRETON, Fabrice BRUN, Gilles CARREZ, Jacques CATTIN, Gérard CHERPION, Dino CINIERI, Pierre CORDIER, François CORNUT-GENTILLE, Mme Marie-Christine DALLOZ, MM. Bernard DEFLESSELLES, Rémi DELATTE, Vincent DESCOEUR, Fabien DI FILIPPO, Julien DIVE, Jean-Pierre DOOR, Mme Virginie DUBY-MULLER, MM. Pierre-Henri DUMONT, Daniel FASQUELLE, Jean-Jacques FERRARA, Laurent FURST, Mme Annie GENEVARD, MM. Philippe GOSSELIN, Jean-Carles GRELIER, Michel HERBILLON, Mmes Brigitte KUSTER, Valérie LACROUTE, MM. Marc LE FUR, Sébastien LECLERC, Mmes Geneviève LEVY, Véronique LOUWAGIE, MM. Olivier MARLEIX, Jean-Louis MASSON, Gérard MENUEL, Mme Frédérique MEUNIER, MM. Maxime MINOT, Jérôme NURY, Jean-François PARIGI, Bernard PERRUT, Mme Bérengère POLETTI, MM. Aurélien PRADIÉ, Didier QUENTIN, Alain RAMADIER, Mme Nadia RAMASSAMY, MM. Robin REDA, Frédéric REISS, Vincent ROLLAND, Martial SADDIER, Antoine SAVIGNAT, Raphaël SCHELLENBERGER, Jean-Marie SERMIER, Éric STRAUMANN, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Guy TEISSIER, Mmes Laurence TRASTOUR-ISNART, Isabelle VALENTIN, MM. Pierre VATIN, Patrice VERCHÈRE, Charles de la VERPILLIÈRE, Arnaud VIALA, Michel VIALAY, Jean-Pierre VIGIER, Stéphane VIRY et Éric WOERTH, députés.
Il a également été saisi, le même jour, par MM. Bruno RETAILLEAU, Pascal ALLIZARD, Serge BABARY, Jérôme BASCHER, Arnaud BAZIN, Mmes Martine BERTHET, Anne-Marie BERTRAND, M. Jean BIZET, Mme Christine BONFANTI-DOSSAT, MM. François BONHOMME, Gilbert BOUCHET, Mme Céline BOULAY-ESPÉRONNIER, MM. Yves BOULOUX, Jean-Marc BOYER, Max BRISSON, Mme Marie-Thérèse BRUGUIÈRE, MM. François-Noël BUFFET, François CALVET, Christian CAMBON, Jean-Noël CARDOUX, Mme Anne CHAIN-LARCHÉ, MM. Patrick CHAIZE, Pierre CHARON, Alain CHATILLON, Mmes Marie-Christine CHAUVIN, Marta de CIDRAC, MM. Pierre CUYPERS, Philippe DALLIER, René DANESI, Mme Laure DARCOS, M. Mathieu DARNAUD, Mme Annie DELMONT-KOROPOULIS, M. Gérard DÉRIOT, Mmes Catherine DEROCHE, Jacky DEROMEDI, Chantal DESEYNE, Catherine DI FOLCO, MM. Philippe DOMINATI, Alain DUFAUT, Mmes Catherine DUMAS, Nicole DURANTON, M. Jean-Paul ÉMORINE, Mme Jacqueline EUSTACHE-BRINIO, MM. Michel FORISSIER, Bernard FOURNIER, Christophe-André FRASSA, Mmes Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, Frédérique GERBAUD, MM. Jean-Pierre GRAND, Daniel GREMILLET, François GROSDIDIER, Jacques GROSPERRIN, Mme Pascale GRUNY, MM. Alain HOUPERT, Jean-Raymond HUGONET, Benoît HURÉ, Mmes Corinne IMBERT, Muriel JOURDA, MM. Roger KAROUTCHI, Guy-Dominique KENNEL, Marc LAMÉNIE, Mmes Élisabeth LAMURE, Christine LANFRANCHI-DORGAL, MM. Daniel LAURENT, Antoine LEFÈVRE, Dominique de LEGGE, Jean-Pierre LELEUX, Henri LEROY, Mmes Brigitte LHERBIER, Vivette LOPEZ, M. Michel MAGRAS, Mme Viviane MALET, M. Didier MANDELLI, Mme Marie MERCIER, M. Sébastien MEURANT, Mme Brigitte MICOULEAU, M. Alain MILON, Mme Patricia MORHET-RICHAUD, MM. Jean-Marie MORISSET, Philippe MOUILLER, Louis-Jean de NICOLAY, Claude NOUGEIN, Philippe PAUL, Philippe PEMEZEC, Cédric PERRIN, Jackie PIERRE, Rémy POINTEREAU, Ladislas PONIATOWSKI, Mmes Sophie PRIMAS, Frédérique PUISSAT, Isabelle RAIMOND-PAVERO, M. Michel RAISON, Mme Françoise RAMOND, MM. Jean-François RAPIN, Damien REGNARD, André REICHARDT, Mme Évelyne RENAUD-GARABEDIAN, M. Charles REVET, Mme Marie-Pierre RICHER, MM. René-Paul SAVARY, Michel SAVIN, Alain SCHMITZ, Vincent SEGOUIN, Bruno SIDO, Jean SOL, Mmes Claudine THOMAS, Catherine TROENDLÉ, MM. Jean-Pierre VIAL et Jean-Pierre VOGEL, sénateurs.
Il a également été saisi, le 23 avril 2019, par Mme Valérie RABAULT, MM. Jean-Luc MÉLENCHON, André CHASSAIGNE, Joël AVIRAGNET, Mmes Ericka BAREIGTS, Marie-Noëlle BATTISTEL, Gisèle BIÉMOURET, MM. Christophe BOUILLON, Jean-Louis BRICOUT, Luc CARVOUNAS, Alain DAVID, Mme Laurence DUMONT, MM. Olivier FAURE, Guillaume GAROT, David HABIB, Christian HUTIN, Régis JUANICO, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Serge LETCHIMY, Mmes Josette MANIN, George PAU-LANGEVIN, Christine PIRES BEAUNE, MM. Dominique POTIER, Joaquim PUEYO, Hervé SAULIGNAC, Mmes Sylvie TOLMONT, Cécile UNTERMAIER, Hélène VAINQUEUR-CHRISTOPHE, M. Boris VALLAUD, Mme Michèle VICTORY, M. Alain BRUNEEL, Mme Marie-George BUFFET, MM. Pierre DHARRÉVILLE, Jean-Paul DUFRÈGNE, Mme Elsa FAUCILLON, MM. Sébastien JUMEL, Jean-Paul LECOQ, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Hubert WULFRANC, Mmes Manuéla KÉCLARD-MONDÉSIR, Huguette BELLO, MM. Moetaï BROTHERSON, Jean-Philippe NILOR, Gabriel SERVILLE, Mme Clémentine AUTAIN, MM. Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Mme Caroline FIAT, MM. Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Mmes Danièle OBONO, Mathilde PANOT, MM. Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean-Hugues RATENON, Mmes Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, M. François RUFFIN et Mme Bénédicte TAURINE, députés.
Il a enfin été saisi, le 24 avril 2019, par MM. Patrick KANNER, Maurice ANTISTE, Mme Viviane ARTIGALAS, MM. David ASSOULINE, Claude BÉRIT-DÉBAT, Joël BIGOT, Jacques BIGOT, Mmes Maryvonne BLONDIN, Nicole BONNEFOY, MM. Martial BOURQUIN, Michel BOUTANT, Henri CABANEL, Thierry CARCENAC, Mmes Catherine CONCONNE, Hélène CONWAY-MOURET, MM. Roland COURTEAU, Michel DAGBERT, Yves DAUDIGNY, Marc DAUNIS, Gilbert-Luc DEVINAZ, Jérôme DURAIN, Alain DURAN, Vincent ÉBLÉ, Rémi FÉRAUD, Mme Corinne FÉRET, M. Jean-Luc FICHET, Mmes Martine FILLEUL, Nadine GRELET-CERTENAIS, Laurence HARRIBEY, MM. Jean-Michel HOULLEGATTE, Xavier IACOVELLI, Olivier JACQUIN, Mme Victoire JASMIN, MM. Éric JEANSANNETAS, Patrice JOLY, Bernard JOMIER, Éric KERROUCHE, Bernard LALANDE, Jean-Yves LECONTE, Mme Claudine LEPAGE, M. Jean-Jacques LOZACH, Mme Monique LUBIN, MM. Victorin LUREL, Philippe MADRELLE, Jacques-Bernard MAGNER, Christian MANABLE, Didier MARIE, Rachel MAZUIR, Mmes Michelle MEUNIER, Marie-Pierre MONIER, M. Franck MONTAUGÉ, Mmes Marie-Françoise PÉROL-DUMONT, Angèle PRÉVILLE, M. Claude RAYNAL, Mme Sylvie ROBERT, M. Gilbert ROGER, Mme Laurence ROSSIGNOL, MM. Jean-Pierre SUEUR, Simon SUTOUR, Rachid TEMAL, Jean-Claude TISSOT, Mme Nelly TOCQUEVILLE, MM. Jean-Marc TODESCHINI, Jean-Louis TOURENNE, André VALLINI, Mmes Sabine VAN HEGHE, Laurence COHEN, M. Fabien GAY, Mme Christine PRUNAUD, MM. Pascal SAVOLDELLI, Pierre-Yves COLLOMBAT, Mme Esther BENBASSA, M. Pierre LAURENT, Mme Éliane ASSASSI, M. Pierre OUZOULIAS, Mmes Marie-Noëlle LIENEMANN, Céline BRULIN, Michelle GRÉAUME, Cathy APOURCEAU-POLY, M. Guillaume GONTARD, Mme Cécile CUKIERMAN et M. Éric BOCQUET, sénateurs.
Au vu des textes suivants :
– la Constitution ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
– le code de commerce ;
– le code de la sécurité sociale ;
– le code des transports ;
– le code du travail ;
– la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne ;
– l’ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique ;
– la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ;
Au vu des observations du Gouvernement, enregistrées le 9 mai 2019 ;
Au vu des observations en réplique présentées par Mme Rabault, députée, enregistrées le 13 mai 2019 ;
Au vu des nouvelles observations du Gouvernement, enregistrées le même jour ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Les députés et les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises. Ils contestent la place des articles 17, 18, 104, 181, 182, 183, 213, 214 et 215 dans cette loi. Ils contestent par ailleurs la conformité à la Constitution de certaines dispositions de son article 11, de ses articles 17 et 18, de certaines des dispositions de son article 20, de certaines dispositions de son article 137, ainsi que la procédure d’adoption des articles 130 à 136 et la conformité à la Constitution de certaines dispositions des articles 130 à 132, 135 et 136.
– Sur certaines dispositions de l’article 11 :
2. L’article 11 de la loi déférée modifie les règles de décompte de l’effectif salarié d’une entreprise pour l’application de plusieurs obligations en matière sociale.
3. Selon les sénateurs auteurs de la dernière saisine, en prévoyant des règles de décompte différentes selon que l’effectif salarié de l’entreprise évolue à la hausse ou à la baisse, le législateur aurait rendu possibles des stratégies de contournement de certaines exigences liées à ces seuils, consistant à priver d’effet le dépassement du seuil pendant plusieurs années, en l’interrompant par une année de baisse de l’effectif en deçà du seuil requis, afin que ce dépassement ne puisse être pris en compte. Il en résulterait une méconnaissance du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. Les sénateurs auteurs de la dernière saisine contestent également la rupture d’égalité inconstitutionnelle qui en découlerait.
4. Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité devant la loi ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
5. Aux termes du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».
6. Le 1° du paragraphe I de l’article 11 insère dans le code de la sécurité sociale un article L. 130-1 qui précise que, pour l’application de ce code, l’effectif salarié annuel de l’employeur correspond à la moyenne du nombre de personnes employées au cours de chacun des mois de l’année civile précédente. Le paragraphe II de cet article L. 130-1 prévoit cependant que, par exception, le franchissement à la hausse de ce seuil n’est pris en compte que lorsque ce dernier a été atteint ou dépassé pendant cinq années civiles consécutives. Le franchissement à la baisse de ce seuil est, lui, pris en compte dès la première année.
7. En premier lieu, si le paragraphe VI de l’article 11 renvoie aux règles de l’article L. 130-1 du code de la sécurité sociale pour l’application de certaines dispositions du code du travail, aucune des dispositions en cause n’affecte les garanties relatives à la participation des travailleurs, par l’intermédiaire de leurs délégués, à la détermination collective des conditions de travail. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 doit être écarté.
8. En second lieu, l’asymétrie des règles de prise en compte de franchissement de seuil, à la hausse ou à la baisse, a pour conséquence que seule l’entreprise dont l’effectif salarié dépasse le seuil requis pendant cinq années consécutives est soumise aux règles correspondantes. En revanche, une entreprise dont l’effectif salarié ne dépasserait ce seuil que quatre années et baisserait en deçà la cinquième année continuerait de bénéficier des règles applicables aux entreprises relevant d’un seuil inférieur.
9. Toutefois, d’une part, si les sénateurs auteurs du dernier recours dénoncent les stratégies de contournement qui peuvent résulter de cette asymétrie, l’éventualité d’un détournement de la loi ou d’un abus lors de son application, pour regrettables qu’ils soient, n’entache pas celle-ci d’inconstitutionnalité.
10. D’autre part, l’entreprise dont l’effectif salarié dépasse cinq années consécutives un certain seuil est placée dans une situation différente de celle dont l’effectif salarié ne dépasse ce même seuil que quatre années consécutives avant d’y être inférieur la cinquième. La différence de traitement contestée, qui est ainsi fondée sur une différence de situation, est par ailleurs en rapport avec l’objet de la loi, qui est de favoriser la croissance des entreprises en atténuant certains effets de seuils. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit donc être écarté.
11. Le paragraphe II de l’article L. 130-1 du code de la sécurité sociale, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
– Sur les articles 17 et 18 :
12. L’article 17 modifie les règles relatives à l’interdiction de mise à disposition de certains ustensiles en plastique à usage unique. L’article 18 modifie les règles relatives à l’interdiction de production de certains produits pesticides, fongicides ou herbicides.
13. Les députés auteurs de la troisième saisine critiquent la procédure d’adoption de l’article 18, ainsi que l’atteinte qu’il porterait aux articles 1er, 2, 3 et 5 de la Charte de l’environnement. Ils sont rejoints par les sénateurs auteurs de la dernière saisine, qui étendent cette critique à l’article 17 de la loi et dénoncent également l’atteinte portée à l’article 6 de la Charte de l’environnement. Par ailleurs, les députés auteurs de la troisième saisine estiment que l’article 18 méconnaîtrait le droit à la protection de la santé.
14. Aux termes de la dernière phrase du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution : « Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ».
15. Introduits en première lecture, les articles 17 et 18 ne présentent pas de lien, même indirect, avec les dispositions qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale. Ils ont donc été adoptés selon une procédure contraire à la Constitution. Par conséquent, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs, les articles 17 et 18 de la loi sont contraires à la Constitution.
– Sur certaines dispositions de l’article 20 :
16. L’article 20 de la loi a notamment pour objet de réduire le champ de l’obligation de désignation d’un commissaire aux comptes à laquelle sont soumises certaines sociétés, en la limitant à celles dépassant certains seuils.
17. Les sénateurs auteurs de la dernière saisine font valoir qu’il en résulterait une différence de traitement injustifiée entre les sociétés dépassant ces seuils et celles situées en deçà. Par ailleurs, selon eux, la suppression, pour ces dernières sociétés, du contrôle obligatoire effectué par les commissaires aux comptes porterait atteinte au droit de propriété de leurs actionnaires et de leurs co-contractants, qui seraient ainsi plus exposés à un risque d’instabilité financière ou de défaillance desdites sociétés. En outre, compte tenu de l’impact de cette réforme sur l’activité des commissaires aux comptes, le législateur, qui n’a pas prévu de mécanisme d’indemnisation spécifique, aurait porté atteinte à une situation légalement acquise, en méconnaissance de la garantie des droits. Enfin, le renvoi au pouvoir réglementaire de la fixation des seuils précités entacherait la loi d’incompétence négative.
18. En vertu de l’article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux « du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ». Il incombe au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34.
19. La propriété figure au nombre des droits de l’homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789.
20. Aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d’intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises, ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations.
21. Le 14° et le 17° de l’article 20 modifient les articles L. 225-218 et L. 226-6 du code de commerce afin de limiter l’obligation faite aux sociétés anonymes et aux sociétés en commandite par actions de désigner un commissaire aux comptes à certaines d’entre elles seulement.
22. En premier lieu, les sociétés soumises, en vertu de ces dispositions, à l’obligation précitée, sont celles qui dépassent, à la clôture d’un exercice social, certains seuils fixés par décret pour deux des trois critères suivants : le total de leur bilan, le montant de leur chiffre d’affaires hors taxes ou le nombre moyen de leurs salariés au cours de l’exercice. Si le législateur a ainsi renvoyé au pouvoir réglementaire la détermination de la valeur de ces seuils, il en a, en revanche, précisé la nature et n’a donc pas méconnu sa compétence.
23. En deuxième lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu maintenir un niveau élevé de contrôle des sociétés, tout en prenant en compte la charge que ce contrôle représente pour elles. Au regard de cet objet, la différence de situation entre les entreprises dont le bilan, le chiffre d’affaires ou l’effectif salarié atteignent certains seuils et les autres est de nature à justifier la différence de traitement instaurée. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité doit donc être écarté.
24. En dernier lieu, d’une part, la désignation ou non d’un commissaire aux comptes n’ayant pas de conséquence sur les conditions d’exercice de leur droit de propriété par les actionnaires de la société en cause ou par ses co-contractants, le grief tiré de la méconnaissance du droit de propriété doit être écarté.
25. D’autre part, la législation relative aux obligations de désignation d’un commissaire aux comptes n’ayant fait naître aucune situation légalement acquise, sa modification par les dispositions contestées, qui ne concerne pas, au demeurant, les mandats en cours, ne méconnaît pas les exigences de la garantie des droits.
26. Il résulte de tout ce qui précède que les deuxièmes alinéas des articles L. 225-218 et L. 226-6 du code de commerce, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.
– Sur la procédure d’adoption des articles 130 à 136 et sur certaines dispositions des articles 130 à 132, 135 et 136 :
27. Les articles 130 à 136 redéfinissent le cadre juridique applicable à la société Aéroports de Paris, dans la perspective de sa privatisation.
28. L’article 130 introduit un article L. 6323-2-1 dans le code des transports. Le paragraphe I de cet article fixe à soixante-dix ans la durée pendant laquelle Aéroports de Paris est chargée d’aménager, d’exploiter et de développer plusieurs aérodromes et prévoit le retour à l’État, à l’issue de cette période, des biens attribués à cette société. Il détermine l’indemnité devant être accordée à Aéroports de Paris au titre de ce retour.
29. L’article 131 complète, à l’article L. 6323-4 du code des transports, les dispositions régissant le contenu du cahier des charges, approuvé par décret en Conseil d’État, qui définit les conditions dans lesquelles Aéroports de Paris assure les services publics liés aux aérodromes qu’elle exploite. Ce cahier des charges précise notamment les modalités selon lesquelles l’État contrôle tant le respect par Aéroports de Paris des obligations découlant de ses missions de service public que des contrats par lesquels l’exécution de certaines de ces missions serait confiée à des tiers.
30. L’article 132 réécrit l’article L. 6323-6 du code des transports, afin d’adapter les dispositions relatives à la maîtrise des emprises foncières d’Aéroports de Paris.
31. Les articles 133 et 134 sont relatifs aux tarifs des redevances aéroportuaires.
32. L’article 135 autorise et encadre la privatisation d’Aéroports de Paris. En particulier, il introduit des paragraphes V et VI à l’article 191 de la loi du 6 août 2015 mentionnée ci-dessus. Le paragraphe V autorise le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société Aéroports de Paris. Le paragraphe VI précise les conditions régissant l’opération de cession de capital si celle-ci était réalisée en dehors des procédures des marchés financiers. Il prévoit que cette opération fait l’objet d’un processus concurrentiel et donne lieu à l’établissement d’un cahier des charges fixant les obligations des cessionnaires et, « si nécessaire », des conditions d’expérience et de capacité financière des candidats au rachat des actions de l’État.
33. L’article 136 prévoit notamment, à son paragraphe II, les conditions d’entrée en vigueur des dispositions qui précèdent. Par coordination avec l’article 135, son paragraphe III supprime le second alinéa de l’article L. 6323-1 du code des transports, qui prévoit actuellement que la majorité du capital d’Aéroports de Paris est détenue par l’État.
. En ce qui concerne la procédure d’adoption des articles 130 à 136 :
34. Les députés auteurs des première et troisième saisines contestent la procédure d’adoption des articles 130 à 136. Ils critiquent les conditions, selon eux trop contraignantes, dans lesquelles les députés auraient été invités par le Gouvernement, en nouvelle lecture, à prendre connaissance d’une version provisoire du projet de nouveau cahier des charges applicable à Aéroports de Paris. Il en résulterait une méconnaissance des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
35. Aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789 : « La loi est l’expression de la volonté générale ». Aux termes du premier alinéa de l’article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ». Ces dispositions imposent le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
36. Il ressort des travaux préparatoires que, lors de la nouvelle lecture du projet de loi à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a permis aux députés de consulter une version provisoire, non encore transmise au Conseil d’État, d’un projet de cahier des charges susceptible d’être applicable à Aéroports de Paris. Si les requérants critiquent les conditions dans lesquelles cette consultation a été organisée, en particulier le fait que certains députés n’auraient matériellement pas pu prendre connaissance de ce projet avant le vote des articles du projet de loi portant sur Aéroports de Paris, la communication de ce document de nature réglementaire ne constituait pas une obligation. Les conditions de cette consultation n’ont en tout état de cause pas altéré la clarté et la sincérité des débats à l’Assemblée nationale.
37. Le grief tiré de la méconnaissance des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire doit donc être écarté.
. En ce qui concerne les dispositions autorisant et encadrant la privatisation d’Aéroports de Paris :
38. Les auteurs des quatre saisines soutiennent que la privatisation d’Aéroports de Paris serait contraire au neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, qui interdit de privatiser une entreprise ayant le caractère d’un monopole de fait ou d’un service public national. Il en résulterait l’inconstitutionnalité des articles 135 et 136 selon les députés auteurs de la première saisine, des articles 130 à 132, 135 et 136 pour les sénateurs auteurs de la deuxième saisine, des articles 130 à 136 selon les députés auteurs de la troisième saisine et de l’article 135 pour les sénateurs auteurs de la dernière saisine.
39. Les députés auteurs de la troisième saisine estiment également que cette privatisation serait contraire à l’objectif de valeur constitutionnelle de bon usage des deniers publics, dès lors que le but poursuivi par le législateur à travers cette privatisation, consistant à financer un fonds pour l’« innovation de rupture », aurait pu être atteint grâce aux résultats financiers de cette société. Les modalités retenues par le législateur seraient ainsi manifestement inappropriées à l’objectif poursuivi. Ils dénoncent par ailleurs une incompétence négative s’agissant des garanties de capacité exigées des candidats à l’acquisition de participations dans Aéroports de Paris. Enfin, le législateur aurait méconnu l’étendue de sa compétence et l’objectif de valeur constitutionnelle de bon usage des deniers publics, en ce qu’il n’aurait pas déterminé les conditions de fixation du prix des actions détenues par l’État et leurs modalités de vente.
S’agissant des dispositions autorisant la privatisation d’Aéroports de Paris :
40. Aux termes du neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ».
41. Le bon usage des deniers publics constitue une exigence constitutionnelle qui découle de l’article 14 de la Déclaration de 1789.
42. L’article 34 de la Constitution place dans le domaine de la loi « les règles concernant … les nationalisations d’entreprises et les transferts de propriété d’entreprises du secteur public au secteur privé ». Si cette disposition laisse au législateur l’appréciation de l’opportunité des transferts du secteur public au secteur privé et la détermination des biens ou des entreprises sur lesquels ces transferts doivent porter, elle ne saurait le dispenser, dans l’exercice de sa compétence, du respect des principes et des règles de valeur constitutionnelle qui s’imposent à tous les organes de l’État.
Quant à l’existence d’un monopole de fait :
43. La notion de monopole de fait mentionnée au neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 doit s’entendre compte tenu de l’ensemble du marché à l’intérieur duquel s’exercent les activités des entreprises ainsi que de la concurrence qu’elles affrontent sur ce marché de la part de l’ensemble des autres entreprises. On ne saurait prendre en compte les positions privilégiées que telle ou telle entreprise détient momentanément ou à l’égard d’une production qui ne représente qu’une partie de ses activités.
44. En application de l’article L. 6323-2 du code des transports, la société Aéroports de Paris est chargée d’aménager, d’exploiter et de développer les aérodromes de Paris-Charles-de-Gaulle, Paris-Orly, Paris-Le Bourget et plusieurs autres aérodromes civils situés dans la région Île-de-France. Elle peut exercer toute autre activité, aéroportuaire ou non, dans les conditions prévues par ses statuts et dans le respect du cahier des charges mentionné à l’article L. 6323-4 du code des transports.
45. En premier lieu, d’une part, si la société Aéroports de Paris est chargée, à titre exclusif, d’exploiter plusieurs aérodromes civils situés en Île-de-France, parmi lesquels les deux principaux aérodromes du pays, il existe sur le territoire français d’autres aérodromes d’intérêt national ou international. D’autre part, si Aéroports de Paris domine largement le secteur aéroportuaire français, cette société est en situation de concurrence croissante avec les principaux aéroports régionaux, y compris en matière de dessertes internationales, ainsi d’ailleurs qu’avec les grandes plateformes européennes de correspondance aéroportuaire.
46. En second lieu, le marché du transport sur lequel s’exerce l’activité d’Aéroports de Paris inclut des liaisons pour lesquelles plusieurs modes de transport sont substituables. Aéroports de Paris se trouve ainsi, sur certains trajets, en concurrence avec le transport par la route et le transport ferroviaire, en particulier pour ce dernier du fait du développement des lignes à grande vitesse.
47. Dans ces conditions, la société Aéroports de Paris ne peut être regardée comme une entreprise dont l’exploitation constitue un monopole de fait au sens du neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.
Quant à l’existence d’un service public national :
48. Si la nécessité de certains services publics nationaux découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle, la détermination des autres activités qui doivent être érigées en service public national est laissée à l’appréciation du législateur ou de l’autorité réglementaire selon les cas, en fixant leur organisation au niveau national.
49. En premier lieu, l’aménagement, l’exploitation et le développement des aérodromes de Paris-Charles-de-Gaulle, Paris-Orly, Paris-Le Bourget et des autres aérodromes mentionnés à l’article L. 6323-2 du code des transports ne constituent pas un service public national dont la nécessité découlerait de principes ou de règles de valeur constitutionnelle.
50. En second lieu, d’une part, aucune disposition législative en vigueur ne qualifie Aéroports de Paris de service public national. D’autre part, avant même l’adoption des dispositions contestées, le législateur avait prévu, à l’article L. 6311-1 du code des transports, que l’État était compétent pour créer, aménager et exploiter les « aérodromes d’intérêt national ou international », dont la liste, fixée par décret en Conseil d’État, comporte plusieurs aéroports situés dans différentes régions. Ainsi, le législateur n’a pas jusqu’à présent entendu confier à la seule entreprise Aéroports de Paris l’exploitation d’un service public aéroportuaire à caractère national. Comme énoncé au paragraphe 45, certains de ces aérodromes régionaux, exploités par des sociétés également chargées de missions de service public, sont d’ailleurs en situation de concurrence avec Aéroports de Paris.
51. Dès lors, la société Aéroports de Paris ne présente pas en l’état les caractéristiques d’un service public national.
52. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions du neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ne font pas obstacle au transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société Aéroports de Paris. Le grief tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit ainsi être écarté.
53. Par ailleurs, si les requérants contestent l’adéquation des moyens retenus par le législateur aux fins qu’il a poursuivies, ils ne précisent pas dans quelle mesure il en résulterait la méconnaissance d’une exigence constitutionnelle. Or, en l’absence d’une telle méconnaissance, il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas du même pouvoir d’appréciation que le Parlement, de déterminer si les objectifs économiques poursuivis par le législateur à travers la privatisation d’Aéroports de Paris, soit le développement de cette société, le financement d’un fonds dédié à l’« innovation de rupture » et la réduction de l’endettement de l’État, auraient pu être atteints par d’autres moyens.
54. Par conséquent, la première phrase du paragraphe V de l’article 191 de la loi du 6 août 2015, tel qu’issu de l’article 135 de la loi déférée, et le paragraphe III de l’article 136 de la loi déférée, qui ne méconnaissent pas non plus l’exigence constitutionnelle de bon usage des deniers publics ni aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.
S’agissant des dispositions encadrant la privatisation d’Aéroports de Paris :
55. Les modalités de cession du capital d’Aéroports de Paris sont soumises aux dispositions de l’ordonnance du 20 août 2014 mentionnée ci-dessus relatives aux conditions de fixation du prix des actions détenues par l’État et leurs modalités de vente. Dans un paragraphe VI nouvellement introduit à l’article 191 de la loi du 6 août 2015, le législateur a en outre prévu que les opérations de cession du capital d’Aéroports de Paris qui interviendraient en dehors des procédures des marchés financiers sont soumises à une procédure concurrentielle donnant lieu à un cahier des charges approuvé par les ministres chargés de l’aviation civile et de l’économie précisant les obligations des cessionnaires. Le c de ce même paragraphe VI prévoit que, si nécessaire, ce cahier des charges ex