Déchéance de marque : prouver la reprise d’un usage sérieux
Déchéance de marque : prouver la reprise d’un usage sérieux
Ce point juridique est utile ?

Est considéré comme une reprise d’usage sérieux de marque, des échanges entre la société Apple en vue du déploiement d’une offre de vidéos à la demande sur la plate-forme Apple TV, des articles de presse et d’actualités en ligne, onze commandes de spots publicitaires diffusés sur différentes chaînes de télévision et de promotion sur internet.

Selon l’article L.714-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable le 14 décembre 2001, date du dépôt de la marque litigieuse, encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans.

Est assimilé à un tel usage :

a) L’usage fait avec le consentement du propriétaire de la marque ou, pour les marques collectives, dans les conditions du règlement ;

b) L’usage de la marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif ;

c) L’apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement exclusivement en vue de l’exportation.

La déchéance peut être demandée en justice par toute personne intéressée. Si la demande ne porte que sur une partie des produits ou des services visés dans l’enregistrement, la déchéance ne s’étend qu’aux produits ou aux services concernés.

L’usage sérieux de la marque commencé ou repris postérieurement à la période de cinq ans visée au premier alinéa du présent article n’y fait pas obstacle s’il a été entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire a eu connaissance de l’éventualité de cette demande.

La preuve de l’exploitation incombe au propriétaire de la marque dont la déchéance est demandée. Elle peut être apportée par tous moyens.

La déchéance prend effet à la date d’expiration du délai de cinq ans prévu au premier alinéa du présent article. Elle a un effet absolu.

Ces dispositions s’interprètent à la lumière des dispositions de l’article 12 paragraphe 1 de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques, reprises par la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008, selon lequel le titulaire d’une marque peut être déchu de ses droits si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage ; toutefois, nul ne peut faire valoir que le titulaire d’une marque est déchu de ses droits si, entre l’expiration de cette période et la présentation de la demande en déchéance, la marque a fait l’objet d’un commencement ou d’une reprise d’usage sérieux ; cependant, le commencement ou la reprise d’usage qui a lieu dans un délai de trois mois avant la présentation de la demande de déchéance, ce délai commençant à courir au plus tôt à l’expiration de la période ininterrompue de cinq ans de non-usage, n’est pas pris en considération lorsque les préparatifs pour le commencement ou la reprise de l’usage interviennent seulement après que le titulaire a appris que la demande de déchéance pourrait être présentée.

La notion de commencement ou de reprise d’usage sérieux, permettant d’échapper à la déchéance, suppose que soit prouvé l’usage sérieux de la marque contestée (en ce sens TUE, 14 mars 2017, IR c EUIPO et Pirelli Tyre SpA, T-132/15, § 95).

Une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque (en ce sens CJUE, 11 mars 2003, Ansul, C-40/01, § 43).

L’usage sérieux de la marque doit être établi pour chacun des produits ou services couverts par son enregistrement et visés par la demande en déchéance (en ce sens Cour de cassation, chambre commercial, 29 janvier 2013, n°11-28.596).

Enfin, la CJUE, interprétant les dispositions de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n°207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne, équivalente à celles de l’article 12, paragraphe 1, de la directive précitée, a dit pour droit qu’elles doivent être interprétées en ce sens que, dans le cas d’une demande reconventionnelle en déchéance des droits attachés à une marque de l’Union européenne, la date à prendre en compte pour déterminer si la période ininterrompue de cinq ans figurant à cette disposition est arrivée à son terme est celle de l’introduction de cette demande (CJUE, 17 décembre 2020, Husqvarna AB c. Lidl Digital International GmbH & Co. KG, C-607/19).

Cette interprétation doit également s’appliquer aux marques françaises, dans la mesure où les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle ne sont que la transposition de celles de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques, reprises par la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008.

Résumé de l’affaire

La société SAS Bisly, spécialisée dans la production de produits audiovisuels pour les réseaux sociaux, est titulaire de la marque “explore”. Elle accuse la société SAS Mediawan Thematics, également active dans l’audiovisuel, d’utiliser le même signe pour des services de vidéos à la demande, ce qui constituerait une contrefaçon de sa marque. Après des échanges de courriers, la SAS Bisly assigne la SAS Mediawan Thematics en justice pour contrefaçon et demande également la déchéance de la marque de cette dernière. Les deux parties ont des prétentions opposées, la SAS Bisly demandant des dommages et intérêts ainsi que la cessation de l’usage du signe “explore” par la SAS Mediawan Thematics, tandis que cette dernière réclame des dommages et intérêts pour contrefaçon de la part de la SAS Bisly. L’affaire est fixée à une audience de plaidoirie en juin 2023.

Les points essentiels

ANALYSE DE LA DÉCHÉANCE DE LA MARQUE VERBALE FRANÇAISE “EXPLORE” N°3137298

La SAS Bisly fait valoir que la marque “explore” n°3137298 encourt la déchéance en raison de son absence d’exploitation dans les cinq ans suivant son dépôt. Elle soutient que la période à prendre en compte pour apprécier la déchéance doit porter sur les cinq ans suivant la date de publication de son enregistrement. La SAS Mediawan Thematics, quant à elle, oppose que son acquisition de la marque a été conclue avant la demande en déchéance et que la période à prendre en compte est celle de cinq ans précédant cette demande.

RÉPONSE DU TRIBUNAL

Selon l’article L.714-5 du code de la propriété intellectuelle, la déchéance de la marque peut être demandée en justice par toute personne intéressée. La preuve de l’exploitation incombe au propriétaire de la marque. Le tribunal constate que la SAS Mediawan Thematics a fait un usage sérieux de la marque à partir de mars 2021, mais n’a pas prouvé l’usage pour certains services visés à l’enregistrement. Par conséquent, la marque sera déchue pour ces services.

NULLITÉ DES MARQUES FRANÇAISES “EXPLORE” N°4406153 ET “EXPLORE MEDIA” N°4372729

La SAS Mediawan Thematics demande la nullité de ces marques, arguant qu’elles sont identiques ou similaires à sa marque antérieure. La SAS Bisly conteste cette demande, mais le tribunal conclut que les marques sont similaires et annule leur enregistrement pour certains services.

CONTREFAÇON DE MARQUE

La SAS Mediawan Thematics accuse la SAS Bisly de contrefaçon en utilisant le signe “explore” pour des services similaires. Le tribunal constate que la contrefaçon est établie et condamne la SAS Bisly.

MESURES RÉPARATRICES

Le tribunal ordonne des mesures d’interdiction et accorde des dommages et intérêts à la SAS Mediawan Thematics pour le préjudice moral causé. Les demandes de la SAS Mediawan Thematics concernant les conséquences économiques négatives de la contrefaçon sont rejetées faute de preuves.

CONCLUSION

En conclusion, le tribunal déclare la déchéance de la marque “explore” n°3137298 pour certains services, annule les marques “explore” n°4406153 et “explore media” n°4372729, et condamne la SAS Bisly pour contrefaçon. Les dépens et les frais de justice sont à la charge de la SAS Bisly, et des dommages et intérêts sont accordés à la SAS Mediawan Thematics.

Les montants alloués dans cette affaire: – Déchéance de la SAS Mediawan Thematics de ses droits sur la marque verbale française “explore” n°3137298 pour les produits des classes 16 et 28
– Annulation de la marque verbale française “explore” n°4406153 pour certains produits et services
– Annulation de la marque verbale française “explore media” n°4372729 pour tous les services visés
– Interdiction à la SAS Bisly d’utiliser le signe “explore” contrefaisant la marque verbale française “explore” n°3137298 sous astreinte de 500 euros par jour de retard
– Condamnation de la SAS Bisly à payer 5000 euros à la SAS Mediawan Thematics à titre de dommages et intérêts
– Condamnation de la SAS Bisly à payer 10 000 euros à la SAS Mediawan Thematics en application de l’article 700 du code de procédure civile
– Déboute de la SAS Bisly de ses demandes au titre de la contrefaçon de marque
– Déboute de la SAS Mediawan Thematics du surplus de ses demandes au titre de la contrefaçon de marque et de sa demande au titre de l’abus de procédure
– Condamnation de la SAS Bisly aux dépens

Réglementation applicable

– Article L.714-5 du code de la propriété intellectuelle
– Article 12 paragraphe 1 de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988
– Article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n°207/2009 du Conseil
– Article L.716-2-3 du code de la propriété intellectuelle
– Article L.711-4 du code de la propriété intellectuelle
– Article L.716-4-5 du code de la propriété intellectuelle
– Article L.713-2 du code de la propriété intellectuelle
– Article L.716-4-10 du code de la propriété intellectuelle
– Article 1240 du code civil
– Article 32-1 du code de procédure civile
– Article 696 du code de procédure civile
– Article 700 du code de procédure civile
– Article 514 du code de procédure civile
– Article 514-1 du code de procédure civile

Texte de l’article L.714-5 du code de la propriété intellectuelle:
“Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans.”

Texte de l’article 12 paragraphe 1 de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988:
“Le titulaire d’une marque peut être déchu de ses droits si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage.”

Texte de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n°207/2009 du Conseil:
“Nul ne peut faire valoir que le titulaire d’une marque est déchu de ses droits si, entre l’expiration de cette période et la présentation de la demande en déchéance, la marque a fait l’objet d’un commencement ou d’une reprise d’usage sérieux.”

Texte de l’article L.716-2-3 du code de la propriété intellectuelle:
“Est irrecevable (…) la demande en nullité formée par le titulaire d’une marque antérieure enregistrée depuis plus de cinq ans à la date de dépôt ou à la date de priorité de la marque postérieure qui, sur requête du titulaire de la marque postérieure, ne rapporte pas la preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure.”

Texte de l’article L.711-4 du code de la propriété intellectuelle:
“Ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, notamment à une marque antérieure enregistrée ou notoirement connue.”

Texte de l’article L.716-4-5 du code de la propriété intellectuelle:
“Est irrecevable toute action en contrefaçon introduite par le titulaire d’une marque antérieure à l’encontre d’une marque postérieure lorsque le demandeur ne rapporte pas les preuves exigées de l’usage sérieux de la marque antérieure.”

Texte de l’article L.713-2 du code de la propriété intellectuelle:
“Est interdit l’usage dans la vie des affaires d’un signe identique ou similaire à une marque enregistrée pour des produits ou services identiques ou similaires.”

Texte de l’article L.716-4-10 du code de la propriété intellectuelle:
“Pour fixer les dommages et intérêts en cas de contrefaçon, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, le préjudice moral causé à la partie lésée, et les bénéfices réalisés par le contrefacteur.”

Texte de l’article 1240 du code civil:
“Tout fait de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.”

Texte de l’article 32-1 du code de procédure civile:
“Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 € sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.”

Texte de l’article 696 du code de procédure civile:
“La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge n’en décide autrement.”

Texte de l’article 700 du code de procédure civile:
“Le juge peut condamner la partie tenue aux dépens à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.”

Texte de l’article 514 du code de procédure civile:
“Les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.”

Texte de l’article 514-1 du code de procédure civile:
“Le juge peut écarter l’exécution provisoire de droit s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire.”

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Maître Alain BERTHET
– Maître Audrey SCHWAB
– Maître Adrien COHEN-BOULAKIA

Mots clefs associés & définitions

– Marque antérieure
– Déchéance
– Usage sérieux
– Marque verbale “explore”
– Marque semi-figurative “explore media”
– Risque de confusion
– Contrefaçon
– Mesures réparatrices
– Préjudice moral
– Abus de procédure
– Dépens
– Article 700 du code de procédure civile
– Exécution provisoire
– Marque antérieure : marque enregistrée avant une autre marque et qui peut être opposée à cette dernière en cas de conflit
– Déchéance : perte des droits attachés à un titre de propriété industrielle ou intellectuelle en raison du non-respect de certaines obligations légales
– Usage sérieux : utilisation effective et continue d’une marque dans le cadre d’une activité commerciale
– Marque verbale “explore” : marque composée uniquement de mots
– Marque semi-figurative “explore media” : marque composée à la fois de mots et d’éléments graphiques
– Risque de confusion : situation dans laquelle le consommateur pourrait confondre deux marques similaires et attribuer à tort les produits ou services qui y sont associés
– Contrefaçon : reproduction ou imitation non autorisée d’une marque protégée
– Mesures réparatrices : mesures prises par un tribunal pour réparer un préjudice subi par une partie
– Préjudice moral : dommage causé à une personne sur le plan psychologique ou émotionnel
– Abus de procédure : utilisation déloyale des procédures judiciaires dans le but de nuire à l’autre partie
– Dépens : frais engagés lors d’une procédure judiciaire et qui peuvent être mis à la charge de la partie perdante
– Article 700 du code de procédure civile : disposition légale permettant au juge d’allouer une somme d’argent à la partie gagnante pour compenser ses frais de justice
– Exécution provisoire : mise en œuvre d’une décision judiciaire avant même que celle-ci ne soit définitive, sous certaines conditions.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

14 février 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n° 21/11805
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le
Expédition exécutoire délivrée à :
– Maître Alain BERTHET, vestiaire R162
Copie certifiée conforme délivrée à :
– Maître Audrey SCHWAB, vestiaire L56

3ème chambre
3ème section

N° RG 21/11805 –
N° Portalis 352J-W-B7F-CVB5D

N° MINUTE :

Assignation du :
30 août 2021

JUGEMENT
rendu le 14 février 2024
DEMANDERESSE

S.A.S. BISLY
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Maître Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocats au barreau de PARIS, avocats postulant, vestiaire #L0056 et par Maître Adrien COHEN-BOULAKIA, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

DÉFENDERESSE

S.A.S. MEDIAWAN THEMATICS
anciennement dénommée AB THEMATIQUES
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentée par Maître Alain BERTHET de la SELAFA PROMARK, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0162

Décision du 14 février 2024
3ème chambre 3ème section
N° RG 21/11805 – N° Portalis 352J-W-B7F-CVB5D

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjoint
Anne BOUTRON, vice-présidente
Linda BOUDOUR, juge

assistés de Lorine MILLE, greffière,

DEBATS

A l’audience du 21 juin 2023 tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 08 novembre 2023 et puis prorogé en dernier lieu au 14 février 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La société par actions simplifiée (ci-après SAS) Bisly se présente comme ayant pour activité la production, l’acquisition et la réalisation de produits audiovisuels ayant notamment vocation à être publiés sur les réseaux sociaux.
Elle est titulaire de la marque verbale française “explore” n°4406153, déposée le 21 novembre 2017 pour désigner des services en classes 35, 38, 41, 42 et 45, notamment : éducation, divertissement, informations en matière de divertissement, mise à disposition de films, non téléchargeables, par le biais de services de vidéo à la demande, production de films cinématographiques.
Elle est également titulaire de la marque semi-figurative française “explore media” n°4372729, déposée le 29 juin 2017 pour désigner des services en classes 38 et 41 : La SAS Bisly dit utiliser ces marques pour publier sur ses comptes Facebook, Instagram, Tiktok et Youtube, tous dénommés “explore”, des vidéos pédagogiques et ludo-éducatives relatives à la science, à l’innovation et à la technologie.
La SAS Mediawan Thematics a pour activité la production, l’exploitation et la distribution audiovisuelle.
Elle est titulaire de la marque verbale française “explore” n°3137298, déposée le 14 décembre 2001 pour désigner des produits et services en classes 16, 28, 38 et 41.
Reprochant à la SAS Mediawan Thematics d’utiliser le signe “explore” pour proposer un service de vidéos à la demande, la SAS Bisly l’a, par courrier de son conseil du 12 avril 2021, mise en demeure de cesser ces agissements qu’elle qualifie d’actes de contrefaçon de sa marque “explore” et d’actes de parasitisme.
Par courrier de son conseil du 27 avril 2021, la SAS Mediawan Thematics a refusé de cesser l’usage de ce signe arguant qu’elle est devenue titulaire de la marque “explore” n°3137298 à compter du 29 novembre 2019, et lui a demandé en retour de s’engager à ne plus utiliser le signe “explore” ainsi que de retirer sa marque “explore” n°4406153 en classes 38 et 41.
Par courrier de son conseil du 12 mai 2021, la SAS Bisly a refusé d’accéder aux demandes de la SAS Mediawan Thematics et a réitéré sa mise en demeure de cesser toute utilisation du signe “explore”. La SAS Bisly a également souligné à la SAS Mediawan Thematics que sa marque “explore” n°3137298 n’était pas utilisée et encourait la déchéance.
La SAS Mediawan Thematics n’a pas répondu.
C’est dans ces circonstances que par acte de commissaire de justice du 30 août 2021, la SAS Bisly a fait assigner la SAS Mediawan Thematics en contrefaçon et en déchéance de marques devant ce tribunal.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 29 septembre 2022 et l’affaire fixée à l’audience de plaidoirie du 29 juin 2023, puis avancée à l’audience de plaidoirie du 21 juin 2023.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS

Dans ses dernières conclusions au fond, notifiées par voie électronique le 19 septembre 2022, la SAS Bisly a demandé au tribunal de :- sur la contrefaçon, dire et juger que la SAS Mediawan Thematics a commis des actes de contrefaçon de marque à l’encontre de la SAS Bisly titulaire de la marque “explore” n°4406153
– en conséquence :
> ordonner à la SAS Mediawan Thematics de cesser tout usage d’un signe identique ou similaire à la marque “explore” de la SAS Bisly, sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai de 10 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, notamment sur la plate-forme Apple TV
> se réserver la liquidation de l’astreinte
> condamner la SAS Mediawan Thematics à verser à la SAS Bisly la somme de 50 000 euros au titre des conséquences économiques négatives
> condamner la société MEDIAWAN à verser à la SAS Bisly 20 000 euros au titre du préjudice moral
> condamner la SAS Mediawan Thematics à verser à la SAS Bisly une somme dont le montant sera déterminé ultérieurement en fonction des éléments qui seront communiqués par la SAS Mediawan Thematics au titre des bénéfices tirés de l’usage du signe contrefaisant
– à titre subsidiaire, à défaut de décision avant dire droit ordonnant la communication d’éléments destinés à évaluer le montant des bénéfices tirés de l’usage du signe contrefaisant :
> enjoindre à la SAS Mediawan Thematics de communiquer à la SAS Bisly sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé un délai de 10 jours à compter de la signification de la présente décision, le montant du chiffre d’affaires hors taxes et de marge brute réalisée par la SAS Mediawan Thematics au titre de la vente d’abonnements désignés sous le terme “explore”, attestés par un expert-comptable
> se réserver la liquidation de l’astreinte
– prononcer la déchéance de la marque n°3137298 “explore” à compter du 25 janvier 2007
– en tout état de cause
> dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir
> condamner la SAS Mediawan Thematics au paiement d’une indemnité de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Adrien Cohen-Boulakia, avocat au Barreau de Montpellier.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 juin 2022, la SAS Mediawan Thematics a conclu à :- dire et juger que l’action en contrefaçon de marque initiée par la SAS Bisly est irrecevable en l’espèce en l’absence de droit antérieur, en conséquence, débouter la SAS Bisly de l’ensemble de ses demandes au titre de la contrefaçon
– dire et juger que la marque antérieure “explore” n°3137298 de la SAS Mediawan Thematics fait l’objet d’un usage sérieux et n’encourt donc pas la déchéance pour défaut d’usage, en conséquence, débouter la SAS Bisly de l’ensemble de ses demandes au titre de la déchéance
– à titre reconventionnel
> dire et juger que la SAS Bisly se rend coupable d’actes de contrefaçon de marque au préjudice de la SAS Mediawan Thematics, en conséquence :
> condamner la SAS Bisly au paiement, au profit de la SAS Mediawan Thematics, de 50 000 euros au titre de son préjudice économique
> condamner la SAS Bisly au paiement, au profit de la SAS Mediawan Thematics, de 20 000 euros au titre de son préjudice moral
> interdire à la SAS Bisly tout usage du signe “explore” , associé ou non à d’autres mots ou images, ou de tout autre signe similaire, pour désigner des produits ou services identiques ou similaires aux activités de divertissements et de télécommunications exercées et visées par la marque antérieure de la SAS Mediawan Thematics et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai de 10 jours à compter de la signification de la décision à intervenir
> se réserver la liquidation de l’astreinte
>prononcer la nullité des marques “explore media” n°4372729 et “explore” n°4406153 en classes 38 et 41 :
* à savoir pour la marque “explore media” les services suivants : télécommunications, informations en matière de télécommunications, communications par terminaux d’ordinateurs, communications par réseaux de fibres optiques, communications radiophoniques, communications téléphoniques, radiotéléphonie mobile, fourniture d’accès utilisateur à des réseaux informatiques mondiaux, mise à disposition de forums en ligne, fourniture d’accès à des bases de données, services d’affichage électronique (télécommunications), raccordement par télécommunications à un réseau informatique mondial, agences de presse, agences d’informations (nouvelles), location d’appareils de télécommunication, émissions radiophoniques, émissions télévisées, services de téléconférences, services de visioconférence, services de messagerie électronique, location de temps d’accès à des réseaux informatiques mondiaux, divertissements, activités sportives et culturelles, informations en matière de divertissement, mise à disposition d’installations de loisirs, publication de livres, prêt de livres, mise à disposition de films, non téléchargeables, par le biais de services de vidéo à la demande, production de films cinématographiques, location de postes de télévision, location de décors de spectacles, services de photographie, organisation de concours (éducation ou divertissement), organisation et conduite de colloques, organisation et conduite de conférences, organisation et conduite de congrès, organisation d’expositions à buts culturels ou éducatifs, réservation de places de spectacles, services de jeu proposés en ligne à partir d’un réseau informatique, services de jeux d’argent, publication électronique de livres et de périodiques en ligne,
* et pour la marque “explore” les services suivants : télécommunications, services de transmission sécurisée de données, communication par terminaux d’ordinateurs ou par réseau de fibres optiques, transmission d’informations par voie télématique, communications et échange d’informations, notamment sur Internet; transmission d’informations contenues dans une banque de données; messagerie électronique; services de transmission de données dans des répertoires électroniques et d’informations par un réseau de télécommunications, et notamment sur Internet; services de mise en relation sur un réseaux de télécommunications et notamment sur Internet, communications par terminaux d’ordinateurs; fourniture d’accès à des bases de données; échanges électroniques d’informations par télex, télécopieurs; téléchargement de données; transmission d’informations contenues dans des banques de données et banques d’images, services de diffusion d’informations par voie électronique, notamment pour les réseaux de communication mondiale (de type Internet) ou à accès privé ou réservé; fourniture d’accès à un réseau informatique mondial; location de temps d’accès à un centre serveur de bases de données, divertissements, activités sportives et culturelles, informations en matière de divertissement, mise à disposition d’installations de loisirs, publication de livres, prêt de livres, mise à disposition de films, non téléchargeables, par le biais de services de vidéo à la demande, production de films cinématographiques, location de postes de télévision, location de décors de spectacles, services de photographie, organisation de concours (éducation ou divertissement), organisation et conduite de colloques, organisation et conduite de conférences, organisation et conduite de congrès, organisation d’expositions à buts culturels ou éducatifs, réservation de places de spectacles, services de jeu proposés en ligne à partir d’un réseau informatique, services de jeux d’argent, publication électronique de livres et de périodiques en ligne
> condamner la SAS Bisly à verser à la SAS Mediawan Thematics 20 000 euros pour procédure abusive sur le fondement de l’article 1240 du code civil
> condamner la SAS Bisly à verser à la SAS Mediawan Thematics 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Alain Berthet
– en tout état de cause :
> débouter la SAS Bisly de sa demande en irrecevabilité
> débouter la SAS Bisly de sa demande de publication et d’inscription du jugement à intervenir
> débouter la SAS Bisly de ses demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens.

MOTIVATION

En préambule, la solution du litige reposant sur la validité de la marque antérieure verbale française “explore” n°3137298, déposée le 14 décembre 2001 et acquise ensuite par la SAS Mediawan Thematics, cette question sera analysée avant toute autre.

I – Sur la déchéance de la marque verbale française “explore” n°3137298

Moyens des parties

La SAS Bisly fait valoir que :- la marque verbale française “explore” n°3137298 encourt la déchéance compte tenu de son absence d’exploitation dans les cinq ans suivant son dépôt jusqu’à la publication de son acquisition par la défenderesse le 1er avril 2021
– la période à prendre en compte pour apprécier la déchéance doit prioritairement porter sur les cinq ans qui suivent la date de publication de son enregistrement, soit la période du 25 janvier 2002 au 25 janvier 2007, au cours de laquelle la défenderesse ne rapporte la preuve d’aucun usage sérieux de cette marque
– compte tenu de la déchéance de cette marque au 25 janvier 2007, l’usage contrefaisant par la SAS Mediawan Thematics, à partir de mars 2021, d’un signe identique à sa marque verbale française “explore” n°4406153, ne peut pas être considéré comme un usage sérieux susceptible d’être qualifié de reprise de l’usage de la marque verbale française “explore” n°3137298 permettant de faire exception à sa déchéance
– les articles de presse évoquant la sortie d’un nouveau service proposé par la défenderesse sous le signe “explore” ne démontrent pas une reprise de l’usage de cette marque litigieuse suffisamment sérieux
– compte tenu de sa notoriété, notamment sur les réseaux sociaux et dans les médias spécialisés, sa marque verbale française “explore” n°4406153 était connue de la SAS Mediawan Thematics, à tout le moins à compter du 4 juillet 2018, date de la publication d’un article consacré à sa réussite dans un magazine de référence, en sorte que la défenderesse avait connaissance qu’une demande en déchéance de la marque n°3137298 litigieuse pourrait être présentée, en raison de son défaut d’usage sérieux antérieur pendant plus de cinq ans
– à tout le moins, la SAS Mediawan Thematics a été informée à compter du 12 avril 2021, date de sa mise en demeure, que la déchéance de sa marque n°3137298 pouvait être demandée, tandis que les preuves de reprise d’usage de cette marque dans les médias ne datent que de quelques semaines avant cette demande, ne pouvant pas constituer un usage sérieux susceptible de faire échec à sa déchéance.

La SAS Mediawan Thematics oppose que :- son acquisition de la marque verbale française “explore” n°3137298 a été conclue le 29 novembre 2019 et publiée le 1er avril 2021, cette marque ayant été déposée le 14 décembre 2001 soit antérieurement aux marques que la demanderesse invoque
– la période à prendre en compte pour constater que sa marque n°3137298 a fait l’objet d’un usage sérieux est celle de cinq ans précédant la demande en déchéance, en sorte que sa marque n°3137298 échappe à la déchéance compte tenu de la reprise d’usage qu’elle en a fait à compter de juin 2019, date à laquelle elle a initié les études de déploiement de sa plate-forme documentaire en vidéo à la demande et dans l’ignorance de l’existence de la demanderesse et de ses marques n°4406153 et n°4372729, la demande en déchéance n’étant connue d’elle que depuis le 12 mai 2021, non le 12 avril 2021, la notion de déchéance n’étant pas évoquée dans le courrier de mise en demeure
– la notoriété de la marque “explore” n°4406153 ou la prétendue connaissance qu’elle en avait au commencement d’usage de sa marque n°3137298 ne saurait résulter des deux articles antérieurs tirés de revues spécialisées, alors que la demanderesse apporte la preuve qu’elle connaissait l’existence de cette marque antérieure au jour du dépôt de ses marques n°4406153 et n°4372729.

Réponse du tribunal

Selon l’article L.714-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable le 14 décembre 2001, date du dépôt de la marque litigieuse, encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans.Est assimilé à un tel usage :
a) L’usage fait avec le consentement du propriétaire de la marque ou, pour les marques collectives, dans les conditions du règlement ;
b) L’usage de la marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif ;
c) L’apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement exclusivement en vue de l’exportation.
La déchéance peut être demandée en justice par toute personne intéressée. Si la demande ne porte que sur une partie des produits ou des services visés dans l’enregistrement, la déchéance ne s’étend qu’aux produits ou aux services concernés.
L’usage sérieux de la marque commencé ou repris postérieurement à la période de cinq ans visée au premier alinéa du présent article n’y fait pas obstacle s’il a été entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire a eu connaissance de l’éventualité de cette demande.
La preuve de l’exploitation incombe au propriétaire de la marque dont la déchéance est demandée. Elle peut être apportée par tous moyens.
La déchéance prend effet à la date d’expiration du délai de cinq ans prévu au premier alinéa du présent article. Elle a un effet absolu.

Ces dispositions s’interprètent à la lumière des dispositions de l’article 12 paragraphe 1 de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques, reprises par la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008, selon lequel le titulaire d’une marque peut être déchu de ses droits si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage ; toutefois, nul ne peut faire valoir que le titulaire d’une marque est déchu de ses droits si, entre l’expiration de cette période et la présentation de la demande en déchéance, la marque a fait l’objet d’un commencement ou d’une reprise d’usage sérieux ; cependant, le commencement ou la reprise d’usage qui a lieu dans un délai de trois mois avant la présentation de la demande de déchéance, ce délai commençant à courir au plus tôt à l’expiration de la période ininterrompue de cinq ans de non-usage, n’est pas pris en considération lorsque les préparatifs pour le commencement ou la reprise de l’usage interviennent seulement après que le titulaire a appris que la demande de déchéance pourrait être présentée.
La notion de commencement ou de reprise d’usage sérieux, permettant d’échapper à la déchéance, suppose que soit prouvé l’usage sérieux de la marque contestée (en ce sens TUE, 14 mars 2017, IR c EUIPO et Pirelli Tyre SpA, T-132/15, § 95).
Une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque (en ce sens CJUE, 11 mars 2003, Ansul, C-40/01, § 43).
L’usage sérieux de la marque doit être établi pour chacun des produits ou services couverts par son enregistrement et visés par la demande en déchéance (en ce sens Cour de cassation, chambre commercial, 29 janvier 2013, n°11-28.596).
Enfin, la CJUE, interprétant les dispositions de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n°207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne, équivalente à celles de l’article 12, paragraphe 1, de la directive précitée, a dit pour droit qu’elles doivent être interprétées en ce sens que, dans le cas d’une demande reconventionnelle en déchéance des droits attachés à une marque de l’Union européenne, la date à prendre en compte pour déterminer si la période ininterrompue de cinq ans figurant à cette disposition est arrivée à son terme est celle de l’introduction de cette demande (CJUE, 17 décembre 2020, Husqvarna AB c. Lidl Digital International GmbH & Co. KG, C-607/19).
Cette interprétation doit également s’appliquer aux marques françaises, dans la mesure où les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle ne sont que la transposition de celles de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques, reprises par la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008.
En l’espèce, il est observé à titre liminaire que la demande reconventionnelle en déchéance telle qu’énoncée au dispositif des dernières conclusions de la SAS Bisly ne vise aucun produit ou service en particulier, de sorte qu’il est considéré que la demande porte sur l’ensemble des produits et services visés à l’enregistrement de la marque verbale française “explore” n°3137298.
Cette marque vise à son enregistrement, en classe 16, le papier et le carton, les produits en ces matières à savoir, cartonnages, sacs, sachets, enveloppes, pochettes ; les produits de l’imprimerie, articles pour reliure, photographies, etc., en classe 28 les cartes à jouer, en classe 38 les télécommunications, les agences de presse et d’informations, les communications par terminaux d’ordinateurs, en classe 41 l’éducation, la formation, le divertissement, les activités sportives et culturelles, l’édition de livres, de revues, les prêts de livres, le dressage d’animaux, la production de spectacles, de films, les agences pour artistes, la location de films, d’enregistrements phonographiques, d’appareils de projection de cinéma et accessoires de décors de théâtre, le montage de bandes vidéo, l’organisation de concours en matière d’éducation et de divertissement, l’organisation et conduite de colloques, conférence, congrès, l’organisation d’expositions à buts culturels ou éducatifs, l’organisation de loteries, la réservation de places de spectacles.
La SAS Bisly a formé pour la première fois sa demande en déchéance de la marque précitée dans son assignation du 30 août 2021, de sorte que la période de référence à retenir au titre de la déchéance est les cinq années précédant cette date. Si elle fait porter sa demande de déchéance sur les cinq ans qui suivent la date de publication de l’enregistrement de cette marque, soit du 25 janvier 2002 au 25 janvier 2007, ce moyen est inopérant.
Au soutien de la reprise d’usage sérieux de cette marque, la SAS Mediawan Thematics produit aux débats :- le contrat de cession de la marque litigieuse conclu entre elle et la société France Télévisions le 29 novembre 2019 (pièce n°36)
– les échanges entre la société Apple et elle en vue du déploiement de son offre de vidéos à la demande dénommée “explore” sur la plate-forme Apple TV entre le 20 juin 2019 et le 18 mars 2021, mise en ligne en mars 2021 et comptant 394 abonnés au 31 mars 2021 ; cette offre de vidéos à la demande est spécialisée dans les documentaires portant sur des thématiques variées : portraits, espace, histoire, société, environnement, faits divers, etc. (pièces n°36 à 46, 69 et 76)
– huit articles de presse et d’actualités en ligne publiés entre le 18 mars et le 19 mars 2021, évoquant l’ouverture de sa plate-forme de vidéo à la demande “explore” (pièces n°2 et 75)
– onze commandes de spots publicitaires diffusés sur différentes chaînes de télévision et de promotion sur internet de sa plate-forme “explore” accessible sur AppleTV entre le 22 mars et le 11 avril 2021 (pièces 48 à 59).

Ces preuves de reprise d’usage présentent un caractère sérieux, compte tenu de l’usage de la marque verbale française “explore” n°3137298 de manière substantielle à compter de mars 2021, pour les services de télécommunications, d’agences de presse et d’informations, de communications par terminaux d’ordinateurs en classe 38, et l’ensemble de ceux en classe 41, visés à son enregistrement.
De plus, la SAS Mediawan Thematics démontre l’usage de cette marque à une période, notamment entre le 29 novembre 2019 et le 12 février 2021, antérieure de plus de trois mois à toute connaissance qu’elle pouvait avoir d’une demande de déchéance de la marque litigieuse.
En effet, à supposer même que la SAS Mediawan Thematics ait pu avoir connaissance de l’existence du service de vidéos diffusées sur les réseaux sociaux sous le signe “explore” par la SAS Bisly le 7 mars 2018 (pièce Bisly n°15-2), aucune prémisse d’une demande de déchéance de la marque verbale française “explore” n°3137298 ne pouvait être envisagée avant la mise en demeure du 12 avril 2021 que lui a adressée la demanderesse.
Néanmoins, les preuves d’usage produites ne permettent pas de considérer l’existence d’un usage sérieux pour, en classe 16, le papier et le carton, les produits en ces matières à savoir, cartonnages, sacs, sachets, enveloppes, pochettes, les produits de l’imprimerie, articles pour reliure, photographies, etc., en classe 28, les cartes à jouer, visés à son enregistrement.
En conséquence, la SAS Mediawan Thematics sera déchue de sa marque verbale française “explore” n°3137298 pour les services précités pour lesquels elle ne produit aucune preuve d’usage sérieux.
Il s’ensuit que les demandes de la SAS Bisly fondées sur la contrefaçon de sa marque verbale française “explore” n°4406153, en tant qu’elle vise des services de divertissement et mise à disposition de films, non téléchargeables, par le biais de services de vidéo à la demande, pour lesquels la SAS Mediawan Thematics n’est pas déchue de ses droits sur sa marque verbale française “explore” n°3137298 antérieure, seront rejetées.
II – Sur la demande reconventionnelle en nullité des marques françaises verbale “explore” n°4406153 et semi-figurative “explore media” n°4372729

Moyens des parties

La SAS Mediawan Thematics soutient que les marques françaises verbale “explore” n°4406153 et semi-figurative “explore media” n°4372729 sont identiques ou, à tout le moins, fortement similaires à sa marque antérieure verbale française “explore” n°3137298 et qu’elles désignent des services identiques s’agissant des télécommunications en classe 38 et du divertissement en classe 41, en sorte qu’il existe un risque de confusion pour le consommateur justifiant leur annulation. Elle estime sa demande recevable, compte tenu des preuves d’usage sérieux qu’elle produit faisant échec à la demande de déchéance de ses droits sur sa marque antérieure.
La SAS Bisly considère que la demande en nullité formée par la défenderesse est irrecevable compte tenu de la déchéance de ses droits sur la marque verbale française “explore” n°3137298.
Réponse du tribunal

II.1 – S’agissant de la recevabilité de la demande reconventionnelle en nullité des marques françaises verbale “explore” n°4406153 et semi-figurative “explore media” n°4372729

Conformément à l’article L.716-2-3 du code de la propriété intellectuelle, est irrecevable (…) 2° La demande en nullité formée par le titulaire d’une marque antérieure enregistrée depuis plus de cinq ans à la date de dépôt ou à la date de priorité de la marque postérieure qui, sur requête du titulaire de la marque postérieure, ne rapporte pas la preuve :a) Que la marque antérieure a fait l’objet, pour les produits ou services pour lesquels elle est enregistrée et qui sont invoqués à l’appui de la demande, d’un usage sérieux au cours des cinq années précédant la date de dépôt ou la date de priorité de la marque postérieure, dans les conditions prévues à l’article L.714-5 ou, s’il s’agit d’une marque de l’Union européenne, à l’article 18 du règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 ;
b) Ou qu’il existait de justes motifs pour son non-usage.
Aux fins de l’examen de la demande en nullité, la marque antérieure n’est réputée enregistrée que pour les produits ou services pour lesquels un usage sérieux a été prouvé ou de justes motifs de non-usage établis.

La SAS Mediawan Thematics n’est pas déchue de ses droits sur sa marque verbale française “explore” n°3137298 pour les services de télécommunications, d’agences de presse et d’informations, de communications par terminaux d’ordinateurs en classe 38, et ceux en classe 41, visés à son enregistrement.
Elle est, de ce fait, recevable à opposer cette marque, pour ces services, à des marques postérieures.
Le moyen de la SAS Bisly tendant à déclarer irrecevable la demande reconventionnelle de la SAS Mediawan Thematics en nullité des marques françaises verbale “explore” n°4406153 et semi-figurative “explore media” n°4372729 sera, en conséquence, écarté.
II.2 – S’agissant de la validité des marques françaises verbale “explore” n°4406153 et semi-figurative “explore media” n°4372729

En application de l’article L.711-4 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable au jour du dépôt des marques contestées, ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment : a) A une marque antérieure enregistrée ou notoirement connue au sens de l’article 6 bis de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle (…).
La validité de la marque s’apprécie selon les textes en vigueur au jour de son dépôt (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 13 janvier 2009, n°07-19.056).
Cette disposition s’interprète conformément à l’article 4 paragraphe 1 de la directive (CE) n°2008/95 du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques selon lequel une marque est refusée à l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, est susceptible d’être déclarée nulle, lorsqu’en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association avec la marque antérieure.
Le risque de confusion dans l’esprit du public, dont la charge de la preuve incombe au demandeur à la nullité, doit s’apprécier globalement, par référence au contenu des enregistrements des marques, par rapport à un consommateur d’attention moyenne de la catégorie des produits tels que désignés par ces enregistrements et sans tenir compte des conditions d’exploitation des marques ou des conditions de commercialisation des produits (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 23 juin 2015, n°14-13011 ; même chambre, 15 mars 2017, n°15-50038).
II.2.1 S’agissant de la marque verbale française “explore” n°4406153

La marque verbale française “explore” n°4406153 est identique à la marque verbale française “explore” n°3137298 que lui oppose la SAS Mediawan Thematics, qui dispose de droits antérieurs compte tenu de l’enregistrement de cette marque le 14 décembre 2001.
La marque verbale française “explore” n°3137298 vise à son enregistrement les services de télécommunications, d’agences de presse et d’informations, de communications par terminaux d’ordinateurs en classe 38, et ceux d’éducation, de formation, de divertissement, de production de films, de location de films, d’enregistrements phonographiques, de montage de bandes vidéo, en classe 41.
La marque verbale française “explore” n°4406153 vise à son enregistrement :- en classe 35, vente au détail de photographies et d’images, à savoir agences photographiques, stockage de médias électroniques, à savoir d’images, de texte et de données audio, gestion des affaires commerciales, administration commerciale, travaux de bureau ;
– en classe 38, télécommunications, services de transmission sécurisée de données, communication par terminaux d’ordinateurs ou par réseau de fibres optiques, transmission d’informations par voie télématique, communications et échange d’informations, notamment sur Internet, transmission d’informations contenues dans une banque de données, messagerie électronique, services de transmission de données dans des répertoires électroniques et d’informations par un réseau de télécommunications, et notamment sur Internet, services de mise en relation sur un réseaux de télécommunications et notamment sur Internet, communications par terminaux d’ordinateurs, fourniture d’accès à des bases de données, échanges électroniques d’informations par télex, télécopieurs, téléchargement de données, transmission d’informations contenues dans des banques de données et banques d’images, services de diffusion d’informations par voie électronique, notamment pour les réseaux de communication mondiale (de type Internet) ou à accès privé ou réservé, fourniture d’accès à un réseau informatique mondial, location de temps d’accès à un centre serveur de bases de données ;
– en classe 41, éducation, formation, divertissement, activités sportives et culturelles, informations en matière de divertissement, informations en matière d’éducation, recyclage professionnel, mise à disposition d’installations de loisirs, publication de livres, prêt de livres, mise à disposition de films, non téléchargeables, par le biais de services de vidéo à la demande, production de films cinématographiques, location de postes de télévision, location de décors de spectacles, services de photographie, organisation de concours (éducation ou divertissement), organisation et conduite de colloques, organisation et conduite de conférences, organisation et conduite de congrès, organisation d’expositions à buts culturels ou éducatifs, réservation de places de spectacles, services de jeu proposés en ligne à partir d’un réseau informatique, services de jeux d’argent, publication électronique de livres et de périodiques en ligne ;
– en classe 42, fourniture d’une plate-forme contenant une technologie permettant aux internautes de créer, charger vers le serveur, mettre en signet, visualiser, annoter, et partager des données, des informations et du contenu multimédia, services informatiques, à savoir, création d’une communauté en ligne permettant aux utilisateurs enregistrés de participer à des discussions, de recevoir des réactions de leurs pairs, de constituer des communautés virtuelles, et de participer au réseautage social dans le domaine de l’intérêt général, fourniture d’un site web proposant des logiciels téléchargeables, fourniture d’une plate-forme contenant des logiciels téléchargeables, hébergement d’une plate-forme interactive et de logiciels téléchargeables en ligne pour téléchargement vers le serveur, publication, présentation, affichage, repérage, partage et transmission de messages, commentaires, contenu multimédia, photographies, illustrations, images, textes, informations et autres contenus générés par l’utilisateur, développement et hébergement d’un serveur sur un réseau informatique mondial en vue de faciliter le commerce électronique par le biais de ce serveur, services scientifiques et technologiques ainsi que services de recherches et de conception y relatifs, services d’analyses et de recherches industrielles, conception et développement d’ordinateurs et de logiciels ;
– en classe 45, services sociaux en ligne de mise en réseau, fourniture de services de réseautage social liés aux commentaires, à la comparaison, la collaboration, la consultation, l’évaluation, les conseils, la discussion, la recherche, la notification, le compte-rendu, l’identification, le partage d’informations, l’indexation, la localisation d’informations, le divertissement, les loisirs, ou l’intérêt général, services personnels et sociaux rendus par des tiers destinés à satisfaire les besoins des individus, fourniture d’une base de données consultable en ligne proposant les produits de tiers à des fins de réseautage social.

Il en ressort que les services visés à l’enregistrement de cette marque sont similaires à ceux visés à l’enregistrement de la marque opposée, à l’exception des services, en classe 35, de gestion des affaires commerciales, administration commerciale, travaux de bureau et, en classe 42, de services d’analyses et de recherches industrielles, conception et développement d’ordinateurs et de logiciels.
Il en résulte un risque de confusion dans l’esprit du public, consommateur d’attention moyenne de contenus visibles sur internet.
L’enregistrement de la marque verbale française “explore” n°4406153 sera, en conséquence, annulé pour les services visés à son enregistrement, à l’exception des services, en classe 35, de gestion des affaires commerciales, administration commerciale, travaux de bureau et, en classe 42, de services d’analyses et de recherches industrielles, conception et développement d’ordinateurs et de logiciels.
II.2.2 S’agissant de la marque semi-figurative française “explore media” n°4372729

En présence de signes non identiques, il y a lieu de rechercher si, au regard d’une appréciation des degrés de similitude entre les signes et entre les produits ou services désignés, il existe un risque de confusion dans l’esprit du consommateur moyen concerné. Ce risque de confusion doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce. En ce qui concerne la similitude visuelle, phonétique et conceptuelle des signes en cause, cette appréciation doit être fondée sur l’impression d’ensemble produite par ceux-ci en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants (principe constant établi par la CJCE 11 novembre 1997, affaire C-251/95, arrêt Sabel Puma).
La marque semi-figurative française “explore media” n°4372729 et la marque verbale française “explore” n°3137298 présentent une forte similitude visuelle et phonétique, compte tenu de la présence du même terme “explore” en position d’attaque, le terme “media” de la marque postérieure apparaissant secondaire car figurant en deuxième position, en caractères plus petits et compte tenu de son caractère descriptif. L’élément figuratif de la marque n°4372729, constitué d’un carré noir, constitue une différence minime dans l’esprit du consommateur moyen.
La similitude conceptuelle est également forte, en raison de la présence du même terme “explore”, renvoyant à l’idée de découverte, étant rappelé que le terme “media” de la marque postérieur se trouvant en position seconde et étant descriptif des services visés à son enregistrement.
La marque semi-figurative française “explore media” n°4372729 vise à son enregistrement les services suivants :- en classe 38 télécommunications, informations en matière de télécommunications, communications par terminaux d’ordinateurs, communications par réseaux de fibres optiques, communications radiophoniques, communications téléphoniques, radiotéléphonie mobile, fourniture d’accès utilisateur à des réseaux informatiques mondiaux, mise à disposition de forums en ligne, fourniture d’accès à des bases de données, services d’affichage électronique (télécommunications), raccordement par télécommunications à un réseau informatique mondial, agences de presse, agences d’informations (nouvelles), location d’appareils de télécommunication, émissions radiophoniques, émissions télévisées, services de téléconférences, services de visioconférence, services de messagerie électronique, location de temps d’accès à des réseaux informatiques mondiaux ;
– en classe 41 éducation, formation, divertissement, activités sportives et culturelles, informations en matière de divertissement, informations en matière d’éducation, recyclage professionnel, mise à disposition d’installations de loisirs, publication de livres, prêt de livres, mise à disposition de films, non téléchargeables, par le biais de services de vidéo à la demande, production de films cinématographiques, location de postes de télévision, location de décors de spectacles, services de photographie, organisation de concours (éducation ou divertissement), organisation et conduite de colloques, organisation et conduite de conférences, organisation et conduite de congrès, organisation d’expositions à buts culturels ou éducatifs, réservation de places de spectacles, services de jeu proposés en ligne à partir d’un réseau informatique, services de jeux d’argent, publication électronique de livres et de périodiques en ligne.

Il en ressort que les services visés à l’enregistrement de cette marque sont similaires à ceux visés à l’enregistrement de la marque opposée.
Il en résulte un risque de confusion dans l’esprit du public, consommateur d’attention moyenne de contenus visibles sur internet.
L’enregistrement de la marque verbale française “explore media” n°4372729 sera, en conséquence, annulé pour tous les services visés à son enregistrement.
III – Sur la demande reconventionnelle en contrefaçon de marque

Moyens des parties

La SAS Mediawan Thematics tient le dépôt et l’usage par la défenderesse des marques “explore” comme constitutifs de contrefaçon à son préjudice. Elle précise que l’usage du signe “explore” identique ou similaire à sa marque verbale française “explore” n°3137298 pour désigner des services identiques ou similaires à sa marque crée un risque de confusion pour le consommateur d’attention moyenne et lui cause un préjudice économique et moral justifiant l’indemnisation et les mesures d’interdiction qu’elle réclame.
La SAS Bisly objecte que la demande reconventionnelle en contrefaçon est irrecevable compte tenu de la déchéance de la défenderesse de ses droits sur la marque verbale française “explore” n°3137298.
Réponse du tribunal

III.1 – S’agissant de la recevabilité de la demande reconventionnelle en contrefaçon

En application de l’article L.716-4-5 du code de la propriété intellectuelle, est irrecevable toute action en contrefaçon introduite par le titulaire d’une marque antérieure à l’encontre d’une marque postérieure : (…) 2° Lorsque, sur requête du titulaire de la marque postérieure, le demandeur à l’action en contrefaçon sur le fondement d’une marque antérieure ne rapporte pas les preuves exigées, selon les cas, par l’article L.716-2-3 ou par l’article L.716-2-4, c’est-à-dire, soit que la marque antérieure a fait l’objet, pour les produits ou services pour lesquels elle est enregistrée et qui sont invoqués à l’appui de la demande, d’un usage sérieux au cours des cinq années précédant la date de dépôt ou la date de priorité de la marque postérieure, soit qu’il existait de justes motifs pour son non-usage.
Comme exposé précédemment, la SAS Mediawan Thematics n’est pas déchue de ses droits sur sa marque verbale française “explore” n°3137298 pour les services de télécommunications, d’agences de presse et d’informations, de communications par terminaux d’ordinateurs en classe 38, et ceux en classe 41, visés à son enregistrement.
Elle est, de ce fait, recevable à invoquer cette marque, pour ces services, à l’encontre d’usages de signes qu’elle considère comme des contrefaçons.
Le moyen de la SAS Bisly tendant à déclarer irrecevable la demande reconventionnelle de la SAS Mediawan Thematics en contrefaçon de sa marque verbale française “explore” n°3137298 sera, en conséquence, écarté.
III.2 – S’agissant du bien fondé de la demande reconventionnelle en contrefaçon

Selon l’article L.713-2 du code de la propriété intellectuelle, est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l’usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :1° D’un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;
2° D’un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s’il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d’association du signe avec la marque.

Interprétant les dispositions de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008, qui a codifié la directive 89/104/CEE du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, et dont l’article L.713-3 du code de la propriété intellectuelle réalise la transposition en droit interne, la CJUE a jugé que l’expression “faire usage” d’un signe doit donc être entendue comme désignant l’emploi du signe dans le but de distinguer des produits ou des services, c’est à dire comme portant atteinte ou étant susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, ce qui est en définitive la condition du droit exclusif (voir CJUE, 25 juillet 2018, Mitsubishi, C-129/17, point 34).
Les termes “usage” et “dans la vie des affaires” ne sauraient être interprétés en ce sens qu’ils visent uniquement les relations immédiates entre un commerçant et un consommateur et, en particulier, qu’il y a usage d’un signe identique à la marque lorsque l’opérateur économique concerné utilise ce signe dans le cadre de sa propre communication commerciale (voir CJUE, 16 juillet 2015, TOP Logistics e.a., C-379/14, points 40 et 41).
En matière de contrefaçon par imitation, il y a lieu de rechercher si, au regard d’une appréciation des degrés de similitude entre les signes et entre les produits ou services désignés, il existe un risque de confusion dans l’esprit du consommateur moyen concerné. Ce risque de confusion doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce. En ce qui concerne la similitude visuelle, phonétique et conceptuelle des signes en cause, cette appréciation doit être fondée sur l’impression d’ensemble produite par ceux-ci en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants (principe constant établi par la CJCE 11 novembre 1997, affaire C-251/95, arrêt Sabel Puma).
Au cas présent, l’usage par la SAS Bisly du signe “explore” dans la vie des affaires n’est pas contesté et résulte de ses propres pièces (n°2-2 et 15-1 à 15-10).
L’antériorité de la marque verbale française “explore” n°3137298 est établie par son enregistrement le 14 décembre 2001 (pièce Bisly n°12).
La similitude visuelle, phonétique et conceptuelle du signe contesté avec la marque opposée par la SAS Mediawan Thematics a été précédemment démontrée.
La SAS Bisly fait usage de ce signe pour promouvoir son activité de production et de réalisation de produits audiovisuels notamment publiés sur les réseaux sociaux Facebook, Snapchat ou Tiktok (pièces Bisly n°2-2, 15-1 à 15-10). Ces produits et services sont, de ce fait, similaires aux services de télécommunications, d’agences de presse et d’informations, de communications par terminaux d’ordinateurs, en classe 38, et ceux d’éducation, de formation, de divertissement, de production de films, de location de films, d’enregistrements phonographiques, de montage de bandes vidéo, en classe 41, visés à son enregistrement.
Il en résulte un risque de confusion dans l’esprit du public, consommateur d’attention moyenne de contenus visibles sur internet.
La contrefaçon de la marque verbale française “explore” n°3137298 est, dès lors, établie et engage la responsabilité de la SAS Bisly.
III.3 – S’agissant des mesures réparatrices

L’article L.716-4-10 du code de la propriété intellectuelle dispose que pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

L’emploi de l’adverbe “distinctement” et non “cumulativement”, commande une appréciation distincte des chefs de préjudice et non pas cumulative.
Par ailleurs, un préjudice hypothétique ne donne pas lieu à indemnisation et le principe de la réparation intégrale implique une indemnisation du préjudice sans perte ni profit.
En l’occurrence, l’usage par la SAS Bisly d’un signe contrefaisant la marque verbale française “explore” n°3137298 justifie des mesures d’interdiction sous astreinte dans les termes du dispositif.
De plus, le préjudice moral résultant de l’avilissement de cette marque sera réparé par l’octroi de 5000 euros à titre de dommages et intérêts.
En revanche, les conséquences économiques négatives de la contrefaçon ou les bénéfices réalisés par le contrefacteur ne sont étayés d’aucune pièce, de sorte que le surplus des demandes de la SAS Mediawan Thematics sera rejeté.
IV – Sur le caractère abusif de la procédure

Moyens des parties

La SAS Mediawan Thematics affirme que l’action engagée par la demanderesse, pourtant informée de l’existence de ses droits antérieurs sur la marque “explore” caractérise son intention de lui nuire.
La SAS Bisly n’a pas conclu à ce titre.
Réponse du tribunal

L’article 1240 du code civil prévoit que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En application de l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 € sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
Le droit d’agir en justice participe des libertés fondamentales de toute personne. Il dégénère en abus constitutif d’une faute au sens de l’article 1240 du code civil lorsqu’il est exercé en connaissance de l’absence totale de mérite de l’action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant l’autre partie à se défendre contre une action que rien ne justifie sinon la volonté d’obtenir ce que l’on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté (en ce sens Cour de cassation, 3ème chambre civile, 10 octobre 2012, n°11-15.473).
La seule circonstance que la SAS Bisly soit déboutée de ses demandes n’est pas de nature à faire dégénérer son action en abus. La réponse adressée le 27 avril 2021 par le conseil de la SAS Mediawan Thematics au courrier de mise en demeure que celui de la SAS Bisly a adressé le 12 avril 2021 ne démontre en rien son intention de nuire, d’autant que postérieurement, le 12 mai 2021, la SAS Bisly lui a adressé une nouvelle mise en demeure soulevant la possible déchéance de ses droits sur la marque n°3137298.
Enfin, la SAS Mediawan Thematics n’établit aucun préjudice distinct des frais engagés pour leur défense, lesquels sont indemnisés au titre des frais non compris dans les dépens.
La demande à ce titre de la SAS Mediawan Thematics sera, en conséquence, rejetée.
V – Sur les dispositions finales

V.1 – Sur les dépens

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge de l’autre partie.
La SAS Bisly, partie perdante à l’instance, sera condamnée aux dépens.
V.2 – Sur l’article 700 du code de procédure civile

L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation.
La SAS Bisly, partie tenue aux dépens, sera condamnée à payer 10 000 euros à la SAS Mediawan Thematics à ce titre.
V. 3 – Sur l’exécution provisoire

Aux termes de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.
Selon l’article 514-1 du même code, le juge peut écarter l’exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire.Il statue, d’office ou à la demande d’une partie, par décision spécialement motivée.
Par exception, le juge ne peut écarter l’exécution provisoire de droit lorsqu’il statue en référé, qu’il prescrit des mesures provisoires pour le cours de l’instance, qu’il ordonne des mesures conservatoires ainsi que lorsqu’il accorde une provision au créancier en qualité de juge de la mise en état.

L’exécution provisoire de droit sera écartée en l’espèce compte tenu des conséquences très difficilement réparables des mesures relatives aux déchéance et annulation de marques.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Ordonne la déchéance de la SAS Mediawan Thematics de ses droits sur la marque verbale française “explore” n°3137298 pour l’ensemble des produits visés dans les classes 16 et 28 de son enregistrement ;

Déboute la SAS Bisly du surplus de sa demande de déchéance de la SAS Mediawan Thematics de la marque verbale française “explore” n°3137298 ;

Annule la marque verbale française “explore” n°4406153 pour tous les produits et services visés à son enregistrement, à l’exception des services, en classe 35, de gestion des affaires commerciales, administration commerciale et travaux de bureau et, en classe 42, de services d’analyses et de recherches industrielles, conception et développement d’ordinateurs et de logiciels ;

Annule la marque verbale française “explore media” n°4372729 pour tous les services visés à son enregistrement ;

Dit que la décision, une fois définitive, sera transmise à l’Institut national de la propriété industrielle par la partie la plus diligente aux fins d’inscription au registre national des marques ;

Interdit à la SAS Bisly tout usage du signe “explore” contrefaisant la marque verbale française “explore” n°3137298 dans le délai de deux mois suivant la signification du jugement, puis sous astreinte de 500 euros par jour de retard courant pendant cent quatre-vingt jours ;

Se réserve la liquidation de l’astreinte ;

Condamne la SAS Bisly à payer 5000 euros à la SAS Mediawan Thematics à titre de dommages et intérêts en réparation de la contrefaçon de la marque verbale française “explore” n°3137298 ;

Déboute la SAS Bisly de ses demandes au titre de la contrefaçon de marque ;

Déboute la SAS Mediawan Thematics du surplus de ses demandes au titre de la contrefaçon de marque et de sa demande au titre de l’abus de procédure ;

Condamne la SAS Bisly aux dépens ;

Condamne la SAS Bisly à payer 10 000 euros à la SAS Mediawan Thematics en application de l’article 700 du code de procédure civile;

Écarte l’exécution provisoire de droit.

Fait et jugé à Paris le 14 février 2024

La greffière Le président


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