Texte intégral
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues à l’article 61, deuxième alinéa de la Constitution, de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique sous le n° 2016-741 DC, le 15 novembre 2016, par le Président du Sénat.
Il a également été saisi le 15 novembre 2016, par MM. Bruno RETAILLEAU, Pascal ALLIZARD, Gérard BAILLY, François BAROIN, Philippe BAS, Jérôme BIGNON, François BONHOMME, Gilbert BOUCHET, François-Noël BUFFET, François CALVET, Mme Agnès CANAYER, MM. Jean-Pierre CANTEGRIT, Jean-Claude CARLE, Mme Caroline CAYEUX, M. Gérard CÉSAR, Mme Anne-CHAIN-LARCHÉ, MM. Patrick CHAIZE, Pierre CHARON, Daniel CHASSEING, Alain CHATILLON, René DANESI, Mathieu DARNAUD, Mme Isabelle DEBRÉ, MM. Francis DELATTRE, Robert del PICCHIA, Gérard DÉRIOT, Mmes Catherine DEROCHE, Jacky DEROMEDI, Marie-Hélène DES ESGAULX, Chantal DESEYNE, Catherine DI FOLCO, MM. Éric DOLIGÉ, Philippe DOMINATI, Mme Nicole DURANTON, MM. Louis DUVERNOIS, Jean-Paul ÉMORINE, Mme Dominique ESTROSI SASSONE, MM. Hubert FALCO, Michel FORISSIER, Christophe FRASSA, Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, MM. Jean-Claude GAUDIN, Jacques GAUTIER, Jacques GENEST, Bruno GILLES, Mme Colette GIUDICELLI, MM. Alain GOURNAC, Jean-Pierre GRAND, Daniel GREMILLET, François GROSDIDIER, Jacques GROSPERRIN, Mme Pascale GRUNY, M. Charles GUENÉ, Mme Christiane HUMMEL, M. Jean-François HUSSON, Mme Corinne IMBERT, MM. Alain JOYANDET, Roger KAROUTCHI, Guy-Dominique KENNEL, Marc LAMÉNIE, Mme Élisabeth LAMURE, MM. Robert LAUFOAULU, Daniel LAURENT, Jacques LEGENDRE, Dominique de LEGGE, Jean-Pierre LELEUX, Jean-Baptiste LEMOYNE, Jean-Claude LENOIR, Philippe LEROY, Mme Vivette LOPEZ, MM. Claude MALHURET, Jean-François MAYET, Mmes Colette MÉLOT, Marie MERCIER, MM. Alain MILON, Albéric de MONTGOLFIER, Mme Patricia MORHET-RICHAUD, MM. Jean-Marie MORISSET, Philippe MOUILLER, Louis NÈGRE, Louis-Jean de NICOLAY, Claude NOUGEIN, Jean-Jacques PANUNZI, Philippe PAUL, Cyril PELLEVAT, Cédric PERRIN, Jackie PIERRE, François PILLET, Rémy POINTEREAU, Ladislas PONIATOWSKI, Jean-Pierre RAFFARIN, Henri de RAINCOURT, Michel RAISON, Jean-François RAPIN, André REICHARDT, Charles REVET, Bernard SAUGEY, René-Paul SAVARY, Michel SAVIN, Bruno SIDO, Abdourahamane SOILIHI, André TRILLARD, Mme Catherine TROENDLÉ, MM. Michel VASPART, Alain VASSELLE, Hilarion VENDEGOU, Jean-Pierre VIAL et Jean-Pierre VOGEL, sénateurs.
Il a également été saisi le 15 novembre 2016, par MM. Christian JACOB, Damien ABAD, Bernard ACCOYER, Yves ALBARELLO, Sylvain BERRIOS, Xavier BRETON, Philippe BRIAND, Dominique BUSSEREAU, Gilles CARREZ, Jérôme CHARTIER, Gérard CHERPION, Guillaume CHEVROLLIER, Alain CHRÉTIEN, Éric CIOTTI, Philippe COCHET, François CORNUT-GENTILLE, Bernard DEBRÉ, Bernard DEFLESSELLES, Mme Sophie DION, MM. Jean-Pierre DOOR, David DOUILLET, Georges FENECH, Mme Marie-Louise FORT, MM. Marc FRANCINA, Yves FROMION, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Hervé GAYMARD, Guy GEOFFROY, Bernard GÉRARD, Daniel GIBBES, Franck GILARD, Georges GINESTA, Claude GOASGUEN, Philippe GOSSELIN, Mme Arlette GROSSKOST, MM. Jean-Jacques GUILLET, Michel HERBILLON, Antoine HERTH, Patrick HETZEL, Christian KERT, Jean-François LAMOUR, Guillaume LARRIVÉ, Charles de LA VERPILLIÈRE, Mme Isabelle LE CALLENNEC, MM. Marc LE FUR, Pierre LELLOUCHE, Jean LEONETTI, Pierre LEQUILLER, Philippe LE RAY, Mmes Geneviève LEVY, Véronique LOUWAGIE, MM. Lionnel LUCA, Jean-François MANCEL, Laurent MARCANGELI, Thierry MARIANI, Alain MARLEIX, Olivier MARLEIX, François de MAZIÈRES, Mme Dominique NACHURY, MM. Yves NICOLIN, Bernard PERRUT, Mme Josette PONS, MM. Frédéric REISS, André SCHNEIDER, Jean-Marie SERMIER, Fernand SIRÉ, Éric STRAUMANN, Claude STURNI, Pascal THÉVENOT, François VANSSON, Mme Catherine VAUTRIN, MM. Patrice VERCHÈRE, Arnaud VIALA, Philippe VITEL, Michel VOISIN, Laurent WAUQUIEZ, Éric WOERTH et Mme Marie-Jo ZIMMERMANN, députés.
Il a enfin été saisi le 7 décembre 2016 par le Premier ministre.
Au vu des textes et pièces suivants :
– la Constitution ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
– le code de commerce ;
– le code électoral ;
– le code général des impôts ;
– le code monétaire et financier ;
– le code pénal ;
– le code des procédures civiles d’exécution ;
– le code de procédure pénale ;
– le code de la recherche ;
– le code rural ;
– le code des transports ;
– le livre des procédures fiscales ;
– la loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits pour l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte, adoptée le 8 novembre 2016 ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-740 DC du 8 décembre 2016 ;
– la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
– l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ;
– la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
– la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique ;
– la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires ;
– la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique ;
– les observations du Gouvernement, enregistrées le 29 novembre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le Président du Sénat, les sénateurs requérants et les députés requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Ils contestent son article 25. Les sénateurs et les députés requérants critiquent également certaines dispositions de son article 49 et les articles 137 et 155. Les sénateurs requérants critiquent aussi certaines dispositions des articles 17 et 123 et les articles 6, 8, 30, 36, 59, 60, 66, 82, 126, 134, 135, 156, 158, 159, 161, 162 et 163. Les députés requérants critiquent également ses articles 87 à 91. Le Premier ministre demande au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité à la Constitution de son article 23.
– Sur les articles 6 et 8 :
2. L’article 6 donne une définition du lanceur d’alerte. L’article 7 confère à ce dernier une irresponsabilité pénale pour la divulgation de certains secrets protégés par la loi, sous trois conditions cumulatives : la divulgation du secret doit être nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause ; le lanceur d’alerte doit correspondre à la définition qu’en donne l’article 6 ; il doit avoir respecté les procédures de signalement prévues par la loi. L’article 8 organise une procédure de signalement. Cette procédure exige que l’intéressé porte d’abord l’alerte à la connaissance de son supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de son employeur ou du référent désigné par celui-ci. En l’absence de diligence de cette personne, le signalement peut alors être adressé à l’autorité judiciaire, à l’autorité administrative ou aux ordres professionnels. À défaut de traitement par ces derniers dans un délai de trois mois, il peut être rendu public. En cas de danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles, le signalement peut être adressé directement à l’autorité judiciaire, à l’autorité administrative et aux ordres professionnels et être rendu public. Le paragraphe III de l’article 8 impose à certains organismes publics ou privés de mettre en place, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État, des procédures appropriées de recueil des signalements pour leur personnel et leurs collaborateurs extérieurs ou occasionnels. Le paragraphe IV prévoit que toute personne peut interroger le Défenseur des droits afin d’être orientée vers l’organisme approprié de recueil de l’alerte.
3. Les sénateurs requérants reprochent à l’article 6 de définir de manière imprécise le lanceur d’alerte. Il en résulterait une méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines, de l’article 34 de la Constitution, du principe d’égalité et du principe de proportionnalité des peines, dans la mesure où cette définition détermine l’application de l’irresponsabilité pénale prévue à l’article 7 de la loi déférée. Les sénateurs requérants ajoutent qu’en raison de l’imprécision de l’expression « une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général », cette disposition est contraire à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.
4. Les sénateurs requérants reprochent, par ailleurs, à l’article 8 de méconnaître ce même objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi dans la mesure où, alors que la définition du lanceur d’alerte prévue à l’article 6 vise « une personne physique », sans plus de précision, la procédure de signalement définie à cet article 8 ne semble concerner que les employés de l’organisme faisant l’objet de l’alerte.
5. L’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, impose au législateur d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques. Il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi.
6. En premier lieu, l’article 6 définit le lanceur d’alerte comme « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ». Il exclut toutefois du régime juridique de la protection des lanceurs d’alerte, défini au chapitre II de la loi déférée, les faits, informations ou documents couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client. Les critères de définition du lanceur d’alerte ainsi retenus ne sont pas imprécis.
7. En second lieu, la procédure de signalement prévue à l’article 8 est organisée en trois phases successives dont la loi fixe l’ordre. Or, la première de ces phases, qui prévoit que le signalement est adressé au supérieur hiérarchique, à l’employeur ou au référent que celui-ci a désigné ne peut concerner qu’une personne employée par l’organisme mis en cause ou, en application du paragraphe III de l’article 8, un collaborateur extérieur ou occasionnel de cet organisme. De la même manière, les protections apportées par les articles 10 à 12, aux lanceurs d’alerte répondant aux conditions des articles 6 à 8, se limitent aux discriminations que ces derniers sont susceptibles de subir dans le cadre de leur vie professionnelle. Il résulte ainsi des termes et de l’objet des articles 8 et 10 à 12, que le législateur a entendu limiter le champ d’application de l’article 8 aux seuls lanceurs d’alerte procédant à un signalement visant l’organisme qui les emploie ou celui auquel ils apportent leur collaboration dans un cadre professionnel. Le fait que le législateur ait retenu, à l’article 6, une définition plus générale du lanceur d’alerte, ne se limitant pas aux seules personnes employées par l’organisme faisant l’objet du signalement non plus qu’à ses collaborateurs, n’a pas pour effet de rendre les dispositions contestées inintelligibles. En effet, cette définition a vocation à s’appliquer non seulement aux cas prévus par l’article 8, mais aussi, le cas échéant, à d’autres procédures d’alerte instaurées par le législateur, en dehors du cadre professionnel.
8. Il résulte de ce qui précède que les articles 6 et 8 ne méconnaissent pas l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.
9. L’article 6 de la loi déférée, qui ne méconnaît par ailleurs ni le principe de légalité des délits et des peines, ni l’article 34 de la Constitution, ni le principe d’égalité, ni la proportionnalité des peines, ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution. Il en va de même de l’article 8 de la loi déférée.
– Sur certaines dispositions de l’article 17 :
10. Le paragraphe I de l’article 17 oblige les dirigeants des sociétés dont l’effectif comprend au moins cinq cents salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à cent millions d’euros, ou celles appartenant à un groupe de cette importance, à mettre en place des mesures internes de prévention et de détection de faits de corruption ou de trafic d’influence. Il prévoit la même obligation pour les dirigeants des établissements publics à caractère industriel et commercial répondant aux mêmes critères ou appartenant à un groupe public de même importance. Le paragraphe II définit les mesures et procédures que doivent mettre en place les dirigeants mentionnés au paragraphe I. Il prévoit que les manquements à ces obligations entraînent l’engagement de la responsabilité des dirigeants et de la société. Le paragraphe III confie à l’agence française anticorruption, créée par l’article 1er de la loi déférée, le contrôle du respect des mesures et procédures prévues par le paragraphe II. Le paragraphe IV prévoit qu’en cas de manquement, le magistrat qui dirige l’agence française anticorruption peut adresser un avertissement aux représentants de la société. Ce magistrat peut également saisir la commission des sanctions de cette agence afin qu’elle prononce une injonction ou une sanction pécuniaire. Le paragraphe V prévoit que le montant de cette sanction, qui est proportionné à la gravité des manquements constatés et à la situation financière de la personne, ne peut excéder 200 000 euros pour les personnes physiques et un million d’euros pour les personnes morales.
11. Les sénateurs requérants soutiennent que le paragraphe V de l’article 17 est confus dès lors qu’il permet à la commission des sanctions de l’agence française anticorruption d’infliger des sanctions pécuniaires à des sociétés alors que l’obligation de prévention et de détection qu’il institue ne pèse que sur leurs dirigeants. Il en résulterait une méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines ainsi que de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. Ils soutiennent également que cet objectif serait méconnu par l’emploi, au premier alinéa du paragraphe I, des termes « groupe de sociétés » et « groupe public » qui ne correspondent pas à des notions juridiquement définies.
12. L’article 8 de la Déclaration de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Aux termes de l’article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant… la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ». Le législateur tient de l’article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l’article 8 de la Déclaration de 1789, l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire.
13. En premier lieu, le dernier alinéa du paragraphe II de l’article 17 prévoit expressément que les manquements aux obligations énoncées à ce paragraphe sont de nature à engager concurremment la responsabilité des dirigeants mentionnés au paragraphe I et celle des sociétés. Il en résulte que l’obligation de mise en place de mesures internes de prévention et de détection de faits de corruption ou de trafic d’influence pèse à la fois sur les dirigeants et sur les sociétés.
14. En second lieu, d’une part, les termes « groupe de sociétés » figurant au premier alinéa du paragraphe I de l’article 17 doivent être entendus comme désignant l’ensemble formé par une société et ses filiales au sens de l’article L. 233-1 du code de commerce ou comme l’ensemble formé par une société et celles qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3 du même code. D’autre part, les termes « groupe public » figurant au même premier alinéa du paragraphe I de l’article 17 renvoient aux organismes ainsi qualifiés par détermination de la loi.
15. Les dispositions des paragraphes I et V de l’article 17 de la loi déférée ne méconnaissent ni le principe de légalité des délits et des peines, ni l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, ni aucune autre exigence constitutionnelle. Elles sont donc conformes à la Constitution.
– Sur l’article 23 :
16. L’article 23 modifie les articles 705 et 705-1 du code de procédure pénale afin d’attribuer au procureur de la République financier et aux juridictions d’instruction et de jugement de Paris la compétence exclusive pour la poursuite, l’instruction et le jugement des délits de corruption, de trafic d’influence, de fraude fiscale, d’omission d’écritures ou de passation d’écritures inexactes ou fictives, lorsqu’ils sont commis en bande organisée. Il en est de même pour les délits de fraude fiscale, d’omission d’écritures ou de passation d’écritures inexactes ou fictives lorsqu’il existe des présomptions caractérisées qu’ils résultent d’un des comportements mentionnés aux 1° à 5° de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales. L’article 23 de la loi déférée attribue également à ce procureur et à ces juridictions une compétence exclusive pour le blanchiment de ces délits.
17. Le Premier ministre soutient que ces dispositions méconnaissent, par leur imprécision, l’exigence de bonne administration de la justice et l’article 34 de la Constitution. Elles contreviendraient également aux exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789 et au principe d’égalité devant la justice dans la mesure où elles permettraient à l’administration de choisir la juridiction compétente.
18. La bonne administration de la justice constitue un objectif de valeur constitutionnelle qui résulte des articles 12, 15 et 16 de la Déclaration de 1789.
19. Selon l’article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable, elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Il en découle l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale.
20. Les dispositions contestées attribuent au procureur de la République financier et aux juridictions d’instruction et de jugement de Paris, une compétence exclusive pour la poursuite, l’instruction et le jugement de délits relevant actuellement d’une compétence concurrente entre, d’une part, ce procureur et ces juridictions et, d’autre part, les procureurs et les juridictions territorialement compétents. En l’espèce, compte tenu de la gravité des faits réprimés par les infractions en cause, qui tendent en particulier à lutter contre la fraude fiscale, en ne prévoyant pas de dispositions transitoires de nature à prévenir les irrégularités procédurales susceptibles de résulter de ce transfert de compétence, le législateur a méconnu à la fois l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice et celui de lutte contre la fraude fiscale.
21. Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, l’article 23 de la loi déférée est donc contraire à la Constitution.
– Sur l’article 25 :
22. Le paragraphe I de l’article 25 de la loi déférée introduit une section 3 bis dans la loi du 11 octobre 2013 mentionnée ci-dessus, intitulée « De la transparence des rapports entre les représentants d’intérêts et les pouvoirs publics » et comportant les articles 18-1 à 18-10. L’article 18-1 crée un répertoire numérique visant à assurer l’information des citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les pouvoirs publics, commun aux assemblées parlementaires, aux autorités gouvernementales et administratives et aux collectivités territoriales. Le contenu de ce répertoire est rendu public par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. L’article 18-2 définit la notion de représentant d’intérêts. L’article 18-3 énumère les obligations déclaratives auxquelles sont soumis les représentants d’intérêts. L’article 18-4 renvoie à chaque assemblée parlementaire le soin de déterminer et de mettre en œuvre les règles applicables en son sein aux représentants d’intérêts. L’article 18-5 définit les obligations déontologiques incombant à ces derniers dans leurs relations avec les autorités gouvernementales et administratives et avec les collectivités territoriales. Ces obligations peuvent être précisées « au sein d’un code de déontologie des représentants d’intérêts » défini par décret en Conseil d’État, pris après un avis public de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Les articles 18-6 et 18-7 donnent compétence à cette autorité pour s’assurer du respect par les représentants d’intérêts de leurs obligations résultant des articles 18-3 et 18-5. L’article 18-8 renvoie au pouvoir réglementaire la fixation des modalités d’application des articles 18-5 à 18-7. Les articles 18-9 et 18-10 édictent des sanctions pénales en cas de méconnaissance par les représentants d’intérêts de leurs obligations déclaratives ou déontologiques. Le paragraphe II de l’article 25 de la loi déférée introduit un article 4 quinquies dans l’ordonnance du 17 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, confiant au bureau de chaque assemblée parlementaire le soin de déterminer les règles applicables aux représentants d’intérêts au sein de cette assemblée. Les paragraphes III et IV de l’article 25 de la loi déférée comportent des mesures de coordination et déterminent les conditions d’entrée en vigueur des nouvelles dispositions.
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs :
23. Le Président du Sénat et les députés requérants estiment que l’article 25 de la loi déférée méconnaît les principes de la séparation des pouvoirs et de l’autonomie des assemblées parlementaires, au motif que la liste des représentants d’intérêts inscrits sur le répertoire sera arrêtée par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique et qu’elle s’imposera ainsi aux assemblées. Celles-ci seraient donc privées du pouvoir de déterminer elles-mêmes le champ d’application du régime encadrant leurs rapports avec les représentants d’intérêts, dont la qualification dépendrait d’une autorité administrative extérieure.
24. Selon l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
25. En premier lieu, l’amélioration de la transparence des relations entre les représentants d’intérêts et les pouvoirs publics constitue un objectif d’intérêt général. Pour atteindre cet objectif, il est loisible au législateur de définir des obligations incombant aux représentants d’intérêts et d’en confier le contrôle à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Toutefois, cette autorité ne saurait, sans que soit méconnu le principe de la séparation des pouvoirs, être investie de la faculté d’imposer des obligations aux membres des assemblées parlementaires, à leurs collaborateurs et aux agents de leurs services, dans leurs relations avec ces représentants d’intérêts.
26. Les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de conférer à cette autorité le pouvoir d’imposer des obligations aux membres des assemblées parlementaires, à leurs collaborateurs et aux agents de leurs services, dans leurs relations avec les représentants d’intérêts.
27. En deuxième lieu, d’une part, les règles déontologiques applicables aux représentants d’intérêts dans leurs relations avec les assemblées parlementaires sont, en vertu de l’article 18-4 de la loi du 11 octobre 2013, déterminées et mises en œuvre dans le respect des conditions fixées à l’article 4 quinquies de l’ordonnance du 17 novembre 1958. Selon ce dernier article, le bureau de chaque assemblée parlementaire détermine les règles applicables aux représentants d’intérêts entrant en communication avec les membres de l’assemblée, leurs collaborateurs ou les agents des services de cette assemblée. Ainsi, les relations avec les représentants d’intérêts entretenues par les députés et les sénateurs, leurs collaborateurs ou les agents des services d’une assemblée parlementaire sont régies par des règles propres à chaque assemblée. Le contenu de cette réglementation est librement défini par le bureau de chaque assemblée. Le respect de ces règles est assuré par des procédures internes faisant intervenir les autorités chargées de la déontologie parlementaire, qui peuvent mettre en demeure un représentant d’intérêts de respecter ses obligations.
28. D’autre part, les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître le principe de la séparation des pouvoirs, interdire aux assemblées parlementaires de déterminer, au sein des représentants d’intérêts, des règles spécifiques à certaines catégories d’entre eux, ou de prendre des mesures individuelles à leur égard.
29. Enfin, ces dispositions ne privent pas chaque assemblée parlementaire de la possibilité d’édicter des règles applicables à d’autres personnes qui, sans répondre à la définition du représentant d’intérêts prévue à l’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013, entrent en communication avec les membres de cette assemblée, leurs collaborateurs ou ses agents.
30. En dernier lieu, les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de conférer à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique le pouvoir d’imposer des obligations aux responsables publics gouvernementaux et administratifs, mentionnés à l’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013, dans leurs relations avec les représentants d’intérêts.
31. Compte tenu des effets attachés à la qualité de représentant d’intérêts, il résulte de ce qui précède qu’en définissant cette notion et en confiant à une autorité administrative indépendante la mission de veiller à l’inscription sur le répertoire commun des personnes répondant à cette qualification, le législateur n’a, sous la réserve énoncée au paragraphe 28, pas méconnu le principe de la séparation des pouvoirs.
. En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines, de l’article 34 de la Constitution et de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi :
32. Selon le Président du Sénat, en ne définissant pas les représentants d’intérêts de façon suffisamment précise, tout en les soumettant à des sanctions pénales, le législateur a méconnu le principe de légalité des délits et des peines. Les députés requérants contestent l’imprécision de la définition du représentant d’intérêts, en ce qu’elle fait référence à une activité « principale ou régulière » d’influence sur la décision publique. Ces dispositions méconnaîtraient ainsi l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. Les sénateurs requérants critiquent également l’imprécision de la définition du représentant d’intérêts, qui serait inintelligible et entachée d’incompétence négative.
33. L’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013, dans sa rédaction issue de la loi déférée, définit les représentants d’intérêts, d’une part, comme les personnes morales de droit privé, les établissements publics ou groupements publics exerçant une activité industrielle et commerciale, les chambres de commerce et d’industrie et les chambres des métiers et de l’artisanat dont un dirigeant, un employé ou un membre a pour activité principale ou régulière d’influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d’une loi ou d’un acte réglementaire, en entrant en communication avec l’un des responsables publics énumérés aux 1° à 7° de cet article. Sont également des représentants d’intérêts, d’autre part, les personnes physiques qui ne sont pas employées par une de ces personnes morales et qui exercent à titre individuel une activité professionnelle répondant aux mêmes conditions.
34. L’article 18-9 de la même loi punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait, pour un représentant d’intérêts, de ne pas communiquer, de sa propre initiative ou à la demande de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, les informations qu’il est tenu de fournir en application de l’article 18-3. Le premier alinéa de l’article 18-10 punit des mêmes peines le fait, pour un représentant d’intérêts que la Haute autorité a préalablement mis en demeure de respecter les obligations déontologiques prévues à l’article 18-5, de méconnaître à nouveau, dans les trois années suivantes, la même obligation. Le second alinéa de l’article 18-10 punit des mêmes peines le fait, pour un représentant d’intérêts que le président d’une assemblée parlementaire a préalablement mis en demeure de respecter les règles déterminées par le bureau de cette assemblée en application de l’article 18-4, de méconnaître à nouveau, dans les trois années suivantes, la même obligation.
35. En faisant référence à une activité d’influence sur la décision publique, notamment sur le contenu d’une loi ou d’un acte réglementaire, les dispositions contestées définissent le représentant d’intérêts en termes suffisamment clairs et précis. En exigeant que cette activité soit exercée de façon « principale ou régulière », le législateur a entendu exclure du champ de cette définition les personnes exerçant une activité d’influence à titre seulement accessoire et de manière peu fréquente. Il en résulte que les dispositions contestées ne sont ni entachées d’incompétence négative, ni contraires à l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi.
36. En revanche, en édictant des délits réprimant la méconnaissance d’obligations dont le contenu n’est pas défini par la loi, mais par le bureau de chaque assemblée parlementaire, le législateur a méconnu le principe de légalité des délits et des peines. Le second alinéa de l’article 18-10 de la loi du 11 octobre 2013, dans sa rédaction résultant de l’article 25 de la loi déférée, est donc contraire à la Constitution. Il en va de même, par voie de conséquence, de la dernière phrase du troisième alinéa de l’article 4 quinquies de l’ordonnance du 17 novembre 1958 dans la même rédaction, des mots « , à l’exception du second alinéa de l’article 18-10, » figurant aux deuxième et septième alinéas du paragraphe IV de l’article 25 de la loi déférée, ainsi que du quatrième alinéa du même paragraphe IV.
. En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi :
37. Les députés et les sénateurs requérants font valoir qu’en excluant de la définition du représentant d’intérêts les personnes n’intervenant que ponctuellement auprès des pouvoirs publics, le législateur a méconnu le principe d’égalité devant la loi. Selon les sénateurs requérants, ce principe est également méconnu dans la mesure où les dispositions contestées établissent une différence de traitement entre les élus locaux et entre les collectivités territoriales.
38. Aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789 : « La loi … doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
39. D’une part, en limitant le champ des nouvelles obligations aux seules personnes exerçant une activité principale ou régulière d’influence sur la décision publique, sans l’étendre à toute personne exerçant cette activité à titre accessoire et de manière peu fréquente, le législateur a traité différemment des personnes placées dans des situations différentes. Cette différence de traitement est en rapport direct avec l’objet de la loi, qui vise à assurer l’information des citoyens