Créer une société d’évènementiel concurrente à celle de son employeur
Créer une société d’évènementiel concurrente à celle de son employeur

Dès lors que l’essentiel d’un litige porte sur les actes de concurrence commis par la société d’une ancienne salariée au préjudice de son ex employeur (société Quotidien Spectacles), le litige ne relève pas de la compétence du conseil de prud’hommes.

Il résulte des articles L. 1411-1 et suivants du code du travail que le conseil de prud’hommes a seul compétence pour juger les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient.

En l’espèce, les parties sont en désaccord sur la nature du litige qui les opposent, la salariée  soutenant qu’à la lecture de l’assignation, les faits de concurrence déloyale reprochés la visent principalement et à titre personnel durant sa relation de travail, de sorte qu’ils ont été commis à l’occasion de son contrat de travail, tandis que la société Quotidien Spectacles soutient au contraire que les faits visent principalement la société fondée par l’ancienne salariée et accessoirement cette dernière en sa qualité de mandataire sociale de cette société.

S’il est relevé, dans l’assignation introductive d’instance une faute de l’ancienne salariée, c’est uniquement celle d’avoir ‘exploité directement en nom propre, sous le nom commercial de A Création. La responsabilité de l’ex salariée est ainsi recherchée, non pas en sa qualité personnelle, comme salariée de la société Quotidien Spectacles, mais bien en sa qualité de mandataire sociale de la société A Création.

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE VERSAILLES

12e chambre

ARRET DU 02 SEPTEMBRE 2021

N° RG 21/01205 –��N° Portalis DBV3-V-B7F-UKVO

AFFAIRE :

Y X

C/

S.A.R.L. QUOTIDIEN SPECTACLES

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 03 Février 2021 par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES

N° RG : 2020F00020

LE DEUX SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT ET UN,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame Y X

née le […] à

[…]

92300 LEVALLOIS-PERRET

Autre(s) qualité(s) : Appelant dans 21/[…]

Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 – N° du dossier 21074

Représentant : Me André FARACHE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1929 –

S.A.S. A CREATION

N° SIRET : 533 70 3 9 06

[…]

[…]

Autre(s) qualité(s) : Appelant dans 21/[…]

Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 – N° du dossier 21074

Représentant : Me André FARACHE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1929 –

APPELANTES

****************

S.A.R.L. QUOTIDIEN SPECTACLES

N° SIRET : 327 31 2 7 16

[…]

[…]

Autre(s) qualité(s) : Intimé dans 21/[…]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 – N° du dossier 2165420

Représentant : Me Charlotte BEAUVISAGE de la SEP BEAUVISAGE et Associés – LCP, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : W01 – par Me SALEIRO

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 17 Juin 2021 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Mme Véronique MULLER, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,

Mme Véronique MULLER, Conseiller,

Monsieur Bruno NUT, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre GAVACHE,

EXPOSE DU LITIGE

Mme Y X a été embauchée le 1er septembre 2003 en qualité de responsable commerciale de la société Quotidien Spectacles, exerçant une activité dans l’édition et la publication de livres, outre l’organisation d’événements culturels et artistiques.

Le 10 mars 2019, Mme X a informé la société Quotidien Spectacles de son intention de créer une société intervenant dans le secteur de l’évènementiel. La société Quotidien Spectacles lui a confirmé son accord le 12 mars 2019 sous certaines conditions liées à l’exercice de ses fonctions de responsable commerciale.

Le 17 avril 2019, Mme Y X a créé la société A Création, ci-après A, dont elle est restée

présidente jusqu’en septembre 2019.

Ayant constaté une baisse de son activité au 4e trimestre 2019, la société Quotidien Spectacles s’est aperçue que la société A avait organisé des évènements pour le compte de certains de ses clients. Par un courrier du 22 octobre 2019, la société Quotidien Spectacles a mis en demeure la société A de cesser tout acte de concurrence déloyale.

Le 22 novembre 2019, la société Quotidien Spectacles a prononcé le licenciement de Mme X pour faute lourde.

Par acte du 23 décembre 2019, la société Quotidien Spectacles a assigné la société A et Mme Y X devant le tribunal de commerce de Nanterre aux fins de voir ordonner à la société A de cesser tout acte de concurrence déloyale, sous astreinte de 15.000 euros par manquement constaté, et de voir condamner in solidum les sociétés A et Mme X à lui payer 550.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Par jugement du 3 février 2021, le tribunal de commerce de Nanterre a :

— Déclaré les exceptions d’incompétence recevables,

— Dit la société A et Mme Y X mal fondées en leurs exceptions d’incompétence,

— S’est déclaré compétent,

— Débouté la société A et Mme Y X de leur demande de sursis à statuer,

— Enjoint les parties à conclure au fond à l’audience du 30 mars 2021,

— Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

— Réservé les dépens,

Par déclaration des 22 février et 16 mars 2021, Mme X et la société A Création ont interjeté appel du jugement.

Par ordonnance du 25 mars 2021, les procédures ont été jointes.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 22 février 2021, la société A et Mme Y X demandent à la cour de :

— Infirmer le jugement du 3 février 2021 en ce qu’il :

— A dit la société A création et Mme Y X mal fondées en leurs exceptions d’incompétence ;

— S’est déclaré compétent ;

— A débouté la société A création et Mme Y X de toutes leurs demandes,

Et statuant à nouveau,

A titre principal :

— Juger que les faits reprochés à Mme X ont été commis à l’occasion de son contrat de travail ;

— Juger que le litige porte exclusivement sur des faits reprochés à Mme X;

— Juger que Mme X n’est pas commerçante ; par conséquent :

— Déclarer le tribunal de commerce de Nanterre incompétent au profit du conseil de prud’hommes de Paris, ou du tribunal judiciaire de Nanterre (que Mme X soit attraite devant le tribunal de commerce en tant que personne physique ou en tant que mandataire social) ;

A titre subsidiaire:

— Ordonner le sursis à statuer jusqu’au jour du prononcé d’une décision définitive, dans le litige opposant Mme

Y X et la société Quotidien Spectacles devant le conseil de Prud’hommes de Paris ayant pour objet

la remise en cause du licenciement pour faute lourde de Mme X, et donc nécessairement l’examen des

faits reprochés à Mme X devant le tribunal de commerce de Nanterre.

En toutes hypothèses :

— Donner acte aux appelantes qu’elles contestent l’ensemble des affirmations de la demanderesse et entendent

conclure ultérieurement notamment sur le fond si par extraordinaire la cour déclarait le tribunal de commerce

compétent ou refusait de surseoir à statuer ;

— Débouter la société Quotidien Spectacles de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

— Condamner la société Quotidien Spectacles à verser à Mme X la somme de 50.000 euros pour intention

de nuire ;

— Condamner la société Quotidien Spectacles à verser à A Creation et Mme X en cause d’appel la

somme de 20.000 euros chacune au titre des frais irrépétibles visés par l’article 700 du code de procédure

civile,

— Condamner la société Quotidien Spectacles aux entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 28 mai 2021, la société Quotidien Spectacles demande à la cour de :

— Déclarer la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive de Mme Y X et de la

société A Création irrecevable ;

— Confirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu le 3 février 2021 par le tribunal de commerce de

Nanterre ;

En conséquence,

— Débouter Mme Y X et la société A Création de toutes leurs demandes fins et conclusions ;

Subsidiairement, si par impossible la cour de céans devait faire droit à une des exceptions soulevées par Mme

X :

— Déclarer le tribunal de commerce de Nanterre compétent pour statuer sur les demandes formées par la

société Quotidien Spectacles à l’encontre de la société A Création et ordonner la poursuite de l’instance à

l’endroit de la société A Création devant le tribunal de commerce de Nanterre ;

En tout état de cause,

— Condamner la société A Création et Mme Y X à payer à la société Quotidien Spectacles la

somme de 10.000 euros chacune en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux

entiers dépens ;

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux

écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il sera observé à titre liminaire que la demande des appelantes tendant à leur donner acte ‘qu’elles contestent

l’ensemble des affirmations de la demanderesse et entendent conclure ultérieurement notamment sur le fond si

par extraordinaire la cour déclarait le tribunal de commerce compétent ou refusait de surseoir à statuer’ ne

constitue pas une prétention au sens de l’article 4 du code de procédure civile, de sorte qu’il n’y a pas lieu de

statuer sur ce point.

1 – Sur la compétence matérielle du tribunal de commerce

La société A et Mme X soulèvent l’incompétence du tribunal de commerce au profit, soit du conseil de

prud’hommes déjà saisi du litige entre Mme X et son employeur, soit au profit du tribunal judiciaire. Elles

font valoir, à titre principal, que la responsabilité de Mme X est recherchée à raison de faits commis à

l’occasion de son contrat de travail, de sorte que le conseil de prud’hommes est seul compétent. Elles ajoutent

subsidiairement que Mme X n’a pas la qualité de commerçant, de sorte que le tribunal de commerce doit

se déclarer incompétent au profit du tribunal judiciaire.

La société Quotidien Spectacles sollicite la confirmation du jugement sur la compétence du tribunal de

commerce. Elle fait valoir que les faits de concurrence déloyale sont reprochés à la société A qui a la

qualité de commerçant, de sorte que le tribunal de commerce est compétent, ajoutant qu’il importe peu que les

faits aient été commis durant l’exécution du contrat de travail. Elle soutient que la responsabilité de Mme X n’est pas recherchée pour des manquements à son contrat de travail, mais dans le cadre de l’exploitation de son entreprise A, d’abord en son nom propre de janvier à avril 2019, puis en sa qualité de mandataire social à compter de l’immatriculation de la société en avril 2019.

*****

Il résulte des articles L. 1411-1 et suivants du code du travail que le conseil de prud’hommes a seul compétence pour juger les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient.

En l’espèce, les parties sont en désaccord sur la nature du litige qui les opposent, Mme X soutenant qu’à la lecture de l’assignation du 2 décembre 2019, les faits de concurrence déloyale reprochés la visent principalement et à titre personnel durant sa relation de travail, de sorte qu’ils ont été commis à l’occasion de son contrat de travail, tandis que la société Quotidien Spectacles soutient au contraire que les faits visent principalement la société A Création et accessoirement Mme X en sa qualité de mandataire sociale de cette société.

Dans son assignation délivrée le 2 décembre 2019, la société Quotidien Spectacles vise certes des actes initiés par Mme X, mais toujours au profit de la société A Création qu’elle a créée et qu’elle dirigeait durant les premiers mois d’activité, ces actes ayant débuté en janvier 2019, date du début d’activité de la société A Création. Il apparaît ainsi que l’unique bénéficiaire des éventuels actes concurrentiels reprochés est la société A, le fait qu’ils aient été initiés par Mme X alors qu’elle était salariée de la société Quotidien Spectacles étant ainsi tout à fait accessoire.

S’il est relevé, dans l’assignation introductive d’instance une faute de Mme X, c’est uniquement celle d’avoir ‘exploité directement en nom propre, sous le nom commercial de A Création, le fonds de commerce aujourd’hui exploité par la société A Création’. La responsabilité de Mme X est ainsi recherchée, non pas en sa qualité personnelle, comme salariée de la société Quotidien Spectacles, mais bien en sa qualité de mandataire sociale de la société A.

Tous les autres reproches sont adressés par la société Quotidien Spectacles à la société A Création, notamment le fait d’avoir adressé des invitations pour une présentation de l’Institut du Monde Arabe en mai 2019, d’avoir organisé des événements avec ses clients habituels, d’avoir détourné des clients historiques. En préambule de son assignation, la société Quotidien Spectacles précise : ‘ le tribunal constatera que la concluante et la défenderesse (société A Création) se trouvent être dans une situation de concurrence, chacune d’entre elles proposant des services similaires à leur clientèle….le tribunal constatera que A Création s’est rendue coupable de plusieurs pratiques fautives à l’encontre de Quotidien Spectacles caractérisant des actes de concurrence déloyale, notamment en cherchant à désorganiser son entreprise, en la parasitant et en créant volontairement une confusion entre les deux structures concurrentes’.

Il est ainsi établi que l’essentiel du litige porte sur les actes de concurrence commis par la société A au préjudice de la société Quotidien Spectacles, le fait que Mme X ait pu en être l’initiateur – en sa qualité de dirigeante de la société A, et non pas en sa qualité de salariée de la société Quotidien Spectacles – étant insuffisant pour retenir la compétence du conseil de prud’hommes.

De même, le fait que Mme X n’ait pas la qualité de commerçante est indifférente, dès lors que le litige vise principalement, voire exclusivement, les actes commis par la société A, peu important que Mme X en ait été l’initiatrice.

Il convient dès lors de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu’il a retenu sa compétence.

2 – sur la demande de sursis à statuer

Mme X et la société A sollicitent à titre subsidiaire un sursis à statuer dans l’attente de la décision du

conseil de prud’hommes appelé à statuer sur le licenciement de Mme X. Elles soutiennent qu’il serait

d’une bonne administration de la justice d’attendre que le conseil de prud’hommes statue: ‘afin que le tribunal

de commerce soit parfaitement informé des faits qu’il pourrait éventuellement reprocher à la société A

Création’.

La société Quotidien Spectacles s’oppose à cette demande, au motif notamment que la décision du conseil de

prud’hommes n’aura pas d’incidence sur la solution du litige soumis au tribunal de commerce.

Ainsi qu’il a été démontré, la société A est la défenderesse principale à la présente instance, de sorte que le

litige prud’homal opposant la société Quotidien Spectacles à Mme X sera sans incidence sur la présente

instance. Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de sursis à statuer formée par Mme

X et la société A.

3 – sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

Il résulte de l’article 564 du code de procédure civile qu’à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne

peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les

prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la

révélation d’un fait.

Mme X forme une demande indemnitaire pour procédure abusive, estimant que la demande de la société

Quotidien Spectacles est abusive en ce qu’elle l’a assignée en qualité de personne physique alors qu’elle

indique désormais qu’elle la poursuit en qualité de mandataire social, ce qui révélerait son intention de nuire.

La société Quotidien Spectacles soulève l’irrecevabilité de cette demande présentée pour la première fois en

cause d’appel.

Force est ici de constater que la demande indemnitaire pour procédure abusive est une prétention formée pour

la première fois en cause d’appel, et qu’elle ne constitue pas une des exceptions listées à l’article 564 précité,

de sorte qu’elle est irrecevable.

4 – Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

Mme X et la société A Création, qui succombent, seront condamnées in solidum aux dépens d’appel.

Il est équitable d’allouer à la société Quotidiens Spectacles une indemnité de procédure de 3.000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 3 février 2021,

Déclare irrecevable la prétention tendant au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne in solidum Mme Y X et la société A Création à payer à la société Quotidien

Spectacles la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum Mme Y X et la société A Création aux dépens de la procédure d’appel.

prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été

préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure

civile.

signé par Monsieur François THOMAS, Président et par Monsieur GAVACHE, greffier, auquel la minute de

la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


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