COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE
1ère Chambre C
ARRÊT
DU 30 JANVIER 2014
N° 2014/84
S. K.
Rôle N° 13/11760
[T] [I]
[SU] [PB] épouse [I]
[H] [W]
[EP] [O] épouse [W]
[V] [W]
[X] [Q]
[ZN] [M]
[Y] [WX]
[H] [S]
[R] [G]
[K] [D]
[HF] [ML]
[UH] [A] épouse [F]
[J] [JV]
[E] [C]
C/
Monsieur le Préfet des Bouches-du-Rhône
Monsieur le premier ministre
Grosse délivrée
le :
à :
Maître [I]
Maître LOMBARD
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par Monsieur le président du tribunal de grance instance de Marseille en date du 03 juin 2013 enregistrée au répertoire général sous le N° 13/01008.
APPELANTS :
Monsieur [T] [I]
né le [Date naissance 2] 1934 à [Localité 9] (ALGÉRIE),
demeurant [Adresse 10]
Madame [SU] [PB] épouse [I]
née le [Date naissance 11] 1934 à [Localité 1] (BOUCHES-DU-RHÔNE),
demeurant [Adresse 10]
Monsieur [H] [W]
né le [Date naissance 3] 1934 à [Localité 1] (BOUCHES-DU-RHÔNE),
demeurant [Adresse 4]
Madame [EP] [O] épouse [W]
née le [Date naissance 4] 1939 à [Localité 1] (BOUCHES-DU-RHÔNE),
demeurant [Adresse 4]
Monsieur [V] [W]
né le [Date naissance 13] 1962 à [Localité 1] (BOUCHES-DU-RHÔNE),
demeurant [Adresse 9]
Monsieur [X] [Q]
né le [Date naissance 1] 1941 à [Localité 1] (BOUCHES-DU-RHÔNE),
demeurant [Adresse 6]
Monsieur [ZN] [M]
né le [Date naissance 14] 1938 à [Localité 4] (SYRIE),
demeurant [Adresse 11]
Madame [Y] [WX]
née le [Date naissance 9] 1939 à [Localité 8] ([Localité 8]),
demeurant [Adresse 7]
Monsieur [H] [S]
né le [Date naissance 8] 1965 à [Localité 1] (BOUCHES-DU-RHÔNE),
demeurant [Adresse 13]
[Localité 2]
Monsieur [R] [G]
né le [Date naissance 12] 1962 à [Localité 7] (38),
demeurant [Adresse 1]
Monsieur [K] [D]
né le [Date naissance 6] 1936 à [Localité 1] (BOUCHES-DU-RHÔNE),
demeurant [Adresse 3]
Monsieur [HF] [ML]
né le [Date naissance 7] 1974 à [Localité 6] (ARMÉNIE),
demeurant [Adresse 2]
Madame [UH] [A] épouse [F]
née le [Date naissance 5] 1975 à [Localité 5] (ARMÉNIE),
demeurant [Adresse 5]
Monsieur [J] [JV]
né le [Date naissance 10] 1951 à [Localité 2] (BOUCHES-DU-RHÔNE), demeurant [Adresse 15]
[Localité 1]
Monsieur [E] [C]
né le [Date naissance 9] 1962 à [Localité 3] ( 92 ),
demeurant [Adresse 8]
représentés et plaidant par Maître Philippe KRIKORIAN, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMÉS :
Monsieur le préfet des Bouches-du-Rhône,
Préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur,
pris en sa qualité de représentant de l’Etat dans le département,
domicilié en cette qualité [Adresse 12]
[Localité 1]
Monsieur le Premier ministre,
pris en sa qualité d’autorité constitutionnelle détentrice du pouvoir d’initiative des lois de la République,
domicilié en cette qualité [Adresse 14]
représentés et plaidant par Maître Bruno LOMBARD, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 17 décembre 2013 en audience publique. Conformément à l’article 785 du code de procédure civile, Monsieur Serge KERRAUDREN, président, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Serge KERRAUDREN, président
Monsieur André JACQUOT, conseiller
Madame Laure BOURREL, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Serge LUCAS.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2014.
ARRÊT :
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2014,
Signé par Monsieur Serge KERRAUDREN, président et Monsieur Serge LUCAS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*-*-*-*-*
EXPOSE DE L’AFFAIRE
A la suite du rejet de leur requête par un arrêt du Conseil d’Etat du 26 novembre 2012, les époux [I], les époux [W], Monsieur [L] [W], Monsieur G. [Q], Monsieur [YK] [M], Monsieur [N] [WX], Monsieur J. [S], Monsieur [B] [G], Monsieur J. [D], Monsieur M. [ML], Madame V. [A], Monsieur A. [JV] et Monsieur A. [C] ont fait assigner en référé devant le président du tribunal de grande instance de Marseille le Premier ministre et le préfet des Bouches-du-Rhône à l’effet d’obtenir:
– que soit posée une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne sur la validité de l’article 1er § 4, de la décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal, ainsi que sur l’interprétation de cette décision-cadre,
– que soit constatée la voie de fait résultant du refus persistant opposé par le Premier ministre de transposer en droit français la décision-cadre précitée, à l’exclusion de son article 1er § 4,
– qu’il soit enjoint au Premier ministre sous astreinte de 10.000 € par jour de retard de retirer irrévocablement la déclaration des autorités françaises au titre de l’article 1er § 4 de ladite décision-cadre aux termes de laquelle la France déclare qu’elle ne rendra punissables la négation ou la banalisation grossière des crimes visés au § 1 points c et/ou d que si ces crimes ont été établis par une décision définitive rendue par une juridiction internationale,
– que soit pris, dans le délai d’un mois à compter de la décision à intervenir, un décret de présentation au Parlement d’un projet de loi tendant à la transposition en droit français de la décision-cadre précitée, à l’exclusion de l’article 1er § 4,
– qu’il soit fait application de l’article 45 alinéas 2 et 4 de la Constitution du 4 octobre 1958,
– que soit communiqué au secrétariat général du Conseil de l’Union européenne et à la Commission le texte de la loi de transposition,
– que soit prononcée à l’encontre de l’Etat une astreinte de 10.000 euros par jour de retard à compter de l’expiration du délai d’un mois susvisé et jusqu’à parfaite et complète exécution,
– que soit allouée aux époux [I] la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre intérêts,
– que l’Etat soit condamné aux dépens,
– à titre subsidiaire,
– que soit renvoyée au Tribunal des conflits la question de compétence soulevée et qu’il soit sursis à toute procédure jusqu’à la décision de ce tribunal.
La juridiction a également été saisie d’un mémoire portant question prioritaire de constitutionnalité du chef de l’article 26 de la loi du 24 mai 1872 sur l’organisation du Conseil d’Etat.
Par ordonnance du 3 juin 2013, le président du tribunal de grande instance de Marseille a :
– visé l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58- 1067 du 7 novembre 1958,
– dit n’y avoir lieu de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité opposée par les requérants,
– visé l’article 39 de la Constitution et l’article 809 du code de procédure civile,
– déclaré radicalement irrecevables les demandes présentées par les requérants à l’encontre du Premier ministre, autorité constitutionnelle détentrice du pouvoir d’initiative des lois de la République,
– visé l’absence de voie de fait reprochable au préfet des Bouches-du-Rhône,
– déclaré mal fondées les demandes des requérants présentées à l’encontre du préfet des Bouches-du-Rhône en sa qualité de représentant de l’Etat dans le département,
– jugé dès lors sans objet la question préjudicielle posée,
– laissé les dépens du référé à la charge des requérants.
Ceux-ci ont relevé appel de l’ordonnance et ils ont repris leur demande de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation.
Par un arrêt du 10 octobre 2013, cette cour a confirmé l’ordonnance déférée en ce qu’elle avait dit n’y avoir lieu de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité concernant l’article 26 de la loi du 24 mai 1872 relative à l’organisation du Conseil d’Etat.
Par conclusions au fond récapitulatives du 29 novembre 2013, les appelants demandent textuellement à cette cour de :
Vu le principe de prééminence du Droit,
Vu la constitution du 4 octobre 1958, notamment ses articles 10, 19, 39, 45, 52, 55, 88-1, 88-2, 88-5,
Vu la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, notamment ses articles 1er, 2, 4, 6, 15 et 16,
Vu le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, notamment ses alinéas 1er et 14,
Vu le bloc de constitutionnalité,
Vu la charte des Nations Unies du 26 juin 1945,
Vu le Traité de Rome du 25 mars 1957, instituant la Communauté européenne, notamment ses articles 10, 149, 151, ensemble le Traite de l’Union européenne du 7 février 1992, notamment ses articles 6 et 49 et le Traite de Lisbonne signé le 13 décembre 2007 et entré en vigueur le 1er décembre 2009,
Vu l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE),
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 1er, 3, 6, 8, 13 et 14 ;
Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par l’Assemblée Générale de l’O.N.U. le 19 décembre 1966, notamment ses articles 2, 3, 7, 14, 17 et 26;
Vu le Traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007, entré en vigueur le 1er décembre 2009,
Vu la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne du 7 décembre 2000, adaptée le 12 décembre 2007 (JOUE 30 mars 2010, C83/403),
Vu la résolution A2-33/87 DU Parlement Européen du 18 juin 1987 sur une solution politique de la question arménienne,
Vu la décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal (JOUE 6 décembre 2008, L. 328/55),
Vu la loi n°2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915,
Vu les articles L 911-1, L.911-3, R.311-1°, R.421-1, R.421-2 et R.432-2 du Code de justice administrative,
Vu les articles 561, 562, 809 du Code de procédure civile,
Vu le Code des procédures civiles d’exécution,
Vu l’arrêt n°350- 492 rendu le 26 novembre 2012 par le Conseil d’Etat (rejet de la requête enregistrée le 30 juin 2011 – incompétence de la juridiction administrative),
Vu la voie de fait résultant du défaut de transposition de la décision-cadre du 28 novembre 2008,
Vu la déclaration d’appel via le RPVA du 4 juin 2013, 16h23 (n° RG 13/11760),
1°) Annuler l’ordonnance de référé n° 13/577 rendue le 3 juin 2013 par M. le Premier Vice-Président du tribunal de grande instance de Marseille (RG n°13/01008),
Statuant à nouveau,
2°) se reconnaître compétente,
3°) Surseoir à statuer,
Avant dire droit,
4°) Poser à la Cour de Justice de l’Union Européenne la question préjudicielle de la validité de l’article 1er paragraphe 4 de la décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal, formulée de la façon suivante :
‘L’article 1er, paragraphe 4 de la décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal,
aux termes duquel ‘(…)4. Tout état membre peut, lors de l’adoption de la présente décision-cadre ou ultérieurement, faire une déclaration aux termes de laquelle il ne rendra punissables la négation ou la banalisation grossière des crimes visés au paragraphe 1, points c) et/ou d), que si ces crimes ont été établis par une décision définitive rendue par une juridiction nationale de cet Etat membre et/ou une juridiction internationale ou par une décision rendue par une juridiction internationale seulement’,
est-il valide au regard du droit de l’Union européenne et notamment :
– du JUS COGENS ;
– des articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne proclamée à [Localité 10] le 12 décembre 2007 et entrée en vigueur le 1er décembre 2009 (ayant, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa du TUE, la même valeur juridique que les traités) ;
– des articles 2, 3 paragraphe 3, deuxième alinéa et 9 TUE ;
– des articles 8 et 10 TFUE ;
– de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) – à laquelle l’Union européenne a adhéré par le Traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007 (article 6 TUE, paragraphes 2 et 3) et l’article 1er du Protocole n°12 à la CEDH signé le 4 novembre 2000 et entré en vigueur le 1er avril 2005, soit antérieurement à la décision-cadre du 28 novembre 2008 ;
– de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966,
en tant que la disposition attaquée du Conseil de l’Union européenne contrarie l’économie générale de la décision-cadre, contrevient au principe de sécurité juridique et crée une discrimination dans la protection juridictionnelle que ladite décision-cadre a pour objet de procurer aux victime de négationnisme, celui-ci s’entendant comme la négation ou la banalisation grossière publiques de génocides, crimes contre l’humanité ou crimes de guerre, par essence imprescriptibles, selon que les auteurs de ces crimes auront été ou non jugés par une juridiction nationale ou internationale, dès lors que les victimes de crimes contre l’humanité dont les auteurs seront disparus et donc insusceptibles de poursuites, comme c’est le cas notamment du génocide Arménien et d’esclavage, seront privées de la protection de la loi pénale »
5°) Poser à la Cour de justice de l’Union européenne les questions préjudicielles de l’interprétation de la décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal et du droit primaire de l’Union européenne, formulées de la façon suivante:
5-a°) ‘La décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil du 28 novembre 2008, sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal, les articles 4 § 3 et 19 § 1, alinéa 2 TUE, les articles 3, 6 § 1, 8 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, les articles 1er, 2, 3, 4, 5, 7, 20, 21 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale, telle que la Constitution française et plus spécialement l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 interprété par le Conseil constitutionnel comme faisant obligation à la loi d’être normative et comme retirant cette qualité à une loi ayant pour objet de reconnaître un crime de génocide (‘qu’une disposition législative ayant pour objet de ‘reconnaître’ un crime de génocide ne saurait, en elle-même, être revêtue de la portée normative qui s’attache à la loi’) ; pour autant que cette pratique jurisprudentielle nationale a pour conséquence d’empêcher la transposition adéquate en droit interne de la décision-cadre susvisée, en excluant le Génocide Arménien de son champ d’application qui n’est pourtant pas défini en extension (dénotation), mais seulement en compréhension (connotation) » ;
5-b°) ‘Le droit à un juge impartial qui procède du droit à un procès équitable garanti notamment par l’article 6 § 1 CEDH et l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique jurisprudentielle telle celle du Conseil constitutionnel français consistant à publier sur son site internet officiel, avant de rendre sa décision, une prise de position sur la normativité des lois de reconnaissance des génocides, à l’instar de la loi n°2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du Génocide Arménien de 1915, intitulée ‘Absence de normativité ou normativité incertaine des dispositions législatives » ;
5-c°) ‘Les articles 4 § 3 et 19 § 1, alinéa 2 TUE, les articles 6 § 1 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique jurisprudentielle, telle que la théorie des actes de gouvernement, aujourd’hui cristallisée par l’article 26 de la loi du 24 mai 1872 sur l’organisation du Conseil d’Etat, sur le fondement de laquelle certains actes de l’exécutif national sont exclus du contrôle juridictionnel, au motif qu’ils touchent aux relations avec le Parlement ou à la conduite des relations diplomatiques de l’Etat, alors même que de tels actes sont susceptibles de violer les droits fondamentaux, notamment le droit à une protection juridictionnelle effective » ;
Après déclaration d’invalidité par la Cour de justice de l’Union européenne de l’article 1er, paragraphe 4 de la décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal,
Et en tout état de cause,
6°) Constater la voie de fait résultant du refus persistant opposé par Monsieur le Premier Ministre de transposer en Droit français la Décision-Cadre 2008/913/JAI arrêtée le 28 novembre 2008 par le Conseil de l’Union européenne, sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal, à l’exclusion de son article 1er, paragraphe 4, en rejetant la demande des requérants formée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception n° 1A 041 827 1877 7 en date du 27 mai 2011, reçue le 30 mai 2011 (pièce n° 115), sur le fondement des articles 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 (ci-après ‘DDH’), 39, alinéa 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 (ci-après ‘la Constitution’), 34, § 2, b du Traité sur l’Union européenne du 7 février 1992 (ci-après ‘TUE ancien’ dans sa rédaction antérieure au Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007, entré en vigueur le 1er décembre 2009) maintenu en vigueur par les articles 9 et 10 du protocole n° 36 sur les dispositions transitoires annexé au Traité sur l’Union européenne (ci-après ‘TUE’), au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après ‘TFUE’) et au Traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique (ci-après ‘TCECA’), dans leur rédaction issue du Traité de Lisbonne précité (Titre VII, ‘Dispositions transitoires relatives aux actes adoptés sur la base des titres V et VI du Traité sur l’Union européenne avant l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne’), ayant pour objet le dépôt d’un projet de loi tendant à la transposition en droit français de ladite Décision-Cadre, à l’exclusion de son article 1er, paragraphe 4, le délai pour ce faire étant expiré depuis le 28 novembre 2010 ;
7°) Enjoindre à Monsieur le Premier ministre, sous astreinte de 10.000,00 euros par jour de retard, de :
7-1°) Retirer irrévocablement la ‘Déclaration des autorités françaises au titre de l’article premier, paragraphe 4, de la décision-cadre’ du 28 novembre 2008 aux termes de laquelle ‘La France déclare, conformément à l’article 1er, paragraphe 4, qu’elle ne rendra punissables la négation ou la banalisation grossière des crimes visés au paragraphe 1, points c) et/ou d), que si ces crimes ont été établis par une décision définitive rendue par une juridiction internationale.’ et informer le Secrétaire général du Conseil de l’Union européenne de ce retrait ;
7-2°) Prendre, dans le délai d’un mois à compter de l’arrêt à intervenir, un décret de présentation au Parlement d’un projet de loi tendant à la transposition en droit français de la Décision-Cadre 2008/913/JAI arrêtée le 28 novembre 2008 par le Conseil de l’Union européenne, sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal, à l’exclusion de son article 1er, paragraphe 4, texte dont il assurera le dépôt sur le bureau de l’Assemblée Nationale, après avoir demandé l’avis du Conseil d’Etat dans le cadre de la procédure accélérée (examen par la commission permanente), libellé dans son dispositif de la façon suivante ou de toute autre manière d’effet équivalent :
‘Vu le principe de prééminence du droit,
Vu le bloc de constitutionnalité, notamment la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, les articles 1er et 88-1 alinéa 1er de la Constitution du 4 octobre 1958,
Vu la Convention européenne des droits de l’homme,
Vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966,
Vu le Traité sur l’Union européenne, notamment ses articles 29, 31 et son article 34, paragraphe 2, point b),
Vu le Traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007 et entré en vigueur le 1er décembre 2009,
Vu la Résolution A 2 – 33 / 87 du Parlement Européen sur une solution politique de la question arménienne en date du 18 juin 1987 (Journal Officiel des Communautés Européennes du 20/07/1987 N° C 190/119),
Vu la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du Génocide Arménien de 1915,
Vu la loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 relative à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité,
Vu la Décision-Cadre 2008/913/JAI du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal,
Article 1er
Le premier alinéa de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est rédigé ainsi qu’il suit :
Seront punis d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 45.000 euros ou de l’une de ces deux peines seulement ceux qui auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence dans les conditions visées par le sixième alinéa de l’article 24 en contestant, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis de façon non exclusive :
1° par les articles 6, 7 et 8 du statut de la Cour pénale internationale créée à Rome le 17 juillet 1998,
2° par les articles 211-1 et 212-1 du Code pénal,
3° par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945,
et qui auront été établis ou fait l’objet d’une reconnaissance par la loi, une convention internationale signée ou ratifiée par la France ou à laquelle celle-ci aura adhéré, une institution communautaire ou internationale, ou qualifiés comme tels par une juridiction française, par un organe juridictionnel ou délibératif de l’un des Etats membres de l’Union européenne ou de la Confédération suisse, ou par une décision étrangère rendue opposable ou exécutoire en France, ou qui auront été commis par une ou plusieurs personnes reconnues coupables de tels crimes par une juridiction française ou internationale, les critères sus-énoncés pouvant se cumuler.
Article 2
Dans l’article 48-2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, après les mots : ‘ou des déportés’, sont insérés les mots : ‘ou de toutes autres victimes’.,
ou, subsidiairement, comme suit :
‘ (…)
Article 1er
Le premier alinéa de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est rédigé ainsi qu’il suit :
‘Seront punis d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 45.000 euros ou de l’une de ces deux peines seulement ceux qui auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence dans les conditions visées par le sixième alinéa de l’article 24 en contestant, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence ou la qualification juridique d’un ou plusieurs génocides, crimes contre l’humanité et crimes de guerre notoires dont la liste chronologique suit :
– Esclavage et Traite ;
– Génocide Arménien ;
– Crimes visés par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945.
Vaudra contestation, au sens du présent article, la négation, la banalisation grossière ou la minimisation desdits crimes, de même que l’usage de tout terme ou signe dépréciatif ou dubitatif pour les désigner, tel que ‘soi-disant’, ‘prétendu’, ‘hypothétique’ ou ‘supposé’.
Article 2
Dans l’article 48-2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, après les mots : ‘ou des déportés’, sont insérés les mots : ‘ou de toutes autres victimes’.’ ;
***
7-3°) Faire application de l’article 45 alinéas 2 et 4 de la Constitution du 4 octobre 1958 et, à ce titre, d’engager la procédure accélérée et de demander à l’Assemblée Nationale de statuer définitivement ;
7-4°) Communiquer, conformément à l’article 10, paragraphe 2 de la décision-cadre du 28 novembre 2008, au Secrétariat général du Conseil de l’Union européenne et à la Commission le texte de la loi transposant en droit français ladite décision-cadre, à l’exclusion de son article 1er, paragraphe 4 ;
8°) Prononcer à l’encontre de l’Etat une astreinte de 10.000,00 euros par jour de retard à compter de l’expiration du délai d’un mois susvisé et jusqu’à parfaite et complète exécution, s’il ne justifie pas dans ledit délai, avoir exécuté les obligations mises à sa charge par la décision à intervenir ;
Vu l’article 700 du Code de procédure civile,
9°) Condamner l’Etat pris en la personne de Monsieur le Premier Ministre à payer à Monsieur et Madame [T] [I] la somme de 20.000,00 euros avec intérêts au taux légal à compter du 27 Mai 2011, date de la demande adressée à Monsieur le Premier Ministre, au titre des frais engagés pour l’instance et non compris dans les dépens ;
10°) Condamner l’Etat aux entiers dépens de l’instance, lesquels comprendront notamment les frais de signification, ainsi que les taxes de 35 euros et 150 euros prévues par les articles 1635 bis P et 1635 bis Q du Code général des impôts ;
Subsidiairement, sur la compétence,
Vu l’article 34 du décret du 26 octobre 1849 réglant les formes de procéder du Tribunal des conflits,
11°) Renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence ainsi soulevée (contrôle de la légalité du refus d’édicter un décret de présentation au Parlement d’un projet de loi de transposition d’une décision-cadre) et surseoir à toute procédure jusqu’à la décision de ce tribunal.
Par conclusions du 3 septembre 2013, les intimés prient la cour, au visa de l’article 39 de la Constitution, des articles 122 et suivants, 808 et 809 du code de procédure civile, de confirmer l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions.
Le ministère public a reçu communication de cette affaire le 6 décembre 2013.
La cour renvoie, pour l’exposé complet des moyens et prétentions des parties, à leurs écritures précitées.
MOTIFS
Sur la demande d’annulation de l’ordonnance déférée :
Attendu que les appelants prétendent que le premier juge, Monsieur [P], premier vice-président du tribunal de grande instance de Marseille, était objectivement dépourvu d’indépendance et d’impartialité puisqu’il leur est apparu, pendant le cours du délibéré, qu’il assurait l’intérim de la présidence de la juridiction phocéenne depuis le mois de mai 2013, soit à la suite de l’audience des référés, de sorte qu’il était alors soumis au pouvoir hiérarchique du Garde des Sceaux, membre du gouvernement et, d’une certaine manière, partie à cette procédure ;
Mais attendu que le magistrat précité exerçait en l’espèce des fonctions juridictionnelles, et non administratives, conformément à ce que prévoient tant le code de l’organisation judiciaire (article L 213-2 : ‘en toutes matières, le président du tribunal de grande instance statue en référé…’) que le code de procédure civile (article 808 à 811 pour les ordonnances de référé) ; qu’en cette qualité, il bénéficie des garanties d’indépendance de tout magistrat du siège et que ni celle-ci ni son impartialité ne peuvent être suspectées du seul fait qu’il puisse assumer, par ailleurs, des fonctions purement administratives comme le prévoit le code de l’organisation judiciaire ; qu’aucun argument ne peut davantage être tiré de la motivation de l’ordonnance elle-même puisque celle-ci repose sur la théorie des actes de gouvernement, quelle qu’en soit la valeur, et non sur une appréciation purement subjective ou dictée par une autorité hiérarchique ;
Attendu par ailleurs que les appelants invoquent à tort une violation par le premier juge des dispositions des articles 7 et 8 de l’ordonnance du 1er juin 1828 sur les conflits d’attribution dès lors que, contrairement à ce qu’ils prétendent, il n’a pas été saisi d’un déclinatoire de compétence par le préfet des Bouches-du-Rhône ; qu’en effet, la procédure de conflit positif ne peut s’ouvrir que par la remise au procureur de la République d’un déclinatoire de compétence ; qu’il s’agit d’une formalité substantielle, que ne peut remplacer en l’espèce la simple lettre adressée par le préfet des Bouches-du-Rhône au président du tribunal de grande instance de Marseille le 15 avril 2013 ;
Attendu en conséquence que la demande d’annulation de la décision attaquée doit être rejetée ;
Sur la compétence de la juridiction de l’ordre judiciaire :
Attendu que, pour conclure à la compétence de cette juridiction, les appelants réfutent l’application de la théorie des actes de gouvernement et arguent de l’existence, en l’espèce, d’une voie de fait, plus précisément d’une atteinte à une liberté fondamentale, à savoir le droit à une protection juridictionnelle effective contre le négationnisme ;
Attendu que, par une décision du 17 juin 2013, qui s’impose à toutes les juridictions, le Tribunal des conflits a jugé qu’il n’y a voie de fait de la part de l’administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l’administration soit a procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction d’un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d’atteinte à la liberté individuelle ou d’extinction d’un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative ;
Attendu que les appelants s’opposent à l’application immédiate de cette décision, qui établit une règle de droit nouvelle, au motif qu’elle les priverait du droit à un recours juridictionnel effectif ;
Attendu en effet que la nouvelle définition de la voie de fait donnée par le Tribunal des conflits a limité la compétence du juge judiciaire, au regard notamment de l’extension des pouvoirs du juge administratif ; que les appelants ne sauraient, de ce fait, être privés d’un recours que leur reconnaissaient les décisions antérieures du Tribunal des conflits selon lesquelles était notamment visée l’atteinte grave ‘à une liberté fondamentale’, et non à ‘la liberté individuelle’ ;
Attendu en revanche que demeure la nécessité d’établir qu’est manifestement insusceptible de se rattacher à l’existence d’un pouvoir appartenant à l’administration, le refus du Premier ministre de soumettre au Parlement un projet de loi en vue de la transposition de la décision-cadre susvisée (à l’exclusion de son article 1er § 4) ;
Attendu que, même en admettant que ce refus soit attentatoire à une liberté fondamentale et puisse être considéré comme un acte administratif et non comme un acte pris par le gouvernement dans le déroulement de la procédure législative, le cas échéant susceptible d’exclure tout contrôle juridictionnel, force est de constater qu’il se rattache directement à l’exercice par le Premier ministre des prérogatives dont il dispose en vertu de l’article 39 de la Constitution du 4 octobre 1958 selon lequel l’initiative des lois lui appartient (concurremment avec les membres du Parlement) ;
Attendu que ce refus est d’autant moins ‘grossièrement irrégulier’ que l’obligation, non contestée, de transposition d’une décision-cadre ne sera en toute hypothèse accomplie que par le vote d’une loi et non par l’une des étapes possibles que constitue le dépôt d’un projet de la loi, dont l’issue demeure incertaine, par le Premier Ministre ; qu’ainsi, la reconnaissance même d’une voie de fait, en l’espèce, ne permettrait pas au juge judiciaire de faire cesser le manquement aux droits interne et communautaire dénoncé par les appelants ;
Attendu en conséquence que la juridiction judiciaire est incompétente pour se prononcer sur les demandes des appelants, a fortiori en ce qui concerne le préfet des Bouches-du-Rhône, non concerné par le processus d’élaboration de la loi ; que l’ordonnance déférée sera réformée ;
Sur les autres prétentions :
Attendu qu’il résulte des précédents motifs que la saisine de la cour de justice de l’Union européenne est en l’espèce sans objet ;
Attendu que si l’article 34 du décret (modifié) du 26 octobre 1849 dispose notamment que lorsqu’une juridiction de l’ordre administratif a, par une décision qui n’est plus susceptible de recours, décliné la compétence de l’ordre de juridiction auquel elle appartient au motif que le litige ne ressortit pas à cet ordre, toute juridiction de l’autre ordre, saisie du même litige, doit, par un jugement motivé qui n’est susceptible d’aucun recours même en cassation, renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence ainsi soulevée et surseoir à toute procédure jusqu’à la décision de ce tribunal, c’est à la condition qu’ ‘elle estime que ledit litige ressortit à l’ordre de juridiction primitivement saisi’ ;
Attendu que, saisi du même litige, le Conseil d’Etat, par un arrêt du 26 novembre 2012, a rejeté la requête des intéressés, parties à la présente instance ;
Mais attendu que la mise en oeuvre de la procédure de prévention du conflit négatif suppose que cette cour considère que l’autre ordre juridictionnel est effectivement compétent pour statuer sur le litige ; que tel n’est pas le cas en l’espèce, eu égard à la jurisprudence constante du Conseil d’Etat, non contraire à celle du Tribunal des conflits, qui dénie sa compétence en matière d’actes pris par le gouvernement dans ses rapports avec le Parlement ; qu’il s’ensuit qu’il n’y a lieu de renvoyer la question de compétence au Tribunal des conflits ;
Attendu que les appelants, qui succombent, ne peuvent qu’être déboutés de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et condamnés aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Vu l’arrêt du 10 octobre 2013,
Dit n’y avoir lieu à annulation de l’ordonnance déférée,
Réformant cette ordonnance et statuant à nouveau,
Dit que la juridiction des référés de l’ordre judiciaire est incompétente pour se prononcer sur les demandes de Monsieur [T] [I], Madame [SU] [PB] épouse [I], Monsieur [H] [W], Madame [EP] [U] épouse [W], Monsieur [V] [W], Monsieur [X] [Q], Monsieur [ZN] [M], Madame [Y] [WX], Monsieur [H] [S], Monsieur [R] [G], Monsieur [K] [D], Monsieur [HF] [ML], Madame [UH] [A] épouse [Z], Monsieur [J] [JV], Monsieur [E] [C],
Dit n’y avoir lieu à renvoi de la question de compétence au Tribunal des conflits,
Rejette la demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne les appelants aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT