Décision 2013-679 DC – 04 décembre 2013 – Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière – Non conformité partielle – réserve

·

·

Décision 2013-679 DC – 04 décembre 2013 – Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière – Non conformité partielle – réserve

Texte intégral

Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, le 6 novembre 2013, par MM. Jean-Claude GAUDIN, Pierre ANDRÉ, Gérard BAILLY, Philippe BAS, René BEAUMONT, Christophe BÉCHU, Michel BÉCOT, Mme Françoise BOOG, MM. Pierre BORDIER, Joël BOURDIN, Mme Marie-Thérèse BRUGUIÈRE, MM. François-Noël BUFFET, François CALVET, Christian CAMBON, Jean-Pierre CANTEGRIT, Jean-Noël CARDOUX, Jean-Claude CARLE, Gérard CÉSAR, Pierre CHARON, Alain CHATILLON, Jean-Pierre CHAUVEAU, Marcel-Pierre CLÉACH, Gérard CORNU, Jean-Patrick COURTOIS, Philippe DALLIER, Serge DASSAULT, Mme Isabelle DEBRÉ, MM. Francis DELATTRE, Gérard DÉRIOT, Mme Catherine DEROCHE, MM. Éric DOLIGÉ, Philippe DOMINATI, Michel DOUBLET, Alain DUFAUT, André DULAIT, Louis DUVERNOIS, Jean-Paul ÉMORINE, Louis-Constant FLEMING, Jean-Paul FOURNIER, Yann GAILLARD, René GARREC, Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, MM. Jacques GAUTIER, Patrice GÉLARD, Bruno GILLES, Mme Colette GIUDICELLI, MM. Alain GOURNAC, Francis GRIGNON, François GROSDIDIER, Charles GUENÉ, Pierre HÉRISSON, Michel HOUEL, Jean-François HUSSON, Jean-Jacques HYEST, Mmes Sophie JOISSAINS, Christiane KAMMERMANN, M. Roger KAROUTCHI, Mme Elisabeth LAMURE, MM. Gérard LARCHER, Daniel LAURENT, Jean-René LECERF, Antoine LEFÈVRE, Dominique de LEGGE, Jean-Pierre LELEUX, Jean-Claude LENOIR, Philippe LEROY, Gérard LONGUET, Roland du LUART, Michel MAGRAS, Philippe MARINI, Pierre MARTIN, Mme Hélène MASSON-MARET, MM. Jean-François MAYET, Mme Colette MÉLOT, MM. Alain MILON, Philippe NACHBAR, Louis NÈGRE, Philippe PAUL, Jackie PIERRE, Rémy POINTEREAU, Christian PONCELET, Ladislas PONIATOWSKI, Mmes Sophie PRIMAS, Catherine PROCACCIA, MM. Jean-Pierre RAFFARIN, Henri de RAINCOURT, André REICHARDT, Bruno RETAILLEAU, Charles REVET, René-Paul SAVARY, Michel SAVIN, Bruno SIDO, Mme Esther SITTLER, M. André TRILLARD, Mme Catherine TROENDLE, MM. François TRUCY, Hilarion VENDEGOU, Jean-Pierre VIAL, Jean-Paul AMOUDRY, Jean ARTHUIS, Jean-Marie BOCKEL, Jean BOYER, Vincent CAPO-CANELLAS, Vincent DELAHAYE, Yves DÉTRAIGNE, Mme Muguette DINI, MM. Daniel DUBOIS, Jean-Léonce DUPONT, Mmes Françoise FÉRAT, Jacqueline GOURAULT, Sylvie GOY-CHAVENT, Chantal JOUANNO, M. Jean-Jacques LASSERRE, Mme Valérie LÉTARD, MM. Hervé MARSEILLE, Hervé MAUREY, Jean-Claude MERCERON, Michel MERCIER, Aymeri de MONTESQUIOU, Mme Catherine MORIN-DESAILLY, MM. Yves POZZO DI BORGO, Gérard ROCHE, Henri TANDONNET, Jean-Marie VANLERENBERGHE et François ZOCCHETTO, sénateurs.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le livre des procédures fiscales ;

Vu le code des douanes ;

Vu le code pénal ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009 ;

Vu la loi organique relative au procureur de la République financier, adoptée définitivement par le Parlement le 5 novembre 2013, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2013-680 DC du 4 décembre 2013 ;

Vu l’arrêté du 12 février 2010 modifié pris en application du deuxième alinéa du 1 de l’article 238-0 A du code général des impôts ;

Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 19 novembre 2013 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ; qu’ils contestent la conformité à la Constitution de dispositions de ses articles 1er, 3, 5, 9, 15, 37, 38, 44, 57, 61 et 65 ;

– SUR LE PARAGRAPHE I DE L’ARTICLE 1er :

2. Considérant que le paragraphe I de l’article 1er insère dans le code de procédure pénale un article 2-23 qui reconnaît à toute association agréée déclarée depuis au moins cinq ans, se proposant par ses statuts de lutter contre la corruption, la possibilité d’exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne certaines infractions en lien avec cet objet ; que cet article énumère ces infractions et renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de fixer les conditions dans lesquelles ces associations peuvent être agréées ;

3. Considérant que, selon les requérants, l’insuffisance des garanties entourant le droit reconnu à des associations de mettre en oeuvre l’action publique porte atteinte au droit au respect de la vie privée et à la présomption d’innocence ; qu’il en résulterait également une « privatisation de l’action publique » contraire à la Constitution ;

4. Considérant, en premier lieu, que l’exercice, par une association, des droits reconnus à la partie civile ne met pas en cause la présomption d’innocence ; que, pour les infractions énumérées à l’article 1er, il ne met pas en cause le droit au respect de la vie privée ; que les griefs tirés de la méconnaissance de ces exigences constitutionnelles sont inopérants ;

5. Considérant, en second lieu, que, d’une part, seules pourront exercer les droits reconnus à la partie civile les associations déclarées depuis au moins cinq ans et qui auront reçu, dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État, un agrément de l’autorité administrative ; que cet agrément ne pourra être délivré qu’après vérification du respect, par ces associations, des dispositions législatives et réglementaires qui leur sont applicables ; que, d’autre part, il ressort des articles 88 et 392-1 du code de procédure pénale que la recevabilité de la plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction et l’action de la partie civile devant le tribunal correctionnel qui n’est pas jointe à celle du ministère public sont subordonnées au dépôt, par la partie civile, d’une consignation dont le montant est fixé par le juge ou le tribunal à moins qu’il n’en prononce la dispense ; qu’il ressort des articles 91, 472 et 516 du même code que lorsque, après mise en mouvement de l’action publique par la partie civile, une décision de non-lieu ou de relaxe est rendue, les personnes visées dans la plainte peuvent, sans préjudice d’une poursuite pour dénonciation calomnieuse, obtenir des dommages-intérêts soit devant la juridiction civile soit dans les formes prévues par ces articles ; que l’article 800-2 du même code prévoit également que la juridiction peut, à la demande de l’intéressé, accorder à la personne poursuivie une indemnité qu’elle détermine au titre des frais irrépétibles et mettre cette indemnité à la charge de la partie civile qui a mis en mouvement l’action publique ; que les articles 177-2 et 212-2 du même code permettent la condamnation à une amende civile de l’auteur d’une plainte avec constitution de partie civile jugée abusive ; que, dans ce cas, le deuxième alinéa de l’article 800-1 prévoit que les frais de justice correspondant aux expertises ordonnées à la demande de l’auteur de la constitution de partie civile peuvent être mis à sa charge ; qu’il résulte de ce qui précède que manque en fait le grief tiré de ce que la faculté pour une association de mettre en mouvement l’action publique au titre des droits reconnus à la partie civile ne serait pas entourée de garanties appropriées de nature à assurer le respect des exigences qui résultent de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ;

6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’article 1er doit être déclaré conforme à la Constitution ;

– SUR L’ARTICLE 3 :

7. Considérant que l’article 3 modifie l’article 131-38 du code pénal, pour instaurer, dans certains cas, un nouveau critère alternatif de détermination de la peine criminelle ou correctionnelle encourue par les personnes morales ; qu’il prévoit que, pour un crime ou un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, le maximum de la peine est soit le quintuple du taux maximum de l’amende prévu pour les personnes physiques soit le dixième du chiffre d’affaires moyen annuel de la personne morale, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits ; qu’il prévoit que, pour un crime pour lequel aucune peine d’amende n’est prévue à l’encontre des personnes physiques et lorsque le crime a procuré un profit direct ou indirect, le maximum de la peine est soit un million d’euros soit le cinquième du chiffre d’affaires moyen annuel de la personne morale, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits ;

8. Considérant que, selon les requérants, le nouveau mode de calcul du quantum des peines délictuelles et criminelles encourues par les personnes morales, fondé uniquement sur leurs capacités financières, est contraire à la fois au principe de proportionnalité des peines et au principe d’individualisation des peines, qui découlent tous deux de l’article 8 de la Déclaration de 1789 ; que les dispositions de l’article 3, en retenant le chiffre d’affaires comme critère de calcul du quantum de la peine, institueraient une différence de traitement entre les personnes morales contraire au principe d’égalité devant la loi ; qu’en ne déterminant pas avec suffisamment de précision les cas dans lesquels le critère alternatif de calcul du quantum de la peine est applicable, ces dispositions ne respecteraient pas l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ; que le législateur aurait également ainsi méconnu l’étendue de sa compétence ;

9. Considérant que l’article 8 de la Déclaration de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires. . .» ; qu’aux termes de l’article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant. . . la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables » ; que l’article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; que, si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue ;

10. Considérant qu’en prévoyant que, pour tout crime ou délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement commis par une personne morale, dès lors que l’infraction a procuré un profit direct ou indirect, le maximum de la peine est établi en proportion du chiffre d’affaires de la personne morale prévenue ou accusée, le législateur a retenu un critère de fixation du montant maximum de la peine encourue qui ne dépend pas du lien entre l’infraction à laquelle il s’applique et le chiffre d’affaires et est susceptible de revêtir un caractère manifestement hors de proportion avec la gravité de l’infraction constatée ; que, par suite, les dispositions de l’article 3 méconnaissent les exigences de l’article 8 de la Déclaration de 1789 ; que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, elles doivent être déclarées contraires à la Constitution ;

– SUR L’ARTICLE 5 :

11. Considérant que le 1° de l’article 5 complète la première section du chapitre IV du titre II du livre III du code pénal, relative au délit de blanchiment, par un article 324-6-1 aux termes duquel : « Toute personne qui a tenté de commettre les infractions prévues à la présente section est exempte de peine si, ayant averti l’autorité administrative ou judiciaire, elle a permis d’éviter la réalisation de l’infraction et d’identifier, le cas échéant, les autres auteurs ou complices.

« La peine privative de liberté encourue par l’auteur ou le complice d’une des infractions prévues à la présente section est réduite de moitié si, ayant averti l’autorité administrative ou judiciaire, il a permis de faire cesser l’infraction ou d’identifier, le cas échéant, les autres auteurs ou complices » ;

12. Considérant que les 2° à 6° de ce même article 5 insèrent respectivement dans le même code les articles 432-11-1, 433-2-1, 434-9-2, 435-6-1 et 435-11-1, qui disposent que la peine privative de liberté encourue par l’auteur ou le complice d’un délit de corruption active ou passive ou de trafic d’influence est réduite de moitié si, ayant averti l’autorité administrative ou judiciaire, il a permis de faire cesser l’infraction ou d’identifier, le cas échéant, les autres auteurs ou complices ;

13. Considérant que, selon les requérants, la peine encourue par les auteurs d’infractions variera de façon arbitraire par l’effet de ces dispositions ; qu’il en résulterait une atteinte au principe d’égalité devant la justice ; que l’absence de fiabilité des preuves résultant du témoignage de « repentis » porterait également atteinte aux droits de la défense et au droit à un procès équitable ; que serait enfin méconnu le principe d’individualisation des peines ;

14. Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » ; que son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » ; que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties ;

15. Considérant que, par les dispositions contestées, le législateur a mis en œuvre, pour les délits de corruption active ou passive et de trafic d’influence, les dispositions générales du deuxième alinéa de l’article 132-78 du code pénal qui dispose : « la durée de la peine privative de liberté encourue par une personne ayant commis un crime ou un délit est réduite si, ayant averti l’autorité administrative ou judiciaire, elle a permis de faire cesser l’infraction, d’éviter que l’infraction ne produise un dommage ou d’identifier les autres auteurs ou complices » ; qu’il a ainsi établi, pour les délits désignés par les dispositions contestées, une cause légale d’atténuation de la peine en fonction du concours prêté aux autorités administratives ou judiciaires par un auteur de l’infraction ou un complice, après la commission des faits ou de certains d’entre eux ;

16. Considérant, d’une part, qu’en retenant une diminution de moitié de la peine encourue, le législateur a entendu favoriser la coopération des auteurs d’infractions ou de leurs complices ; qu’il a également poursuivi l’objectif de prévention des atteintes à l’ordre public et de la recherche des auteurs d’infraction ; que les différences de traitement qui peuvent résulter des dispositions contestées entre des personnes ayant commis ou tenté de commettre, en tant qu’auteur ou complice, des faits de même nature reposent sur des critères objectifs et rationnels en lien direct avec les objectifs poursuivis ; que, par suite, ces dispositions ne méconnaissent pas le principe d’égalité ;

17. Considérant, d’autre part, que les dispositions contestées n’ont pas pour effet de déroger aux règles relatives à l’audition des témoins ou à celle qui résulte du dernier alinéa de l’article 132-78 du code pénal selon lequel aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de déclarations émanant de personnes ayant fait l’objet des dispositions de cet article ; qu’en outre, les dispositions de l’article 706-58 du code de procédure pénale, qui permettent, dans certaines conditions, le recueil des déclarations d’un témoin sans que son identité apparaisse dans la procédure, ne sont applicables qu’aux personnes à l’encontre desquelles il n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction et, par suite, ne peuvent s’appliquer à des personnes bénéficiant des dispositions contestées ; qu’enfin, il n’est pas davantage dérogé aux dispositions du second alinéa de l’article 427 du code de procédure pénale aux termes duquel « le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui » ; que, dans ces conditions, les dispositions contestées ne méconnaissent pas les droits de la défense et le droit à une procédure juste et équitable ;

18. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les dispositions de l’article 5, qui ne portent atteinte ni au principe d’individualisation des peines ni à aucune autre exigence constitutionnelle, doivent être déclarées conformes à la Constitution ;

– SUR LE PARAGRAPHE I DE L’ARTICLE 9 :

19. Considérant que le paragraphe I de l’article 9 est relatif aux circonstances aggravantes du délit de fraude fiscale prévu par l’article 1741 du code général des impôts ; qu’il remplace les deux dernières phrases du premier alinéa de cet article par six alinéas aux termes desquels : « Les peines sont portées à 2 000 000 euros et sept ans d’emprisonnement lorsque les faits ont été commis en bande organisée ou réalisés ou facilités au moyen :

« 1° Soit de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis à l’étranger ;

« 2° Soit de l’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l’étranger ;

« 3° Soit de l’usage d’une fausse identité ou de faux documents, au sens de l’article 441-1 du code pénal, ou de toute autre falsification ;

« 4° Soit d’une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger ;

« 5° Soit d’un acte fictif ou artificiel ou de l’interposition d’une entité fictive ou artificielle » ;

20. Considérant que, selon les requérants, l’aggravation des sanctions encourues en cas de fraude fiscale aggravée méconnaît les principes de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines ; qu’il en irait de même du recours à la notion de « bande organisée » en matière de fraude fiscale et de l’inclusion, parmi les circonstances aggravantes, « de la simple ouverture d’un compte à l’étranger, y compris s’il est déclaré » ;

21. Considérant, en premier lieu, que l’article 132-71 du code pénal dispose : « Constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou de plusieurs infractions » ; que le principe de nécessité des délits ne s’oppose pas à ce que les faits de fraude fiscale commis dans les circonstances prévues par cet article fassent l’objet d’une répression aggravée ;

22. Considérant, en deuxième lieu, que l’ouverture de comptes ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis à l’étranger ne constitue pas en soi un acte illicite ; que, toutefois, dès lors que ce compte a été utilisé pour commettre le délit de fraude fiscale, le législateur peut retenir une telle circonstance parmi celles qui entraînent l’aggravation de la répression du délit de fraude fiscale ; qu’en l’espèce, le législateur a estimé que le recours à des comptes ou des contrats souscrits auprès d’organismes établis à l’étranger pouvait être de nature à faciliter la commission et la dissimulation du délit de fraude fiscale ; qu’en retenant cette circonstance aggravante du délit de fraude fiscale, il n’a pas méconnu le principe de nécessité des délits ;

23. Considérant, en troisième lieu, qu’en punissant le délit de fraude fiscale aggravée d’un peine d’amende dont le maximum est fixé à 2 millions d’euros et d’une peine d’emprisonnement dont le maximum est fixé à sept ans, le législateur n’a pas méconnu les principes de nécessité et de proportionnalité des peines ;

24. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le paragraphe I de l’article 9 doit être déclaré conforme à la Constitution ;

– SUR LE 1° DE L’ARTICLE 15 :

25. Considérant que le 1° de l’article 15 complète l’article L. 247 du livre des procédures fiscales par trois alinéas qui fixent des cas dans lesquels l’administration fiscale ne peut pas transiger sur les amendes fiscales ou les majorations d’impôt ; que l’avant-dernier alinéa de cet article interdit à l’administration fiscale de transiger « a) lorsqu’elle envisage de mettre en mouvement l’action publique pour les infractions mentionnées au code général des impôts » ; que le dernier alinéa de cet article interdit à l’administration fiscale de transiger « b) lorsque le contribuable met en œuvre des manœuvres dilatoires visant à nuire au bon déroulement du contrôle » ;

26. Considérant que, selon les requérants, l’interdiction de transiger lorsque l’administration « envisage » de mettre en mouvement l’action publique prive l’administration fiscale et l’autorité judiciaire de leur pouvoir d’appréciation et de leurs prérogatives ; qu’il en résulterait une atteinte à la séparation des pouvoirs ; qu’en outre, la référence à la situation dans laquelle l’administration « envisage » de transiger méconnaîtrait les exigences constitutionnelles d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ; qu’enfin le principe d’individualisation des peines serait également méconnu ;

27. Considérant qu’il incombe au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; que le plein exercice de cette compétence, ainsi que l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ;

28. Considérant, qu’en adoptant le a) de l’article L. 247 du livre des procédures fiscales, le législateur a entendu que l’administration fiscale ne puisse transiger postérieurement, selon le cas, à la saisine de la juridiction répressive par l’administration ou à la saisine de la commission des infractions fiscales ; qu’aucune exigence constitutionnelle ne fait obstacle à ce que la loi détermine des cas dans lesquels l’administration fiscale ne peut pas transiger sur les amendes fiscales ou les majorations d’impôts ; qu’en tout état de cause, l’article L. 247 du livre des procédures fiscales ne confère pas au contribuable un droit à obtenir une transaction sur ces amendes ou majorations ; que le 1° de l’article 15, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle et n’est pas entaché d’inintelligibilité, doit être déclaré conforme à la Constitution ;

– SUR LES ARTICLES 37 et 39 :

29. Considérant que l’article 37 insère dans le livre des procédures fiscales un article L. 10-0 AA en vertu duquel les documents, pièces ou informations que l’administration fiscale utilise et qui sont portés à sa connaissance ne peuvent être écartés « au seul motif de leur origine » ; que ces documents, pièces ou informations doivent avoir été régulièrement portés à la connaissance de l’administration, soit dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre des procédures fiscales ou aux articles L. 114 et L. 114 A du même code, « soit en application des droits de communication qui lui sont dévolus par d’autres textes, soit en application des dispositions relatives à l’assistance administrative par les autorités compétentes des États étrangers » ;

30. Considérant que, selon les requérants, les dispositions de l’article 37 portent atteinte au droit au respect de la vie privée et aux droits de la défense garantis par l’article 16 de la Déclaration de 1789 ;

31. Considérant, par ailleurs, que l’article 39 de la loi modifie l’article 67 E du code des douanes afin d’introduire dans cet article des dispositions similaires à celles de l’article 37 précité ;

32. Considérant qu’il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figurent le droit au respect de la vie privée qui découle de l’article 2 de la Déclaration de 1789 et les droits de la défense, et, d’autre part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la lutte contre la fraude fiscale qui constituent des objectifs de valeur constitutionnelle ;

33. Considérant que les dispositions des articles 37 et 39 sont relatives à l’utilisation des documents, pièces ou informations portés à la connaissance des administrations fiscale ou douanière, dans le cadre des procédures de contrôle à l’exception de celles relatives aux visites en tous lieux, même privés ; que si ces documents, pièces ou informations ne peuvent être écartés au seul motif de leur origine, ils doivent toutefois avoir été régulièrement portés à la connaissance des administrations fiscale ou douanière, soit dans le cadre du droit de communication prévu, selon le cas, par le livre des procédures fiscales ou le code des douanes, soit en application des droits de communication prévus par d’autres textes, soit en application des dispositions relatives à l’assistance administrative par les autorités compétentes des États étrangers ; que ces dispositions ne sauraient, sans porter atteinte aux exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789, permettre aux services fiscaux et douaniers de se prévaloir de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judicaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge ; que, sous cette réserve, le législateur n’a, en adoptant ces dispositions, ni porté atteinte au droit au respect de la vie privée ni méconnu les droits de la défense ;

34. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sous la réserve énoncée au considérant 33, les articles 37 et 39 doivent être déclarés conformes à la Constitution ;

– SUR LES ARTICLES 38 et 40 :

35. Considérant que l’article 38 de la loi modifie le livre des procédures fiscales afin de permettre à l’administration fiscale de demander au juge des libertés et de la détention l’autorisation de procéder à des visites domiciliaires sur le fondement de toute information quelle qu’en soit l’origine ; qu’il insère, après le deuxième alinéa du paragraphe II de l’article L. 16 B de ce code, relatif à l’impôt sur le revenu ou sur les bénéfices et à la taxe sur la valeur ajoutée, ainsi qu’après le deuxième alinéa du 2 de l’article L. 38 du même code, relatif aux contributions indirectes, au timbre et aux législations assimilées, un alinéa ainsi rédigé : « À titre exceptionnel, le juge peut prendre en compte les documents, pièces ou informations mentionnés à l’article L. 10-0 AA, lesquels ne peuvent être écartés au seul motif de leur origine, lorsqu’il apparaît que leur utilisation par l’administration est proportionnée à l’objectif de recherche et de répression des infractions prévues par le code général des impôts » ; qu’il insère également, après le paragraphe V de l’article L. 16 B, un paragraphe V bis aux termes duquel : « Dans l’hypothèse où la visite concerne le cabinet ou le domicile d’un avocat, les locaux de l’ordre des avocats ou les locaux des caisses de règlement pécuniaire des avocats, il est fait application de l’article 56-1 du code de procédure pénale » ;

36. Considérant que, selon les requérants, les dispositions de l’article 38 de la loi méconnaissent tant le droit au respect de la vie privée que le respect des droits de la défense garanti par l’article 16 de la Déclaration de 1789 ;

37. Considérant, par ailleurs, que l’article 40 de la loi modifie l’article 64 du code des douanes afin d’introduire dans cet article des dispositions similaires à celles de l’article 38 précité ;

38. Considérant que la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration de 1789 implique le droit au respect de la vie privée et, en particulier, de l’inviolabilité du domicile ;

39. Considérant que les dispositions des articles 38 et 40 permettent aux administrations fiscale et douanière d’utiliser toutes les informations qu’elles reçoivent, quelle qu’en soit l’origine, à l’appui des demandes d’autorisation de procéder à des visites domiciliaires fiscales opérées sur le fondement des articles L. 16 B et L. 38 du livre des procédures fiscales ou des visites domiciliaires douanières opérées sur le fondement de l’article 64 du code des douanes ; qu’elles prévoient que l’utilisation de ces informations doit être exceptionnelle et « proportionnée à l’objectif de recherche et de répression des infractions prévues », selon les cas, au code général des impôts ou au code des douanes ; que, toutefois, en permettant que le juge autorise l’administration à procéder à des visites domiciliaires sur le fondement de documents, pièces ou informations de quelque origine que ce soit, y compris illégale, le législateur a privé de garanties légales les exigences du droit au respect de la vie privée et, en particulier, de l’inviolabilité du domicile ;

40. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les articles 38 et 40 doivent être déclarés contraires à la Constitution ;

– SUR L’ARTICLE 44 :

41. Considérant que l’article 44 est relatif à la prise de copie de documents soumis au droit de communication de l’administration fiscale ; que son paragraphe II introduit au sein de la section 1 du chapitre I du titre II de la première partie du livre des procédures fiscales un nouveau 2° ter comprenant un nouvel article L. 13 F en vertu duquel les agents de l’administration peuvent, sans que le contribuable puisse s’y opposer, prendre copie des documents dont ils ont connaissance dans le cadre des procédures d’examen contradictoire de la situation fiscale des personnes physiques et des procédures de vérification de la comptabilité ; que son paragraphe I a pour objet de compléter l’article 1734 du code général des impôts, relatif à l’amende de 1 500 euros applicable à l’absence de tenue ainsi qu’à la destruction avant les délais prescrits des documents soumis au droit de communication de l’administration fiscale ou au refus de communiquer ces documents ; qu’il prévoit que cette amende est applicable, en cas d’opposition à la prise de copie des documents prévue par le nouvel article L. 13 F du livre des procédures fiscales, pour chaque document, sans que le total des amendes puisse être supérieur à 10 000 euros ou, si ce montant est supérieur, à 1 % du chiffre d’affaires déclaré par exercice soumis à contrôle ou à 1 % du montant des recettes brutes déclaré par année soumise à contrôle ;

42. Considérant que les requérants invoquent la méconnaissance des exigences de l’article 8 de la Déclaration de 1789 résultant de la disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue ;

43. Considérant qu’en instaurant, au paragraphe I de l’article 44, une amende en cas d’opposition à la prise de copie des documents soumis au droit de communication de 1’administration fiscale s’élevant à 1 500 euros « pour chaque document, sans que le total des amendes puisse être supérieur à 10 000 euros ou, si ce montant est supérieur, à 1 % du chiffre d’affaires déclaré par exercice soumis à contrôle ou à 1 % du montant des recettes brutes déclaré par année soumise à contrôle », le législateur a entendu réprimer les agissements faisant obstacle au droit de l’administration d’obtenir copie de documents en vertu du paragraphe II de l’article 44 ; qu’en prévoyant une amende de 1 500 euros par document dont la copie serait refusée, dans la limite d’un total des amendes ne pouvant être supérieur à 10 000 euros, le législateur n’a pas établi une amende fiscale manifestement disproportionnée au regard du manquement ; qu’en revanche, pour l’instauration d’un plafonnement global du montant des sanctions pouvant être encourues, le législateur a retenu des critères de calcul, alternatifs au seuil de 10 000 euros, en proportion du chiffre d’affaires ou du montant des recettes brutes déclaré, sans lien avec les infractions, et qui revêtent un caractère manifestement hors de proportion avec la gravité des infractions réprimées ; qu’il y a lieu, dès lors, de déclarer contraires à la Constitution les mots : « ou, si ce montant est supérieur, à 1 % du chiffre d’affaires déclaré par exercice soumis à contrôle ou à 1 % du montant des recettes brutes déclaré par année soumise à contrôle » au deuxième alinéa du paragraphe I de l’article 44 ;

44. Considérant que, pour le surplus, l’article 44 doit être déclaré conforme à la Constitution ;

– SUR L’ARTICLE 57 :

45. Considérant que l’arti


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x