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Il résulte de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III que, d’une part, les tribunaux répressifs de l’ordre judiciaire sont incompétents pour statuer sur la responsabilité d’une administration ou d’un service public en raison d’un fait dommageable commis par l’un de ses agents, d’autre part, l’agent d’un service public administratif n’est personnellement responsable des conséquences dommageables de l’acte délictueux qu’il a commis que si celui-ci constitue une faute personnelle détachable de ses fonctions.
En déclarant un médecin rattaché à un hôpital public solidairement responsable, avec le centre hospitalier, du préjudice subi par les parties civiles, sans constater qu’il avait commis une faute personnelle détachable de ses fonctions de médecin praticien attaché associé au sein du centre hospitalier, la cour d’appel, qui a excédé ses pouvoirs, a violé la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret 16 fructidor an III, ensemble l’article 593 du code de procédure pénale.
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Chambre criminelle – Formation restreinte hors RNSM/NA
PUBLIÉ AU BULLETIN
ECLI:FR:CCASS:2024:CR00885
FRAIS ET DEPENS
N° Q 23-84.515 F-B
N° 00885
GM
3 SEPTEMBRE 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 3 SEPTEMBRE 2024
M. [V] [R] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, 8e chambre, en date du 4 juillet 2023, qui, pour homicide involontaire, l’a condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis, 8 000 euros d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Coirre, conseiller, les observations de la SCP Richard, avocat de M. [V] [R], les observations du cabinet Rousseau et Tapie, avocat de Mme [O] [U] et M. [I] [K] et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l’audience publique du 4 juin 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Coirre, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. [X] [K], âgé d’un mois, est décédé le [Date décès 1] 2015 des suites d’un arrêt cardio-respiratoire dû à une bronchiolite causée par un virus, compliquée d’une pneumopathie de surinfection bactérienne.
3. Le nourrisson avait été pris en charge, dans la matinée, au centre hospitalier de [Localité 2], par M. [V] [R], médecin, praticien attaché associé à cet établissement de soins.
4. À l’issue des examens pratiqués, comprenant une radiographie pulmonaire, M. [R] a autorisé la sortie de l’enfant.
5. Une erreur de diagnostic a été caractérisée, la radiographie révélant une pathologie qui aurait dû conduire à l’hospitalisation du nourrisson.
6. Une information a été ouverte dans le cadre de laquelle Mme [O] [U] et M. [I] [K], parents de l’enfant, se sont constitués partie civile.
7. Mis en examen pour homicide involontaire, M. [R] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de ce chef, à l’instar du centre hospitalier.
8. Cette juridiction les a déclarés coupables et a condamné M. [R] à une peine d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’à une amende.
9. Prononçant sur l’action civile, le tribunal a, notamment, déclaré le prévenu solidairement responsable, avec le centre hospitalier, du préjudice subi par les parties civiles.
10. M. [R] et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
11. Il n’est pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
12. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré M. [R] solidairement responsable, avec le Centre hospitalier de [Localité 2], du préjudice subi par M. [I] [K] et Mme [O] [U], alors « que les juridictions de l’ordre judiciaire ne sont pas compétentes pour statuer sur la réparation des conséquences dommageables de la faute commise par un agent public, hormis l’hypothèse où cette faute présente un caractère personnel, de sorte qu’elle est détachable des fonctions de l’agent ; qu’en déclarant le Docteur [R] solidairement responsable, avec le centre hospitalier de [Localité 2], du préjudice subi par les parties civiles, sans constater qu’il avait commis une faute personnelle détachable de ses fonctions de médecin praticien attaché associé au sein du centre hospitalier de [Localité 2], la cour d’appel, qui a excédé ses pouvoirs, a violé la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret 16 fructidor an III, ensemble l’article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III :
13. Il résulte de ces textes que, d’une part, les tribunaux répressifs de l’ordre judiciaire sont incompétents pour statuer sur la responsabilité d’une administration ou d’un service public en raison d’un fait dommageable commis par l’un de ses agents, d’autre part, l’agent d’un service public administratif n’est personnellement responsable des conséquences dommageables de l’acte délictueux qu’il a commis que si celui-ci constitue une faute personnelle détachable de ses fonctions.
14. L’arrêt attaqué a confirmé le jugement entrepris en ce qu’il a reçu Mme [U] et M. [K] en leurs constitutions de partie civile et déclaré M. [R], solidairement avec le centre hospitalier de [Localité 2], responsable de leur préjudice.
15. En se reconnaissant ainsi compétente pour statuer sur la responsabilité civile de M. [R], la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
16. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
17. La cassation portera sur les seules dispositions ayant déclaré M. [R] solidairement responsable du préjudice subi par les parties civiles.
18. Elle ne portera pas sur les sommes allouées aux parties civiles au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale qui ne sont pas des dommages-intérêts.
19. La cassation n’impliquant pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond, en l’absence de demandes indemnitaires de la part des parties civiles, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire.
20. Il apparaît d’une bonne administration de la justice, en application de l’article 612-1 du code de procédure pénale, d’ordonner que la cassation aura effet à l’égard du centre hospitalier de [Localité 2], co-prévenu, qui ne s’est pas pourvu contre l’arrêt attaqué.
Examen de la demande fondée sur l’article 618-1 du code de procédure pénale
21. Les dispositions de ce texte sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu’il soit total ou partiel. La déclaration de culpabilité de M. [R] étant devenue définitive par suite de la non-admission du premier moyen de cassation proposé, il y a lieu de faire partiellement droit à la demande.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Versailles, en date du 4 juillet 2023, mais en ses seules dispositions ayant déclaré M. [R] solidairement responsable du préjudice subi par les parties civiles, toutes autres dispositions, notamment relatives aux sommes allouées aux parties civiles au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale, étant expressément maintenues ;
DIT que cette cassation sera étendue aux dispositions concernant le centre hospitalier de [Localité 2] en ce qu’il a été déclaré, avec M. [R] responsable solidairement de ce même préjudice ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. [R] devra payer aux parties représentées par la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat à la Cour, en application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du trois septembre deux mille vingt-quatre.