Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Vu la connexité, joint les pourvois n° 17-28.150 à 17-28.174 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, que la totalité du capital social de la société Imprimerie Georges Frère, spécialisée dans le domaine de l’impression industrielle de labeur publicitaire, était détenue par la société Mercator Press NV, dont le capital social était lui-même détenu à 99 % par la société holding Mercator Press Sales NV, ces deux dernières sociétés, de droit belge, composant le groupe Mercator Press ; qu’une procédure de redressement judiciaire a été ouverte le 21 mars 2011 à l’égard de la société Imprimerie Georges Frère, ensuite convertie le 14 avril 2011 en liquidation judiciaire, M. HO… étant nommé en qualité de liquidateur ; que ce dernier a licencié pour motif économique le 28 avril 2011 les trente huit salariés de l’entreprise ; que certains salariés ont saisi la juridiction prud’homale de demandes formées à l’encontre des sociétés Mercator Press NV et Mercator Press Sales NV en se prévalant à titre principal de la qualité de co-employeurs des dites sociétés et, subsidiairement, de fautes délictuelles commises par celles-ci ; qu’ils ont sollicité en outre la fixation de leur créance au passif de la liquidation de la société Imprimerie Georges Frère ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal des sociétés Mercator Press NV et Mercator Press Sales NV :
Vu l’article L. 1221-1 du code du travail ;
Attendu que, pour déclarer les sociétés Mercator Press NV et Mercator Press Sales NV coemployeurs des salariés, les condamner in solidum à payer à ceux-ci des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et dire que dans les rapports entre les sociétés Mercator Press NV et Mercator Press Sales NV et l’AGS, tenue à garantie, la contribution à la dette incombera entièrement aux dites sociétés, les arrêts, par motifs propres et adoptés, retiennent que la société Mercator Press Sales NV regroupe les services administratifs et commerciaux du groupe et gère notamment les achats de papier ; que les sociétés Mercator Press NV et Mercator Press Sales NV ont toujours été redevables de sommes très conséquentes à l’égard de leur filiale et se sont refusées à honorer les factures présentées par celle-ci, la conduisant à une situation d’asphyxie financière ; que selon une convention de compensation du 11 décembre 2008, la créance de 2 650 000 euros détenue par la société Imprimerie Georges Frère envers la société mère a été réduite à hauteur de 1 954 670 euros au titre de dividendes décidés par l’assemblée générale des actionnaires sans justification particulière ; que le groupe Mercator Press a également imposé à la société Imprimerie Georges Frère dans le courant de l’année 2010 l’achat d’une machine d’une valeur contestée, dont le paiement a été opéré par compensation et diminution du compte courant débiteur de la société mère, ladite machine n’ayant jamais fonctionné en l’absence des cartes mères ; que la convention de trésorerie signée le 1er juin 2010 entre les trois sociétés est venue inclure « les flux entre les sociétés et opérations financières telles que les avances de trésorerie, facturations et prestations entre sociétés », ce qui a permis de déposséder la filiale de la maîtrise de sa comptabilité ; que la facturation des commandes réalisées par la société Imprimerie Georges Frère était effectuée, depuis le 1er janvier 2011, directement aux clients par la société Mercator Press Sales NV, laquelle percevait 85 % du montant de la facturation mobilisée tandis que la filiale, qui facturait à la société mère les travaux qui lui avaient été confiés selon le principe « prix pour prix », n’avait perçu qu’un paiement partiel des sommes dues ; que la société Mercator Press Sales avait refacturé à la filiale la totalité de la rémunération annuelle de ses techniciens s’agissant pourtant d’interventions ponctuelles ; que pour mettre un terme à un conflit social, le dirigeant des sociétés Mercator Press NV et Mercator Press Sales NV a décidé d’octroyer le 11 mars 2011 une prime exceptionnelle de 4 000 euros à tous les salariés de la société Imprimerie Georges Frère, le montant cumulé de ces primes n’ayant pas été refacturé à la filiale ; qu’il ressort de l’ensemble de ces éléments, d’une part, que les conventions conclues entre les parties ont favorisé une imbrication des comptes et mis directement en cause les prérogatives comptables de la société Imprimerie Georges Frère laquelle ne disposait plus, au regard de cette immixtion dans sa gestion économique, de la moindre autonomie en la matière, et d’autre part, qu’il existait entre les patrimoines des sociétés du groupe Mercator Press des relations financières anormales caractérisées par des mouvements financiers sans contrepartie, dans le dessein ou avec l’effet d’avantager les patrimoines des sociétés mère et grand-mère au détriment du patrimoine de la filiale et constitutives d’une confusion des patrimoines ;
Attendu cependant que hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme un co-employeur, à l’égard du personnel employé par une autre, que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière ;
Qu’en statuant comme elle l’a fait, alors que la centralisation de services supports, des remontées de dividendes, des conventions de trésorerie et de compensation, des dettes non réglées à la filiale, des facturations de prestations de services partiellement sans contrepartie pour ladite filiale, la maîtrise de la facturation de celle-ci durant une période limitée dans le temps et l’octroi d’une prime exceptionnelle aux salariés de la filiale ne pouvaient caractériser une situation de co-emploi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Et attendu que, par application des dispositions de l’article 624 du code de procédure civile, la cassation sur le premier moyen entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif critiqué par le second moyen relatif à la condamnation des sociétés Mercator Press NV et Mercator Press Sales NV à rembourser à l’AGS les avances consenties aux salariés ;
Et sur le moyen unique du pourvoi incident éventuel du liquidateur judiciaire de la société imprimerie Georges Frère :
Vu l’article L. 1233-4-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010 ;
Attendu que, pour fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Imprimerie Georges Frère la créance de chacun des salariés à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, les arrêts relèvent que si les salariés ont été interrogés par le liquidateur quant à leur volonté de recevoir des offres de reclassement en Belgique, toutefois, le questionnaire qui leur a été soumis ne comportait aucun élément concernant le délai de réflexion dont ils disposaient pour manifester leur accord assorti le cas échéant de restrictions ; que l’article L. 1233-4-1 du code du travail prévoit que le salarié doit manifester son accord pour recevoir des offres de reclassement à l’étranger dans un délai de six jours ouvrables à compter de la réception de la proposition, l’absence de réponse valant refus ; qu’il convient en conséquence de retenir qu’il n’a pas été satisfait à l’obligation de reclassement interne, ce qui prive les licenciements de cause réelle et sérieuse ;
Attendu cependant, que selon l’article L. 1233-4-1 du code du travail, lorsque l’entreprise ou le groupe auquel elle appartient est implanté hors du territoire national, l’employeur demande au salarié, préalablement au licenciement, s’il accepte de recevoir des offres de reclassement hors de ce territoire, dans chacune des implantations en cause, et sous quelles restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation ; que le salarié manifeste son accord, assorti le cas échéant des restrictions susmentionnées, pour recevoir de telles offres dans un délai de six jours ouvrables à compter de la réception de la proposition de l’employeur, l’absence de réponse valant refus ; que les offres de reclassement hors du territoire national, qui sont écrites et précises, ne sont adressées qu’au salarié ayant accepté d’en recevoir et compte tenu des restrictions qu’il a pu exprimer ; qu’il résulte de ce texte que l’employeur, qui n’a pas informé le salarié de ce qu’il disposait d’un délai de six jours ouvrables pour manifester son accord et que l’absence de réponse vaudrait refus, ne peut se prévaloir du silence du salarié et reste tenu de formuler des offres de reclassement hors du territoire national ;
Qu’en statuant comme elle l’a fait, en déduisant l’absence de cause réelle et sérieuse des licenciements du défaut, dans le questionnaire de mobilité, de mentions relatives au délai de réflexion et à la portée d’une absence de réponse, alors qu’il lui appartenait d’apprécier le caractère sérieux des recherches de reclassement menées par le liquidateur, sur et hors le territoire national, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes leurs dispositions, les arrêts rendus le 29 septembre 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris ;
Condamne MM. X…, E…, D…, V…, H…, Q…, T…, F…, MC… et HY… C…, S…, K…, G…, O…, A…, N…, W…, I…, M…, P…, L…, U…, Y…, J…, MZ… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts cassés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi principal n° Z 17-28.150 à A 17-28.174 par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la société Mercator Press NV et la société Mercator Press Sales NV.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Ce moyen reproche à l’arrêt confirmatif attaqué, qui a déclaré les sociétés Mercator Press et Mercator Press Sales coemployeurs des salariés, d’avoir dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement de ces derniers, d’avoir condamné in solidum les sociétés Mercator Press et Mercator Press Sales à payer aux salariés des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, fixé à ce titre la créance des salariés à inscrire au passif de la liquidation judiciaire de la société Imprimerie Georges Frère, dit que dans les rapports entre les sociétés Mercator Press et Mercator Press Sales et l’AGS, tenue à garantie, la contribution à la dette incombera entièrement auxdites sociétés et condamné solidairement ces sociétés à rembourser les sommes correspondant au montant des avances consenties par l’AGS dans le cadre de la procédure collective de la société Imprimerie Georges Frère, outre au paiement d’une indemnité en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE sur l’existence d’un co-emploi, une société faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme un coemployeur à l’égard du personnel employé par une autre, hors l’existence d’un lien de subordination, que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière ; qu’au soutien de la démonstration d’une telle ingérence des sociétés Mercator Press et Mercator Press Sales dans la gestion économique et sociale de la société Imprimerie Georges Frère, le salarié invoque un ensemble d’indices caractérisant selon lui l’existence de relations financières anormales constitutives d’une confusion des patrimoines ; qu’en l’espèce, il résulte des pièces produites et notamment du bilan économique et social de la société Imprimerie Georges Frère, dressé par Maître VS… désigné en qualité de liquidateur judiciaire avec mission d’assistance, lors de l’ouverture de la procédure collective que les sociétés Mercator Press et Mercator Press Sales ont toujours été redevables de sommes très conséquentes à l’égard de leur filiale en se refusant d’honorer les factures présentées par celle-ci ; que l’administrateur judiciaire a également relevé que, selon une convention de compensation signée le 11 décembre 2008 entre la société Mercator Press et la société Imprimerie Georges Frère, alors que celle-ci détenait une créance de « 2 65O K euros » envers la société mère, il a été décidé, le même jour, par l’assemblée générale des actionnaires que la filiale devait payer, sans justification particulière une somme de 1 954 670 euros à titre de dividendes, l’objet de cette convention ayant manifestement été de réduire la créance détenue par la société Imprimerie Georges Frère sur la société ; que si, comme le soulignent ajuste titre les sociétés Mercator Press, les contrats de gestion de trésorerie et de prestations de services entre sociétés correspondent à un système d’organisation fréquent au sein d’un groupe, Maître VS… a toutefois constaté diverses anomalies dans les conventions signées successivement entre les » entités du groupe Mercator ; qu’il apparaît que, le 1er juin 2007, a été signée, entre les sociétés Imprimerie Georges Frère et Mercator Press, une convention de trésorerie modifiée par un avenant du 15 janvier 2008 destinée à réglementer, les avances de trésorerie et les paiements de dividendes entre les deux entités ; que cette convention prévoyait expressément l’exclusion de tous les flux commerciaux ou opérations pouvant découler de l’activité propre des parties et des prestations, livraisons intragroupes et de tous paiements comptabilisés dans les comptes clients et fournisseurs de chacune des parties ; qu’or une ultime convention de trésorerie signée le 1er juin 2010 entre les sociétés Georges Frère, Mercator Press et Mercator Press Sales est venue inclure « les flux entre les sociétés et opérations financières telles que les avances de trésorerie, facturations et prestations entre sociétés », ce qui a permis de déposséder la filiale de la maîtrise de sa comptabilité ; que de fait, le rapprochement des comptes clients/fournisseurs intragroupe effectué par Maître VS… a révélé que la facturation des commandes réalisées par la société Imprimerie Georges Frère était effectuée, depuis le 31 janvier 2011, directement aux clients par la société Mercator Press Sales, laquelle procédait à la mobilisation de ces créances et percevait à J+1, 85% du montant de la facturation mobilisée, tandis que la société Imprimerie Georges Frère facturait à la société mère les travaux qui lui avaient été confiés selon le principe « prix pour prix » ; que l’administrateur judiciaire a indiqué dans son rapport que depuis le mois de janvier 2011, la société Georges Frère n’avait perçu de Mercator Press Sales qu’un paiement partiel des sommes dues alors même qu’au titre du solde de refacturation arrêtée en février cette société était débitrice de la somme de 1 312 660 euros, montant auquel devaient s’ajouter les dernières factures de mars, privant ainsi la filiale de liquidités ; qu’il a également été souligné que la société Mercator Press Sales avait refacturé à la filiale la totalité de la rémunération annuelle de ses techniciens, s’agissant pourtant d’interventions ponctuelles, faisant ainsi supporter à la société imprimerie Georges Frère, des sommes sans aucune contrepartie ; que l’examen du compte Mercator Press/Georges Frère a mis en évidence la créance de la seconde à l’égard de la première d’un montant de 913 587 euros au titre de prestations et fournitures de matériel ; que l’administrateur a également souligné que les sociétés Mercator Press et Mercator Press Sales se sont obstinées à n’honorer aucune des factures présentées par leur filiale conduisant celle-ci à une situation d’asphyxie financière ; qu’il résulte également des pièces produites que fin 2009, le groupe Mercator Press a proposé à la société Imprimerie Georges Frère d’acheter pour la somme de 1 400 000 euros, une machine Offset Rothoman S24 pages appartenant à la société Mercator Press et provenant d’une autre filiale du groupe Mercator basée à Charleroi et qui avait fait l’objet d’une fermeture définitive au cours du mois de juin 2009 ; que le paiement devait s’effectuer par compensation en diminution du compte-courant débiteur de la société mère chez la société Imprimerie Georges Frère qui détenait une créance de 1 500 000 euros ; qu’or, les circonstances ayant entouré cette vente, traduisent une immixtion anormale du groupe Mercator Press dans la gestion économique de sa filiale ; que les déclarations de M. TE…, imprimeur au sein de la société Imprimerie Georges Frère et qui en sa qualité de délégué du personnel a déposé plainte devant les services de police, le 1er avril 2011, contre le dirigeant de cette société pour des faits de banqueroute, révèlent que cette rotative Rothoman a été livrée en pièces détachées et n’a jamais fonctionné en l’absence des cartes mères ; qu’il apparaît également que les membres du comité d’entreprise intrigués par ce projet d’acquisition qui risquait selon eux de compromettre l’avenir de la société Imprimerie Georges Frère, ont fait estimer la machine par la société COCI, spécialiste français de la vente d’occasion de la machine d’imprimerie, qui l’a évaluée entre 500 3 000 et 700 000 euros ; que le comité d’entreprise a alors fait usage de son droit d’alerte pour désigner le cabinet Secafi et a saisi, le 21 mai 2010, le juge des référés du tribunal de grande instance de Lille, lequel, par ordonnance du 28 mai 2010 a constaté que l’employeur n’avait pas consulté régulièrement le comité d’entreprise sur le projet d’acquisition de la rotative Rothoman et a fait interdiction à la société Imprimerie Georges Frère d’acquérir cette machine avant le 28 mai 2010 ; que le cabinet Secafi a finalement conclu, le 25 mai 2010, que le prix de vente avait été fixé par le groupe Mercator en fonction de l’évaluation faite par une société PQ… qui travaille surtout pour les assureurs, et que « la notion de valeur vénale s’entendait pour une machine installée, et valorisée dans le cas d’une reprise de site de production » de sorte que « l’évaluation ne tient pas compte du remontage périlleux de ce type de machine » ; que le cabinet Secafi ajoutait aux termes de son rapport : « A tout le moins, il nous semble qu’entre l’évaluation faite par COCI (qui est le meilleur spécialiste français de la vente d’occasion de machines d’imprimerie) et celle faite par Galtier et les chiffres apportés par la direction, une autre base sera à retenir ; qu’une estimation sous vente forcée après installation et fonctionnement de la machine pourrait être retenue ou bien au travers d’une expertise mécanique approfondie que savent faire des entreprises comme COCI. Compte tenu des enjeux financiers pour Georges Frère un montant de valorisation discutable est indispensable » ; qu’or, malgré ces objections, le groupe Mercator Press a poursuivi la vente au prix de 1 400 000 euros et a opéré la compensation ; que de l’ensemble de ces éléments, il ressort, d’une part, que les conventions conclues entre les parties ont favorisé une imbrication des comptes et mis directement en cause les prérogatives comptable de la société Imprimerie Georges Frère laquelle ne disposait plus, au regard de cette immixtion dans sa gestion économique, de la moindre autonomie en la matière et, d’autre part, qu’il existait entre les patrimoines des sociétés du groupe Mercator Press des relations financières anormales caractérisées par des mouvements financiers sans contrepartie, dans le dessein ou avec l’effet d’avantager les patrimoines des sociétés mère et grand-mère au détriment du patrimoine de la filiale et constitutives d’une confusion des patrimoines ; qu’il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu’il retient que les sociétés Mercator Press et Mercator Press Sales doivent être considérées comme coemployeurs au même titre que la société Imprimerie Georges Frère ;
QUE sur le bien-fondé du licenciement, lorsqu’un salarié est lié à des coemployeurs par un contrat de travail unique, le licenciement prononcé par l’un d’eux, qui met fin au contrat de travail, est réputé prononcé par tous, de sorte qu’il doit être justifié par chacun des employeurs et vérifié à l’égard de chacun d’entre eux au regard du motif économique et de l’obligation de reclassement ; qu’en outre le licenciement économique prononcé par l’un des coemployeurs mettant fin au contrat de travail, chacun d’eux doit en supporter les conséquences.
Que sur la motivation de la lettre de licenciement et le motif économique : il résulte de l’article L.641-4 du code de commerce, qu’en cas de liquidation judiciaire, le liquidateur procède aux licenciements en application de la décision prononçant la liquidation ; que la lettre de licenciement pour motif économique émanant du mandataire judiciaire liquidateur est suffisamment motivée dès lors qu’elle vise le jugement de liquidation en application duquel il est procédé au licenciement, sans qu’il soit nécessaire qu’elle précise le niveau d’appréciation de la cause économique quand l’entreprise appartient à un groupe ; qu’en effet, ce n’est qu’en cas de litige qu’il appartient à l’employeur de démontrer, dans le périmètre pertinent, la réalité et le sérieux du motif invoqué ; que le moyen tiré du défaut de motif de la lettre de licenciement sera donc écarté.
Que toutefois, si l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire au bénéficie de la société Imprimerie Georges Frère démontre que cette entreprise connaissait des difficultés économiques sérieuses, la réalité de la situation irrémédiablement compromise de l’employeur n’a été contrôlée par le tribunal de commerce, qu’à l’égard de cette seule société qui a cessé toute activité et a supprimé tous ses postes, à l’exclusion des autres coemployeurs, de sorte que le salarie est recevable à contester, devant la juridiction prud’homale, la réalité du motif économique au regard de la situation du groupe et du comportement des sociétés Mercator Press et Mercator Press Sales ; que la cessation d’activité de la société Imprimerie Georges Frère ne peut donc constituer, une cause économique de licenciement qu’à la condition d’être justifiée par des difficultés économiques, par une mutation technologique ou par la nécessité de sauvegarder la compétitivité du secteur d’activité du groupe dont relèvent les entités du groupe Mercator Press ; qu’or, il a été relevé l’état d’imbrication des comptes et de confusion des patrimoines entre les sociétés Mercator Press et Mercator Press Sales d’une part, et la société Imprimerie Georges Frère, d’autre part, les unes s’étant immiscées de façon anormale dans la gestion économique de l’autre ; que cette immixtion a ainsi permis aux sociétés Mercator Press et Mercator Press Sales, en exploitant l’état de dépendance de leur filiale, de prendre dans leur intérêt exclusif, des décisions dommageables pour celle-ci qui ont aggravé sa situation économique et l’ont privée de toute capacité d’agir conformément à son intérêt social ; que comme l’ont justement souligné les premiers juges, alors que les sociétés Mercator Press et Mercator Press Sales auraient dû tenter de trouver des solutions face aux difficultés financières de leur filiale, à commencer par régler les factures émises par cette dernière, elles l’ont abandonnée tant sur le plan économique que sur le plan social, sans justifier de l’existence de difficultés économiques, ou d’une mutation technologique ou encore de la nécessité de sauvegarder la compétitivité du secteur d’activité du groupe dont relevaient les entités du groupe ; qu’en conséquence, en l’absence d’un motif économique justifiant la cessation d’activité de la société Imprimerie Georges Frère, le licenciement se trouve privé de cause réelle et sérieuse ; que le jugement sera confirmé sur ce point ;
Que sur la contestation relative à l’obligation de reclassement, aux termes de l’article L.1233-4 du code du travail : « le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts déformation et d’adaptation ont réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient » ; que selon l’article L.1233-4-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable : « lorsque l’entreprise ou le groupe auquel elle appartient est implanté hors du territoire national, l’employeur demande au salarié, préalablement au licenciement, s’il accepte de recevoir les offres de reclassement hors de ce territoire, dans chacune des implantations en cause et sous quelles restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment. Le salarié manifeste son accord, assorti le cas échéant des restrictions susmentionnées, pour recevoir de telles offres dans un délai de six jours ouvrables à compter de la réception de la proposition de l’employeur. L’absence de réponse vaut refus. Les offres de reclassement hors du territoire national, qui sont écrites et précises, ne sont adressées qu’au salarié ayant accepté d’en recevoir et compte tenu des restrictions qu’il a pu exprimer. Le salarié reste libre de refuser ces offres, le salarié auquel aucune offre n’est adressée est informé de l’absence d’offre correspondant à celles qu’il a acceptée de recevoir. » ; qu’en l’espèce, le salarié a été interrogé par le liquidateur de la société Imprimerie Georges Frère quant à sa volonté de recevoir des offres de reclassement en Belgique ; que toutefois, il apparaît que le questionnaire qui lui; a été soumis ne comportait aucun élément concernant le délai de réflexion dont il disposait pour manifester son accord assorti le cas échéant de restriction éventuelles, alors que le texte susvisé prévoit que le salarié doit manifester son accord pour recevoir des offres de reclassement à l’étranger dans un délai de six jours ouvrables à compter de la réception de la proposition, l’absence de réponse valant refus ; qu’il convient en conséquence de-retenir qu’il n’a pas été satisfait à l’obligation de reclassement interne, ce qui prive le licenciement de cause réelle et sérieuse ;
QUE sur les conséquences financières, le salarié sollicite la condamnation in solidum des sociétés Mercator Press et Mercator Press Sales au paiement de dommages et intérêts ; que ces deux sociétés comportant un effectif d’au moins 11 personnes, de même que la société Imprimerie Georges Frère, et le salarié ayant une ancienneté d’au moins deux ans, il sera fait application des dispositions de l’article L. 1235-3, alinéa 2 du code du travail selon lesquelles le juge octroie au salarié ayant fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité qui ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois ; qu’en considération de l’ancienneté du salarié (14 ans), de sa rémunération brute mensuelle (3700 euros), de son âge, de sa formation et de sa capacité à retrouver un nouvel emploi, de la durée de sa période de recherche d’emploi ou de reconversion professionnelle, des aides dont il a pu bénéficier, il convient de lui allouer la somme de (52 000) euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au paiement de laquelle seront solidairement condamnées les sociétés Mercator Press et Mercator Press Sales ;
Que chacun des coemployeurs devant supporter les conséquences du licenciement économique prononcé par l’un d’entre eux, il y a lieu également de fixer la créance du salarié à inscrire au passif de la liquidation judiciaire de la société Imprimerie Georges Frère à hauteur de cette somme de (52 000 euros) ; qu’en revanche, la créance de frais résultant de l’application de l’article 700 du Code de procédure civile mise à la charge du débiteur, trouve son origine dans la décision et entre dans les prévisions de l’article 621-32 du Code de commerce lorsque cette décision est postérieure au jugement d’ouverture de la procédure collective, de sorte que la condamnation au remboursement des frais irrépétibles intervenue après le jugement d’ouverture n’a pas à être déclarée ; qu’il ne peut donc être fait droit à la demande tendant à inscrire la somme de 900 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, au passif de la liquidation de la société Imprimerie Georges Frère.
Que la créance de dommages et intérêts bénéficie de la garantie de l’AGS laquelle est toutefois subsidiaire de sorte que dans les rapports entre l’AGS et les sociétés Mercator Press et Mercator Press Sales qui sont in bonis, la contribution à la dette solidaire incombera entièrement à ces dernières ; qu’au regard de cette contribution à la dette, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il condamne in solidum les sociétés Mercator Press et Mercator Press Sales à rembourser les sommes correspondant au montant des avances consenties par l’AGS dans le cadre de la procédure collective de la société Imprimerie Georges Frère ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES DES PREMIERS JUGES QUE sur le statut de co-employeur, la notion de co-emploi permet au salarié de diriger ses demandes contre un autre employeur que celui avec lequel il a contracté ; que selon l’interprétation, faite par la Cour de justice de l’Union européenne, des dispositions de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 : « l’employeur est défini comme la personne, physique ou morale, pour le compte de laquelle le travailleur accomplit pendant un certain temps, en sa faveur et sous sa direction, des prestations en contrepartie desquelles elle verse une rémunération » ; que le véritable employeur est donc celui qui détient les pouvoirs ; que lorsque le groupe est organisé de telle sorte que les filiales sont dépourvues de toute autonomie, c’est la société dominante qui doit être considérée comme l’employeur ; qu’une confusion d’intérêts, d’activité et de direction entre deux sociétés suffit à leur conférer la qualité de co-employeurs, sans qu’il soit, dorénavant, nécessaire de constater l’existence d’un lien de subordination de chacun des salariés à l’égard de la société mise en cause ; que la preuve de l’existence de cette triple confusion repose sur une appréciation factuelle des relations entre les deux sociétés ; que la démonstration de la dépendance d’une filiale à l’égard de la société-mère se fait à partir d’un faisceau d’indices tels que, entre autres : le contrôle financier, la détention de la totalité ou quasi-totalité du capital, la présence de dirigeants de la société-mère dans le conseil d’administration de la filiale, une activité économique sous la dépendance du groupe, l’absence d’indépendance dans la définition de la stratégie et de la fixation des prix, la centralisation de la gestion des ressources humaines, l’accomplissement du travail par les salariés, indistinctement pour plusieurs sociétés du groupe, l’absence d’autonomie dans la gestion opérationnelle et administrative ; qu’il n’est pas nécessaire que la totalité de ces éléments soient réunis ; qu’après audition des parties et examen des pièces justificatives, notamment le « bilan économique et social » rapporté par Maître VS…, administrateur judiciaire, force est de constater : – Mercator Press détient 100% du capital de Georges Frère, – selon le rapport financier établi en mai 2010 à la demande du comité d’entreprise par le cabinet SOCAFI, Mercator Press et Mercator Press Sales sont redevables de sommes conséquentes à leur filiale SAS Georges Frère, – Mercator Press a imposé une rotative offset ROTOMAN 24 pages à la SAS Geroges Frère, d’une valeur contestée, mais surtout avec paiement par compensation et diminution du compte courant débiteur de la société mère chez SAS Georges Frère sans que celle-ci ne puisse s’y oppo