Tout éditeur d’un service de télévision ou de radio doit assurer l’honnêteté de l’information et des programmes qui y concourent. Il doit faire preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information et veiller au respect d’une présentation honnête des questions prêtant à controverse, en particulier en assurant l’expression des différents points de vue par les journalistes, présentateurs, animateurs ou collaborateurs d’antenne. L’éditeur est responsable du contenu des émissions qu’il diffuse. Il conserve en toutes circonstances la maîtrise de son antenne.
Affaire « Les Grandes Gueules »
Le CSA a mis en demeure l’éditeur de l’émission « Les Grandes Gueules » suite à la diffusion d’informations inexactes concernant la pandémie.
Durant ce programme, l’invité du « grand oral » de l’émission s’est exprimé à plusieurs reprises sur cette pandémie, mais aussi sur la maladie de Lyme et le paludisme notamment, en répondant aux questions de deux journalistes et en dialoguant avec les personnalités présentes en plateau. L’invité a notamment déclaré :
« Aujourd’hui nous faire croire que l’épidémie progresse partout dans le monde alors que c’est faux, que l’épidémie régresse, […] que la mortalité dans le monde entier est en train de baisser. Heu en France […] ça repart à la baisse […]. A moins de dix décès par jour en France, c’est pas plus que n’importe quel virus respiratoire chaque année […] ». Par la suite, interrogé sur le port du masque, l’invité a également déclaré : « Bah il y a plus d’épidémie donc heu… ». Ultérieurement, ce dernier a aussi évoqué, à propos de la covid-19, « un virus qui ne tue plus ».
Or, le point épidémiologique hebdomadaire de Santé publique France indiquait une progression exponentielle de la transmission du virus (+ 58 %), le nombre de nouveaux cas confirmés entre étant de 26 890 contre 17 165 la semaine précédente. Il faisait également état d’une hausse des nouvelles hospitalisations et admissions en réanimation, d’une poursuite de l’augmentation du nombre de « clusters » ainsi que de l’augmentation des nombres de signalements dans les établissements pour personnes âgées. De la même façon, les statistiques relatives à la situation épidémique à l’échelle internationale disponibles à la fin du mois d’août, en particulier celles de l’Université Johns-Hopkins de Baltimore, témoignaient d’une reprise de l’épidémie depuis le mois de juillet 2020.
Absence de contradiction suffisante
Dans ces conditions, les déclarations de l’invité sur le recul de l’épidémie et de la mortalité ne reflétaient manifestement pas, en l’état des informations alors disponibles, la situation épidémique en France et dans le monde. Or, d’une part, cet invité était le seul membre du corps médical présent en plateau et, d’autre part, ces déclarations n’ont pas fait l’objet d’une contradiction suffisante par les autres participants, ni par les journalistes. Ces derniers se sont en effet limités à réinterroger l’invité et à rappeler l’existence de points de vue opposés au sein du corps médical.
Dès lors, l’éditeur ne pouvait être regardé comme ayant fait preuve d’honnêteté et de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information sur la pandémie.
L’invité s’est également exprimé sur différents sujets d’ordre médical prêtant à controverse. S’agissant tout d’abord de l’utilisation de l’hydroxychloroquine comme traitement contre la covid-19, l’invité a affirmé à plusieurs reprises que l’efficacité de ce traitement était démontrée. Ainsi, il a notamment indiqué : « Parce qu’on sait que l’hydroxychloroquine, l’azithromycine, maintenant c’est largement démontré, toutes les études récentes, ça marche très bien, qu’on puisse traiter tout de suite les patients. », « Mais bien sûr, l’hydroxychloroquine, c’est archi prouvé ! », « Vous avez dit toutes les études maintenant montrent que ça marche pas, c’est totalement faux, c’est l’inverse, regardez les études au Bangladesh, les études en Italie, les études à New York, sur des milliers de patients, ça marche à… 95, 98 % dans certains cas. ». Seule une journaliste a fait référence à de récents travaux tendant à établir le contraire, sans qu’il n’y ait eu d’échange sur ce point.
S’agissant, enfin, de la théorie selon laquelle la maladie de Lyme aurait été « créé[e] en laboratoire [par l’armée américaine] par un ancien nazi », l’invité, interrogé à son sujet, est venu au soutien de cette thèse en mentionnant un ouvrage d’un auteur américain ainsi que le fait que la chambre des représentants des Etats-Unis « a[urait], l’année dernière, […] demandé au Pentagone de rendre des comptes là-dessus ».
Ainsi, l’invité de l’émission s’est exprimé de façon extrêmement péremptoire sur l’ensemble de ces questions, sans que les thèses qu’il avance – ayant au demeurant donné publiquement lieu à de nombreux débats publics – n’aient été véritablement discutées. Seules ses opinions ont été présentées, aboutissant à un déséquilibre marqué dans le traitement de ces sujets, alors que le caractère controversé de ceux-ci nécessitait l’expression de différents points de vue. Cette situation caractérise un manquement de l’éditeur.
L’obligation de maîtrise de l’antenne
En ce qui concerne l’obligation de maîtrise de l’antenne, il ressortait également du compte rendu de visionnage que les propos de l’invité n’ont suscité aucune réaction suffisamment marquée de la part des personnes présentes en plateau durant la séquence, ce qui caractérise un défaut de maîtrise de l’antenne.