Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
N° B 21-83.506 F-D
N° 01113
CG10
7 SEPTEMBRE 2021
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 SEPTEMBRE 2021
M. [K] [R] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes, en date du 21 mai 2021, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 6 avril 2016, pourvoi n° 15-81.273), infirmant sur le seul appel de la partie civile l’ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction, l’a renvoyé devant le tribunal correctionnel sous la prévention d’exercice des fonctions de commissaire aux apports malgré interdiction ou incompatibilité légale.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [K] [R], les observations de la SCP Gaschignard, avocat de société Vectora, et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l’audience publique du 7 septembre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée, en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2.Dans le cadre du rapprochement entre la société [D], ayant pour unique associé la société Vectora, et la société Française de gastronomie, la société UGMA, filiale de la société précitée, a fait apport des éléments incorporels de son fonds de commerce à la société [D].
3. La valeur du fonds a fait l’objet d’une évaluation par M. [R].
4. A la suite des difficultés rencontrées par la société Vectora, M. [Y] [D] a demandé à un cabinet d’expertise comptable d’établir un constat sur la valeur dudit fonds et l’éventuel préjudice subi par la société [D].
5. Ce cabinet a conclu que le fonds avait été surévalué et que la société [D] avait subi un préjudice.
6. Le 9 avril 2009, M. [D] a porté plainte et s’est constitué partie civile à I’encontre de la société Française de gastronomie des chefs de majoration frauduleuse d’apports en nature et exercice des fonctions de commissaire aux apports nonobstant les interdictions ou incompatibilités légales.
7. Le juge d’instruction a rendu une ordonnance de non-lieu dont M. [D] a fait appel.
8. Par arrêt en date du 6 février 2015, sur le seul appel de la partie civile, la chambre de l’instruction a confirmé l’ordonnance de non-lieu.
9. Par arrêt en date du 6 avril 2016, la chambre criminelle a cassé cet arrêt, en ses seules dispositions ayant confirmé l’ordonnance de non-lieu du juge d’instruction du chef d’exercice des fonctions de commissaire aux apports nonobstant les interdictions ou incompatibilités légales.
10. Par arrêt du 3 février 2017, la chambre de l’instruction a ordonné un supplément d’information aux fins de procéder à la mise en examen de M. [R] du chef précité.
11. Il a été mis en examen le 28 février 2020.
Examen de la recevabilité du pourvoi
12. L’arrêt attaqué, en ce qu’il a fait droit à l’appel de la partie civile aussi bien sur l’action publique que sur l’action civile, constitue une décision définitive et en dernier ressort que le tribunal, saisi de la connaissance de l’affaire, ne saurait modifier.
13. En effet, en un tel cas, l’appel de la partie civile met en jeu à nouveau l’action publique, alors même que cette partie serait sans qualité pour agir.
14. Dès lors, un tel arrêt entre dans la classe de ceux qui, aux termes de l’article 574 du code de procédure pénale, peuvent être attaqués devant la Cour de cassation.
15. Il importe peu à cet égard qu’en vue de l’audience devant la chambre de l’instruction de renvoi, le parquet général ait pris des réquisitions de renvoi du prévenu devant le tribunal correctionnel.
16. Le pourvoi formé par M. [R] est dès lors recevable.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
17. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a, sur le seul appel de la partie civile d’une ordonnance de non-lieu du juge d’instruction, sur renvoi après cassation partielle, ordonné le renvoi de M. [R] devant le tribunal correctionnel de Quimper des chefs d’exercice des fonctions de commissaire aux apports malgré interdiction ou incompatibilité légale, après avoir dit la société Vectora recevable en son appel, sans avoir répondu aux articulations essentielles du mémoire régulièrement déposé par M. [R], invoquant l’irrecevabilité de la constitution de partie civile de la société Vectora, et sans avoir statué sur les irrégularités de procédure dont elle était régulièrement saisie par ce même mémoire, de nature à entacher toute la procédure d’instruction de nullité alors :
« 1°/ que dans son mémoire régulièrement déposé devant la chambre de l’instruction, M. [R] invoquait l’irrecevabilité de l’appel de la société Vectora contre l’ordonnance de non-lieu du juge d’instruction, en faisant valoir l’irrecevabilité de sa constitution de partie civile résultant tant de la violation de l’article 5 du code de procédure pénale que de la violation de l’article 2 du même code en l’absence de tout préjudice direct et personnel résultant des faits poursuivis ; qu’en se bornant à déclarer recevable l’appel formé par la seule partie civile contre l’ordonnance de non-lieu du juge d’instruction, sans examiner comme elle y était expressément invitée par le mémoire, la recevabilité de la constitution de partie civile de la société Vectora, la chambre de l’instruction n’a pas justifié sa décision et méconnu les articles 2, 5, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que prive son arrêt des conditions essentielles de son existence légale, la chambre de l’instruction qui omet de statuer sur le grief tiré de l’incompétence territoriale du juge d’instruction soulevé par le mis en cause dans son mémoire régulièrement déposé, pourtant de nature à remettre en cause la régularité de toute la procédure d’instruction ; qu’en se bornant à ordonner le renvoi de M. [R] devant le tribunal correctionnel de Quimper sans avoir statué sur ce grief, la chambre de l’instruction n’a pas légalement justifié sa décision et méconnu les articles 52, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ qu’aux termes de l’article 206 du code de procédure pénale, lorsqu’elle statue sur le règlement d’une procédure, la chambre de l’instruction est tenue d’examiner la régularité des procédures qui lui sont soumises, et de statuer sur les moyens pris de nullités de l’information soulevés par les parties, ou au besoin relevés d’office ; qu’en se bornant à ordonner le renvoi de M. [R] devant le tribunal correctionnel après avoir estimé que certains éléments factuels « constituent des charges suffisantes qui méritent d’être débattues devant le tribunal correctionnel », sans avoir à aucun moment examiné la régularité de la procédure d’instruction qui lui était soumise suite à la cassation partielle de l’arrêt de la chambre de l’instruction ayant statué sur l’appel d’une ordonnance de non-lieu du juge d’instruction, la chambre de l’instruction a méconnu les articles 206, 591, 593, 595 et 609-1 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
Vu l’article 593 du code de procédure pénale :
18. Tout arrêt de la chambre de l’instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
19. Pour ordonner le renvoi devant le tribunal correctionnel de M. [R] du chef d’exercice des fonctions de commissaire aux apports malgré interdiction ou incompatibilité légale, l’arrêt, après avoir déclaré l’appel de la société plaignante recevable, énonce qu’il existe à son encontre des charges suffisantes qui méritent d’être débattues devant le tribunal correctionnel.
20. En se déterminant ainsi, sans répondre aux conclusions du mis en cause qui faisait valoir que, la partie civile étant irrecevable à se constituer, son appel était également irrecevable, de sorte qu’en l’absence d’appel du ministère public contre l’ordonnance de non-lieu, celle-ci était devenue définitive, la chambre de l’instruction n’a pas justifié sa décision.
21. En effet, l’arrêt du 6 avril 2016 de la Cour de cassation en ce qu’il a déclaré recevable l’appel de la partie civile ne peut être opposé à M. [R] qui n’était pas alors partie à la procédure.
22. La cassation est dès lors encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes, en date du 21 mai 2021, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l’instruction de la cour d’appel Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept septembre deux mille vingt et un.
ECLI:FR:CCASS:2021:CR01113