Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
M. Jean-Claude X…,
contre l’arrêt de la cour d’appel de DOUAI, 6e chambre, en date du 13 octobre 2009, qui, pour abus de biens sociaux, l’a condamné à trois mois d’emprisonnement avec sursis, 10 000 euros d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1165 du code civil, 111-4 et 121-1 du code pénal, L. 242-6 3° du code de commerce, 388 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
» en ce que l’arrêt attaqué a condamné le prévenu du chef d’abus de biens sociaux ;
» aux motifs que suivant acte reçu le 27 septembre 2001, la société anonyme Modern peinture, entreprise de vitreries, revêtements de sols, peintures, décoration, publicité, a acquis un appartement T3 de 113 m2, comprenant deux places de parking et une cave… pour la somme de 172 228, 51 euros ; que le montant de cet achat figure en comptabilité hors taxes pour la somme de 144 003, 77euros HT après déduction de la TVA à hauteur de 28 224, 74 euros ; que, suivant acte sous seing privé, en date du 26 novembre 2001, la société Modern peinture a consenti ce logement à bail à usage exclusif d’habitation à M. X…, président directeur général et actionnaire principal, et à son épouse, administratrice de cette société, moyennant le paiement d’un loyer mensuel de 686 euros ; que souhaitant prendre sa retraite, M. X… a cédé la société Modern peinture à ses enfants ; que la famille créait à cette occasion la société civile Holding JCL, M. X… restant toutefois président directeur général de la société Modern Peinture ; que suivant acte sous seing privé, en date du 20 juin 2003, la société civile Holding JCL a vendu ses parts de la société Modern peinture à la société G2H dont le gérant est M. Y…, moyennant le paiement de la somme de 305 000 euros ; que dans le cadre de cette cession, suivant acte sous seing privé, en date du 20 juin 2003, intitulé » Protocole d’accord » la société civile Holding JCL et la société en actions simplifiée G2H dont le gérant est M. Y… ont notamment convenu ce qui suit : « titre 1 cession de contrôle : article 1 cession : » Les cédants (société holding JCL ainsi que les actionnaires) cèdent et transportent à la cessionnaire (SAS G2H M. Y…), qui accepte, sous les garanties de droit et conventionnelles ci-après définies les actions de la société. article 2- transfert de propriété-jouissance : d’un commun accord entre les parties soussignées, le cessionnaire aura la propriété et la jouissance des actions au jour de la réalisation, soit le 30 juin 2003… article 3- prix : la présente cession est consentie et acceptée moyennant le prix de 35 000 euros pour 202 actions ; que, par ailleurs, dès qu’il sera propriétaire des titres de la société Cible la société G2H représentée par M. Y… accepte dès à présent au présent protocole qu’il cèdera à M. X… ou à toute autre personne physique ou morale qu’il désignera l’appartement n° 20 situé au… pour un prix de 135 000 euros » ; que la vente sera ultérieurement reçue suivant acte notarié du 17 avril 2004 ; qu’il résulte des termes de ce protocole que le prix de la cession a été négocié et accepté dès la signature de ce compromis ; qu’ainsi, le prix convenu a été fixé en intégrant le prix de l’immeuble, ce que ne conteste pas le prévenu qui indique qu’il s’agissait d’une simple modalité de paiement ; qu’il s’ensuit que le prix s’est imposé à l’acquéreur dès le jour de la signature de l’acte, constatant l’accord des parties, soit en date du 20 juin 2003 ; qu’il est donc indifférent que, par un artifice établi manifestement pour les besoins de la cause, le protocole entend différer au 30 juin 2003 le transfert de la propriété des titres soit postérieurement à l’assemblée générale extraordinaire du 26 juin 2003 au cours de laquelle il était décidé que M. X… ne serait plus le dirigeant social alors même que cette assemblée ne sera déposée au greffe du tribunal de commerce que le 24 septembre 2003 ;
» et aux motifs adoptés qu’il est établi que M. X… a été à l’origine de la proposition faite à M. Y… d’acquérir la société Modern peinture pour le prix de 305 000 euros et moyennant le rachat ultérieur, par lui-même, de l’appartement de Roubaix, propriété de Modern peinture dont il était au 20 juin 2003, encore le dirigeant ; que M. X…, qui cédait les parts sociales, s’est comporté, à l’occasion de la signature de l’acte du 20 juin 2003, en propriétaire de l’appartement de Roubaix, l’incluant dans la négociation qu’il avait eue avec M. Y… et en faisant de ce bien une composante du prix de la cession ; que dans l’acte qui engageait M. Y… il valorisait l’appartement à 135 000 euros et en organisait le rachat à ce prix ; que ce faisant, M. X… a usé abusivement d’un bien social ; qu’en effet, l’usage répréhensible ne s’entend pas seulement de l’appropriation d’un bien appartenant à la société mais de toute utilisation dudit bien ; qu’en l’espèce, M. X… ne pouvait, ainsi qu’il l’a fait, utiliser l’appartement propriété de la société qu’il dirigeait à l’occasion d’une cession d’actions ; qu’il est, dès lors, indifférent que la vente de l’appartement, conformément aux termes du protocole, ait eu lieu à une période où M. X… n’était plus le dirigeant de Modern peinture, stratagème grossier destiné à contourner la législation, l’usage abusif du bien social avait déjà été consommé ;
» 1°) alors que le délit d’abus de biens sociaux suppose que son auteur ait, à la date des faits, la qualité de dirigeant de la société concernée ; qu’il résulte des constatations de l’arrêt que le prévenu n’était plus dirigeant de la société Modern peinture à la date de l’acquisition de l’appartement, le 17 avril 2004 ; qu’en se bornant à constater que le prix de la vente s’était imposé à l’actionnaire de la société Modern peinture à une date où le prévenu était encore dirigeant, circonstance impropre à conférer à ce dernier la qualité de dirigeant à la date de l’acquisition du bien litigieux, la cour d’appel a violé l’article L. 242-6 3° du code de commerce ;
» 2°) alors que la conclusion entre le cédant et le cessionnaire de parts sociales d’un compromis fixant le prix de cette cession et y incluant l’engagement du cessionnaire, à l’égard du cédant, de vendre à une date ultérieure à un prix déterminé un bien appartenant à la société cédée au dirigeant de cette société, alors en fonction, n’emporte pas acquisition de l’immeuble en question par ce dirigeant ; qu’en retenant dans les liens de la prévention M. X… pour avoir prétendument acquis l’immeuble appartenant à la société Modern peinture dès la signature du compromis de cession de parts sociales conclu entre les seules sociétés Holding JCL et G2H, à une date où il était encore dirigeant, la cour d’appel a violé les articles 1165 du code civil et L. 242-6 3° du code de commerce ;
» 3°) alors que le fait pour le dirigeant d’une société commerciale de proposer aux actionnaires ancien et futur de cette société d’inclure dans le prix de la cession des parts sociales l’engagement du cessionnaire à lui vendre à un prix déterminé un bien appartenant à la société cédée n’emporte aucune obligation de quelque sorte que ce soit à la charge du propriétaire de ce bien, la société cédée, ni d’utilisation matérielle dudit bien ; qu’en retenant, au titre d’un usage abusif de l’appartement appartenant à la société Modern peinture, le fait pour M. X… d’avoir proposé au dirigeant de la société G2H d’acquérir les parts de la société Modern peinture pour le prix de 305 000 euros moyennant le rachat ultérieur, par lui-même, de l’appartement propriété de la société Modern peinture à un prix déterminé, alors qu’il ne résulte de ces constatations ni utilisation matérielle de cet appartement ni engagement de son propriétaire, la société Modern peinture, à en faire un usage déterminé, les juges du fond n’ont pas caractérisé un acte d’usage à l’égard de ce bien et ont violé l’article L. 242-6 3° du code de commerce ;
» 4°) alors que la prévention vise le fait pour M. X… d’avoir acheté à titre personnel un appartement appartenant à la société Modern peinture ; qu’en condamnant M. X… pour avoir proposé aux sociétés Holding JCL et G2H, dans le cadre de la cession des parts sociales de la société Modern peinture, d’inclure dans le prix de cession l’engagement du cessionnaire, la société G2H, de lui vendre ultérieurement, et prétendument à moindre prix, un bien appartenant à la société cédée, faits étrangers à ceux visés par l’acte de poursuite, et non compris dans leur saisine, les juges du fond ont violé l’article 388 du code de procédure pénale et ont excédé leurs pouvoirs ;
» 5°) alors qu’il résulte des termes clairs et précis du protocole, en date du 20 juin 2003, que la cession des parts sociales de la société Modern peinture a été conclue par la société Holding JCL représentée par M. Frédéric X… sans que la société Modern peinture ni M. Jean-Claude X… ne soient parties à cet acte ; qu’en retenant qu’il résulte des termes de ce protocole que M. X… a cédé, en qualité de dirigeant de la société Holding JCL ou à titre personnel, à la société G2H l’ensemble des actions de la société Modern Peinture, les juges du fond ont entaché leur décision d’une contradiction de motifs et n’ont pas légalement motivé leur décision ;
» 6°) alors que M. X… faisait valoir qu’à supposer que le fait d’avoir passé un accord, accessoirement à la cession des parts de la société Modern peinture, suivant lequel l’appartement litigieux lui serait vendu à un prix déterminé lors de la réalisation de cette cession puisse constituer un abus de biens sociaux, cette infraction a été réalisée dès le 9 novembre 2002, date de la conclusion d’un protocole entre lui-même et M. Y… emportant un tel accord, soit plus de trois ans avant le premier acte de poursuite constitué par le soit-transmis du procureur de la République en date du 15 février 2006 ; qu’en omettant de rechercher si l’infraction à la supposer constituée dans les formes retenues par les juges du fond-n’avait pas été réalisée dès le 9 novembre 2002, et si l’action publique ne s’en trouvait pas prescrite, la cour d’appel n’a pas légalement motivé sa décision » ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit d’abus de biens sociaux dont elle a déclaré le prévenu coupable, et a ainsi justifié l’allocation, au profit de la partie civile, de l’indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;
D’où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 000 euros la somme que M. Jean-Claude X… devra payer à la société Modern peinture au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Labrousse conseiller rapporteur, M. Dulin conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;