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AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le neuf décembre deux mille trois, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller CHANET, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
– X… Josette, épouse Y…, partie civile,
contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de PARIS, en date du 9 décembre 2002, qui a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction refusant d’informer sur sa plainte contre personne non dénommée des chefs de crimes contre l’humanité, enlèvement et séquestration ;
Vu l’article 575, alinéa 2, 1 , du Code de procédure pénale ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 7, alinéa 2 ,de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 15-2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 212-1 du Code Pénal, 85, 86, 575 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale,
“en ce que l’arrêt attaqué a confirmé l’ordonnance de refus d’informer prononcée du chef de crime contre l’humanité ;
“aux motifs qu’en application du principe de la légalité des délits et des peines et de la non-rétroactivité de la loi pénale, l’article 212-1 du Code pénal ne peut s’appliquer à des faits antérieurs à sa promulgation ; que la partie civile invoque vainement les articles 15-2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 7, alinéa 2, de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales dès lors qu’au moment où les faits dénoncés ont été commis, ils étaient susceptibles d’être poursuivis, jugés et sanctionnés selon les qualifications de droit commun ; qu’en tout état de cause, les faits dénoncés par Josette Y… ne sont pas susceptibles de recevoir la qualification de crimes contre l’humanité puisqu’il résulte de la plainte que seul Maurice Y… a disparu, alors que les autres personnes arrêtées, en même temps que lui, ont recouvré la liberté, ce qui exclut qu’ils aient été commis en exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de populations civiles ; qu’au demeurant, les pièces issues de la précédente information comme les éléments joints à la plainte démontrent l’absence de plan concerté ;
“alors que, d’une part, les dispositions tant de l’article 7, alinéa 2, de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales que de l’article 15-2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques par leur caractère de convention internationale ont une autorité supérieure aux dispositions de droit interne, s’opposent à ce que le principe de non rétroactivité de la loi pénale puisse faire obstacle à la poursuite d’agissements relevant de la qualification de crimes contre l’humanité, la circonstance que ces agissements auraient pu en leur temps être poursuivis selon des qualifications de droit commun ne pouvant davantage s’opposer à ce qu’en l’absence de telles poursuites, ils puissent l’être aujourd’hui sur le fondement de l’article 212-1 du Code pénal ;
“alors que, d’autre part, la seule constatation que les personnes arrêtées en même temps que Maurice Y… aient retrouvé la liberté ne pouvait autoriser la chambre de l’instruction à écarter l’existence d’un plan concerté tenant à la pratique systématique de la torture mise en oeuvre par certains corps de l’armée à l’encontre de civils militant pour l’indépendance de l’Algérie et dont l’appréciation imposait à la chambre de l’instruction de rechercher si les actes commis à l’encontre de Maurice Y… procédaient ou non de la mise en oeuvre d’une pratique généralisée ayant fait d’autres victimes, de sorte qu’en l’état de cette absence d’investigations à laquelle ne saurait palier la référence aux pièces issues de la précédente information comme de celles jointes à la plainte et dont il n’est procédé à aucune analyse, la chambre d’instruction n’a pas légalement justifié de sa décision de refuser d’informer sur la plainte déposée par Josette Y…” ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1er de la loi du 31 juillet 1968, 224-1 du Code pénal, 575 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
“en ce que l’arrêt attaqué a confirmé le refus d’informer du chef d’arrestation et de séquestration arbitraire ;
“aux motifs que les qualifications d’arrestation et de séquestration arbitraire entrent nécessairement dans le champ d’application de la loi n° 68-697 du 31 juillet 1968 s’intitulant :
“d’une amnistie générale de toutes les infractions commises en relation avec les événements d’Algérie “, disposant que “sont amnistiées de plein droit toutes infractions commises en relation avec les événements d’Algérie” ; qu’il résulte en effet de ce texte, comme des débats parlementaires, notamment de l’intervention de Jacques Limouzy, rapporteur de la commission des lois, lors des débats parlementaires que cette amnistie est “générale, car elle ne couvre pas des infractions limitativement énumérées, mais l’ensemble de ces infractions, contraventions, délits et crimes ; elle est générale car elle s’applique également aux infractions commises avant et après le 3 juillet 1962 ; elle est générale, parce qu’il suffit que l’infraction ait été commise en relation avec les événements d’Algérie pour qu’elle soit amnistiée… ” (JO du 23 juillet 1968, p. 2469, Débats Assemblée Nationale) ; que dans ces conditions, à supposer que Maurice Y… ne soit pas décédé le 21 juin 1957, les faits de séquestration qui se seraient poursuivies même au delà du 3 juillet 1962 entreraient dans le champs d’application de la loi d’amnistie du 31 juillet 1968 ;
“alors que, le 3 juillet 1962, date de l’indépendance de l’Algérie impliquant par là-même la fin du conflit, il s’ensuit que la chambre d’instruction ne pouvait, sans méconnaître le principe d’interprétation restrictive des lois d’amnistie, considérer que la loi du 31 juillet 1968 avait vocation à s’appliquer à des faits commis postérieurement au 3 juillet 1962, l’article 1 de la loi du 31 juillet 1968, en se référant aux infractions commises en relation avec les événements d’Algérie, ayant manifestement entendu viser uniquement la période de troubles ayant abouti à la promulgation de l’indépendance de ce pays ; que dès lors, la chambre de l’instruction ne pouvait, sans priver sa décision de toute base légale, prétendre se fonder sur la loi d’amnistie du 31 juillet 1968 pour se refuser à informer sur une séquestration susceptible de s’être poursuivie au delà du 3 juillet 1962” ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Odette Y… a, le 16 mai 2001, porté plainte et s’est constituée partie civile contre personne non dénommée des chefs de crime contre l’humanité, enlèvement et séquestration, à la suite de la disparition de son mari intervenue en Algérie courant juin 1957 ;
Attendu que, pour confirmer l’ordonnance du juge d’instruction refusant d’informer sur cette plainte, les juges du second degré retiennent que les faits allégués ne peuvent recevoir la qualification de crime contre l’humanité, les dispositions de la loi du 26 décembre 1964, comme celles du statut du tribunal militaire international de Nuremberg annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, ne concernant que les faits commis pour le compte des pays européens de l’Axe durant la seconde guerre mondiale ; que l’arrêt ajoute que l’incrimination de crime contre l’humanité n’ayant été introduite dans le droit français que le 1er mars 1994, les principes de légalité des délits et des peines et de la non rétroactivité de la loi pénale plus sévère font obstacle à l’application de cette incrimination à des faits commis avant cette date ; que la chambre de l’instruction, enfin, constate que les faits d’arrestation et de séquestration arbitraires dénoncés par la partie civile étant en relation avec les événements d’Algérie entrent dans le champ d’application de la loi n° 68-697 du 31 juillet 1968 portant amnistie ;
Attendu qu’en l’état de ces seuls motifs, la cour d’appel a justifié sa décision tant au regard du droit interne que des dispositions conventionnelles visées au premier moyen ;
D’où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;