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AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
– LA FEDERATION INTERNATIONALE DES LIGUES DES DROITS DE L’HOMME (FIDH), partie civile,
contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de PARIS, en date du 12 avril 2002, qui a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction refusant d’informer sur sa plainte contre le général Paul X… du chef de crimes contre l’humanité ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 3 juin 2003 où étaient présents : M. Cotte président, Mme Anzani conseiller rapporteur, M. Joly, Mmes Chanet, Mazars, MM. Beyer, Pometan conseillers de la chambre, MM. Desportes, Ponsot, Mme Ménotti conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
Sur le rapport de Mme le conseiller ANZANI, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DI GUARDIA ;
Vu l’article 575, alinéa 2, 1°, du Code de procédure pénale ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, du Statut du Tribunal militaire de Nuremberg annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, de la résolution des Nations Unies du 16 février 1946, de l’article unique de la loi du 26 décembre 1964, des articles 7.2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 15-2 du Pacte international des Nations Unies, de l’article 212-1 du Code pénal, de la loi portant amnistie du 31 juillet 1968, de la loi n° 99-882 du 18 octobre 1999 substituant à l’expression “opérations effectuées en Algérie” l’expression “guerre d’Algérie”, du principe de la supériorité de la norme coutumière répressive internationale sur les lois nationales, ensemble violation des droits de la défense, défaut de motifs, manque de base légale ;
“en ce que l’arrêt attaqué a confirmé l’ordonnance de refus d’informer pour les crimes contre l’humanité commis en Algérie de 1955 à 1957 ;
“aux motifs, d’une part, que les faits dénoncés par la partie civile se sont produits en Algérie entre 1955 et 1957, à une époque où ce territoire était français en sorte que c’est en vain que sont invoqués des textes de droit international qui ont sanctionné des actes de torture lors de divers conflits internationaux ;
“aux motifs, d’autre part, que c’est tout aussi vainement que la partie civile invoque une “coutume internationale” qui ne peut pas pallier l’absence de convention pour créer, ab initio, une incrimination pénale, sachant qu’au demeurant, si tel était le cas, cette coutume, à supposer reconnue de manière universelle, ne pourrait avoir pour effet que d’imposer des obligations aux Etats qui se sentent liés par elle, sans pour autant avoir d’autre effet contraignant, dans un corpus de droit interne ; qu’il importe donc de rechercher si les faits poursuivis sont et étaient susceptibles d’incrimination et de sanction en droit pénal français ;
“aux motifs, de troisième part, que s’agissant d’actes qui se sont déroulés en Algérie entre 1955 et 1957, ils ont été tous amnistiés par l’article 1er de la loi du 31 juillet 1968 portant amnistie et que l’absence de consultation des victimes sur le bien-fondé de cette loi est sans influence sur son applicabilité, sachant que le fait que des magistrats étrangers aient jugé, dans des espèces très différentes, que l’amnistie ne pouvait couvrir des faits de torture, est sans incidence sur cette analyse ;
“aux motifs, de quatrième part, que si l’article 212-1 du Code pénal définit le crime contre l’humanité, ce qui permettrait, selon la partie civile, d’échapper tant à l’amnistie qu’à la prescription des faits, il suffit d’observer que ce texte n’est entré en application que le 1er mars 1994, postérieurement aux faits dénoncés, lesquels étaient déjà amnistiés et qu’il ne peut avoir eu pour effet, sauf volonté contraire expresse du législateur, absente en l’espèce, de rendre à nouveau incriminables ;
“aux motifs, enfin, que si la partie civile considère que la jurisprudence en la matière serait illégitime au regard des principes qu’elle rappelle, il n’en est pas moins certain qu’aux termes de celle-ci, les agissements reprochés au général X… ne sont pas susceptibles, eu égard à la date de leur commission, postérieure à la seconde guerre mondiale, de recevoir la qualification de crimes contre l’humanité, les dispositions de la loi du 26 décembre 1964 et du Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg, annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 ne concernant que des faits commis pour le compte des pays européens de l’axe et la Charte du Tribunal militaire de Tokyo qui n’a pas été ratifiée ni publiée en France et qui n’est pas entrée dans les prévisions de la loi du 26 décembre 1964 ou de la résolution des Nations Unies du 13 février 1946, ne visant en son article 5, que les exactions commises par les criminels de guerre japonais ;
“alors que, d’une part, le fait que l’Algérie ait été un territoire français entre 1955 et 1957 ne peut suffire à écarter l’application des règles de droit international qui ont sanctionné des actes de torture commis lors de divers conflits internationaux ; que la notion de crimes contre l’humanité initialement définie par le Statut du Tribunal militaire de Nuremberg à l’occasion des crimes commis pendant la seconde guerre mondiale par l’Allemagne nazie est une incrimination qui s’applique à des faits commis dans un contexte de guerre civile ou de guerre entre deux nations ; que les événements d’Algérie, dorénavant qualifiés par la loi n° 99-882 du 18 octobre 1999, de “guerre d’Algérie” autorisent une éventuelle mise en oeuvre de la notion de crime contre l’humanité dès lors que les critères exigés par cette notion sont réunis ; qu’en se prononçant ainsi, les juges d’appel ont faussement appliqué la loi ;
“alors que, d’autre part, selon les dispositions combinées du Statut du Tribunal militaire de Nuremberg annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 qui vise les crimes commis à l’occasion de la seconde guerre mondiale, de la résolution des Nations Unies du 13 février 1946 qui prend acte de la définition des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, de l’article unique de la loi du 26 décembre 1964 qui institue l’imprescriptibilité par nature des crimes contre l’humanité, il existe une norme coutumière internationale de crime contre l’humanité, reconnue par l’ensemble des nations et ultérieurement intégrée dans l’ordre juridique interne, le 1er mars 1994, dans le Titre Premier du Livre deuxième du Code pénal aux articles 211-1 et 212-1 ; que cette norme coutumière permanente issue de l’ordre juridique international manifesté par les déclarations, les résolutions ou engagements des nations civilisées, est directement applicable devant les juridictions françaises dès lors qu’elle n’est pas contredite par des dispositions contraires internes contemporaines ; qu’en refusant de prendre en compte l’incrimination de crime contre l’humanité reconnue par la coutume internationale pour déclarer ensuite l’action publique éteinte, les juges d’appel ont méconnu le sens et la portée des textes susvisés en permettant à une personne
revendiquant la commission d’actes de tortures d’échapper à la répression par méconnaissance de l’ordre répressif international ;
“alors qu’en tout état de cause, aucune loi d’amnistie ne peut s’opposer à la poursuite et à la condamnation de faits dénoncés comme crimes contre l’humanité, dès lors que cette incrimination est issue d’une coutume répressive internationale hiérarchiquement supérieure à la loi interne ; qu’en se bornant à énoncer que les crimes dénoncés par la partie civile entrent dans le champ d’application de l’article 1er de la loi d’amnistie du 31 juillet 1968, laquelle énonce que sont amnistiées toutes les infractions commises en relation avec les événements d’Algérie, sans constater que l’incrimination de crime contre l’humanité a une valeur supérieure à la loi nationale, les juges d’appel ont violé le principe susvisé ;
“alors qu’en outre, il importe peu que les dispositions de l’article 212-1 du Code pénal définissant le crime contre l’humanité soient entrées en vigueur le 1er mars 1994, postérieurement aux faits dénoncés d’ores et déjà amnistiés, sans volonté contraire expresse du législateur de les rendre rétroactives, dès lors que celles-ci figuraient dans l’ordre répressif international contemporain aux faits dénoncés ;
“alors qu’enfin, il résulte de la combinaison des articles 7.2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 15-2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que le principe de la légalité des délits et des peines doit être écarté lorsque la déclaration de culpabilité et la condamnation consécutive ont été prononcées à l’encontre d’une personne qui a commis des faits dénoncés comme criminels selon les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations civilisées à l’époque de leur commission ; que parmi ces principes reconnus par l’ordre juridique international manifesté par les déclarations, les résolutions ou engagements des nations civilisées, figure l’incrimination de crimes contre l’humanité, laquelle peut alors donner lieu à des poursuites pénales au-delà du délai décennal de la prescription de l’action publique dès lors que les faits reprochés, commis entre 1955 et 1957 répondaient à l’époque à la norme coutumière reconnue par l’ensemble des nations et étaient soumis à l’imprescriptibilité par nature des crimes contre l’humanité prévue par la loi du 26 décembre 1964 ; qu’ainsi, lors du dépôt de la plainte avec constitution de la partie civile de la FIDH à la date du 29 mai 2001, les faits dénoncés par le général Paul X… comme commis entre 1955 et 1957 ne sont pas atteints par la prescription” ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation de la Constitution du 4 octobre 1958, du Statut du Tribunal militaire de Nuremberg annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, de la résolution des Nations Unies du 16 février 1946, de l’article unique de la loi du 26 décembre 1964, de l’article 212-1 du Code pénal, des articles 6, 8, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions et défaut de motifs, manque de base légale ;
“en ce que l’arrêt attaqué a confirmé l’ordonnance de refus d’informer pour les crimes contre l’humanité commis en Algérie de 1955 à 1957 ;
“alors que, dans ses conclusions régulièrement déposées, la partie civile démontrait que les crimes contre l’humanité reprochés au général X… présentaient le caractère d’infraction continue dans la mesure où les corps de nombreuses personnes enlevées et disparues n’ont jamais été retrouvées et qu’aucun acte de décès n’a jamais été établi, et en déduisait que les faits dénoncés continuaient de se perpétrer et ne pouvaient se voir opposer le principe de non-rétroactivité ; que l’arrêt attaqué devait répondre aux conclusions de la partie civile qui écartaient ainsi tant l’acquisition de la prescription de l’action publique que les dispositions de la loi portant amnistie du 31 juillet 1968 et qu’en omettant de répondre à ce chef péremptoire de la défense, les juges d’appel n’ont pas légalement justifié leur décision” ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que la Fédération internationale de la Ligue des droits de l’homme (FIDH) a porté plainte et s’est constituée partie civile contre le général Paul X… pour crimes contre l’humanité, à raison des tortures et exécutions sommaires que celui-ci révèle, dans un livre publié le 3 mai 2001, avoir pratiquées ou ordonné de pratiquer en Algérie de 1955 à 1957 ;
Attendu que, pour confirmer l’ordonnance entreprise, la chambre de l’instruction retient par les motifs repris au moyen que, ne pouvant être poursuivis sous la qualification de crimes contre l’humanité, les faits dénoncés entrent dans les prévisions de la loi n°68-697, en date du 31 juillet 1968, portant amnistie ;
Attendu qu’en l’état de ces seuls motifs, les juges, qui n’avaient pas à répondre à l’argumentation reposant sur de simples allégations selon lesquelles les crimes dénoncés seraient des infractions continues échappant à l’amnistie et à la prescription, ont justifié leur décision ;
Que, les dispositions de la loi du 26 décembre 1964 et celles du Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg, annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, ne concernent que les faits commis pour le compte des pays européens de l’Axe ;
Que, par ailleurs, les principes de légalité des délits et des peines et de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère, énoncés par les articles 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 7-1 de la Convention européenne des droits de l’homme, 15-1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 111-3 et 112-1 du Code pénal, font obstacle à ce que les articles 211-1 à 212-3 de ce Code réprimant les crimes contre l’humanité s’appliquent aux faits commis avant la date de leur entrée en vigueur, le 1er mars 1994 ;
Qu’enfin, la coutume internationale ne saurait pallier l’absence de texte incriminant, sous la qualification de crimes contre l’humanité, les faits dénoncés par la partie civile ;
D’où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;