Crimes contre l’humanité : 15 mai 2001 Cour de cassation Pourvoi n° 00-87.628

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Crimes contre l’humanité : 15 mai 2001 Cour de cassation Pourvoi n° 00-87.628

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quinze mai deux mille un, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire AGOSTINI, les observations de Me PRADON, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LAUNAY ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

– K… CHANTAL,

– K… Pierre,

– X… Monique, épouse K…,

parties civiles,

contre l’arrêt n 933 de la chambre d’accusation de la cour d’appel de VERSAILLES, en date du 13 octobre 2000, qui, dans l’information suivie, sur leur plainte, contre personne non dénommée des chefs de faux témoignages et subornation de témoins, a confirmé l’ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction ;

Vu l’article 575, alinéa 2, 6, du Code de procédure pénale ;

Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 199, 575, 591 et 593 du Code de procédure pénale, vice de forme ;

” en ce que l’avocat de la partie civile, en l’absence de mis en examen, n’a pas eu la parole le dernier ;

” alors que l’ordre de parole fixé par l’article 199 du Code de procédure pénale spécifie qu’après le rapport du conseiller, le procureur général puis les avocats des parties ont la parole ; qu’en laissant la parole au procureur général en dernier, la procédure n’a pas été respectée ” ;

Attendu qu’il n’importe que l’avocat des parties civiles appelantes ait présenté ses observations avant le ministère public dès lors que, seule est prescrite à peine de nullité l’audition en dernier de la personne mise en examen ou de son avocat ;

Que le moyen ne saurait donc être accueilli ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 575, 591 et 593 du Code de procédure pénale ainsi que des droits de la défense, manque de base légale ;

” en ce que la chambre d’accusation a confirmé l’ordonnance de non-lieu et déclaré qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre les témoins qui avaient changé sciemment leur témoignage pour obtenir la condamnation de Paul K…, ni les personnes qui les avaient incités à modifier leurs témoignages ;

” aux motifs que ” les témoignages incriminés ont été produits en justice, sous la foi du serment, qu’ils présentent un caractère déterminant ; que de tels témoignages ne sont en rien une garantie d’objectivité au regard de la vérité, mais doivent être fondés de la part de leurs auteurs, sur la loyauté, qualité nécessaire à la formation de l’intime conviction des juges ;

” que des variations et contradictions des témoins ne peuvent valoir, par eux-mêmes mensonges, qu’elles ne peuvent devenir mensongères que si elles constituent des déclarations volontaires ayant pour but d’égarer la justice, avec chez leur auteur, une volonté délibérée de tromper ;

” que l’intention dans le faux témoignage, consiste en la connaissance du mensonge par son auteur et en la volonté de le maintenir malgré tout ;

” qu’après l’arrêt de non-lieu général de la chambre d’accusation de Paris et l’arrêt de cassation partielle, sur le seul fait de Rillieux, et au seul motif que la juridiction n’avait pas recherché si Rillieux n’avait pas été le fruit de l’instigation allemande, ce qui aurait caractérisé le crime contre l’humanité à l’endroit de Paul K…, les deux témoins (Jacques B… et M. F…) auraient changé leurs déclarations, ce, dans le seul but de caractériser le crime devant la cour d’assises ;

” qu’il est reproché à Jacques B…, historien-témoin, d’avoir changé d’avis quant aux instructions des allemands reçues par la milice pour aboutir à la mort de sept otages juifs le 28 juin 1944 à Rillieux la Pape, en indiquant : ” Joseph A… a déclaré, au cours de l’instruction de son procès, que les allemands avaient réclamé l’exécution d’une quarantaine d’otages pour l’ensemble de la France… J’ai commis une erreur parce que je ne connaissais pas ce document (PV d’audition de Joseph A… en date du 6 août 1945 par le juge d’instruction près la Commission de la Haute Cour de Justice). Maintenant, je le sais, il y a bien eu des ordres allemands ” ;

” que les parties civiles estiment que ces dernières déclarations de Jacques B… sont constitutives d’un mensonge, car celui-ci, dès le 11 avril 1990, avait fait état de l’existence de ce document devant le juge d’instruction M. C… ;

” que Jacques B… a expliqué que ce n’était pas ce document qui l’avait conduit à charger d’avis quant à l’instigation allemande dans la fusillade de Rillieux, mais une série d’autres documents réunis à la demande de chercheurs travaillant sur une biographie de Georges H… ;

” qu’il a expliqué à cet égard, qu’après avoir reconstitué les événements qui ont précédé l’assassinat de Georges H… montrant le cheminement de l’ordre allemand, il avait alors eu une autre lecture de l’affaire de Rillieux ; à savoir que E…, chef de la Gestapo de Lyon avait donné à M. de Y… l’ordre d’exécuter des otages, M. de Y… avait transmis l’ordre à K…, inspecteur national du deuxième service, lequel l’avait mis à exécution ; qu’il a alors eu la conviction que cet enchaînement était conforme à la vérité ; qu’en outre, à Lyon comme à Paris, était alors évoquée la vengeance de la mort de Philippe G… ;

” que si Eric Z…, journaliste, et Henry J…, directeur de recherches au CNRS, ont affirmé, pensant rapporter fidèlement les propos de Jacques B…, que celui-ci avait déclaré ” qu’il avait sans doute eu tort de changer d’avis sur la question de l’instigation allemande dans l’affaire de Rillieux “, l’intéressé a tenu à préciser que ses affirmations avaient été mal comprises, qu’il avait seulement exprimé ses regrets de s’être trompé si longtemps ;

” que Jacques B… a fait un travail d’historien, qu’il n’a pas assisté à la fusillade de Rillieux, que ce qu’il peut en dire ne résulte que d’une interprétation historique de faits dont les parties civiles n’établissent d’ailleurs absolument pas l’inexactitude ; qu’en outre, il ne peut être suspecté d’une quelconque mauvaise foi, qu’ainsi les faits qui lui sont reprochés par les parties civiles ne sont en rien constitués et l’ordonnance entreprise doit être confirmée ;

” que Louis F… a été un témoin direct de la fusillade de Rillieux la Pape, qu’il a expliqué à de très nombreuses reprises devant plusieurs juges d’instruction qu’il avait été arrêté par la milice le 21 juin 1944 en tant que résistant, qu’à ce titre, il était donc détenu dans les locaux de la milice, impasse Cathelin à Lyon, que le 27 juin ils étaient quatre en cellule dont deux juifs, que dans le courant de la journée du 28 juin, cinq autres juifs avaient été conduits dans cette cellule, qu’ils étaient ainsi onze personnes dans un espace de six mètres carrés environ ;

” que Louis F… a continué son récit en expliquant que dans la soirée, le nommé D…, chef de centaine, avait appelé et fait sortir les sept juifs de la cellule, qu’en dernier le nom de F… avait été appelé, les huit hommes étant alors dans le couloir de la prison, plaqués contre le mur ;

” qu’à ce moment Paul K… était monté au premier étage, avait appelé M. D…, que les deux hommes s’étaient entretenus à voix basse, qu’après cet entretien, Louis F… avait été remis en cellule ; que le soir il a appris que les sept juifs avaient été fusillés ;

” que Louis F… a indiqué devant la cour d’assises des Yvelines que lors de ses dépositions devant le juge d’instruction il n’avait été question que de l’action des allemands se trouvant à Lyon, dont il a toujours pensé, et pense toujours, qu’ils n’étaient pas à l’origine de la fusillade de Rillieux ; qu’en revanche, il a expliqué devant cette cour d’assises ce qu’avait été le fonctionnement de la milice sur le plan national, les ordres émanant de la direction de la milice à Paris étant transmis aux différentes régions de la milice, et les responsables régionaux interprétant les ordres reçus à leur manière ;

” que Louis F… a alors exposé les motifs fondant sa conviction selon laquelle les Allemands étaient bien à l’origine de l’affaire de Rillieux ; qu’à l’époque, et toujours en se situant au niveau national du fonctionnement de la milice et non à l’échelon lyonnais, Joseph A… (le fondateur de la milice) avait sans doute eu un contact avec le général I…, (chef supérieur des SS et responsable de la police nationale pour la France de 1942 à 1944), le premier ayant prêté serment d’allégeance au fuhrer devant le second ; qu’en tout état de cause, dès le lendemain de la mort de G… qui avait bénéficié de funérailles nationales, la fusillade de Rillieux la Pape avait eu lieu ;

” qu’on ne peut prétendre que, ce faisant, Louis F… ait menti, qu’il a ainsi évoqué des faits dont il ne possédait pas tous les éléments, que dès lors, il peut avoir commis des erreurs, mais certainement pas un mensonge étant observé que les parties civiles n’établissent absolument pas l’inexactitude des propos tenus par ce témoin devant la cour d’asises des Yvelines ;

” qu’il est établi que le milicien Pranal, lors de son procès, s’est contenté d’affirmer qu’il n’avait pas torturé, lui-même, Louis F… ;

” que le 22 octobre 1981, Louis F… a déclaré à Mme Anzani, juge d’Instruction, qu’il avait été emmené dans le bureau de Paul K… pour être présenté à une jeune femme qui refusait de donner des renseignements à la milice ; que Paul K… avait alors demandé à celle-ci de regarder l’homme qui se trouvait dans son bureau, lui précisant qu’elle serait dans le même état physique, si elle ne parlait pas ;

” que, dès le 10 juillet 1990, Louis F… affirmait dans le cabinet de M.
C…
qu’il avait été torturé dans les locaux de la milice par M. D…, ce, l’après-midi même suivant une mesure de transport dans les locaux de la milice, à Lyon ; qu’il a notamment affirmé avoir subi le supplice de la baignoire après avoir indiqué, au juge d’instruction, les endroits précis où cela s’était déroulé ;

” qu’on ne saurait reprocher à Louis F… d’être resté discret sur les horreurs qu’il avait subies, qu’en outre, alors qu’il témoignait devant une cour d’assises, plus de cinquante ans après les faits, le mécanisme de la scotomisation ayant produit ses effets, il devenait possible de parler de ce qu’il avait réellement enduré ;

” qu’il apparait constant que les déclarations de Louis F… ont été sincères et cohérentes ;

” qu’en ce qui concerne l’infraction de subornation de témoin reprochée par la partie civile, une simple recommandation ou suggestion telles que celles faites par un avocat lors du procès de Versailles qui aurait dit à Louis F… ” n’est ce pas, Louis F…, c’est E… qui a exigé des représailles ” ne sauraient la constituer ;

” alors que, d’une part, les parties civiles avaient soutenu que les documents à partir desquels Jacques B… avait changé d’avis n’existaient pas ; qu’en considérant le contraire, sans citer un seul document, la Cour a privé sa décision de base légale et n’a pas satisfait aux conditions de son existence légale ;

” alors que, d’autre part, en affirmant qu’un historien, qui avait fait des déclarations, dont certaines sous serment, totalement contradictoires et qui avait reconnu que, pour un homme de sa génération, il était inacceptable de voir Paul K… acquitté, ne peut être suspecté d’une quelconque mauvaise foi, la chambre d’accusation n’a pas respecté le principe de neutralité ;

” alors que, de troisième part, en ne répondant pas au moyen pertinent selon lequel les retournements des témoins avaient pour origine leur crainte de voir Paul K… acquitté ou dédouané, la chambre d’accusation n’a pas satisfait aux conditions nécessaires à l’existence légale de sa décision ” ;

 


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