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AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
– LE MOUVEMENT CONTRE LE RACISME ET POUR L’AMITIE ENTRE LES PEUPLES (MRAP), partie civile,
contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de PARIS, en date du 14 décembre 2001, qui a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction refusant d’informer sur sa plainte contre personne non dénommée du chef de crimes contre l’humanité ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 3 juin 2003 où étaient présents : M. Cotte président, Mme Anzani conseiller rapporteur, M. Joly, Mmes Chanet, Mazars, MM. Beyer, Pometan conseillers de la chambre, MM. Desportes, Ponsot, Mme Ménotti conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
Sur le rapport de Mme le conseiller ANZANI, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DI GUARDIA ;
Vu l’article 575, alinéa 2, 1°, du Code de procédure pénale ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l’article 55 de la Constitution, du Statut du Tribunal militaire de Nuremberg annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, de la résolution des Nations Unies du 16 février 1946, de l’article unique de la loi du 26 décembre 1964, des articles 7.2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 15-2 du Pacte international des Nations Unies, de l’article 212-1 du Code pénal, de la loi portant amnistie du 31 juillet 1968, du principe de la supériorité de la norme coutumière répressive internationale sur les lois nationales, ensemble violation des droits de la défense, défaut de motifs, manque de base légale ;
“en ce que l’arrêt attaqué a prononcé un refus d’informer pour les crimes contre l’humanité commis en Algérie de 1955 à 1657 ;
“aux motifs, d’une part, que les faits dénoncés ne peuvent être poursuivis que s’ils revêtent une qualification pénale de droit interne ou de droit international ; que l’article 212-1 du Code pénal qui définit le crime contre l’humanité n’a été introduit dans la législation interne que le 1er mars 1994 en sorte que cette incrimination ne peut s’appliquer à des faits commis antérieurement et que l’article 1er de la loi du 26 décembre 1964 qui a déclaré imprescriptibles les crimes contre l’humanité n’en a donné aucune définition, se référant alors aux textes internationaux préexistants ;
que les seules dispositions d’incrimination dans l’ordre international auxquelles la France est tenue sont celles prévues par la Charte du Tribunal international de Nuremberg annexée à l’accord de Londres du 8 août 1945, ainsi que celles inscrites dans la résolution des Nations Unies du 13 février 1946 qui ne visent l’une et l’autre que des crimes ayant eu lieu pendant la seconde guerre mondiale en sorte que ces textes ne sauraient donc trouver application en l’espèce ;
“aux motifs, d’autre part, qu’on ne saurait, à l’appui de poursuites, invoquer une coutume internationale qui, si elle peut, le cas échéant, guider l’interprétation d’une convention, ne peut, en tout état de cause, pallier son absence pour créer, ab initio, une incrimination ;
“aux motifs, de troisième part, que l’application de la qualification de l’article 212-1 du Code pénal à des faits qui lui sont antérieurs, a fortiori déjà prescrits selon les dispositions du droit commun, est en contradiction avec le principe de non-rétroactivité de la loi pénale qui ne pourrait être combattu que par une disposition expresse du législateur, qui fait défaut en l’espèce ; que, de même, l’imprescriptibilité de faits antérieurs ne pourra être constatée, sauf à se heurter au principe général posé par l’article 112-2, 4°, en l’absence de dispositions spécifiques en ce sens ;
“aux motifs, enfin, que l’article 1er de la loi du 13 juillet 1968 qui dispose que sont amnistiées de plein droit toutes les infractions commises en relation avec les événements d’Algérie, s’applique aux faits de droit commun dénoncés par la partie civile, en sorte qu’il y a lieu de constater que ceux-ci sont amnistiés ;
“alors que, d’une part, selon les dispositions combinées du Statut du Tribunal militaire de Nuremberg annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 qui vise les crimes commis à l’occasion de la Seconde Guerre mondiale, de la Résolution des Nations Unies du 13 février 1946 qui prend acte de la définition des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, de l’article unique de la loi du 26 décembre 1964 qui institue l’imprescriptibilité par nature des crimes contre l’humanité, il existe une norme coutumière internationale de crime contre l’humanité, reconnue par l’ensemble des nations et ultérieurement intégrée dans l’ordre juridique interne, le 1er mars 1994, dans le titre premier du livre deuxième du Code pénal aux articles 211-1 et 212-1 ; que cette norme coutumière permanente issue de l’ordre juridique international manifesté par les déclarations, les résolutions ou engagements des nations civilisées, est directement applicable devant les juridictions françaises dès lors qu’elle n’est pas contredite par des dispositions contraires internes contemporaines ; qu’en refusant de prendre en compte l’incrimination de crime contre l’humanité reconnue par le coutume internationale pour déclarer ensuite l’action publique éteinte, les juges d’appel ont méconnu le sens et la portée des textes susvisés en permettant à une personne revendiquant la commission d’actes de tortures d’échapper à la répression par méconnaissance de l’ordre répressif international ;
“alors que, d’autre part, il résulte de la combinaison des articles 7.2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 15-2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que le principe de la légalité des délits et des peines doit être écarté lorsque la déclaration de culpabilité et la condamnation consécutive ont été prononcées à l’encontre d’une personne qui a commis des faits dénoncés comme criminels selon les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations civilisées à l’époque de leur commission ; que parmi ces principes reconnus par l’ordre juridique international manifesté par les déclarations, les résolutions ou engagements des nations civilisées, figure l’incrimination de crimes contre l’humanité, laquelle peut alors donner lieu à des poursuites pénales au-delà du délai décennal de la prescription de l’action publique dès lors que les faits reprochés, commis entre 1955 et 1957 répondaient à l’époque à la norme coutumière reconnue par l’ensemble des nations et étaient soumis à l’imprescriptibilité par nature des crimes contre l’humanité prévue par la loi du 26 décembre 1964 ; qu’ainsi, lors du dépôt de la plainte avec constitution de la partie civile du MRAP à la date du 9 mai 2001, les faits dénoncés par le général Paul X… comme commis entre 1955 et 1957 ne sont pas atteints par la prescription ;
“alors, enfin, qu’aucune loi d’amnistie ne peut s’opposer à la poursuite et à la condamnation de faits dénoncés comme crimes contre l’humanité, dès lors que cette incrimination est issue d’une coutume répressive internationale hiérarchiquement supérieure à la loi interne ; qu’en se bornant à énoncer que les crimes dénoncés par la partie civile entrent dans le champ d’application de l’article 1er de la loi d’amnistie du 31 juillet 1968 laquelle énonce que sont amnistiées toutes les infractions commises en relation avec les événements d’Algérie, sans constater que l’incrimination de crime contre l’humanité a une valeur supérieure à la loi nationale, les juges d’appel ont violé le principe susvisé” ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP) a porté plainte et s’est constitué partie civile contre personne non dénommée pour crimes contre l’humanité, à raison des tortures et exécutions sommaires que, dans un livre publié le 3 mai 2001, le général Paul X… révélait avoir pratiquées ou ordonné de pratiquer sur la population civile, en Algérie entre 1955 et 1957, alors qu’il était officier de renseignements au service de l’armée française ;
Attendu que, pour confirmer l’ordonnance entreprise, la chambre de l’instruction retient par les motifs repris au moyen que, ne pouvant être poursuivis sous la qualification de crimes contre l’humanité, les faits dénoncés entrent dans les prévisions de la loi n°68-697, en date du 31 juillet 1968, portant amnistie ;
Attendu qu’en prononçant ainsi, les juges ont justifié leur décision ;
Que, les dispositions de la loi du 26 décembre 1964 et celles du Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg, annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, ne concernent que les faits commis pour le compte des pays européens de l’Axe ;
Que, par ailleurs, les principes de légalité des délits et des peines et de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère, énoncés par les articles 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 7-1 de la Convention européenne des droits de l’homme, 15-1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 111-3 et 112-1 du Code pénal, font obstacle à ce que les articles 211-1 à 212-3 de ce Code réprimant les crimes contre l’humanité s’appliquent aux faits commis avant la date de leur entrée en vigueur, le 1er mars 1994 ;
Qu’enfin, la coutume internationale ne saurait pallier l’absence de texte incriminant, sous la qualification de crimes contre l’humanité, les faits dénoncés par la partie civile ;
D’où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;