Crimes contre l’humanité : 9 octobre 1995 Cour de cassation Pourvoi n° 92-83.890

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Crimes contre l’humanité : 9 octobre 1995 Cour de cassation Pourvoi n° 92-83.890
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AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le neuf octobre mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller GUERDER, les observations de la société civile professionnelle Hubert et Bruno LE GRIEL, de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN et de la société civile professionnelle RYZIGER et BOUZIDI, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général AMIEL ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

– X… Alain, contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 27 mai 1992, qui l’a condamné, pour provocation à la discrimination raciale, contestation de crimes contre l’humanité, injure raciale, diffamation publique envers une administration publique, à 3 mois d’emprisonnement, et qui a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire personnel et le mémoire ampliatif produits en demande, et les mémoires en défense ;

Sur la procédure :

Attendu qu’il appert de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu’Alain X…, en qualité de directeur de la publication du journal périodique “Révision”, a été attrait directement devant le tribunal correctionnel par le ministère public, en raison de la publication, dans le numéro 20 dudit journal daté du mois d’octobre 1990, de propos incriminés sous les préventions de provocation à la discrimination raciale, contestation de crimes contre l’humanité, injure raciale, diffamation publique envers une administration publique, délits prévus et réprimés par les articles 24 alinéa 6, 24 bis, 33 alinéa 3 et 30 de la loi du 29 juillet 1881 ; que les associations “Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples”, “Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme”, “Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen”, “SOS Racisme touche pas à mon pote”, “Association nationale des anciens combattants de la Résistance” se sont constituées parties civiles par voie d’intervention devant la juridiction de jugement ;

que le prévenu a été déclaré coupable ;

En cet état :

Sur le premier moyen de cassation pris par le mémoire ampliatif et le mémoire personnel de la violation des articles 9, 10, 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

“en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Alain X… coupable de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée et d’injure publique envers le même groupe de personnes et l’a condamné à la peine de 3 mois d’emprisonnement ainsi qu’au paiement d’une somme de 5 000 francs à titre de dommages-intérêts au profit de chacune des associations constituées parties civiles ;

“aux motifs que “la protection contre la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, définie par l’article 24 alinéa 6 de la loi du 29 juillet 1881, ne comporte aucun privilège”, que “cette protection n’est pas réservée aux membres d’une communauté déterminée , mais est offerte à tous ceux qui, quelque soit leur origine, leur ethnie, leur nationalité, leur race ou leur religion, sont victimes de propos incitant à la discrimination, à la haine ou à la violence en raison de leur appartenance, ou de leur non- appartenance à cette communauté ethnique, nationale, raciale ou religieuse” et que “le texte en cause apparaît ainsi conforme aux prescriptions de l’article 14 de la Convention européenne ;

“alors qu’aux termes de l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, “la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions”, que ce principe implique une égalité de statut entre les individus quels que soient leurs opinions et engagements tant dans le domaine religieux que dans le domaine profane, que les articles 24, alinéa 6, et 33, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881 accordent une protection particulière aux adeptes des religions établies en restreignant à leur profit la liberté d’expression d’autrui, protection que ces textes refusent à ceux qui communient dans une même conviction profane (“opinions politiques ou autres”) et que ces deux textes sont donc contraires à l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui doit prévaloir sur la loi française” ;

Sur le troisième moyen de cassation pris par le mémoire ampliatif de la violation des articles 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

“en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Alain X… coupable du délit de contestation de crime contre l’humanité et l’a condamné à la peine de 3 mois d’emprisonnement ainsi qu’au paiement d’une somme de 5 000 francs à chacune des associations constituées parties civiles ;

“aux motifs que l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme consacrant le droit à la liberté d’expression “n’établit pas un principe général et absolu auquel il serait interdit de déroger”, qu’”il comporte un alinéa second d’où il résulte que le droit à la liberté d’expression est assorti de devoirs et de responsabilités qui peuvent impliquer certaines restrictions ou sanctions prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique” et que tel est bien le cas de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 ;

“alors que l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme reconnaît à toute personne le droit à la liberté d’expression, l’exercice de cette liberté pouvant toutefois être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, que cette réserve ne permet nullement aux Etats la suppression totale du droit de communiquer des informations ou idées sur un sujet déterminé décrété tabou et d’instituer ainsi un délit d’opinion ;

qu’en particulier, un Etat ne saurait interdire à un de ses ressortissants de contester l’existence de certains faits historiques communément admis, ces faits seraient-ils constatés dans des décisions de justice, que la liberté d’expression vaut non seulement pour les informations et les idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population et que l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme doit prévaloir sur l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 qui lui est contraire” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu’en rejetant, par les motifs reproduits aux moyens, l’argumentation du prévenu prise de l’incompatibilité des articles 24 alinéa 6, 33 alinéa 3 et 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 avec l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que l’incompatibilité des articles 24 et 33 précités avec l’article 14 de ladite Convention, la cour d’appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

Que, d’une part, si l’article 10 de la Convention susvisée reconnaît en son premier paragraphe à toute personne le droit à la liberté d’expression, ce texte prévoit en son second paragraphe que l’exercice de cette liberté comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent, dans une société démocratique, des mesures nécessaires notamment à la protection de la morale et des droits d’autrui ;

que tel est l’objet des articles susvisés de la loi du 29 juillet 1881 ;

Que, d’autre part, la protection instituée par ces textes n’est pas contraire aux dispositions de l’article 14 de la Convention, dès lors qu’elle est offerte à tous ceux qui sont victimes de propos discriminatoires ou injurieux en raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une communauté ethnique, nationale, raciale ou religieuse, et que les sanctions qui la garantissent sont applicables à tous ;

D’où il suit que les moyens doivent être écartés ;

Sur le deuxième moyen de cassation pris par le mémoire ampliatif et le mémoire personnel de la violation des articles 1, 2 du décret du Gouvernement provisoire de la défense nationale du 5 novembre 1870, 4 du Code pénal, 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

“en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Alain X… coupable du délit de contestation de crimes contre l’humanité et l’a condamné à la peine de 3 mois d’emprisonnement ainsi qu’au paiement d’une somme de 5 000 francs de dommages-intérêts à chacune des associations constituées parties civiles ;

“aux motifs que “le libellé de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 constitue l’élément légal de l’infraction”, que “ce texte incrimine la contestation de l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du Tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable d’un tel crime par une juridiction française ou internationale”, que “l’accord de Londres et l’article 6 du statut du Tribunal militaire international annexé à cet accord auxquels il est fait référence ont été publiés au Journal officiel de la République française du 7 octobre 1945”, que “l’autorité de chose jugée d’une décision judiciaire procède de son caractère définitif indépendamment de toute publication”, que “l’article 26 du statut du Tribunal militaire international dispose : “la décision du tribunal relative à la culpabilité ou à l’innocence de tout accusé devra être motivée et sera définitive et non susceptible de révision”, que”le procès qui s’est conclu par le jugement du 1er octobre 1946 du tribunal militaire international de Nuremberg a fait l’objet d’une publication officielle, en langue française”, que”les archives de ce procès sont détenues par la Cour internationale de justice de La Haye, dépositaire du jugement, qui peut être communiqué” et qu’en conséquence “le jugement du tribunal militaire international en date du 1er octobre 1946 s’impose à tous, alors même qu’il n’a pas été publié au Journal officiel de la République française” ;

“alors qu’il résulte de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 que le délit de contestation de crimes contre l’humanité n’est constitué que si le ou les auteurs du crime contesté sont soit membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 du statut du Tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, soit reconnus coupables de crimes contre l’humanité par une juridiction française ou internationale, que l’existence d’une décision de justice qualifiant le crime contesté de crime contre l’humanité est donc un élément constitutif du délit de contestation de crimes contre l’humanité ; que, dès lors, ce texte ne saurait s’appliquer que si cette décision a satisfait aux mêmes conditions de publicité que la loi, à savoir sa publication au Journal officiel et qu’en l’espèce, à défaut de toute publication au Journal officiel du jugement de Nuremberg, les juges du fond ne pouvaient pas légalement condamner Alain X… pour avoir contesté un crime contre l’humanité constaté dans ce jugement” ;

 


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