Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
N° N 22-80.070 F-D
N° 00526
RB5
29 MARS 2022
REJET
Mme INGALL-MONTAGNIER conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 29 MARS 2022
Le procureur général près la cour d’appel de Colmar et M. [Z] [V] ont formé des pourvois contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de ladite cour d’appel, en date du 2 décembre 2021, qui, dans l’information suivie contre le second des chefs de faux et usage, escroquerie, abus de bien social, abus de confiance, obstacle aux fonctions de commissaire aux comptes, travail dissimulé et blanchiment, a infirmé l’ordonnance du juge d’instruction prononçant sur sa demande de modification du contrôle judiciaire et déclaré irrecevable la requête du ministère public aux fins d’ajout d’une interdiction à ce même contrôle judiciaire.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. Sottet, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat M. [Z] [V] et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l’audience publique du 29 mars 2022 où étaient présents Mme Ingall-Montagnier, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Sottet, conseiller rapporteur, M. Samuel, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [Z] [V] a été mis en examen des chefs susvisés et a été placé en détention provisoire le 3 juin 2021.
3. Un administrateur provisoire a été nommé, sur requête du ministère public, pour gérer les différentes sociétés commerciales dirigées par la personne mise en examen.
4. M. [V] a été mis en liberté sous contrôle judiciaire le 8 septembre 2021, avec interdiction, notamment, de se livrer à l’activité professionnelle ou sociale consistant à gérer, diriger, administrer, contrôler directement ou indirectement toute société civile ou commerciale, et plus généralement toute entreprise commerciale, quelle qu’en soit la forme.
5. Le 27 septembre 2021, il a sollicité, d’une part, la modification du contrôle judiciaire, par mainlevée de l’interdiction de contrôler toute société commerciale, d’autre part, l’autorisation pour l’administrateur judiciaire de conclure avec lui un contrat de travail à durée déterminée de consultant pour une de ses sociétés.
6. Le juge d’instruction a, d’une part, accordé la mainlevée de l’interdiction de contrôler toute société civile ou commerciale, et plus globalement toute entreprise, d’autre part, dit que l’interdiction de gérer, administrer, diriger continuerait de s’appliquer, enfin, constaté que l’exercice de fonctions salariées dans une société ou entreprise dont le mis en examen est propriétaire majoritaire ou exclusif ne contrevient pas au contrôle judiciaire prononcé et qu’en conséquence M. [V] peut exercer les fonctions prévues au contrat de travail envisagé.
7. Le ministère public a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le moyen unique proposé par le ministère public
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré irrecevable la requête du ministère public aux fins qu’il soit fait interdiction à M. [V] d’exercer une activité salariée au sein des sociétés qu’il détient, alors :
1°/ que la chambre de l’instruction, saisie de l’appel d’une ordonnance du juge d’instruction statuant sur une demande de modification du contrôle judiciaire de la personne mise en examen, est investie, en la matière, des pouvoirs conférés au magistrat instructeur par les articles 138,139 et 140 du
code de procédure pénale, et notamment du pouvoir d’imposer à la personne placée sous contrôle judiciaire une ou plusieurs obligations nouvelles ;
2°/ que le second alinéa de l’article 139 du même texte permet au juge d’instruction, à tout moment, d’imposer à la personne placée sous contrôle judiciaire une ou plusieurs obligations nouvelles, sans exiger qu’un fait nouveau justifie l’aggravation du contrôle judiciaire initial ;
3°/ que, subsidiairement, la signature d’un contrat de travail salarié entre l’administrateur judiciaire de la société [1] et M. [V] constituait un élément nouveau justifiant une aggravation du contrôle judiciaire initial.
Réponse de la Cour
9. Pour déclarer irrecevable la requête du ministère public aux fins d’ajout d’une obligation au contrôle judiciaire de la personne mise en examen, l’arrêt attaqué énonce que la chambre de l’instruction n’est saisie que de l’appel de la modification dudit contrôle judiciaire et qu’aucun fait nouveau ne justifie une aggravation de la mesure.
10. C’est à tort que les juges ont qualifié d’irrecevable la requête présentée par le ministère public, pour les motifs qui suivent.
11. Le premier juge, saisi par M. [V] d’une demande d’autorisation de conclure un contrat de travail avec une de ses sociétés, a répondu que les obligations du contrôle judiciaire de l’intéressé ne s’opposaient pas à cet engagement.
12. L’effet dévolutif de l’appel de cette décision par le ministère public obligeait dès lors la chambre de l’instruction à répondre à la requête du procureur général visant à interdire, dans le cadre du contrôle judiciaire imposé à la personne mise en examen, la conclusion par cette dernière d’un contrat de travail avec une de ses sociétés.
13. Cependant, l’arrêt n’encourt pas la censure, dès lors qu’il s’est prononcé sur le bien fondé de la requête.
14. En effet, la chambre de l’instruction a estimé, par motifs propres et adoptés, que les termes du contrat de travail ne permettent pas à M. [V] de disposer de la signature sur les comptes bancaires, de détenir un moyen de paiement ou de signer un quelconque contrat ou engagement au nom et pour le compte de la société, toutes ces prérogatives étant réservées à l’administrateur judiciaire.
15. Ainsi le moyen doit être écarté.
Sur les premier, pris en ses première et deuxième branches, et second moyens proposés pour M. [V]
16. Ils ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, proposé pour M. [V]
Enoncé du moyen
17. Le moyen, en sa troisième branche, critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a infirmé l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a ordonné la mainlevée de l’interdiction faite au mis en examen de contrôler toute société civile ou commerciale et plus généralement toute entreprise, alors :
« 3°/ qu’en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si le maintien de l’interdiction de contrôler toute société n’entrainait pas à l’encontre de M. [V] une atteinte excessive à son droit de propriété en ce que cette mesure aurait pour conséquence de le contraindre à céder ses parts et actions afin de respecter ses obligations tout en évitant le blocage du fonctionnement des sociétés dont il était l’actionnaire majoritaire, la chambre de l’instruction a entaché sa décision d’un défaut de base légale au regard des articles 138 du code de procédure pénale, 1er du protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. »
Réponse de la Cour
18. Pour infirmer l’ordonnance qui a fait droit à la demande de mainlevée de l’interdiction de contrôler une société ou entreprise commerciale, l’arrêt attaqué énonce que ce démembrement de l’interdiction faite à M. [V] d’exercer toute activité en lien avec ses sociétés apparaît comme un artifice qui aurait pour résultat de vider cette mesure de son contenu, et de replacer l’intéressé dans une fonction de pilote desdites sociétés.
19. En se déterminant ainsi, en l’absence de chef péremptoire de conclusions l’invitant à effectuer un contrôle de proportionnalité, la chambre de l’instruction a justifié sa décision.
20. Ainsi, le moyen doit être écarté.
21. Par ailleurs, l’arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-neuf mars deux mille vingt-deux.
ECLI:FR:CCASS:2022:CR00526