Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
– Y… Bernard,
contre l’arrêt de cour d’appel de PARIS, 9e chambre, en date du 12 décembre 2007, qui, pour majoration frauduleuse de la valeur d’un apport et abus de biens sociaux, l’a condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 241-3, 1°, du code de commerce, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
» en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Bernard Y… coupable de majoration frauduleuse de la valeur d’un apport en nature dans une SARL, l’a condamné à la peine de six mois d’emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;
» aux motifs que, référence étant faite aux énonciations du jugement déféré, il suffit de rappeler que Bernard Y…, inventeur d’équipements de sécurité utilisant les générateurs de gaz pyrotechniques (de type airbags) était salarié de la société de bureau d’études Compitec technologies pour laquelle il effectuait des travaux de recherche ; que, par ailleurs, la société Groupe Perspectives de Gilbert X… avait pour activité l’accompagnement financier et structurel des entités innovatrices gérées par des créateurs ; qu’en septembre 1997, Bernard Y… s’est associé à Gilbert X… pour constituer la SARL Générateurs de gaz pyrotechniques industriels (GGPI) dont l’objet social était la fabrication de générateurs de gaz pyrotechniques et de systèmes utilisant ces générateurs, ainsi que l’exploitation des brevets relatifs à ces fabrications ; que Bernard Y… a été l’unique gérant de cette société dont Gilbert X… allait détenir la moitié des parts, jusqu’à ce que soit ouverte une procédure de redressement judiciaire convertie en liquidation judiciaire le 7 juillet 2000 ; que, lors de la création de la société GGPI, il était convenu que Bernard Y…, qui avait déposé, en décembre 1990, le brevet d’un pénétromètre dynamique pyrotechnique, dénommé Pyvers, dont il était l’inventeur, apporterait à GGPI, d’une part, une somme de 150 000 francs en espèces (dont 50 000 francs pour le compte de son fils détenteur de 3, 8 % des parts) et d’autre part, ferait apport des droits de fabrication des générateurs de gaz Pyvers pour la somme de 500 000 francs, cette évaluation étant validée par le commissaire aux apports ; qu’à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par la société Groupe Perspectives représentée par son gérant, Gilbert X…, il est, aux termes de la prévention, reproché au gérant de la société GGPI d’avoir fait attribuer à son apport en nature une valeur supérieure à sa valeur réelle en apportant une licence d’exploitation dont il n’était pas titulaire des droits pour la France ; qu’il lui est en outre reproché d’avoir commis le délit d’abus de biens sociaux en faisant prendre en charge par la société GGPI des frais injustifiés à hauteur de 128 786 francs et en remboursant à la société Compitec Technologies une somme de 120 000 francs au titre d’une assistance technique et administrative injustifiée ; que, pour contester l’infraction, Bernard Y… soutient que les premiers juges ont mal apprécié les cessions de droits intervenues depuis l’invention du produit et les conditions de son apport ; qu’il fait valoir qu’il est resté propriétaire de son brevet d’invention, que son apport inclut l’exploitation en France, qu’il a apporté non seulement des droits de licence découlant de la convention signée en 1997 par la société Davey Bickford Smith (DBS), mais aussi ses propres droits sur le Pyvers hors la France, et que Gilbert X… a toujours été tenu informé de l’origine et de la nature de l’apport qui n’a, en aucun cas, été surévalué ; mais, que s’agissant de l’objet de l’apport litigieux, qu’il ressort de la chronologie des principales conventions intervenues que :- le 15 janvier 1991, par un acte intitulé « convention de cession de droit d’exploitation de brevet », Bernard Y… a cédé à la société Compytec l’exploitation exclusive pour la France de son brevet n° 9015512 déposé le 12 décembre 1990 ; qu’il y est prévu que Bernard Y… et les autres inventeurs se répartiront d’un commun accord redevances et royalties payées par Compytec en échange de cette cession et que, dans le cas de cession de sous-licence par Compytec, celle-ci devra prévoir la rémunération des inventeurs et leur verser une redevance de 2 % sur le chiffre d’affaires de l’ensemble de ces produits ;- le 14 février 1991, une convention passée entre la société DBS et la société Compytec institue un partenariat entre ces deux sociétés en raison de leur « complémentarité technique et industrielle » aux fins de « coopérer pour développer les systèmes Pyvers A. 01 et B. 01 décrits en annexe, et pour fabriquer les générateurs de gaz de ces systèmes » ; qu’il est précisé que les modalités de la commercialisation des systèmes Pyvers hors générateurs de gaz seront définies par Compytec après consultation de DBS, tandis que les modalités de commercialisation des générateurs de gaz destinés à ces systèmes seront définies d’un commun accord entre les deux sociétés partenaires ; que le texte prévoit en outre, aux termes d’un article intitulé « propriété industrielle », que la société Compytec disposera pour la France de l’exclusivité d’exploitation de l’ensemble des brevets relatifs aux systèmes Pyvers qui devront être déposés soit par Bernard Y…, soit par Compytec ainsi que les conditions d’utilisation des brevets qui seront ainsi déposés ;- le 28 novembre 1991, un acte intitulé « convention de cession de droit d’exploitation de brevet » a été passé entre la société Le Pyvers SA et la société Compytec représentée par son gérant Bernard Y…, aux termes duquel la société Compytec cède à la société Le Pyvers SA ses droits d’exploitation exclusive pour la France du brevet n° 9015512 déposé le 12. 12. 90 ; qu’il est prévu notamment que le Pyvers, dans le cas de cession de sous-licence, devra prévoit la rémunération des inventeurs et verser une redevance de 2 % sur le chiffre d’affaires de l’ensemble de ces produits ;- le 30 janvier 1997, une convention de cession des droits Pyvers passée entre la société DBS et la société GGPI indique que « Bernard Y… déclare que la société Compytec ne dispose plus, à la date de signature des présentes, d’aucun droit de propriété ni d’exploitation de l’un quelconque des brevets en France » ; qu’en outre, « Bernard Y… déclare avoir régulièrement déposé à son nom les brevets concernant le Pyvers, pour la France et les pays de l’Union européenne ainsi que divers autres pays, et en détenir l’intégralité des droits de propriété industrielle (hormis la licence d’exploitation pour la France cédée à la société Le Pyvers SA) ; qu’il est en outre précisé que « DBS accepte de céder à GGPI l’ensemble des droits concédés par la convention conclue entre DBS, Compytec et Bernard Y… le 13 février 1991 » ; que « Bernard Y… s’engage à ne pas céder la licence de fabrication des générateurs de gaz à une autre personne physique ou morale que GGPI, ni donner à GGPI l’autorisation d’en céder une sous-licence, sans l’accord explicite et écrit de DBS sur les conditions de cette cession » ; qu’il résulte de l’ensemble de ces actes, que, si Bernard Y… a conservé la propriété de ses brevets, il a, en revanche, cédé à la société Compytec, le 15 janvier 1991, l’exploitation exclusive pour la France de son brevet 9015512, et que ces mêmes droits d’exploitation exclusive pour la France ont été cédés par Compytec à la société Le Pyvers SA le 28 novembre 1991 ; que, par ailleurs, la convention d’exploitation invoquée par les parties, qui a été signée le 4 avril 1995 par le gérant de la société Compytec et par Bernard Y…, pour le compte de la société Compytec Technologies, indique explicitement que « avec l’accord de Bernard Y…, Compytec a concédé sa licence exclusive des « PDP » pour la France à la société Le Pyvers SA », et que « Bernard Y… conserve la propriété des brevets ainsi que leur exploitation exclusive dans les autres pays que la France » ; que, encore que le contrat de cession de droits de fabrication exclusive des générateurs de gaz signé le 24 septembre 1996 par Bernard Y… comporte un préambule intitulé « Le Pyvers » ainsi rédigé : « Bernard Y…, l’inventeur, a conservé la propriété des brevets ainsi que les droits d’exploitation pour tous les pays hormis la France ; il a donc en particulier les droits de fabrication des générateurs de gaz Pyvers pour tous les pays hormis la France » ; qu’ainsi que l’ont rappelé les premiers juges, Bernard Y… ne justifie pas avoir racheté à la société Le Pyvers SA les droits que celle-ci détenait pour la France sur le brevet n° 9015512, dit Pyvers ; qu’en conséquence, Bernard Y…, dont les droits d’exploitation exclusive pour la France de son brevet étaient transférés à la SA Le Pyvers depuis 1991, ne pouvait faire apport en 1997 à la société GGPI des droits de fabrication des générateurs de gaz Pyvers, dont il n’était plus alors détenteur ; que Bernard Y…, ayant été signataire de toutes les conventions dont il est fait état concernant les cessions litigieuses, connaissait l’étendue et les limites de ses droits afférents à son brevet d’invention ; que l’information du commissaire aux apports sur les droits cédés, qui n’est au demeurant pas démontrée, est inopérante quant à la qualification pénale des faits dans la mesure où il est établi que Bernard Y… a frauduleusement fait attribuer à un apport en nature une valeur supérieure à sa valeur réelle, en apportant une licence d’exploitation dont il n’était pas titulaire des droits pour la France ( ) ; que, sur l’action civile, les premiers juges ont exactement évalué le préjudice subi par la société Groupe Perspectives en retenant que cette société n’aurait pas libéré sa part du capital social si elle n’avait pas été trompée sur la consistance de l’apport en nature de son co-associé, et en condamnant Bernard Y… à lui verser à titre de dommages-intérêts la somme de 99 091, 86 euros avec intérêts ;
» 1°) alors que, il ressort des constatations de l’arrêt attaqué que Bernard Y… avait conservé la propriété de ses brevets ; qu’il avait apporté à la SARL GGPI ses « droits de fabrication des générateurs de gaz Pyvers » ; qu’en se bornant à retenir que le prévenu n’aurait plus été titulaire de ces droits « pour la France », pour en déduire que la valeur de l’apport en nature litigieux, fixée à 500 000 francs, aurait été frauduleusement majorée, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’apport des droits de fabrication des générateurs de gaz Pyvers pour les autres pays que la France suffisait à justifier l’évaluation susvisée, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;
» 2°) alors que, le délit de majoration frauduleuse d’un apport en nature dans une SARL suppose un élément intentionnel ; qu’en l’espèce, il est constant et ressort de l’arrêt attaqué que l’apport en nature litigieux avait été évalué par un commissaire aux apports ; qu’en déclarant le prévenu coupable d’avoir fait attribuer frauduleusement à son apport une valeur supérieure à sa valeur réelle, sans constater l’existence de manoeuvres destinées à tromper le commissaire aux apports et à l’empêcher d’effectuer librement sa propre évaluation, la cour d’appel, qui n’a pas caractérisé l’élément intentionnel du délit reproché, a privé sa décision de base légale ;
» 3°) alors que, subsidiairement, l’action civile ne peut tendre qu’à la réparation d’un préjudice personnel directement causé par l’infraction ; qu’en allouant à la société Groupe Perspectives une somme de 99 091, 86 euros correspondant au montant de son apport, au seul prétexte que cette société n’aurait pas libéré sa part du capital social s’élevant à 650 000 francs si elle n’avait pas été trompée sur la consistance de l’apport en nature de son co-associé, sans caractériser ainsi un « préjudice », c’est-à-dire une perte subie par la société Groupe Perspectives et directement causée par l’infraction reprochée, la cour d’appel a privé sa décision de base légale » ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 241-3, 4°, du code de commerce, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
» en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Bernard Y… coupable d’abus des biens ou du crédit d’une SARL par un gérant à des fins personnelles, et l’a condamné à la peine de six mois d’emprisonnement avec sursis ;
» aux motifs que, ( ) s’agissant de la qualification d’abus de biens sociaux, sur le montant des frais évalués à 128 796 francs, la somme de 48 796 francs correspondant aux frais de mission et de déplacement n’apparaît pas justifiée, en l’absence de preuve du lien existant entre ces dépenses, pour certains antérieures à la constitution de GGPI, et l’activité de cette société ; qu’il n’est pas démontré par le prévenu que le remboursement de la somme de 80 000 francs qu’il aurait avancée à la société GGPI ait été la contrepartie d’un règlement effectué par lui-même pour le compte de la société ( ) ;
» 1°) alors que, dans ses conclusions d’appel, Bernard Y… faisait valoir qu’une somme globale de 48 796 francs lui avait été réglée par la société GGPI en remboursement de frais de missions et de déplacements engagés pour le compte et dans l’intérêt de celle-ci ; qu’au soutien de ses prétentions, le prévenu produisait notamment un « budget prévisionnel » de la société GGPI prévoyant des frais de missions et de déplacement, ainsi que des notes de frais détaillées, dûment justifiées par des factures ; qu’en se bornant à énoncer que « la somme de 48 796 francs correspondant aux frais de mission et de déplacement n’apparaît pas justifiée, en l’absence de preuve du lien existant entre ces dépenses, pour certaines antérieures à la constitution de GGPI, et l’activité de cette société », sans expliquer en quoi, nonobstant le « budget prévisionnel » susvisé, la constitution puis le développement de l’activité de la société GGPI n’auraient pu justifier des frais de missions et de déplacements tels que ceux facturés, la cour d’appel a entaché sa décision d’une insuffisance de motifs ;
» 2°) alors que, dans ses conclusions d’appel, Bernard Y… faisait valoir qu’il avait payé une somme de 80 000 francs pour le compte la société GGPI, et qu’il avait donc pu régulièrement se la faire rembourser ; qu’au soutien de ses prétentions, le prévenu produisait, notamment, une facture établie par la société Entreprise Malaurie pour la « construction de l’usine GGPI », ainsi qu’un relevé de son compte bancaire personnel faisant apparaître, au débit, un chèque de 80 000 francs ; qu’en se bornant à affirmer « qu’il n’est pas démontré par le prévenu que le remboursement de la somme de 80 000 francs qu’il aurait avancée à la société GGPI ait été la contrepartie d’un règlement effectué par lui-même pour le compte de la société », sans s’expliquer, même sommairement, sur les éléments susvisés, et sans rechercher si le chèque de 80 000 francs apparaissant au débit du compte de Bernard Y… pouvait correspondre à un acompte versé pour la « construction de l’usine GGPI », la cour d’appel a entaché sa décision d’une insuffisance de motifs » ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu’intentionnel, les délits de majoration frauduleuse de la valeur d’un apport et d’abus de biens sociaux dont elle a déclaré le prévenu coupable, et a ainsi justifié l’allocation, au profit de la partie civile, de l’indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;
D’où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Dulin conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Nocquet conseiller rapporteur, Mme Thin conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;