Crimes contre l’humanité : 21 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 23/12792

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Crimes contre l’humanité : 21 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 23/12792

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 13

N° RG 23/12792 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CIAXG

Nature de l’acte de saisine : Déclaration d’appel valant inscription au rôle

Date de l’acte de saisine : 15 Juillet 2023

Date de saisine : 14 Août 2023

Nature de l’affaire : Demande en réparation des dommages causés par le fonctionnement défectueux du service de la justice

Décision attaquée : Ordonnance rendue par le juge de la mise en état de PARIS le 27 Septembre 2021

Jugement rendu par le tribunal judiciaire de PARIS le 14 décembre 2022

Appelants :

Monsieur [K] [A] [J], représenté par Me Yves LAURIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C0667

Monsieur [C] [P] [J], représenté par Me Yves LAURIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C0667

Madame [Y] [G] [J], représentée par Me Yves LAURIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C0667

Madame [N] [F] [J], représentée par Me Yves LAURIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C0667

Monsieur [V] [R] [Z] [J], représenté par Me Yves LAURIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C0667

Intimé :

L’AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT, représenté par Me Bernard GRELON de l’AARPI LIBRA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0445

LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D’APPEL DE PARIS

ORDONNANCE SUR INCIDENT

DEVANT LE CONSEILLER DE LA MISE EN ÉTAT

(n° , 4 pages)

Nous, Estelle MOREAU, conseiller de la mise en état,

Assistée de Victoria RENARD, greffière,

Le [Date décès 1] 1988, [L] [T], ressortissante sud africaine, membre de l’African National Congress, était assassinée à [Localité 2]. Une information judiciaire était ouverte contre X du chef d’assassinat le 11 avril 1988.

Le 17 juillet 1992, le juge d’instruction rendait une ordonnance de non lieu.

Le 2 avril 2019, M. [K] [J], M. [C] [J], Mme [Y] [J], Mme [N] [J] et M. [V] [J] (ci-après, les consorts [J]) ont déposé plainte auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris aux fins de constitution de partie civile et en vue de l’ouverture d’une information contre X du chef de crime d’apartheid, crime contre l’humanité imprescriptible, commis sur la personne de [L] [T].

Le 29 mai 2019, le procureur de la République les a informés du classement sans suite de cette plainte en leur précisant que ‘les faits dont vous vous êtes plaint ne peuvent être jugés en raison d’un obstacle juridique’.

Le 14 juin 2019, les consorts [J] ont formé un recours à l’encontre de cette décision auprès de la procureure générale près la cour d’appel de Paris sur le fondement de l’article 40-3 du code de procédure pénale, et ont sollicité que des poursuites soient engagées pour crime contre l’humanité afin de révéler les éléments non élucidés de l’assassinat de [L] [T].

Le 25 juillet 2019, la procureure générale a transmis ce recours au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, pour observations sur son bien fondé.

Le 4 septembre 2019, le procureur de la République antiterroriste a conclu à la confirmation de la décision de classement sans suite, exposant que si ‘la qualification de crime contre l’humanité pouvait se discuter pour qualifier cet assassinat politique, qui avait au demeurant déjà fait l’objet d’une instruction, il s’avérait, en tout état de cause, que les juridictions françaises n’étaient pas compétentes pour en connaître, cette infraction n’ayant été introduite en droit français qu’en 1994, soit postérieurement aux faits dénoncés’. Il estimait également que les documents produits à l’appui de leur recours par les consorts [J] n’apportaient ‘aucun élément de nature à modifier l’analyse juridique ayant motivé la décision de classement sans suite’.

Le 9 janvier 2020, la procureure générale a indiqué en réponse qu’elle n’avait pas le pouvoir de remettre en cause la décision du procureur de la République et qu’à défaut de voie de recours ouverte contre sa propre décision, le dossier de contestation était clôturé. Elle relevait notamment que ‘les crimes contre l’humanité ont été introduits en droit français, à l’article 212-1 du code pénal, par la loi du 22 juillet 1992 et le crime d’apartheid a spécifiquement été inclus dans ses actes sous-jacents par la loi du 5 août 2013″. Elle précisait ensuite que ‘les faits dénoncés sont antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi, les juridictions françaises ne sont donc pas compétentes pour en connaître, en l’absence de rétroactivité de la loi d’incrimination’.

C’est dans ces circonstances que par acte du 16 février 2021, les consorts [J] ont fait assigner devant le tribunal judiciaire de Paris l’Etat, représenté par le ministère de la Justice, pris en la personne du ministre de la Justice, et l’agence judiciaire de l’Etat, prise en la personne de l’agent judiciaire de l’État, au visa des articles L.141-1 du code de l’organisation judiciaire, 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 55 de la Constitution, 25 de la Charte des Nations Unies, ainsi que de la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid et les décisions du Conseil de sécurité des Nations Unies des 19 juin 1976 (n°392), 13 juin 1980 (n°473) et 23 octobre 1984 (n°556) condamnant le crime d’apartheid votées par la France.

Par ordonnance du 27 septembre 2021, le juge de la mise en état a déclaré prescrite l’action engagée par les consorts [J] sur le fondement de la clôture trop rapide de l’instruction et des modalités de déroulement de celle-ci, ainsi que celle fondée sur l’impossibilité à laquelle s’est trouvée confrontée la commission Vérité et Réconciliation d’enquêter utilement après la décision de non-lieu, et recevables les demandes formées sur le fondement des décisions du ministère public, en 2019 et en 2020, de refus de reprendre la procédure.

Par jugement du 14 décembre 2022, le tribunal judiciaire de Paris a :

– débouté les consorts [J] de leurs demandes,

– condamné in solidum les consorts [J] aux dépens,

– rappelé que la décision est exécutoire de droit à titre provisoire,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Par déclaration au greffe du 6 janvier 2023, les consorts [J] ont interjeté appel de l’ordonnance du 27 septembre 2021 et du jugement du 14 décembre 2022. Cette procédure a été enregistrée au répertoire général des affaires en cours sous le numéro RG 23-01392.

L’Etat français représenté par l’agent judiciaire de l’Etat et le ministère de la Justice ont déposé des conclusions au fond le 19 juin 2023 concluant à l’absence d’effet dévolutif de l’appel.

Le 15 juillet 2023, les consorts [J] ont déposé une nouvelle déclaration d’appel de l’ordonnance du 27 septembre 2021 et du jugement du 14 décembre 2022, laquelle procédure a été enregistrée sous le numéro RG 23-12792.

Dans cette instance, l’agent judiciaire de l’Etat et le ministère de la Justice ont soulevé un incident de procédure.

Par dernières conclusions d’incident notifiées et déposées le 13 octobre 2023, l’agent judiciaire de l’Etat et le ministère de la Justice demandent au conseiller de la mise en état de :

– dire et juger l’appel formé le 15 juillet 2023 irrecevable,

– dire et juger que cet appel n’a pu régulariser le précédent appel formé le 6 janvier 2023 (RG 23/01392),

– dire et juger irrecevables les conclusions du 30 août 2023,

– condamner les consorts [J] in solidum aux entiers dépens.

Par dernières conclusions d’incident notifiées et déposées le 21 septembre 2023, les consorts [J] demandent au conseiller de la mise en état de

– constater les atteintes graves aux règles du procès équitable,

– convoquer les parties en vue d’une médiation,

– à titre subsidiaire, déclarer irrecevable et mal fondé l’incident formé par l’agent judiciaire de l’Etat et le ministère de la Justice et le rejeter,

– enjoindre à l’agent judiciaire de l’Etat et au ministère de la Justice de communiquer les avis donnés par le ministre de la Justice qui ont été mentionnés dans les décisions de M. le premier président de la cour d’appel de Paris des 25 juillet 2022, 21 octobre 2022 et 27 octobre 2022,

– inviter Mme la procureure générale et le greffe de la cour à verser aux débats les avis du ministre de la Justice et du parquet général mentionnés dans les décisions du premier président de la cour d’appel en date des 25 juillet 2022, 21 octobre 2022 et 27 octobre 2022.

SUR CE :

Sur la demande de médiation :

Faisant valoir que le litige porte sur une affaire d’Etat et les dispositions du décret n°2022-245 du 25 février 2022 pris en application de la loi du 22 décembre 2021 sur la confiance dans l’institution judiciaire rénovant et renforçant le mécanisme de la médiation, les consorts [J] sollicitent une médiation.

L’agent judiciaire de l’Etat et le ministère de la Justice ne répliquent pas sur ce point dans leurs écritures et, interrogés à l’audience par le conseiller de la mise en état, se sont opposés à ce que soit ordonnée une telle mesure.

Selon l’article 131-1 alinéa 1 du code de procédure civile, ‘Le juge saisi d’un litige peut, après avoir recueilli l’accord des parties, ordonner une médiation’.

L’agent judiciaire de l’Etat et le ministère de la Justice n’ont pas donné leur accord pour cette mesure, étant relevé qu’une demande de médiation a déjà été vainement formée le 28 juin 2021.

La demande aux fins de convoquer les parties en vue d’une médiation doit donc être rejetée.

Sur l’irrecevabilité de l’appel, le défaut de régularisation du précédent appel et l’irrecevabilité des conclusions d’appelants :

L’agent judiciaire de l’Etat et le ministère de la Justice soulèvent l’irrecevabilité de l’appel formé le 15 juillet 2023 et le défaut de régularisation par celui-ci de l’appel initial du 6 janvier 2023 dépourvu d’effet dévolutif à défaut de mention des chefs de jugement critiqués et de renvoi express à une annexe jointe à la déclaration d’appel, en ce que la déclaration d’appel initiale, qui ne mentionne pas les chefs critiqués du jugement, ne peut être régularisée que par une nouvelle déclaration d’appel formée dans le délai imparti à l’appelant pour conclure au fond, conformément à l’article 910-4 alinéa 1 du code de procédure civile, soit en l’espèce au plus tard le 7 juin 2023. Ils déduisent de l’irrecevabilité de l’appel du 15 juillet 2023 dont le seul objet est de régulariser l’appel initial, l’irrecevabilité des écritures d’appelants du 30 juillet 2023.

Les consorts [J] répliquent que :

– l’incident est irrecevable en ce qu’il ne peut être statué sur celui-ci tant que la cour n’a pas statué sur la question de l’absence d’effet dévolutif de l’appel du 6 janvier 2023 dont elle est saisie,

– les deux appels sont conformes à l’avis de la Cour de cassation du 8 juillet 2022 qui valide l’annexe jointe à la déclaration d’appel,

– une bonne administration de la justice justifie la jonction des procédures qui portent sur deux appels indissociables, comprenant la même annexe et ayant trait aux mêmes décisions,

– l’ordonnance et le jugement dont appel n’ayant pas été signifiés aux consorts [J] résidant à l’étranger, le délai d’appel n’a pas couru.

Il n’est justifié d’aucun motif d’irrecevabilité de l’incident de procédure soulevé, qui doit donc être déclaré recevable.

L’appel interjeté par déclaration au greffe du 15 juillet 2023 a introduit une nouvelle instance, distincte de celle introduite selon la première déclaration d’appel du 6 janvier 2023.

L’agent judiciaire de l’Etat et le ministère de la justice soulèvent l’irrecevabilité du second appel au motif qu’il ne peut venir régulariser la déclaration d’appel initiale qui ne mentionne pas les chefs critiqués du jugement, faute d’avoir été formé dans le délai imparti à l’appelant pour conclure au fond.

En l’absence de saisine du conseiller de la mise en état d’un incident concernant la régularité de la première déclaration d’appel du 6 janvier 2023, il n’entre pas dans les pouvoirs du conseiller de la mise en état de juger si l’appel du 15 juillet 2023 a pu régulariser le précédent appel formé le 6 janvier 2023, et la portée de la seconde déclaration d’appel doit être appréciée de manière autonome .

Selon l’article 528 du code de procédure civile, ‘Le délai à l’expiration duquel un recours ne peut plus être exercé court à compter de la notification du jugement, à moins que le délai n’ait commencé à courir, en vertu de la loi, dès la date du jugement’.

Le délai d’appel prévu à l’article 538 du code de procédure civile courant à compter de la notification de la décision et ni l’ordonnance du juge de la mise en état, ni le jugement n’ayant été notifiés aux appelants, le délai d’appel n’a pas couru.

L’appel interjeté par déclaration au greffe du 15 juillet 2023 est donc recevable, de même que sont recevables les conclusions d’appelant du 30 juillet 2023 déposées dans le délai de l’article 908 du code de procédure civile.

Sur la demande de communication et de production de pièces :

Soulevant des difficultés de communication de pièces et le comportement déloyal des intimés ayant produit après l’ordonnance du 27 septembre 2021 et sur injonction, deux pièces essentielles, soit la décision du procureur national antiterroriste du 4 septembre 2019 et la décision de la procureure générale du 25 juillet 2019, et faisant valoir leurs demandes restées vaines, les consorts [J] sollicitent la communication par les intimés des avis du ministre de la Justice et de la procureure générale, mentionnés sans avoir été annexés aux décisions du premier président de la cour d’appel des 25 juillet 2022, 21 et 27 octobre 2022 (pièce n°62) et que la procureure générale et le greffe de la cour soient invités à verser ces pièces aux débats.

L’agent judiciaire de l’Etat et le ministère de la Justice ne répliquent pas sur ce point.

La demande est formée au visa des articles 133 et 134 du code de procédure civile permettant de demander au juge la communication des pièces si elle n’est pas faite, lequel fixe, s’il y a lieu, les modalités de cette communication.

La communication des pièces visée à ces articles est prévue à l’article 132 du code de procédure civile qui dispose que ‘La partie qui fait état d’une pièce s’oblige à la communiquer à toute autre partie à l’instance.

La communication des pièces doit être spontanée’.

Les consorts [J] fondent leur demande sur une de leurs pièces de procédure (pièce 62), qui consiste en un recueil de trois décisions statuant sur une demande d’enregistrement d’une audience judiciaire en vue de sa diffusion rendues par le premier président de la cour d’appel de Paris les 25 juillet 2022, 21 et 27 octobre 2022 et refusant d’autoriser l’enregistrement de l’audience s’étant déroulée devant le tribunal judiciaire de Paris le 16 novembre 2022, lesquelles décisions visent l’avis défavorable du ministre de la Justice du 20 juillet 2022 et l’avis défavorable du procureur général près la cour d’appel de Paris du 27 juillet 2022.

Outre que ces décisions ont été rendues dans des procédures distinctes et à la demande de personnes qui ne sont pas parties à la présente procédure, il n’est pas justifié que les intimés et le parquet général fassent état des avis dont la communication est sollicitée.

Il n’y a dès lors pas lieu d’accueillir la demande de communication de pièces.

Les consorts [J] ne fondant pas leurs demandes sur les dispositions de l’article 138 du code procédure civile et ne justifiant pas du bien fondé de celles-ci, la demande de versement de ces pièces aux débats par le greffe de la cour, tiers à la procédure, n’est pas davantage justifiée.

Sur les dépens d’incident :

Le dépens d’incident sont réservés et leur sort suivra celui de la procédure au fond.

PAR CES MOTIFS :

Nous, conseiller de la mise en état,

Déboutons M. [K] [J], M. [C] [J], Mme [Y] [J], Mme [N] [J] et M. [V] [J] de leur demande de convocation des parties en vue d’une médiation,

Disons recevable l’incident de procédure,

Disons recevable l’appel interjeté selon déclaration d’appel du 15 juillet 2023,

Disons recevables les conclusions d’appelants du 30 août 2023,

Disons qu’en l’absence de saisine du conseiller de la mise en état d’un incident concernant la régularité de la première déclaration d’appel du 6 janvier 2023, il n’entre pas dans les pouvoirs du conseiller de la mise en état de juger si l’appel du 15 juillet 2023 a pu régulariser le précédent appel formé le 6 janvier 2023,

Déboutons M. [K] [J], M. [C] [J], Mme [Y] [J], Mme [N] [J] et M. [V] [J] de leur demande de communication de pièces et de leur demande de versement de pièces aux débats,

Réservons les dépens d’incident et disons que leur sort suivra celui des dépens au fond.

Ordonnance rendue par Estelle MOREAU, conseiller de la mise en état assistée de Victoria RENARD, greffière présente lors de la mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

Paris, le 21 novembre 2023

La greffière Le conseiller de la mise en état

 


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