N° G 18-84.282 F-D
N° 2053
8 AOÛT 2018
CG10
NON LIEU À RENVOI
M. STRAEHLI, conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à Paris, le huit août deux mille dix-huit, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire X… et les conclusions de M. l’avocat général Y… ;
Statuant sur les questions prioritaires de constitutionnalité formulées par mémoires spéciaux, reçus le 16 mai 2018, et présentées par :
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M. Patrick Z…,
à l’occasion du pourvoi formé par lui contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 12 avril 2018, qui, pour contestation de crime contre l’humanité et non mise à disposition du public d’information identifiant le directeur de la publication d’un service de communication en ligne, l’a condamné à cent jours-amende de 10 euros et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les observations en réponse produites ;
Attendu que la première question prioritaire de constitutionnalité tend à faire juger que l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse porte atteinte au principe de légalité des infractions pénales garanti par l’article 7 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, au principe d’antériorité des incriminations pénales garanti par l’article 8 de la même Déclaration et au principe d’égalité devant la loi garanti par son article 6 ainsi que par l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 ;
Attendu que la seconde question tend à faire juger que l’article 24 bis de la même loi, dans sa rédaction antérieure à sa modification par l’article 173 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, viole le principe d’égalité devant la loi garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination qui en découlent, la liberté d’opinion garantie par l’article 10 de ladite Déclaration, la liberté d’expression garantie par son article 11, le principe unitaire de la liberté de pensée, d’expression et de communication de l’historien, également protégé par cet article 11, la liberté de recherche qui en découle et le principe de la compétence législative tiré de l’article 34 de la Constitution, qui autorise seulement à limiter la liberté d’expression et de communication dans les stricts impératifs de lutte contre le trouble à l’ordre public ou à la paix sociale sans jamais donner au législateur le pouvoir de fixer le contenu de ces libertés consubstantielles à l’Etat de droit ;
Attendu qu’il résulte des termes de la prévention que M. Z… est poursuivi, notamment, comme auteur principal du délit de contestation de crime contre l’humanité, sur le fondement de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, pour avoir, à compter du 12 septembre 2014, en sa qualité de directeur de la publication, diffusé sur un site internet, c’est-à-dire par l’un des moyens énoncés à l’article 23 de ladite loi, lequel est visé à la prévention « s’agissant de la publicité », un enregistrement audio-visuel d’une interview de M. Robert A… comportant des propos regardés comme contestant l’existence du génocide perpétré par le régime nazi envers les juifs, M. A… étant lui-même poursuivi en qualité de complice ;
Attendu, en premier lieu, qu’il s’en déduit que l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, dans sa rédaction alors en vigueur, est applicable à la procédure tandis que l’article 23, auquel il renvoie, n’y est applicable qu’en tant qu’il énonce les modes de publicité au moyen desquels le délit de contestation de crime contre l’humanité peut être commis, en l’occurrence « par tout moyen de communication au public par voie électronique » ;
Attendu, cependant, que ces mots n’instituant, en eux-mêmes et à eux seuls, aucune incrimination pénale, les seuls griefs invoqués, pris d’une atteinte aux principes de légalité des infractions pénales, d’antériorité des incriminations pénales et d’égalité entre prévenus devant la loi pénale, sont inopérants ;
D’où il suit qu’il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la première question prioritaire de constitutionnalité ;
Attendu, en deuxième lieu, que l’article 5, II, 2°, de la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, qui a modifié le premier alinéa de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 en réduisant de cinq à un an le maximum de la peine d’emprisonnement encourue, a constitué une disposition moins sévère, applicable comme telle, en vertu de l’article 112-1, alinéa 3, du code pénal, aux faits commis avant son entrée en vigueur, dont ceux pour lesquels M. Z… est poursuivi ;
Attendu, toutefois, que tant dans les motifs que dans le dispositif de sa décision n° 2015-512 QPC du 8 janvier 2016, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution l’article 24 bis, dans sa rédaction ainsi modifiée ; que ni la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, qui a inséré dans ce texte des dispositions incriminant également la négation, la minoration ou la banalisation de façon outrancière d’un crime de génocide, d’un crime contre l’humanité, d’un crime de réduction en esclavage ou d’exploitation d’une personne réduite en esclavage ou d’un crime de guerre, autre que ceux mentionnés au premier alinéa, ni la décision n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017 rendue par le Conseil constitutionnel sur cette modification législative, ni aucune autre circonstance de droit ou de fait n’est de nature à constituer un changement, au sens de l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, justifiant que l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, dans sa rédaction applicable aux faits objet de la poursuite, soit de nouveau soumis à l’examen du juge constitutionnel ;
D’où il suit qu’il n’y a pas davantage lieu à renvoi de la seconde question prioritaire de constitutionnalité ;
Par ces motifs :
DIT N’Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Straehli, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. X…, conseiller rapporteur, M. Fossier, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;