Crimes contre l’humanité : 30 octobre 2019 Cour de cassation Pourvoi n° 18-84.663

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Crimes contre l’humanité : 30 octobre 2019 Cour de cassation Pourvoi n° 18-84.663

N° X 18-84.663 F-D

N° 2052

CK
30 OCTOBRE 2019

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

– L’association FIDH,
– L’association LICRA,
– Le Collectif des parties civiles pour le Rwanda,
– La Ligue pour la défense des droits de l’homme,
– Mme E… U…,
– Mme G… T…, épouse K…,
– Mme M… J…, parties civiles,

contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de PARIS, 7e section, en date du 21 juin 2018, qui, dans l’information ouverte contre M. Z… P… des chefs de génocide, crimes contre l’humanité, participation à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation de l’un de ces crimes, actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, a confirmé l’ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 18 septembre 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. de Larosière de Champfeu, conseiller rapporteur, M. Castel, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Darcheux ;

Sur le rapport de M. le conseiller de LAROSIÈRE de CHAMPFEU, les observations de Me LAURENT GOLDMAN et de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ, la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général ZIENTARA-LOGEAY ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur les faits et la procédure :

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, le 12 juillet 1995, une plainte a été déposée devant le procureur de la République près la cour d’appel de Paris, par plusieurs personnes, pour des faits de complicité de génocide, tortures et mauvais traitements, qui auraient été commis au Rwanda, en 1994, par M. P…, alors […] de la […] ; que, visant la compétence universelle des juridictions françaises à l’égard des auteurs d’actes de torture au sens de l’article 1er de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New-York, le 10 décembre 1984, prévue par les articles 689-1 et 689-2 du code de procédure pénale, cette plainte a été transmise au tribunal de grande instance de Privas, compte tenu du domicile de M. P…, lequel, le 28 juillet 1995, a été mis en examen pour génocide, crimes contre l’humanité, et participation à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation de l’un de ces crimes, actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

Que, par arrêt du 1er avril 1996, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nîmes a déclaré le juge d’instruction de Privas incompétent, au motif que la compétence des juridictions françaises ne pouvait être retenue, sur le fondement de l’article 689-2 précité, que pour les actes de torture, au sens de la Convention de New-York, les faits reprochés à M. P…, susceptibles de constituer les crimes de génocide et de complicité de génocide, n’entrant pas dans les prévisions de cette Convention ;

Que, par arrêt du 6 janvier 1998 (96-82.491), la Cour de cassation, chambre criminelle, a cassé cet arrêt et retenu la compétence des juridictions françaises, par application, en particulier, des articles 1er et 2 de la loi du 22 mai 1996, portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations unies, instituant un tribunal international en vue de juger les personnes responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire commis, en 1994, sur le territoire du Rwanda, cette loi donnant compétence aux juridictions françaises pour la poursuite et le jugement, s’ils sont trouvés en France, des auteurs et des complices des crimes de génocide, des crimes de guerre et des actes de torture et des autres actes inhumains, commis au Rwanda, en 1994 ; que l’affaire a été renvoyée à la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris, et qu’un juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris a été saisi de l’information, le 13 juin 1999 ;

Que, parallèlement à la procédure française, une procédure a été engagée par le procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda contre M. P… ; qu’un acte d’accusation a été rédigé à son encontre, les 20 juillet 2005 et 27 septembre 2007 ; que, le 20 novembre 2007, la chambre de première instance du Tribunal pénal international pour le Rwanda a ordonné le renvoi aux autorités françaises de cette procédure, conformément à l’article 11 bis du règlement de preuve de cette juridiction internationale, qui lui permet de renvoyer une affaire devant une juridiction nationale ; que cette procédure a été jointe à l’instruction ouverte au tribunal de grande instance de Paris, M. P… ayant été placé sous le statut de témoin assisté à raison des faits qu’elle vise ;

Attendu que, par ordonnance du 2 octobre 2015, les juges d’instruction du tribunal de grande instance de Paris ont clôturé l’information par une ordonnance de non-lieu, à l’égard de M. P…, seule personne mise en examen ;

Que plusieurs parties civiles ont relevé appel de cette décision, laquelle a été soumise à la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, présenté pour la LICRA et le Collectif des parties civiles pour le Rwanda, pris de la violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

en ce que l’arrêt attaqué a confirmé l’ordonnance de non-lieu à statuer contre le mis examen, en statuant en chambre du conseil ;

alors qu’il résulte de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme que la publicité des débats judiciaires, qui protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public, constitue un principe fondamental que les juridictions doivent respecter ; que la chambre de l’instruction qui, au regard de la gravité des crimes reprochés et du contexte historique et politique des poursuites, n’a pas, d’elle-même, écarté l’application de l’article 199 du code de procédure pénale, qui édicte une règle générale et absolue ne permettant pas à la partie civile de réclamer la publicité des débats, pour statuer en audience publique, a violé l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme” ;

Attendu que les parties civiles, qui n’ont pas demandé à la chambre de l’instruction d’ordonner la publicité des débats tenus devant elle, sont irrecevables à invoquer, pour la première fois devant la Cour de cassation, l’incompatibilité avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme des dispositions de l’article 199 du code de procédure pénale en tant qu’il prévoit que, dans les matières qui ne relèvent pas du contentieux de la détention provisoire, les débats se déroulent, devant la chambre de l’instruction, en chambre du conseil, la personne mise en examen pouvant seule demander la publicité de l’audience, cette exception à la règle de la publicité des débats trouvant sa justification, lors de l’examen de l’appel d’une ordonnance clôturant une procédure d’information, dans la nécessité de préserver la présomption d’innocence de la personne poursuivie, dont la mise en accusation n’est pas définitive, à un stade où la juridiction de jugement n’est pas encore saisie de sa culpabilité, quelle que soit la gravité des infractions en cause et le contexte historique dans lequel elles ont pu avoir été commises ;

Qu’ainsi, le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le premier moyen de cassation présenté pour la FIDH, La Ligue de défense des droits de l’homme, Mme E… U…, Mme G… T… et Mme M… J…, pris de la violation des articles 14, § 7, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 25 et 103 de la Charte des Nations unies, 9 du statut du TPIR adopté par la résolution 955 du conseil de sécurité de l’ONU du 8 novembre 1994, 13 du Règlement de procédure et de preuve adopté par le TPIR, 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 4 du protocole 7 annexée à cette Convention, 121-6, 121-7, 211-1, 212-1, 212-3, 222-1 du code pénal, préliminaire, 176, 177, 591, 593, 689 et 692 du code de procédure pénale, de la règle ne bis in idem, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

en ce que l’arrêt attaqué a dit n’y avoir lieu à suivre à l’encontre de M. P… des chefs de génocide, crimes contre l’humanité, participation à une entente formée en vue de la préparation de l’un de ces crimes, de tortures et actes de barbarie ;

1°) alors que la résolution 955 du Conseil de sécurité de l’ONU du 8 novembre 1994 a force obligatoire et contraignante et prime sur toute autre disposition ; que les parties civiles soutenaient ainsi que la poursuite des crimes objets de la présente procédure, ne pouvait se faire qu’en application des dispositions du statut du TPIR annexé à la résolution 955 du Conseil de sécurité du 8 novembre 1994 ; qu’en considérant cependant que la loi française devait être appliquée, la chambre de l’instruction a méconnu les dispositions susvisées ;

2°) alors que le statut du TPIR créé par la résolution 955 du Conseil de sécurité et le règlement de procédure et de preuve adopté par cette juridiction limitent l’application du principe ne bis in idem au cumul de poursuites entre la juridiction d’un Etat et la juridiction du TPIR ; qu’en appliquant cependant le principe ne bis in idem à une décision rendue par la juridiction de l’Etat rwandais pour en déduire que le non-lieu était définitif en application de l’article 692 du code de procédure pénale, la chambre de l’instruction a méconnu les dispositions susvisées” ;

Sur le moyen, pris en sa première branche :

Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir considéré que les infractions, objet de l’information, devaient être poursuivies selon la loi française et non selon les dispositions du statut du Tribunal pénal international, annexé à la résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations unies du 8 novembre 1994 ;

Attendu que, pour retenir que les poursuites devaient être conduites conformément à la loi française, la chambre de l’instruction énonce, par motifs adoptés, que la résolution précitée a institué un Tribunal pénal international en vue de juger les responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire commis, en 1994, sur le territoire du Rwanda ; qu’elle ajoute que la loi n° 96-432 du 22 mai 1996 porte adaptation de la législation française à cette résolution, en disposant, en particulier, que la France participe à la répression des infractions et coopère avec ce tribunal international, les auteurs ou complices des infractions relevant de la compétence de ce tribunal pouvant être poursuivis ou jugés en France, s’ils sont trouvés en France ; qu’elle retient que l’exercice, par une juridiction française, de la compétence universelle, emporte la compétence de la loi française ; qu’elle ajoute que les juridictions françaises sont compétentes dans la présente affaire, les faits, objet de l’information, entrant à la fois dans les prévisions des articles 2 et 3 du statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda, et des dispositions internes qui incriminent le génocide, les crimes contre l’humanité et la participation à une entente formée en vue de leur préparation, les peines encourues étant celles prévues par la loi française ;

Attendu qu’en l’état de ces motifs, la chambre de l’instruction a justifié sa décision ;

Qu’ainsi, le grief ne peut être admis ;

Sur le moyen, pris en sa seconde branche :

Attendu qu’il résulte des pièces de la procédure que M. P… a été mis en examen pour s’être rendu complice de l’assassinat, par des miliciens, de personnes appartenant à l’ethnie tutsie, réfugiées au Centre d’études des langues africaines de Kigali ; que, pour confirmer le non-lieu à cet égard, la chambre de l’instruction relève que, par jugement du 16 novembre 2006, devenu définitif, le tribunal militaire de Nyamirambo (Kigali) a déclaré que ce crime ne pouvait être retenu à la charge de M. P…, en raison d’un doute sur sa participation ; que l’arrêt attaqué ajoute que cette décision de la justice rwandaise interdit de poursuivre en France M. P… pour les mêmes faits, l’article 692 du code de procédure pénale empêchant de poursuivre en France, pour des faits commis à l’étranger, une personne qui a été jugée définitivement à l’étranger, ce texte appliquant la règle ne bis in idem à la poursuite d’infractions commises à l’étranger ;

Que les parties civiles demanderesses au moyen critiquent cette décision en soutenant que, si l’article 9 du statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda prévoit l’application de la règle ne bis in idem en cas de saisine, pour les mêmes faits, de la juridiction internationale et d’une juridiction nationale, il ne la prévoit pas en cas de saisine de deux juridictions nationales de pays différents pour les mêmes faits ;

Attendu qu’en faisant application de la règle ne bis in idem en raison de la décision rendue par une juridiction rwandaise à propos d’un fait également poursuivi en France, la chambre de l’instruction a fait l’exacte application de l’article 692 précité lequel n’est contraire à aucune disposition internationale, dès lors que le statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda, s’il prévoit l’application de cette règle entre la juridiction internationale et une juridiction nationale, n’empêche aucun Etat de l’étendre au cas où des faits poursuivis sur son territoire ont fait l’objet d’un jugement définitif par une juridiction nationale d’un autre Etat ;

Qu’ainsi, le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le deuxième moyen de cassation présenté pour la FIDH, La Ligue de défense des Droits de l’homme, Mme E… U…, Mme G… T… et Mme M… J…, pris de la violation de la résolution 955 du Conseil de sécurité du 8 novembre 1994, des articles 8 et 28 du statut du TPIR, 11 bis du Règlement de procédure et de preuve adopté par le TPIR, 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 1er de la loi n°96-432 du 22 mai 1996, 121-6, 121-7, 211-1, 212-1, 212-3, 222-1 du code pénal, préliminaire, 176, 177, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

en ce que l’arrêt attaqué a dit n’y avoir lieu à suivre à l’encontre de M. P… des chefs de génocide, crimes contre l’humanité, participation à une entente formée en vue de la préparation de l’un de ces crimes, de tortures et actes de barbarie ;

1°) alors que l’article 11 bis du règlement de procédure et de preuve adopté par le TPIR prévoit le renvoi de l’accusé devant la juridiction de jugement après la confirmation de l’acte d’accusation ; que l’acte d’accusation pris à l’encontre de M. P… a été confirmé et la demande de renvoi aux autorités françaises a été prise au visa de l’article 11 bis du règlement de procédure et de preuve ; que la juridiction d’ instruction est dès lors tenue de renvoyer le mis en examen devant la cour d’assises ; qu’en prononçant cependant le non-lieu, la chambre de l’instruction a méconnu les dispositions susvisées ;

2°) alors que la résolution 955 du Conseil de sécurité, le statut du TPIR et le Règlement de procédure et de preuve adopté par le TPIR prévoient que la compétence des juridictions françaises n’est qu’une compétence déléguée et que le TPIR « a la primauté sur les juridictions nationales » ; que la chambre de l’instruction, tenue de coopérer avec le TPIR, devait dès lors exécuter la décision de mise en accusation et ordonner le renvoi du mis en examen ; qu’en s’abstenant de le faire, la chambre de l’instruction a méconnu les dispositions susvisées” ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, par ordonnance du 20 novembre 2007, la chambre de première instance du Tribunal pénal international pour le Rwanda, sur le fondement de l’article 11 bis du règlement de procédure et de preuve applicable devant cette juridiction, a ordonné le renvoi, devant les juridictions françaises, de la procédure engagée, par le procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda, contre M. P… ;

Que, devant la chambre de l’instruction, les parties civiles demanderesses au moyen ont soutenu que les dispositions de la résolution 955 du Conseil de sécurité créant le Tribunal pénal international pour le Rwanda et le règlement de procédure et de preuve applicable devant cette juridiction interdisaient à la juridiction d’instruction française de prononcer un non-lieu à raison des faits, objet de l’ordonnance du 20 novembre 2007, qui imposait de saisir la juridiction de jugement des faits qu’elle visait ;

Que, pour rejeter cette argumentation, la chambre de l’instruction indique que, par l’ordonnance précitée, la chambre de première instance du Tribunal pénal international a ordonné le renvoi de l’affaire aux autorités françaises, à charge pour elles d’en saisir la juridiction compétente de leur Etat ; que l’arrêt attaqué ajoute que, les infractions visées étant des crimes et l’instruction préparatoire étant, en cette matière, obligatoire, selon l’article 79 du code de procédure pénale, c’est à bon droit que le juge d’instruction en a été saisi et qu’il lui appartenait, à la fin de l’information, de s’assurer de l’existence ou non de charges suffisantes de nature à justifier le renvoi, devant la juridiction de jugement, de la personne concernée par ce dessaisissement de la juridiction internationale ;

Attendu qu’en prononçant ainsi, et dès lors que, lorsque le Tribunal pénal international pour le Rwanda décide de se dessaisir d’une poursuite au profit des juridictions d’un Etat, aucune disposition du statut de ce tribunal international ni du règlement de procédure et de preuve applicable devant lui ne limitent le pouvoir d’appréciation des juridictions auxquelles l’affaire est ainsi renvoyée, l’arrêt attaqué n’encourt pas le grief allégué ;

Qu’ainsi le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le troisième moyen de cassation présenté pour la FIDH, La Ligue de défense des droits de l’homme, Mme E… U…, Mme G… T… et Mme M… J…, pris de la violation des articles 1 à 6 de la Résolution 955 du conseil de sécurité du 8 novembre 1994, 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 121-6, 121-7, 211-1, 212-1, 212-3, 222-1 du code pénal, préliminaire, 176, 177, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

en ce que l’arrêt attaqué a dit n’y avoir lieu à suivre à l’encontre de M. P… des chefs de génocide, crimes contre l’humanité, participation à une entente formée en vue de la préparation de l’un de ces crimes, de tortures et actes de barbarie ;

1°) alors que les infractions de complicité de crimes contre l’humanité et de génocide telles que définies par la résolution 955 du Conseil de sécurité du 8 novembre 1994 incriminent la présence passive de l’accusé lorsque cette présence en raison de sa position d’autorité, peut avoir un effet sur la perpétration du crime ; qu’une telle autorité peut n’être qu’une autorité de fait ; qu’en se fondant sur l’absence d’autorité légale et de moyens juridiques du mis en examen pour en déduire le non-lieu, la chambre de l’instruction n’a pas justifié sa décision ;

2°) alors que l’insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à son absence ; que la chambre de l’instruction a relevé que la complicité par aide et encouragement est caractérisée lorsque le comportement du mis en examen équivaut à une « approbation tacite » des crimes commis ; que la complicité est dès lors caractérisée lorsque l’approbation est expresse et manifeste ; que la chambre de l’instruction qui a constaté que le mis en examen a formulé expressément ses prises de position hostiles au FPR et aux réfugiés tutsis et a participé à la création du comité destiné à collecter des fonds pour soutenir les FAR, ne pouvait pas en déduire le non-lieu ;

3°) alors que le fait d’avoir apporté une aide occasionnelle à des réfugiés n’exclut pas la participation à un génocide ou un crime contre l’humanité ; que pour déduire le non-lieu, la chambre de l’instruction a énoncé que le mis en examen est venu au secours de certains réfugiés tandis qu’il est également établi sa présence lors des crimes, ses liens avec les miliciens et ses prises de positions hostiles aux tutsis ; qu’en se prononçant ainsi la chambre de l’instruction n’a pas davantage justifié sa décision” ;

Sur le second moyen de cassation présenté pour la LICRA et le Collectif des parties civiles pour le Rwanda, pris de la violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 81, 176, 177 et 593 du code de procédure pénale ;

en ce que l’arrêt attaqué a confirmé l’ordonnance de non-lieu à suivre des chefs de génocide, crimes contre l’humanité, participation à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation de l’un de ces crimes, actes de tortures et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

1°) alors que les juridictions d’instruction doivent se prononcer, non sur la culpabilité ou l’innocence, mais sur l’existence ou l’absence de charges suffisantes pour renvoyer le mis en examen devant la cour d’assises, seule compétente pour déduire de ces charges la preuve des faits reprochés à l’accusé ; qu’en écartant tous les témoignages à charge, pour ne retenir que les témoignages à décharge, émanant principalement d’hommes d’église, la chambre de l’instruction qui, sous couvert d’insuffisance des charges, s’est prononcée sur l’innocence de M. P… dans le massacre des tutsis, a excédé ses pouvoirs et ainsi méconnu les textes susvisés ;

2°) alors que, de surcroît, la chambre de l’instruction, saisie de faits de complicité par abstention de M. P…, après avoir admis que ce dernier n’avait jamais cherché à s’interposer entre les miliciens et leurs victimes, s’est fondée, pour écarter son renvoi devant une cour d’assises, sur le risque personnel qu’il encourait, ce qui revenait, sous couvert d’insuffisance des charges, à se prononcer sur sa culpabilité, a excédé ses pouvoirs et ainsi méconnu les textes susvisés ;

3°) alors que l’insuffisance de motifs équivaut à leur absence ; que la chambre de l’instruction qui, après avoir relevé que par jugement du 16 novembre 2006 du tribunal militaire de Kigali M. P… avait été acquitté pour les faits commis au Céla mais avait été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour complicité des crimes d’assassinat et de génocide commis le 17 juin 1994 à la […], s’est fondée sur ce jugement pour dire insuffisantes les charges pesant sur le […] s’agissant des faits commis au Céla, sans s’expliquer en revanche, au regard du même jugement, sur la suffisance des charges relativement aux faits commis le 17 juin 1994, a insuffisamment motivé sa décision et ainsi méconnu les textes susvisés” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les parties civiles demanderesses au pourvoi reprochent à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré qu’il ne résulte pas de l’information charges suffisantes contre M. P… d’avoir commis une infraction ; que, selon ces parties civiles, la présence passive de la personne mise en examen lors de massacres de personnes réfugiées dans sa paroisse peut caractériser un acte de complicité, au sens du statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda, si elle était en situation d’autorité, cette autorité pouvant être une simple autorité de fait ; que ces parties civiles ajoutent qu’en retenant le risque qu’aurait couru M. P… en intervenant pour empêcher les massacres, la chambre de l’instruction, s’est prononcée, non sur les charges mais sur la culpabilité, en dépassant sa compétence ; qu’elles soulignent que la circonstance que M. P… ait pu prêter une aide occasionnelle aux réfugiés n’exclut pas sa participation à des actes criminels ; qu’elles relèvent que les prises de position politiques de la personne mise en examen, son approbation des massacres, ses liens avec leurs auteurs et sa participation à un comité qui soutenait la discrimination, caractérisent une approbation des crimes commis, ainsi qu’une aide à leurs auteurs, constitutive d’une complicité ; qu’elles reprochent à la chambre de l’instruction d’avoir écarté les témoignages à charge pour privilégier ceux portés à la décharge de la personne mise en examen, et d’avoir négligé les charges contenues dans un jugement d’un tribunal militaire, qui a condamné M. P… en son absence ;

Attendu que l’arrêt attaqué énonce qu’il résulte de l’information que la matérialité des actes de viols, de dénonciation de réfugiés, de privation de nourriture et de soins, pour lesquels M. P… a été mis en cause en tant qu’auteur principal, n’est pas établie de manière suffisante ;

Que, s’agissant de son rôle à l’occasion d’un massacre perpétré, le 17 juin 1994, à la […], après avoir rappelé qu’il a été condamné en son absence par un tribunal militaire rwandais pour ces faits, la chambre de l’instruction relève qu’il résulte de l’ensemble des témoignages recueillis qu’il n’a pas participé à ce massacre et que sa présence passive lors de son déroulement, qui n’est pas confirmée par de nombreuses personnes entendues, ne peut, à la supposer établie, caractériser une quelconque participation ou un quelconque encouragement aux meurtres commis ;

Que l’arrêt ajoute que, si des personnes appartenant à l’ethnie tutsie, réfugiées dans des locaux religieux placés sous la direction de M. P…, ont été enlevées par des miliciens puis massacrées, il n’est pas établi que la personne mise en examen ait participé à ces crimes, ni ait collaboré avec leurs auteurs, se bornant à assister à leurs exactions, sans intervenir ; que la chambre de l’instruction estime que ce comportement ne peut être assimilé à un acte de complicité par aide ou encouragement, répréhensible au sens du statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda, la présence de M. P… n’ayant pas encouragé ni légitimé la commission des crimes, car il n’exerçait aucune autorité sur leurs auteurs, qu’il ne pouvait les influencer et que de nombreux témoignages ont établi l’impossibilité de s’opposer à leurs actes meurtriers ;

Que l’arrêt relève que les relations de M. P… avec les autorités et les miliciens, ses prises de position politique et son attitude envers les réfugiés ne caractérisent aucune participation ou adhésion, même passive, à la préparation des crimes qui ont été commis, que, s’il a participé à la création d’un comité soutenant la discrimination, il en a été exclu ensuite, et qu’ainsi il n’existe pas de charges suffisantes à son encontre d’avoir participé à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation de crimes contre l’humanité ou du crime de génocide ;

Attendu que, par ces motifs exempts d’insuffisance et de contradiction, procédant de son appréciation souveraine des éléments recueillis au cours de l’information, en particulier, s’agissant des témoignages, de leur valeur probante, la chambre de l’instruction, qui n’a pas omis les charges relevées par une décision de condamnation rendue par une juridiction militaire rwandaise, mais estimé qu’elles étaient contredites par d’autres données de la procédure, et répondu aux articulations essentielles des mémoires déposés devant elle, a justifié sa décision, selon laquelle il ne résulte pas de l’information charges suffisantes contre M. P… d’avoir commis les faits pour lesquels il a été mis en examen ni toute autre infraction pénale ;

Qu’ainsi, les moyens ne peuvent être accueillis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trente octobre deux mille dix-neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur les faits et la procédure :

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, le 12 juillet 1995, une plainte a été déposée devant le procureur de la République près la cour d’appel de Paris, par plusieurs personnes, pour des faits de complicité de génocide, tortures et mauvais traitements, qui auraient été commis au Rwanda, en 1994, par M. P…, alors […] de la […] ; que, visant la compétence universelle des juridictions françaises à l’égard des auteurs d’actes de torture au sens de l’article 1er de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New-York, le 10 décembre 1984, prévue par les articles 689-1 et 689-2 du code de procédure pénale, cette plainte a été transmise au tribunal de grande instance de Privas, compte tenu du domicile de M. P…, lequel, le 28 juillet 1995, a été mis en examen pour génocide, crimes contre l’humanité, et participation à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation de l’un de ces crimes, actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

Que, par arrêt du 1er avril 1996, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nîmes a déclaré le juge d’instruction de Privas incompétent, au motif que la compétence des juridictions françaises ne pouvait être retenue, sur le fondement de l’article 689-2 précité, que pour les actes de torture, au sens de la Convention de New-York, les faits reprochés à M. P…, susceptibles de constituer les crimes de génocide et de complicité de génocide, n’entrant pas dans les prévisions de cette Convention ;

Que, par arrêt du 6 janvier 1998 (96-82.491), la Cour de cassation, chambre criminelle, a cassé cet arrêt et retenu la compétence des juridictions françaises, par application, en particulier, des articles 1er et 2 de la loi du 22 mai 1996, portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations unies, instituant un tribunal international en vue de juger les personnes responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire commis, en 1994, sur le territoire du Rwanda, cette loi donnant compétence aux juridictions françaises pour la poursuite et le jugement, s’ils sont trouvés en France, des auteurs et des complices des crimes de génocide, des crimes de guerre et des actes de torture et des autres actes inhumains, commis au Rwanda, en 1994 ; que l’affaire a été renvoyée à la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris, et qu’un juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris a été saisi de l’information, le 13 juin 1999 ;

Que, parallèlement à la procédure française, une procédure a été engagée par le procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda contre M. P… ; qu’un acte d’accusation a été rédigé à son encontre, les 20 juillet 2005 et 27 septembre 2007 ; que, le 20 novembre 2007, la chambre de première instance du Tribunal pénal international pour le Rwanda a ordonné le renvoi aux autorités françaises de cette procédure, conformément à l’article 11 bis du règlement de preuve de cette juridiction internationale, qui lui permet de renvoyer une affaire devant une juridiction nationale ; que cette procédure a été jointe à l’instruction ouverte au tribunal de grande instance de Paris, M. P… ayant été placé sous le statut de témoin assisté à raison des faits qu’elle vise ;

Attendu que, par ordonnance du 2 octobre 2015, les juges d’instruction du tribunal de grande instance de Paris ont clôturé l’information par une ordonnance de non-lieu, à l’égard de M. P…, seule personne mise en examen ;

Que plusieurs parties civiles ont relevé appel de cette décision, laquelle a été soumise à la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris ;

En cet état ;

 


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