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N° Z 18-85.263 F-D
N° 2180
SM12
13 NOVEMBRE 2019
DECHEANCE
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
–
–
M. N… I…,
et
l’association Avocats sans frontières, partie civile,
contre l’arrêt n° 212 de la cour d’appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 6 juin 2018, qui, pour contestation de crimes contre l’humanité, a condamné le premier à une amende de 6 000 euros et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 1er octobre 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Lavaud ;
Sur le rapport de M. le conseiller BONNAL, les observations de la société civile professionnelle BOULLOCHE, de la société civile professionnelle RICARD, BENDEL-VASSEUR, GHNASSIA, de Me Laurent GOLDMAN, de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU et de la société civile professionnelle POTIER DE LA VARDE, BUK-LAMENT et ROBILLOT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LEMOINE ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I-. Sur le pourvoi formé par l’association Avocats sans frontières :
Attendu qu’aucun moyen n’est produit ;
II-. Sur le pourvoi formé par M. I… :
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, du jugement qu’il confirme et des pièces de la procédure que le procureur de la République a fait citer devant le tribunal correctionnel du chef précité M. I… pour avoir mis en ligne sur le réseau Twitter, le 27 avril 2016, le message : “Je suis émerveillé de la longévité des “rescapés de la Shoah” morts à plus de 90 ans. Ont-ils vécu les horreurs qu’ils ont racontées ?” et le lendemain, 28 avril, le message : “La plantureuse M… P…, “rescapée de la Shoah”, a 88 ans. À ma connaissance, elle va bien” ; qu’après avoir rejeté une exception de nullité de la citation, les juges du premier degré sont entrés en voie de condamnation contre le prévenu ; que ce dernier, ainsi que l’association Avocats sans frontières, qui s’était constituée partie civile, ont relevé appel de ce jugement ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la convention européenne des droits de l’homme, 24 bis et 53 de la loi du 29 juillet 1881, 111-2, 111-3, 111-4 du code pénal, 589, 591 et 593 du code de procédure pénale,
en ce que la cour d’appel a écarté le moyen de nullité de la citation ;
alors que la citation délivrée sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 doit, à peine de nullité de la poursuite, préciser et qualifier les faits incriminés et énoncer le texte de loi applicable aux poursuites ; que comme l’a soutenu M. I…, en l’espèce, la citation évoquait seulement la contestation par le prévenu de l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, sans que soient précisés et cités les articles visés ; que pour écarter l’exception de nullité, la cour a retenu que le texte de loi applicable à la poursuite était l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 qui avait bien été visé par la citation et que le prévenu avait eu connaissance de l’infraction qui lui était reprochée, de sorte qu’aucune atteinte à ses droits de la défense ne pouvait être invoquée, violant ainsi les textes susvisés ;
Attendu que, pour rejeter l’exception de nullité de la citation tirée de ce que les articles 6 et 9 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 n’étaient ni visés ni cités dans cet acte, l’arrêt énonce que le texte de loi applicable à la poursuite, au sens de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, est l’article 24 bis de ladite loi, qui a été visé dans la citation ; que les juges ajoutent que les principes régissant la publicité des lois et décrets n’ont pas à être appliqués au jugement du tribunal militaire international de Nuremberg auquel il est fait référence dans la définition du délit de contestation de crimes contre l’humanité et que le prévenu a eu parfaitement connaissance de l’infraction qui lui était reprochée, de sorte qu’aucune atteinte à ses droits de la défense ne pourrait justifier l’annulation de la citation ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, et dès lors que, d’une part, il n’appartient pas aux juges de subordonner la régularité d’un acte de poursuite qui ne crée aucune incertitude sur l’objet de celle-ci à d’autres conditions que celles prévues par l’article 53 précité, d’autre part, la référence faite par l’article 24 bis au statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 définit de façon claire et précise l’infraction, la cour d’appel a fait l’exacte application des textes invoqués ;
D’où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la convention européenne des droits de l’homme, 111-4 du code pénal, 24 bis et 53 de la loi du 29 juillet 1881, 589, 591 et 593 du code de procédure pénale,
en ce que la cour d’appel a déclaré M. I… coupable des faits qui lui étaient reprochés et l’a condamné à une peine d’amende de 6 000 euros et à payer diverses indemnités aux parties civiles ;
1°) alors que la loi pénale est d’interprétation stricte ; que le délit de contestation de crimes contre l’humanité suppose la remise en cause des crimes, tels que définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international, commis par une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 du statut ; que n’entre pas dans les prévisions de ce délit et ne constituent pas une remise en cause de ces crimes des commentaires portés sur les conséquences de la déportation pour certaines personnes physiques ; qu’en l’espèce, la cour a déclaré le prévenu coupable de contestation de crimes contre l’humanité pour avoir non pas contesté l’existence de la Shoah, mais minimisé par insinuation les souffrances et les conditions de déportation infligées dans les camps de concentration, violant ainsi les textes cités au moyen ;
2°) alors que dans ses conclusions d’appel, M. I… a fait valoir que le message incriminé du 27 avril 2016, sur la longévité des rescapés de la Shoah, était à rattacher à un message mis en ligne la veille et visait spécifiquement M. D… Q…, à qui était imputé des déclarations mensongères concernant sa déportation pendant la guerre ; qu’en estimant que les messages litigieux remettant en cause des témoignages des survivants de la Shoah ou minimisant par insinuation, s’agissant du message concernant Mme P…, les souffrances et les conditions de déportation infligées dans les camps de concentration, constituaient des réductions outrancières tant du nombre effectif que surtout de la qualité réelle des victimes de la Shoah, comme la minoration de leurs souffrances et caractérisaient le délit de contestation de crime contre l’humanité, la cour d’appel, qui a ajouté aux propos de M. I… une globalisation qu’ils ne contenaient pas, a dénaturé lesdits propos et violé les textes susvisés ;
Attendu que, pour confirmer le jugement sur la déclaration de culpabilité du prévenu, l’arrêt énonce que, quoiqu’intervenant le lendemain de la diffusion, le 26 avril 2016 par le prévenu, d’un message non poursuivi selon lequel “D… Q…, soi-disant rescapé de la Choah [sic], mort à 94 ans, avait tout inventé”, le premier message incriminé généralise le propos aux “”rescapés de la Shoah” morts à plus de 90 ans”, en insinuant, par un émerveillement feint et un questionnement déguisé, qu’ils n’ont pas “vécu les horreurs qu’ils ont racontées”, et ce de manière globale et sans laisser entendre que ne seraient visées que certaines de ces personnes, de même que, le 28 avril 2016, le second message poursuivi reprend la même expression de “rescapée de la Shoah” entre guillemets et l’applique à M… P… dont sont soulignés l’âge avancé et la bonne santé ; que les juges ajoutent notamment que le lecteur de ces tweets successifs est à tout le moins conduit à comprendre qu’il lui faut douter de façon générale de la réalité des “horreurs” vécues et des souffrances endurées dans les camps de concentration, telles qu’en témoignent les survivants ; qu’ils concluent que ces réductions outrancières tant du nombre effectif que surtout de la qualité réelle des victimes de la Shoah, comme la minoration de leurs souffrances et la banalisation des crimes nazis, caractérisent le délit de contestation de crime contre l’humanité ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, et dès lors que la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité entre dans les prévisions de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, même si elle est présentée sous forme déguisée ou dubitative ou encore par voie d’insinuation, la cour d’appel, qui a exactement apprécié le sens et la portée des propos poursuivis, en tenant compte des éléments extrinsèques qui lui ont été soumis, a fait une exacte application des textes visés au moyen, lequel n’est pas fondé ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
I. – Sur le pourvoi formé par l’association Avocats sans frontières :
CONSTATE la déchéance du pourvoi ;
II. – Sur le pourvoi formé par M. I… :
Le REJETTE ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. I… devra payer à la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. I… devra payer au Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. I… devra payer à l’association Avocats sans frontières au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. I… devra payer à l’Union des étudiants juifs de France et à l’association J’accuse !… Action internationale pour la justice au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize novembre deux mille dix-neuf ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I-. Sur le pourvoi formé par l’association Avocats sans frontières :
Attendu qu’aucun moyen n’est produit ;
II-. Sur le pourvoi formé par M. I… :
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, du jugement qu’il confirme et des pièces de la procédure que le procureur de la République a fait citer devant le tribunal correctionnel du chef précité M. I… pour avoir mis en ligne sur le réseau Twitter, le 27 avril 2016, le message : “Je suis émerveillé de la longévité des “rescapés de la Shoah” morts à plus de 90 ans. Ont-ils vécu les horreurs qu’ils ont racontées ?” et le lendemain, 28 avril, le message : “La plantureuse M… P…, “rescapée de la Shoah”, a 88 ans. À ma connaissance, elle va bien” ; qu’après avoir rejeté une exception de nullité de la citation, les juges du premier degré sont entrés en voie de condamnation contre le prévenu ; que ce dernier, ainsi que l’association Avocats sans frontières, qui s’était constituée partie civile, ont relevé appel de ce jugement ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la convention européenne des droits de l’homme, 24 bis et 53 de la loi du 29 juillet 1881, 111-2, 111-3, 111-4 du code pénal, 589, 591 et 593 du code de procédure pénale,
en ce que la cour d’appel a écarté le moyen de nullité de la citation ;
alors que la citation délivrée sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 doit, à peine de nullité de la poursuite, préciser et qualifier les faits incriminés et énoncer le texte de loi applicable aux poursuites ; que comme l’a soutenu M. I…, en l’espèce, la citation évoquait seulement la contestation par le prévenu de l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, sans que soient précisés et cités les articles visés ; que pour écarter l’exception de nullité, la cour a retenu que le texte de loi applicable à la poursuite était l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 qui avait bien été visé par la citation et que le prévenu avait eu connaissance de l’infraction qui lui était reprochée, de sorte qu’aucune atteinte à ses droits de la défense ne pouvait être invoquée, violant ainsi les textes susvisés ;