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N° H 19-87.367 FS-B
N° S 19-87.376
N° C 19-87.662
N° 00868
RB5
7 SEPTEMBRE 2021
CASSATION PARTIELLE
REJET
NON-ADMISSION
IRRECEVABILITE
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 SEPTEMBRE 2021
Les associations European Center for Constitutional and Human Rights et Sherpa, MM. [YJ] [G],[RM] [XC] [E], [O] [U], [BQ] [W], [T] [NK] [Z], [JT] [CW] [K], [Y] [GC], [QQ] [M] [RB], [MZ] [UH], [Q] [DH], [BG] [N], [P] [KE], [YJ] [I], Mmes [C] [J], [X] [AG], parties civiles, et la société Lafarge SA ont formé des pourvois contre l’arrêt n° 8 de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, 2e section, en date du 7 novembre 2019, qui, dans l’information suivie notamment contre la société Lafarge SA des chefs, notamment, de complicité de crimes contre l’humanité, financement d’entreprise terroriste et mise en danger de la vie d’autrui, a déclaré irrecevables les mémoires des associations European Center for Constitutional and Human Rights et Sherpa, et a prononcé sur la requête de la société Lafarge SA en annulation de sa mise en examen.
Les associations European Center for Constitutional and Human Rights et Sherpa, parties civiles, ont formé un pourvoi contre l’arrêt n° 5 de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, 2e section, en date du 7 novembre 2019, qui, dans l’information suivie, notamment, contre M. [F] [KP] des chefs de financement d’entreprise terroriste et mise en danger de la vie d’autrui, a déclaré irrecevables les mémoires desdites associations et a prononcé sur la requête de M. [KP] en annulation de sa mise en examen et de pièces de la procédure.
M. [B] [R] a formé un pourvoi contre l’arrêt n° 7 de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, 2e section, en date du 7 novembre 2019, qui, dans l’information suivie, notamment, contre lui des chefs de financement d’entreprise terroriste, mise en danger de la vie d’autrui et infractions douanières, a déclaré irrecevables les mémoires des associations European Center for Constitutional and Human Rights et Sherpa et a prononcé sur sa requête en annulation de sa mise en examen et de pièces de la procédure.
Par une ordonnance du 9 décembre 2019, le président de la chambre criminelle a ordonné la jonction sous le n° 19-87.367 des pourvois formés contre l’arrêt n° 8 et a ordonné leur examen par la chambre criminelle.
Par une ordonnance du même jour, le président de la chambre criminelle a ordonné que le pourvoi formé contre l’arrêt n° 5, sous le n° 19-87.376, soit soumis à la chambre criminelle et joint aux pourvois formés sous le n° 19-87.367.
Par une ordonnance du 11 décembre 2019, le président de la chambre criminelle a ordonné que le pourvoi formé contre l’arrêt n° 7, sous le n° 19-87.662, soit joint aux pourvois formés sous le n° 19-87.367 et soit soumis à la chambre criminelle.
Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Barbier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat des associations European Center for Constitutional and Human Rights et Sherpa, de Mmes [C] [J], [X] [AG], parties civiles, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de MM. [YJ] [G], [RM] [XC] [E], [O] [U], [BQ] [W], [T] [NK] [Z], [JT] [CW] [K], [Y] [GC], [QQ] [M] [RB], [MZ] [UH], [Q] [DH], [BG] [N], [P] [KE], [YJ] [I], parties civiles, les observations de la SCP Spinosi, avocat de la société Lafarge SA, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [V] [GN], les observations du Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [B] [R], les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [D] [A], et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, les avocats ayant eu la parole en dernier, après débats en l’audience publique du 8 juin 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Barbier, conseiller rapporteur, M. Bonnal, Mme Ménotti, M. Maziau, Mme Labrousse, MM. Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, Mme de Lamarzelle, M. Violeau, conseillers référendaires, M. Desportes, premier avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. La société Lafarge SA (la société Lafarge), de droit français, dont le siège social se trouve à [Localité 2], a fait construire une cimenterie près de Jalabiya (Syrie), pour un coût de plusieurs centaines de millions d’euros, qui a été mise en service en 2010. Cette cimenterie est détenue et était exploitée par une de ses sous-filiales, dénommée Lafarge Cement Syria (la société LCS), de droit syrien, détenue à plus de 98 % par la société mère.
3. Entre 2012 et 2015, le territoire sur lequel se trouve la cimenterie a fait l’objet de combats et d’occupations par différents groupes armés, dont l’organisation dite Etat islamique (EI).
4. Pendant cette période, les salariés syriens de la société LCS ont poursuivi leur travail, permettant le fonctionnement de l’usine, tandis que l’encadrement de nationalité étrangère a été évacué en Egypte dès 2012, d’où il continuait d’organiser l’activité de la cimenterie. Logés à [Localité 1] par leur employeur, les salariés syriens ont été exposés à différents risques, notamment d’extorsion et d’enlèvement par différents groupes armés, dont l’EI.
5. Concomitamment, la société LCS a versé des sommes d’argent, par l’intermédiaire de diverses personnes, à différentes factions armées qui ont successivement contrôlé la région et étaient en mesure de compromettre l’activité de la cimenterie.
6. Celle-ci a été évacuée en urgence au cours du mois de septembre 2014, peu avant que l’EI ne s’en empare.
7. Le 15 novembre 2016, les associations Sherpa et European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR), ainsi que onze employés syriens de la société LCS, ont porté plainte et se sont constitués partie civile auprès du juge d’instruction des chefs, notamment, de financement d’entreprise terroriste, de complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, d’exploitation abusive du travail d’autrui et de mise en danger de la vie d’autrui.
8. Le ministère public, le 9 juin 2017, a requis le juge d’instruction d’informer sur les faits notamment de financement d’entreprise terroriste, de soumission de plusieurs personnes à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine et de mise en danger de la vie d’autrui.
9. M. [KP], directeur sûreté du groupe Lafarge de 2008 à 2015, a été mis en examen le 1er décembre 2017 des chefs précités.
10. M. [R], directeur général de la société LCS de juillet 2014 à août 2016, a été mis en examen le même jour, également des chefs précités.
11. La société Lafarge a été mise en examen le 28 juin 2018 des chefs, notamment, de complicité de crimes contre l’humanité, financement d’entreprise terroriste, mise en danger de la vie d’autrui, sur réquisitions conformes du ministère public du 27 juin 2018.
12. Par requête en date du 31 mai 2018, M. [KP] a saisi la chambre de l’instruction pour statuer sur la nullité, notamment, de sa mise en examen.
13. Par requête en date du 1er juin 2018, M. [R] a également saisi la chambre de l’instruction pour statuer sur la nullité d’actes de la procédure ainsi que de sa mise en examen.
14. Mmes [J] et [AG], victimes yézidies de l’EI, se sont constituées partie civile le 30 novembre 2018.
15. Par requête en date du 27 décembre 2018, la société Lafarge a saisi la chambre de l’instruction pour statuer sur la nullité, notamment, de sa mise en examen.
16. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, par trois arrêts du 24 octobre 2019, a, notamment, déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des associations Sherpa et ECCHR. Des pourvois ont été formés contre ces décisions.
Examen de la recevabilité des pourvois contre les arrêts de la chambre de l’instruction n° 5 et 8 du 7 novembre 2019, en tant qu’ils sont formés par l’association Sherpa
17. Par un arrêt de ce jour (Crim., 7 septembre 2021, pourvoi n° 19-87.031), la Cour de cassation a déclaré irrecevable le pourvoi en tant que formé par l’association Sherpa, sa constitution de partie civile ayant été à bon droit jugée irrecevable.
18. Il s’ensuit que les pourvois en tant qu’il sont formés par cette association sont irrecevables.
Examen des moyens
Sur les deux moyens proposés pour M. [R] contre l’arrêt de la chambre de l’instruction n° 7 du 7 novembre 2019
Sur le premier moyen, sur le troisième moyen, pris en ses quatrième et septième branches, sur le quatrième moyen, pris en ses première, troisième, quatrième, cinquième et sixième branches, sur le cinquième moyen, sur le sixième moyen, sur le septième moyen proposés pour la société Lafarge contre l’arrêt de la chambre de l’instruction n° 8 du 7 novembre 2019
19. Ils ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur les deux moyens proposés pour l’association ECCHR contre l’arrêt de la chambre de l’instruction n° 5 du 7 novembre 2019
Enoncé des moyens
20. Le premier moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré irrecevable le mémoire déposé par les associations Sherpa et ECCHR, annulé la mise en examen de M. [KP] pour mise en danger de la vie d’autrui et ordonné la cancellation des passages des pièces de la procédure faisant référence à cette mise en examen, alors « que la cassation à intervenir des arrêts n° 2018/05060 et 2019/02572 du 24 octobre 2019, objets des pourvois n° 19-87.031 et n° 19-87.040, qui ont déclaré irrecevables les constitutions de parties civiles des associations Sherpa et ECCHR entraînera, par voie de conséquence, la cassation du dispositif de l’arrêt attaqué qui a déclaré irrecevables les mémoires des parties civiles et de l’arrêt en son entier faute d’avoir répondu aux articulations essentielles des mémoires des associations parties civiles exposantes. »
21. Le second moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a annulé la mise en examen de M. [KP] pour mise en danger de la vie d’autrui et ordonné la cancellation des passages des pièces de la procédure faisant référence à cette mise en examen, alors :
« 1°/ que le juge d’instruction peut mettre en examen les personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi ; que l’article 80-1 du code de procédure pénale n’exige pas que la participation de l’intéressé à l’infraction soit certaine mais seulement que la possibilité de cette participation soit vraisemblable ; que le respect des obligations particulières de prudence ou de sécurité prévues aux articles L. 4121-3, R. 4121-1 et suivants et R. 4141-13 du code du travail incombe au dirigeant de la personne morale employeur ou à son délégataire en matière de sécurité ; que la délégation de pouvoir peut résulter des circonstances de fait établissant que le délégataire est doté de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires ; qu’en annulant la mise en examen de M. [KP] aux motifs de sa qualité de directeur de la sûreté, et non de la sécurité, du groupe Lafarge, de l’absence de preuve de l’inclusion dans cette fonction de celles de protection de la santé et de la sécurité des salariés et d’amélioration des conditions de travail au sens du code du travail et du défaut de preuve d’une délégation de pouvoirs écrite ou orale dont il aurait été titulaire, lorsqu’il résulte des constatations, d’une part, de la chambre de l’instruction qu’il existait des indices rendant vraisemblable l’autorité effective de la société Lafarge sur les salariés de l’usine de Jalabiya et sa participation au délit de mise en danger de la vie d’autrui faute de formation des salariés, de plan d’évacuation garantissant la sécurité des salariés lors d’une attaque et de mise à jour du document unique de sécurité en fonction de l’évolution des opérations militaires sur place et d’autre part, de celles de l’arrêt attaqué que M. [KP] occupait, du fait de ses fonctions de directeur de la sûreté du groupe Lafarge après une carrière militaire chez les fusiliers marins, dans les forces spéciales et les commandos, une position stratégique dans l’évaluation des risques susvisés, a joué un rôle essentiel dans la décision du groupe de verser des taxes à l’EI dont l’objet aurait été d’assurer la sécurité des salariés puisqu’il a recruté M. [H] [NV], gestionnaire des risques en Syrie, le supervisait, animait des réunions hebdomadaires sur la situation en Syrie, a rencontré M. [S] [EX], intermédiaire avec l’EI, et a été en contact avec celui-ci au sujet de la fixation d’une taxe pour l’EI dont l’acceptation par la direction du groupe était conditionnée à une discussion préalable avec M. [KP] et, enfin, a donné l’ordre à M. [NV] d’établir un plan d’évacuation de l’usine et a participé à son élaboration, la chambre de l’instruction qui a constaté qu’il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que M. [KP], qui disposait d’un pouvoir décisionnaire concernant la sécurité des salariés de l’usine de Jalabiya, ait participé au délit de mise en danger de la vie d’autrui, a violé les articles 80-1 du code de procédure pénale et 223-1 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que le juge d’instruction peut mettre en examen les personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi ; que l’article 80-1 du code de procédure pénale n’exige pas que la participation de l’intéressé à l’infraction soit certaine mais seulement que la possibilité de cette participation soit vraisemblable ; que le respect des obligations particulières de prudence ou de sécurité prévues aux articles L. 4121-3, R. 4121-1 et suivants et R. 4141-13 du code du travail incombe au dirigeant de la personne morale employeur ou à son délégataire en matière de sécurité ; qu’une délégation de pouvoirs peut être orale et résulter de circonstances de fait établissant que le délégataire est doté de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires ; qu’en retenant qu’il ne résultait d’aucune pièce de la procédure, document ou audition, que M. [KP] aurait été titulaire d’une délégation de pouvoirs orale lorsqu’il résulte, d’une part, de l’arrêt n° 2018/07495, confirmant la mise en examen de la société Lafarge, l’absence de formation adéquate des personnels de l’usine et de plan d’évacuation de l’usine garantissant la sécurité des salariés lors d’une attaque et, d’autre part, des constatations de l’arrêt attaqué et du mémoire de M. [KP] que non seulement, au vu de la situation sur le terrain, il appartenait à M. [KP], en sa qualité de directeur de la sûreté ayant une solide expérience militaire, d’établir ou superviser l’élaboration du plan d’évacuation des salariés de l’usine, la perspective d’une prise de l’usine par les membres de l’EI étant un risque identifié mais que celui-ci avait ordonné à M. [NV] d’établir un tel plan d’évacuation et avait participé personnellement à son élaboration sans que pour autant soit garantie la sécurité des salariés de l’usine, la chambre de l’instruction qui a constaté l’existence d’indices sérieux permettant de penser que M. [KP] avait les compétences, l’autorité et les moyens de faire établir un plan d’évacuation de l’usine et avait participé au délit de mise en danger de la vie d’autrui, n’a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 80-1 du code de procédure pénale et 223-1 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ qu’est complice la personne qui sciemment, par aide ou assistance, a facilité la préparation ou la consommation d’une infraction ; qu’en annulant la mise en examen de M. [KP] du chef de mise en danger de la vie d’autrui sans rechercher, alors qu’elle a confirmé par ailleurs la mise en examen de la société Lafarge et de son PDG pour absence de formation des salariés, de plan d’évacuation garantissant la sécurité des salariés lors d’une attaque en cas d’attaque de l’usine et de mise à jour du document unique de sécurité en fonction de l’évolution des opérations militaires dans la zone de l’usine et a constaté que M. [KP] était chargé d’évaluer les risques pour la sécurité dans la zone de l’usine contrôlée par l’EI et a donné l’ordre à M. [NV] d’établir un plan d’évacuation de l’usine, s’il n’existait pas des indices graves ou concordants de participation de M. [KP], comme complice, à l’infraction de mise en danger de la vie d’autrui, la chambre de l’instruction n’a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 80-1 du code de procédure pénale, 121-6, 121-7 et 223-1 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »