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AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
– X… Louisette, épouse Y…,
– LE MOUVEMENT CONTRE LE RACISME ET POUR L’AMITIE ENTRE LES PEUPLES (MRAP), parties civiles,
contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de PARIS, en date du 21 mai 2002, qui a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction refusant d’informer sur leur plainte contre personne non dénommée du chef de crimes contre l’humanité ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 3 juin 2003 où étaient présents : M. Cotte président, Mme Chanet conseiller rapporteur, M. Joly, Mmes Anzani, Mazars, MM. Beyer, Pometan conseillers de la chambre, MM. Desportes, Ponsot, Mme Ménotti conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
Sur le rapport de Mme le conseiller CHANET, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DI GUARDIA ;
Vu l’article 575, alinéa 2, 1°, du Code de procédure pénale ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l’article 55 de la Constitution, du Statut du Tribunal militaire de Nuremberg annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, de la résolution des Nations Unies du 16 février 1946, de l’article unique de la loi du 26 décembre 1964, des articles 7-2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 15-2 du Pacte international des Nations Unies, de l’article 212-1 du Code pénal, de la loi portant amnistie du 31 juillet 1968, du principe de la supériorité de la norme coutumière répressive internationale sur les lois nationales, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense, défaut de motifs, manque de base légale ;
“en ce que l’arrêt attaqué a prononcé un refus d’informer pour les crimes contre l’humanité commis en Algérie en décembre 1957, au préjudice de Louisette X… ;
“aux motifs qu’avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions du Code pénal réprimant les crimes contre l’humanité, les dispositions issues de la charte du Tribunal international de Nuremberg du 8 août 1945, visées dans la loi du 26 décembre 1964, et annexées à l’accord de Londres du 8 août 1945 et à celles des Nations-Unies du 13 février 1946, ainsi intégrées dans l’ordre juridique interne, n’étaient applicables qu’aux crimes contre l’humanité perpétrés pendant la seconde guerre mondiale ; qu’elles ne peuvent donc s’appliquer aux événements d’Algérie visés dans la plainte des parties civiles ; que les dispositions de l’article 212-1 du Code pénal issues du nouveau Code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994 ne peuvent s’appliquer à des faits commis avant leur entrée en vigueur en application du principe de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère ; que l’existence d’une coutume internationale préexistante à tout texte la traduisant dans l’ordre national, trouvant son fondement dans des textes internationaux n’ayant pas d’effet obligatoire en droit interne, se heurte au principe de la légalité des délits et des peines et ne saurait pallier l’absence d’incrimination en droit interne, à la date des faits et événements en cause ; que la prescription de l’action publique relative aux crimes dénoncés est acquise en raison des qualifications de crime de guerre ou de crime de droit commun, seules susceptibles d’être reconnues eu égard à la date alléguée de leur commission ; que, selon l’article 1er de la loi du 31 juillet 1968 portant amnistie générale de toutes les infractions commises en relation avec les événements d’Algérie, sont réputées commises en relation avec ces événements, toutes les infractions réalisées par les militaires servant en Algérie, pendant la période couverte par le premier alinéa du présent article en sorte qu’il ne peut être contesté que les agissements incriminés auraient été commis par des militaires dans l’exercice de leurs fonctions dans le cadre de la guerre d’Algérie ;
“alors que, d’une part, selon les dispositions combinées du Statut du Tribunal militaire de Nuremberg annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 qui vise les crimes commis à l’occasion de la seconde guerre mondiale, de la résolution des Nations-Unies du 13 février 1946 qui prend acte de la définition des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, de l’article unique de la loi du 26 décembre 1964 qui institue l’imprescriptibilité par nature des crimes contre l’humanité, il existe une norme coutumière internationale de crime contre l’humanité, reconnue par l’ensemble des nations et ultérieurement intégrée dans l’ordre juridique interne, le 1er mars 1994, dans le Titre Premier du Livre deuxième du Code pénal aux articles 211-1 et 212-1 ; que cette norme coutumière permanente issue de l’ordre juridique international manifesté par des déclarations, les résolutions ou engagements des nations civilisées, est directement applicable devant les juridictions françaises dès lors qu’elle n’est pas contredite par des dispositions contraires internes contemporaines ; qu’en déclarant que cette coutume internationale, préexistante à tout texte la traduisant dans l’ordre interne, ne saurait pallier l’absence d’incrimination en droit interne à la date des faits et heurter le principe de légalité des délits et des peines, les juges d’appel ont méconnu le sens et la portée des textes susvisés et de la notion de coutume internationale, en refusant de poursuivre des faits susceptibles d’être qualifiés actes de torture ;
“alors que, d’autre part, il résulte de la combinaison des articles 7-2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 15-2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que le principe de la légalité des délits et des peines doit être écarté lorsque la déclaration de culpabilité et la condamnation consécutive ont été prononcées à l’encontre de personnes qui ont commis des faits dénoncés comme criminels selon les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations civilisées à l’époque de leur commission ; que parmi ces principes reconnus par l’ordre juridique international manifesté par les déclarations, les résolutions ou engagements des nations civilisées, figure l’incrimination de crimes contre l’humanité, laquelle peut alors donner lieu à des poursuites pénales au delà du délai décennal de la prescription de l’action publique dès lors que les faits reprochés, commis du 30 septembre 1957 au 17 décembre 1957 répondaient à l’époque à la norme coutumière reconnue par l’ensemble des nations et étaient soumis à l’imprescriptibilité par nature des crimes contre l’humanité prévue par la loi du 26 décembre 1964 ; qu’ainsi lors du dépôt de la plainte avec constitution de partie civile de Louisette X… et du MRAP, à la date du 22 juin 2001, les faits dénoncés comme commis du 30 septembre 1957 au 17 décembre 1957 n’étaient pas atteints par la prescription ;
“alors, qu’enfin, aucune loi d’amnistie ne peut s’opposer à la poursuite et à la condamnation de faits dénoncés comme crimes contre l’humanité, dès lors que cette incrimination est issue d’une coutume répressive internationale hiérarchiquement supérieure à la loi interne ; qu’en se bornant à énoncer que les crimes dénoncés par les parties civiles entrent dans le champ d’application de l’article 1er de la loi d’amnistie du 31 juillet 1968, puisque commis par des militaires dans l’exercice de leurs fonctions, dans le cadre de la guerre d’Algérie, sans constater que l’incrimination de crime contre l’humanité a une valeur supérieure à la loi nationale, les juges d’appel ont violé le principe susvisé” ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le MRAP et Louisette Y… ont, le 21 juin 2001, porté plainte et se sont constitués parties civiles contre personne non dénommée du chef de crimes contre l’humanité, à raison des tortures pratiquées sur la personne de cette dernière par des militaires français, à Alger, de septembre à décembre 1957 ;
Attendu que, pour confirmer l’ordonnance entreprise, la chambre de l’instruction retient que, ne pouvant être poursuivis sous la qualification de crimes contre l’humanité, les faits dénoncés entrent dans les prévisions de la loi n°68-697, en date du 31 juillet 1968, portant amnistie ;
Attendu qu’en prononçant ainsi, les juges ont justifié leur décision ;
Que, les dispositions de la loi du 26 décembre 1964 et celles du Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg, annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, ne concernent que les faits commis pour le compte des pays européens de l’Axe ;
Que, par ailleurs, les principes de légalité des délits et des peines et de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère, énoncés par les articles 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 7-1 de la Convention européenne des droits de l’homme, 15-1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 111-3 et 112-1 du Code pénal, font obstacle à ce que les articles 211-1 à 212-3 de ce Code réprimant les crimes contre l’humanité s’appliquent aux faits commis avant la date de leur entrée en vigueur, le 1er mars 1994 ;
Qu’enfin, la coutume internationale ne saurait pallier l’absence de texte incriminant, sous la qualification de crimes contre l’humanité, les faits dénoncés par les parties civiles ;
D’où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;