Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
– X… Frédéric,
– Y… Nicole, épouse Z…,
contre l’arrêt de la cour d’appel de PAU, chambre correctionnelle, en date du 22 mai 2008, qui, pour complicité et recel d’abus de biens sociaux, les a condamnés, le premier à huit mois d’emprisonnement avec sursis, la seconde à six mois d’emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 241-3, 4°, du code de commerce, 121-1, 121-3, 121-6, 121-7 du code pénal, 388, 591 à 593 du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, défaut de motifs, manque de base légale, violation des droits de la défense, excès de pouvoir, dénaturation ;
« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Nicole Z… et Frédéric X… coupable de complicité d’abus de biens sociaux ;
« aux motifs que Jean-Louis Z… était le gérant de droit de Vent du sud ; que l’enquête de police puis l’information démontrent qu’à partir de 1994, à la création, sinon dès avant la création de Celhays et associés devenu plus tard C&A, tandis qu’il s’immisce dans la gestion de fait de la nouvelle structure, en droit dirigée par son ancien salarié Frédéric X…, puis son épouse Nicole Z…, les affaires et la clientèle de Vent du sud vont glisser vers celle-ci ; qu’en entretenant la confusion entre les deux sociétés, dont l’objet social était le même, les capacités opérationnelles identiques, il va vider de sa substance l’activité de Vent du sud, société qui se trouve fin 1997 très lourdement endettée, au point que le bilan est déposé peu après son éviction, par le nouveau gérant ; que l’intervention de Jean-Louis Z… dans la gestion de C&A est évidente et continue ; qu’il travaillait au profit de cette société ; qu’il écrivait des annotations sur les chéquiers de C&A, ou sur des factures de cette société à Affibas que à propos de commissions (janvier 1997) avait rayé l’entête Vent du sud pour substituer celle de C&A (juin 1996) et avait lui-même procédé à la répartition des bénéfices entre son épouse et Frédéric X… pour l’exercice 1995 ; qu’il a reconnu « qu’il mettait le nez » dans les activités de Celhays» ; que Nicole Z… et Frédéric X… concèdent que Jean-Louis Z… s’occupait des aspects administratifs et juridiques pour lesquels ils étaient totalement incompétents, Frédéric X… évoque sa propre gérance « sur le papier » ; que Jean-Louis Z… était omniprésent dans la gestion de Celhays puis C&A ; que cette situation lui a permis d’orienter la clientèle de Vent du sud vers C&A et de faire profiter celle-ci de paiements et prestations jusque-là servis à Vent du sud ; que C&A encaissait certains profits sur des affaires proposées par devis de Vent du sud ; que le montant de ces contrats détournés n’a pas été chiffré par l’enquête policière ni par des investigations comptables ; que, de plus, il ressort de l’enquête qu’à partir de 1996, un système de commissions de 10 %, avait été institué sur toutes les affaires confiées par Vent du sud à Affibasque, dit système des «surcoms» ; que l’ensemble de ces faits, qui appauvrissaient sans contrepartie réelle la société Vent du sud gérée par Jean-Louis Z…, constituait des abus de biens sociaux ; que Nicole Y… et Frédéric X…, en acceptant la gérance de droit de C&A, ont permis à Jean-Louis Z… de commettre le délit d’abus de biens sociaux ; que, si la première apparaît davantage comme un prête nom, son mari s’occupant en fait de C&A, Frédéric X… est plus impliqué dans la mesure où il a lui aussi favorisé la confusion entre les deux sociétés, présentant même C&A « comme une filiale de Vent du sud » et reconnu avoir accepté le système des surcoms, auquel la société dont il avait la gérance de droit, Affibasque, s’est volontiers prêtée ; que, du reste, la collusion entre les trois mis en examen est manifeste et ressort non seulement de la situation personnelle des époux Z… – Y…, mais encore de relations privilégiées du couple avec Frédéric X…, qu’ils avaient hébergé gratuitement pendant plusieurs années auparavant, gratuité pourtant dite compensée par des versements à leur profit, dans le cadre du financement de la création d’Affibasque ; que les faits de complicité d’abus de biens sociaux retenus à l’encontre de Nicole Y… et de Frédéric X… sont donc établis ; que la cour relève dans le rapport A…, que, pour la période de 1994 à 1996, pour quinze des plus importants clients de Vent du sud, devenus « clients communs » avec C&A, cette société avait encaissé un chiffre d’affaires de 1 104 782 francs et que, dès cette époque, indépendamment des agissements frauduleux reprochés, Vent du sud avait perdu d’autres gros clients » ;
« 1°) alors que les juges du fond doivent indiquer l’origine des constatations de fait qu’ils retiennent lorsque celles-ci s’écartent des éléments du dossier ; que le rapport d’expertise comptable de M. A…, auquel la cour d’appel se réfère pour chiffrer les intérêts civils, concluait que la diminution du chiffre d’affaires de la société Vent du sud n’est pas liée à un détournement de sa clientèle par la société C&A et que les charges supportées par la société (Vent du sud) l’ont été dans l’intérêt de son activité et facturées à ses clients ; qu’en condamnant Nicole Z… et Frédéric X… du chef de complicité d’abus de biens sociaux commis par Jean-Louis Z…, la cour d’appel s’est mise en contradiction avec les pièces du dossier, a dénaturé le rapport précité et n’a pas donné de base légale à sa décision ;
« 2°) alors que Frédéric X… et Nicole Z… étaient poursuivis pour avoir, lorsqu’ils étaient successivement gérant de droit de la société Celhays devenue C&A, facturé des commissions dues par la clientèle de Vent du sud ; que les facturations de la société Affibasque, gérée par Frédéric X…, n’étaient nullement en cause et ne figurent pas à la prévention ; qu’en retenant que la société Affibasque, dont Frédéric X… avait la gérance de droit, s’était prêtée à un système de « surcoms », pour le déclarer coupable de complicité d’abus de biens sociaux, la cour d’appel a excédé ses pouvoirs et violé l’article 388 du code de procédure pénale ;
« 3°) alors que la complicité suppose un comportement positif et exclut une simple abstention ; qu’en relevant que Jean-Louis Z… était omniprésent dans la gestion de la société Celhays et associés, devenue C&A, était l’interlocuteur des clients de Vent du sud et de C&A, qu’il s’occupait des aspects administratifs et juridiques pour lesquels les prévenus étaient incompétents, avait institué un système de commission de 10% sur toutes les affaires confiées par Vent du Sud à C&A et Affibasque, qu’il annotait les chéquiers de C&A et effectuait les factures au nom de C&A, la cour d’appel n’a caractérisé aucun acte positif de complicité imputable aux prévenus et a violé les article 121-6 et 121-7 du code pénal ;
« 4°) alors que le simple fait de constituer, puis de gérer une société, ne caractérise pas davantage un acte positif de complicité, par aide ou assistance, d’abus de biens sociaux au préjudice d’une autre société, la seule qualité de gérant de droit étant insuffisante pour caractériser les éléments constitutifs du délit reproché ; qu’en se bornant à retenir la création et la gestion légale de Celhays devenue C&A par Frédéric X… puis Nicole Z…, la cour d’appel a violé les articles 121-1, 121-6 et 121-7 du code pénal et L. 241-3, 4°, du code de commerce ;
« 5°) alors que le délit de complicité suppose que soit constatée l’intention coupable des complices, qui doivent avoir agi en connaissance de cause, et ne peut davantage résulter de leur seule abstention ou négligence ; qu’en se bornant à invoquer une prétendue collusion du seul fait que les prévenus et l’auteur principal se connaissaient, sans caractériser l’intention coupable de Nicole Z… et Frédéric X… autrement que par leur passivité, la cour d’appel a violé l’article 121-3 du code pénal » ;
Attendu que, pour déclarer Frédéric X… et Nicole Z…, coupables de complicité d’abus de biens sociaux, l’arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine, qui établissent la participation personnelle et intentionnelle de chacun des prévenus à l’infraction, la cour d’appel a justifié sa décision ;
D’où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 654-2 du code de commerce, 121-1, 121-3, 321-1, 321-3 du code pénal, 591 à 593 du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, défaut de motifs, manque de base légale, contradiction de motifs, violation des droits de la défense, dénaturation ;
« en ce que l’arrêt attaqué a confirmé le jugement sur la déclaration de culpabilité du chef de recel d’abus de biens sociaux ;
« aux motifs que les abus de biens sociaux ci-dessus imputés à Jean-Louis Z…, et la déclaration de culpabilité de Nicole Y… et Frédéric X… du chef de complicité de ces délits, résultent du détournement de contrats et de la perception de prestations indues par C&A, au préjudice de la société Vent du sud dont l’auteur principal était gérant de droit ; que ces détournements, contraires à l’intérêt de Vent du sud, et qui semblent à l’origine de la déconfiture de cette société, ont permis le développement tout aussi soudain qu’important de Celhay’s devenue ensuite C&A ; que cette société, créée en 1995, a tout de suite réalisé un important chiffre d’affaires et pu distribuer des bénéfices à ses associés dès l’exercice ; que l’enquête a amplement démontré que les activités et ressources de C&A provenaient de marchés conclus et initiés par Vent du sud, facturés par C&A, ou de commissions prélevées sur les affaires conclues par Vent du sud ; que, de la sorte, le produit de la prétendue activité de C&A, en réalité des affaires et contrats négociés par Jean-Louis Z…, abusant de ses prérogatives de gérant de Vent du sud, et en faisant ainsi profiter C&A, provenait bien de l’infraction commise au préjudice de Vent du sud ; que Nicole Y… et Frédéric X…, complices des abus de biens sociaux, ont ainsi été poursuivis aussi comme receleurs ; qu’en droit, la qualité de complice de l’infraction n’exclut pas celle de receleur des choses prouvées (sic) par celle-ci ; qu’en l’espèce, Nicole Y… et Frédéric X…, actionnaires de Celhay’s – C&A, ont partagé les bénéfices de la société, dès le premier exercice, alors qu’ils atteignaient déjà la somme de 459 600 francs ; qu’ils n’ignoraient pas la confusion entretenue entre Vent du sud et C&A, ni que l’essentiel des ressources de la société provenait de contrats conclus par Jean-Louis Z… au nom de Vent du sud et facturés au nom de la seconde société ; que c’est donc à bon droit que le premier juge les a retenus dans les liens de la prévention de recel d’abus de confiance (sic) ; que la société Vent du sud a fait l’objet, fin 1997, d’une procédure de redressement judiciaire ; que les faits matériels de détournement, tels qu’explicités ci-dessus, constituaient donc, à compter de la date de cessation des paiements, le délit de banqueroute ; que le passif de la société était estimé, fin 1997 à quelques 2 millions de francs, la date de la cessation des paiements fixée au 28 novembre 2007 (lire 28 novembre 1997) ; qu’aucune autre donnée de l’enquête ne permet de fixer autrement cette date ; que, de la sorte, la cour constate que la quasi-totalité des faits d’abus de biens sociaux ont été commis, en tout cas initiés, dès avant cette date ; qu’au point, ainsi qu’il est requis, que le délit de banqueroute n’apparaît pas constitué ; que la cour infirmera le jugement déféré sur ce point ; que la cour relève dans le rapport A…, que, pour la période de 1994 à 1996, pour quinze des plus importants clients de Vent du sud, devenus « clients communs » avec C&A, cette société avait encaissé un chiffre d’affaires de 1 104 782 francs et que, dès cette époque, indépendamment des agissements frauduleux reprochés, Vent du sud avait perdu d’autres gros clients » ;
« 1°) alors qu’en confirmant le jugement ayant condamné Nicole Z… et Frédéric X… du chef de la prévention, à savoir recel de banqueroute par détournement d’actifs, tout en les condamnant également du chef de recel d’abus de biens sociaux pour les mêmes faits, après avoir retenu, dans les motifs, un recel d’abus de confiance, la cour d’appel s’est contredite et n’a pas justifié sa décision ;
« 2°) alors que, à supposer que l’arrêt attaqué ait condamné les prévenus du chef de recel d’abus de biens sociaux, les juridictions de jugement doivent respecter les termes de la décision de renvoi qui les saisit ; qu’en l’espèce, la saisine portait sur des faits de recel de banqueroute par détournement d’actifs au préjudice de la SARL Vent du sud ; qu’en condamnant les prévenus du chef de recel d’abus de biens sociaux, sans les avoir invités à s’expliquer sur cette nouvelle qualification, la cour d’appel a commis un excès de pouvoir et violé l’article 388 du code de procédure pénale ainsi que les droits de la défense ;
« 3°) alors que le rapport d’expertise comptable de M. A…, auquel la cour d’appel se réfère pour chiffrer les dommages-intérêts du fait des agissements reprochés, concluait que « la diminution du chiffre d’affaires de la société Vent du Sud n’est pas liée à un détournement de sa clientèle par la société C&A » et « que les charges supportées par la société (Vent du Sud) l’ont été dans l’intérêt de son activité et facturées à ses clients» ; qu’en condamnant Nicole Z… et Frédéric X… du chef de recel d’abus de biens sociaux commis par Jean-Louis Z…, la cour d’appel a dénaturé ledit rapport et n’a pas donné de base légale à sa décision ;
« 4°) alors que, à supposer que l’arrêt attaqué ait condamné les prévenus du chef visé à la prévention de recel de banqueroute par détournement d’actifs commis par Jean-Louis Z…, ce délit de recel, qui est une infraction de conséquence, suppose que le délit de banqueroute soit établi ; que la cour d’appel, qui a retenu la même date de cessation des paiements que le tribunal de commerce, à savoir le 28 novembre 1997, a expressément écarté le délit de banqueroute, de sorte qu’en l’absence d’infraction principale de ce chef, il ne saurait y avoir de délit de recel de banqueroute ;
« 5°) alors que la déclaration de culpabilité, non justifiée pour le délit de recel, doit conduire à la cassation de l’arrêt en son entier, sans requalification qui suppose l’accord du prévenu quel que soit le stade de la procédure, en application de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ; qu’il ne saurait être fait application de la théorie dite de la « peine justifiée » dès lors qu’elle est contraire au principe d’un procès équitable posé par l’article 6 de la Convention précitée, ainsi qu’aux principes fondamentaux des droits de la défense, de légalité, de proportionnalité et d’individualisation des peines notamment au regard de l’article 132-19-1 du code pénal issu de la loi du 10 août 2007 qui prévoit désormais des «peines plancher» en cas de récidive légale ; que l’illégalité d’une condamnation prononcée de façon globale pour plusieurs infractions différentes, à raison de l’absence de constatation régulière de l’une d’elles, doit remettre en cause l’intégralité de la condamnation » ;
Vu l’article 388 du code de procédure pénale, ensemble l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme ;
Attendu que les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis, à moins que les prévenus n’acceptent expressément d’être jugés pour des faits distincts de ceux visés à la prévention ;
Attendu que l’arrêt, après avoir relevé que la qualité de complice d’une infraction n’excluait pas celle de receleur, déclare Frédéric X… et Nicole Z… coupables de recel des délits d’abus de biens sociaux dont ils se sont rendus complices ;
Mais attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel, qui n’a pas constaté que les prévenus avaient accepté d’être jugés pour des faits de recel non compris dans les poursuites, a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;
D’où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin d’examiner le troisième moyen proposé ;
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Pau, en date du 22 mai 2008, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Toulouse, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Pau et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Dulin conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Nocquet conseiller rapporteur, M. Rognon conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;