N° Q 16-84.717 F-D
N° 5208
SL
5 OCTOBRE 2016
CASSATION SANS RENVOI
M. GUÉRIN président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le cinq octobre deux mille seize, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller STEPHAN, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général MONDON ;
Statuant sur les pourvois formés par :
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Le procureur général près la cour d’appel de Poitiers,
M. U… D…,
contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de ladite cour d’appel, en date du 28 juin 2016, qui, dans la procédure d’extradition suivie contre le second à la demande de la République du Rwanda, a émis un avis favorable ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le moyen unique de cassation du procureur général, pris de la violation des articles 111-3, 112-1 du code pénal, 696-3, 696-4 et 696-15 du code de procédure pénale ;
Sur le premier moyen de cassation proposé pour M. D…, pris de la violation des articles 7 et 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 15, § 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 7, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, 111-3 et 112-1 du code pénal, 696-3, 696-4, 696-15 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs ;
« en ce que l’arrêt attaqué a émis un avis favorable à l’extradition ;
« aux motifs qu’aux termes de l’article 696-3 du code de procédure pénale français, les faits pouvant donner lieu à extradition doivent être punis par la loi de l’État requérant et par la loi française ; que l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit en son premier alinéa la condamnation d’une personne pour une action ou omission qui au moment où elle a été commise, constituait une infraction d’après le droit national « ou » international ; que l’emploi par ses rédacteurs du mot «ou» exprime de façon explicite leur volonté d’autoriser la condamnation d’une personne pour une action ou omission qui au moment où elle a été commise constituait aussi, ou seulement, une infraction au regard du droit international ; que l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques autorise en son premier alinéa, et par l’emploi de la même conjonction, toute condamnation prononcée pour des actions ou omissions qui constituaient des actes délictueux d’après le droit national mais aussi d’après le seul droit international au moment où elles ont été commises ; que dans deux décisions rendues le 26 février 2014 portant sur l’extradition de ressortissants rwandais, la Cour de cassation a jugé que « le principe de légalité criminelle», consacré par ces deux dispositions, avait valeur constitutionnelle en droit français, qu’elle n’a opéré aucune distinction entre la légalité criminelle au regard des droits nationaux et la légalité criminelle au regard du droit international ; que l’application du principe de légalité à l’espèce soumise à la cour doit être appréciée, d’une part, au regard du droit rwandais en vigueur en 1994, d’autre part, au regard du droit international ; ( ) qu’au regard des seules dispositions du code pénal rwandais créé par le décret-loi du 18 août 1977, en vigueur au moment des faits, les crimes reprochés à M. D… ne peuvent être considérés comme ayant été réprimés par le droit de l’État requérant au sens de l’article 696-3, 1° du code de procédure pénale ; mais, qu’un principe universel interdit d’opposer aux victimes d’un génocide le droit de ses auteurs, que ce principe est appliqué sur tous les continents ; ( ) que le défaut de transcription en droit interne rwandais des engagements internationaux pris pour réprimer le crime de génocide est le fait des seuls auteurs du génocide qui a été commis en 1994 dans le prolongement des comportements discriminatoires très antérieurs qu’ils avaient adoptés à l’égard des mêmes victimes, que c’est donc au seul regard du droit international que doit, en l’espèce, s’apprécier l’application du principe de légalité ; que dans certaines circonstances, la carence d’un État dans la transcription en droit national des normes contenues dans les conventions internationales qu’il a ratifiées, doit être compensée par une application directe de la nonne conventionnelle, que celle-ci doit pouvoir réprimer les actes que le législateur de cet État n’a pas voulu précisément définir et sanctionner pour des motifs de politique intérieure ou afin de préserver certains citoyens et dirigeants des poursuites qu’ils pouvaient encourir pour des exactions antérieurement commises ou qu’ils viendraient à commettre ; que par sa résolution 96, en date du 11 décembre 1946, l’assemblée générale de l’organisation des Nations Unies a déclaré que le génocide était le refus du droit à l’existence à des groupes humains entiers, de même que l’homicide est le refus du droit à l’existence à un individu, qu’un tel refus bouleverse la conscience humaine et inflige de grandes pertes à l’humanité, qu’il est un crime du droit des gens que le monde civilisé condamne, que sa répression est une affaire « d’intérêt international », qu’il appartient à la communauté internationale d’en libérer l’humanité ; qu’il est du devoir des Etats signataires de la Convention pour la prévision et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 et de la Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité du 26 novembre 1968, dans un but « d’intérêt international », de permettre la répression de tout génocide commis par un de leurs signataires au préjudice d’un groupe minoritaire n’ayant pas eu d’accès effectif à l’exercice du pouvoir législatif, en substituant au principe de légalité criminelle interne rendu inopérant, le principe de légalité criminelle internationale auquel il s’est soumis, que c’est donc au seul regard du droit international que doit s’apprécier l’application du principe de légalité au crime de génocide reproché à M. D… ; que dans deux arrêts rendus en grande chambre : l’arrêt Korbely c/ Hongrie du 19 septembre 2008 et l’arrêt Kononov c/ Lettonie du 17 mai 2010, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que la présence d’une norme internationale de comportement antérieure à la commission des faits pouvait, le cas échéant, suppléer l’absence de norme nationale, qu’elle a toutefois exigé que soit démontrée la connaissance, par la personne poursuivie, de la nature criminelle au regard du droit international des actes accomplis ; que la portée de ces deux décisions n’est en rien affectée par une quelconque particularité du droit extraditionnel ; que la définition précise et accessible des éléments constitutifs de l’infraction de génocide existait en droit international en 1994 ; qu’à cette époque, la définition du crime international de génocide avait déjà été donnée par la Convention du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide en son article II ( .) ; qu’elle satisfait pleinement aux exigences du principe de la légalité criminelle en ce qu’elle retient des actes matériels spécifiques dirigés contre des victimes déterminées, dans un but précis, qu’elle coïncide parfaitement avec les faits reprochés par l’Etat requérant à M. D… ; qu’en participant, entre les mois avril et juillet 1994 à Mubuga (Rwanda) au massacre de membres de l’ethnie R…, M. D… savait qu’il accomplissait un ensemble d’actes qui étaient réprimées par les Conventions internationales en tant que comportements destinés à éliminer physiquement un groupe de citoyens en raison de leur appartenance à une ethnie déterminée et qui répondaient de ce fait à une définition internationale du génocide qu’il ne pouvait ignorer ; que la répression de l’infraction de génocide impose aussi que son auteur ait pu connaître la sanction à laquelle il s’exposait en la commettant ; qu’en 1994, M. D…, né en 1956, avait nécessairement acquis en sa qualité de prêtre catholique un niveau culturel qui lui permettait de connaître l’existence des normes qui définissaient le crime de génocide, qu’il ne pouvait ignorer les sanctions qui avaient été antérieurement prononcées dans divers pays situés sur divers continents par des instances judiciaires saisies de faits identiques à ceux qu’il commettait, qu’il ne pouvait ignorer que dans leur dispositif législatif réprimant les atteintes aux personnes le meurtre était l’infraction que les nations punissaient le plus sévèrement, qu’elles prévoyaient des peines d’emprisonnement perpétuelles à l’encontre de ses auteurs, spécialement en cas de multiplicité de faits ; qu’entre le 6 avril et le mois de juillet 1994, la possibilité pour M. D… d’accéder à la définition des éléments constitutifs de l’infraction de génocide donnée par la Convention sur le génocide du 9 décembre 1948 intégrée dans le droit rwandais lors de sa ratification le 16 avril 1975 et, au regard des décisions judiciaires qui avaient été précédemment rendues par des instances nationales ou internationales saisie de faits identiques à ceux qui lui sont reprochés, de prévoir la peine à laquelle il s’exposait, répond aux exigences du principe de légalité criminelle internationale consacré dans le premier alinéa de l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 également ratifié par le Rwanda le 16 avril 1975, ainsi que par la Convention européenne des droits de l’homme dans le premier alinéa de son article 7 ayant valeur constitutionnelle en droit français, qu’il y a lieu d’émettre un avis favorable à la demande de remise de M. D… présentée par le gouvernement du Rwanda pour être jugé du chef de génocide ;
« alors qu’est privé de l’une des conditions essentielles de son existence légale l’avis favorable de la chambre de l’instruction donné à une demande d’extradition concernant des faits qualifiés de génocide qui n’étaient pas incriminés par l’Etat requérant à l’époque où ils ont été commis ; qu’en émettant un avis favorable à l’extradition de M. D…, alors que, les infractions de génocide et de crimes contre l’humanité auraient-elles été visées par des instruments internationaux, en l’espèce la Convention sur le génocide du 9 décembre 1948 et celle sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité du 26 novembre 1968, applicables à la date de la commission des faits, en l’absence, à cette même date, d’une définition précise et accessible de leurs éléments constitutifs ainsi que de la prévision d’une peine par la loi rwandaise, le principe de légalité criminelle, consacré par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que par la Convention européenne des droits de l’homme et ayant valeur constitutionnelle en droit français, fait obstacle à ce que lesdits faits soient considérés comme punis par la loi de l’Etat requérant, au sens de l’article 696-3, 1°, du code de procédure pénale, que la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé, et a ainsi privé sa décision de l’une des conditions essentielles à son existence légale ; que la cassation interviendra sans renvoi » ;
Les moyens étant réunis ;
Vu les articles 696-3, 696-4, 696-15 du code de procédure pénale, 111-3 et 112-1 du code pénal, 7 et 8 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen, 15, § 1, du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques, 7, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et
le principe de légalité des délits et des peines ;
Attendu qu’est privé de l’une des conditions essentielles de son
existence légale l’arrêt d’une chambre de l’instruction qui a donné un avis favorable à une demande d’extradition concernant des faits qualifiés de génocide et de crime contre l’humanité qui n’étaient pas incriminés par l’Etat
requérant à l’époque où ils ont été commis ;
Attendu que, pour émettre un avis favorable à l’extradition de
M. D… demandée par la République du Rwanda, s’agissant des faits de génocide qu’il aurait commis courant avril 1994, l’arrêt attaqué retient que, d’une part, à défaut de texte dans le droit rwandais réprimant ces catégories d’infractions avant la loi organique du 30 août 1996, l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, ratifiée par l’Etat rwandais en 1975, permet de considérer que les faits poursuivis sous la qualification de génocide étaient incriminés à l’époque de leur commission et que l’intéressé était en mesure de connaître les sanctions auxquelles il s’exposait et, d’autre part, un principe universel interdit d’opposer aux victimes d’un génocide le droit de ses auteurs ;
Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors que, les infractions de
génocide auraient-elles été visées par des instruments internationaux, en l’espèce la Convention sur le génocide du 9 décembre 1948, et celle sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité du 26 novembre 1968, applicables à la date de la commission des faits, en l’absence, à cette date, d’une définition précise et accessible de leurs éléments constitutifs ainsi que de la prévision d’une peine par la loi rwandaise, le principe de légalité criminelle, consacré par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que par la Convention européenne des droits de l’homme et ayant valeur constitutionnelle en droit français, fait obstacle à ce que lesdits faits soient considérés comme punis par la loi de l’Etat requérant, au sens de l’article 696-3, 1°, du code de procédure pénale, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ;
D’où il suit que l’arrêt ne satisfaisant pas aux conditions essentielles de son existence légale, la cassation est encourue ; qu’elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d’appliquer directement la règle de droit appropriée et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire ;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu d’examiner le second moyen de cassation proposé :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Poitiers, en date du 28 juin 2016 ;
DONNE un avis défavorable à l’extradition de M. D… ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Poitiers et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Stephan, conseiller rapporteur, M. Castel, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.