Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique, soulevé d’office après avis donné aux parties conformément aux dispositions de l’article 1015 du code de procédure civile :
Vu l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que les représentants des employeurs et des organisations syndicales représentatives des salariés du secteur de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie, soumis à la convention collective nationale étendue des entreprises artisanales relevant de ce secteur, ont conclu, le 24 avril 2006, un avenant n° 83 à cette convention collective par lequel ils ont décidé de mettre en oeuvre un régime de remboursement complémentaire obligatoire des frais de santé pour les salariés entrant dans le champ d’application de ce secteur ; qu’AG2R prévoyance a été désignée aux termes de l’article 13 de cet avenant pour gérer ce régime et l’article 14 a imposé à toutes les entreprises entrant dans le champ d’application de l’avenant n° 83 de souscrire les garanties qu’il prévoit à compter du 1er janvier 2007 ; que l’accord a été étendu au plan national, par arrêté ministériel du 16 octobre 2006, à toute la branche de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie ; qu’AG2R prévoyance a été désignée par les partenaires sociaux, pour une nouvelle durée de cinq ans, comme unique gestionnaire du régime, aux termes d’un avenant n° 100 du 27 mai 2011 étendu par arrêté du 23 décembre 2011 ; que la société CL CG, non adhérente d’une organisation d’employeurs signataire de l’avenant, ayant refusé de s’affilier au régime géré par AG2R prévoyance, cette dernière a, par acte du 16 février 2012, saisi un tribunal de grande instance pour obtenir la régularisation de l’adhésion de la société et le paiement des cotisations dues pour l’ensemble de ses salariés depuis le 1er janvier 2007 ; que par décision du 8 juillet 2016, le Conseil d’Etat a annulé l’article 6 de l’arrêté du 23 décembre 2011 ; que l’institution AG2R prévoyance est devenue AG2R Réunica prévoyance ;
Attendu que pour condamner la société CL CG à régulariser son adhésion et ordonner le règlement des cotisations dues à l’institution AG2R prévoyance pour la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2011, l’arrêt retient que c’est en vain que la société CL CG soutient que le choix d’AG2R prévoyance n’a pas été précédé d’une procédure de mise en concurrence, alors que d’autres organismes étaient susceptibles d’offrir les mêmes garanties et qu’il existait déjà des liens entre l’institution de prévoyance et certains acteurs de la branche, le Conseil d’Etat ayant rappelé, dans sa décision du 30 décembre 2013, que les stipulations des articles 102 et 106 du traité n’imposaient pas de modalité particulière d’attribution de droits exclusifs, que la Cour de cassation a également retenu, dans ses arrêts du 11 février 2015, que la validité de la clause de désignation du gestionnaire d’un régime de prévoyance obligatoire n’était pas subordonnée à une mise en concurrence préalable par les partenaires sociaux de plusieurs opérateurs économiques, que dès lors, il y a lieu de rejeter la demande de la société CL CG visant à voir dire que la clause de désignation contenue dans l’avenant n° 83 et désignant l’institution AG2R serait contraire aux dispositions des articles 9, 102 et 106 du TFUE et que le choix de cette institution, sans mise en concurrence et sans respect de l’obligation de transparence imposée par le droit de l’Union européenne, serait illégal, sans qu’il soit besoin de procéder au renvoi préjudiciel devant la CJUE sollicité par la société CL CG sur la question de la nécessité de l’ouverture à concurrence ;
Attendu cependant, que la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 17 décembre 2015 (C-25/14 et C-26/14) a dit pour droit que c’est l’arrêté d’extension de l’accord collectif confiant à un unique opérateur, choisi par les partenaires sociaux, la gestion d’un régime de prévoyance complémentaire obligatoire au profit des salariés, qui a un effet d’exclusion à l’égard des opérateurs établis dans d’autres États membres et qui seraient potentiellement intéressés par l’exercice de cette activité de gestion ; qu’il apparaît que dans un mécanisme tel que celui en cause, c’est l’intervention de l’autorité publique qui est à l’origine de la création d’un droit exclusif et qui doit ainsi avoir lieu dans le respect de l’obligation de transparence découlant de l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; que s’agissant du droit de l’Union européenne, dont le respect constitue une obligation, tant en vertu du Traité sur l’Union européenne et du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qu’en application de l’article 88-1 de la Constitution, il résulte du principe d’effectivité issu des dispositions de ces Traités, telles qu’elles ont été interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne, que le juge national chargé d’appliquer les dispositions du droit de l’Union a l’obligation d’en assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire ; qu’à cet effet, il doit pouvoir, en cas de difficulté d’interprétation de ces normes, en saisir lui-même la Cour de justice à titre préjudiciel ou, lorsqu’il s’estime en état de le faire, appliquer le droit de l’Union, sans être tenu de saisir au préalable la juridiction administrative d’une question préjudicielle, dans le cas où serait en cause devant lui, à titre incident, la conformité d’un acte administratif au droit de l’Union européenne ; qu’il en résulte que l’arrêté du 16 octobre 2006 simplement précédé de la publicité prévue à l’article L. 133-14 du code du travail, alors applicable, qui ne peut être regardée comme ayant permis aux opérateurs intéressés de manifester leur intérêt pour la gestion des régimes de prévoyance concernés avant l’adoption de la décision d’extension, incompatible avec les règles issues du droit de l’Union tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne, doit voir son application écartée en l’espèce ;
Qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il condamne la société CL CG à régulariser son adhésion auprès de l’institution AG2R prévoyance, devenue AG2R Réunica prévoyance, ainsi qu’à régler les cotisations lui étant dues en exécution de l’avenant n° 83 du 24 avril 2006 au titre de la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2011, l’arrêt rendu le 27 mars 2015, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;
Condamne l’institution AG2R Réunica prévoyance aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne l’institution AG2R Réunica prévoyance à payer à la société CL CG la somme de 1 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept mars deux mille dix-sept.MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour la société CL CG.
Le moyen reproche à l’arrêt partiellement confirmatif attaqué D’AVOIR dit que l’adhésion de la société CL CG à AG2R Prévoyance était obligatoire depuis le 1er janvier 2007, ordonné en conséquence à la société CL CG de régulariser son adhésion en retournant dûment complété et signé l’état nominatif du personnel ainsi que les bulletins individuels d’affiliation de tous les salariés accompagnés de tous les justificatifs permettant d’enregistrer les affiliations et ce, sous astreinte de 300 euros par jour de retard et condamné la société CL CG à payer à AG2R Prévoyance, dans un délai de 15 jours à compter de la réception de l’appel de cotisation, les cotisations de l’ensemble de ses salariés prévues à l’avenant n° 83 du 24 avril 2006 au titre de la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2011 ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE la société AG2R PREVOYANCE sollicitait la condamnation de la société CL GC à adhérer au régime de prévoyance géré par elle en se fondant sur les dispositions de l’avenant nº83 du 24 avril 2006 modifiant la convention collective nationale des entreprises artisanales de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie du 19 mars 1978 ; que cet avenant avait mis en place un régime de remboursement complémentaire des frais de soins de santé au profit de l’ensemble des salariés des entreprises entrant dans le champ d’application de la convention collective ayant un mois d’ancienneté dans une même entreprise, avait défini les conditions et modalités de la garantie et avait prévu que l’affiliation des salariés par les entreprises était obligatoire ; que l’article 13 avait désigné la société AG2R PREVOYANCE en qualité d’organisme assureur unique en prévoyant que les modalités d’organisation de la mutualisation du régime seraient réexaminées par la commission nationale paritaire dans les six mois précédant l’expiration d’un délai de cinq années à compter de sa date d’effet ; que l’article 14 avait inséré une clause dite de migration aux termes de laquelle il est prévu que l’adhésion avait un caractère obligatoire y compris pour les entreprises ayant un contrat de complémentaire santé auprès d’un autre organisme assureur avec des garanties identiques ou supérieures à celles définies par l’avenant ; que cet avenant avait fait l’objet d’un arrêté d’extension du ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement en date du 16 octobre 2006 ; que, sur la licéité des dispositions de l’avenant au regard du droit interne, la société CL GC contestait la validité des clauses de désignation et de migration contenues aux articles 13 et 14 de l’avenant au regard du droit interne et soutenait que, bénéficiaire d’un contrat de complémentaire santé auprès d’un assureur qui offrait à ses salariés des garanties supérieures à celles contenues dans l’avenant, elle ne pouvait se voir imposer l’adhésion au régime proposé par l’institution AG2R ; qu’il convenait de constater que les dispositions de cet avenant avaient été validées par le Conseil d’Etat qui, dans son arrêt du 19 mai 2008, avait rejeté la requête en annulation de l’arrêté du 16 octobre 2006 en retenant qu’en application des dispositions des articles L.911-1 et L.912-1 du code de la sécurité sociale sus-rappelées, un accord collectif pouvait légalement créer un régime offrant des garanties collectives aux salariés d’une branche auquel ceux-ci devaient obligatoirement adhérer et pouvait désigner un organisme assureur unique chargé d’organiser la couverture des risques ; que par ailleurs, la Cour de cassation avait, dans un arrêt du 10 octobre 2007, jugé qu’il résultait de la combinaison de l’article L 912-1 alinéa 2 du code de la sécurité sociale et de l’article L132-23 alinéa 2 du code du travail (devenu l’article L 2253-2) que lorsque l’accord professionnel ou interprofessionnel imposait l’adhésion à un régime géré par une institution désignée par celui-ci, l’adaptation de l’accord d’entreprise consistait nécessairement dans sa mise en conformité avec ledit accord professionnel ou interprofessionnel de mutualisation des risques et, partant, l’adhésion de l’entreprise au régime géré par l’institution désigné par celui-ci ; que cette jurisprudence avait été réaffirmée à plusieurs reprises dans le cadre des contentieux relatifs à la mise en oeuvre de l’avenant nº83 à la convention collective nationale des entreprise artisanales de la boulangerie et boulangerie pâtisserie et à la désignation de l’institution AG2R ; que, dans une décision du 21 novembre 2012, la Cour de cassation avait ajouté que l’obligation d’adhésion à l’organisme désigné par avenant pour gérer le régime complémentaire de remboursement des soins revêtait un caractère d’ordre public et ne, comportant aucune dispense, excluait l’application du principe de faveur ; que la validation de la clause de désignation – permettant la désignation d’un tiers chargé de la mise en oeuvre des garanties complémentaires et auprès duquel la souscription du contrat est obligatoire – et de la clause de migration – permettant la généralisation du système de couverture – était en effet justifiée par la volonté de mutualiser les risques afin d’offrir des avantages plus substantiels à taux de cotisation égal et d’assurer de manière égale les salariés à risques ou plus âgés, à l’identique des autres salariés ; qu’en l’espèce, les partenaires sociaux avaient entendu obtenir, au travers de l’accord conclu, une mutualisation des risques, des garanties et des ressources du système, l’organisme de prévoyance s’engageant sur la base d’une estimation menée pour l’ensemble des entreprises couvertes par cet accord – dont l’équilibre nécessite que soit évité le risque de défection d’assurés qui, présentant des risques restreints, se tourneraient vers d’autres entreprises d’assurance qui pourraient leur offrir, au regard de ces risques, des garanties identiques, voire meilleures ; que l’avantage de la mutualisation était particulièrement favorable pour les petites entreprises telles que les entreprises artisanales de la boulangerie concernées par l’avenant litigieux ; que dans ces conditions, il y avait lieu de constater que l’avenant nº83 était conforme au droit interne et aux dispositions des articles L 911-1 et L 912-1 du code de la sécurité sociale et qu’il emportait, aux termes de ses articles 13 et 14, obligation pour toute entreprise entrant dans le champ d’application de la convention collective nationale des entreprise artisanales de la boulangerie et boulangerie pâtisserie d’adhérer au régime de garantie des risques choisi par les partenaires sociaux et confié à l’institution AG2R Prévoyance, sans que la société CL GC puisse opposer l’existence d’une garantie souscrite auprès d’un autre organisme, peu important le niveau de garantie souscrit antérieurement ; que, certes, que par décision en date du 13 juin 2013, le Conseil constitutionnel avait, dans ses considérants 11, 12 et 13, considéré que les dispositions de l’article L 912-1 dans son alinéa 1er et dans son alinéa 2 étaient contraires à la Constitution en ce qu’elles portaient à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi de mutualisation des risques ; mais que le considérant 14 avait précisé : « Considérant que la déclaration d’inconstitutionnalité de l’article L 912-1 du code de la sécurité sociale prennait effet à compter de la publication de la présente décision ; qu’elle n’était toutefois pas applicable aux contrats pris sur ce fondement, en cours lors de cette publication, et liant les entreprises à celles qui sont régies par le code des assurances, aux institutions relevant du titre III du code de la sécurité sociale et aux mutuelles relevant du code de la mutualité. »; qu’il devait être retenu de cette formulation, comprise à la lecture tant du commentaire de la décision aux cahiers du Conseil constitutionnel – selon lequel la censure de l’article L 912-1 du code de la sécurité sociale devait conduire à ce qu’aucune nouvelle convention ne soit passée sur le fondement de ses dispositions – que de la décision du Conseil constitutionnel du 18 octobre 2013 ayant précisé les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité et de l’avis du Conseil d’Etat du 26 septembre 2013, que la notion de contrats en cours devait s’entendre des actes ayant le caractère de conventions ou d’accords collectifs ayant procédé à la désignation des organismes assureurs pour les besoins du fonctionnement du dispositif de mutualisation que les partenaires sociaux avaient entendu mettre en place, voire les actes contractuels signés au niveau de la branche avec ces organismes assureurs en vue de lier ces derniers, et non des actes d’adhésion des employeurs aux statuts et au règlement de l’institution qui, à supposer qu’il reçoivent la qualification de contrats, ne procédaient pas d’une libre négociation contractuelle ; qu’ainsi, comme le soutenait justement l’institution AG2R, la décision du 13 juin 2013 déclarant les dispositions de l’article L 912-1 du code de la sécurité sociale inconstitutionnelles était sans incidence sur la validité de l’avenant nº83 à la convention collective nationale des entreprise artisanales de la boulangerie et boulangerie pâtisserie au regard du droit interne et sur l’obligation d’adhésion de la société CL GC ; que sur la licéité des dispositions de l’avenant au regard du droit communautaire ; que la société CL GC ne discutait pas la licéité de la clause de migration en droit communautaire, la décision de la CJUE du 3 mars 2011 (affaire AG2R / BEAUDOUT) ayant, dans son considérant nº80, explicitement validé cette clause en retenant que « la suppression d’une clause de migration telle que prévue par l’avenant nº83 pourrait aboutir à une impossibilité pour l’organisme concerné d’accomplir les missions d’intérêt économique général qui lui ont été imparties dans des conditions économiquement acceptables. », la Cour ayant préalablement considéré que le régime institué par l’avenant et confié à l’institution AG2R, « se caractérise par un degré élevé de solidarité, en raison, notamment du caractère forfaitaire des cotisations et de l’obligation d’accepter tous les risques. » ; que la société CL GC soutenait par contre que la clause de désignation était illicite comme contraire aux dispositions combinées des articles 9,102 et 106 du TFUE ; qu’elle indiquait, pour ce faire, que la CJUE, dans l’arrêt BEAUDOUT du 3 mars 2011, avait retenu que la finalité sociale d’un régime d’assurance n’était pas en soi suffisante pour exclure que l’activité concernée soit qualifiée d’activité économique et affirmait que l’institution AG2R constituait une entreprise de droit privé exerçant une activité économique pour laquelle le juge interne était invité à examiner les circonstances dans lesquelles elle avait été désignée et la marge de négociation dont cet organisme avait pu disposer ; qu’elle ajoutait que l’abus de position dominante sanctionné par l’article 102 du TFUE était caractérisé par l’octroi de droits exclusifs sans aucune explication sur les critères de choix de l’organisme gestionnaire ;que la CJUE avait été saisie d’une question préjudicielle posée par le tribunal de grande instance de Périgueux sur la conformité aux articles 81 CE et 82 CE (actuellement articles 101 TFUE et 102 TFUE) du dispositif d’affiliation obligatoire posé par l’avenant nº83 et son extension à l’ensemble des entreprises du secteur ; qu’elle avait, en premier lieu, retenu que l’accord tel que celui en cause, conclu sous forme d’un avenant à une convention collective résultant d’une négociation entre partenaires sociaux et ayant pour objet de contribuer à l’amélioration des conditions de travail des salariés, ne relevait pas, en raison de sa nature et de son objet, de l’article 101 du TFUE prohibant les ententes illicites et que les pouvoirs publics étaient libres de rendre cet accord obligatoire, concluant en conséquence que l’article 101 du TFUE lu en combinaison avec l’article 4 § 3 du TFUE ne s’opposait pas à la décision des pouvoirs publics de rendre obligatoire, à la demande des organisations représentatives des employeurs et des salariés d’un secteur d’activité déterminé, un accord issu de négociations collectives prévoyant l’affiliation obligatoire à un régime de remboursement complémentaire de frais de santé, sans possibilité de dispense ; qu’elle avait, en second lieu, rappelé que la prohibition de l’abus de position dominante résultant de l’article 102 du TFUE supposait que l’institution AG2R soit une entreprise au sens de cet article, et que, s’agissant d’une institution ayant pour activité d’offrir des biens ou des services sur un marché donné dont la finalité sociale n’était pas en soi suffisante pour exclure la qualification d’activité économique, il convenait de rechercher si le régime d’assurance en cause mettait en oeuvre le principe de solidarité et s’il était soumis au contrôle de l’Etat qui l’avait instauré, ces éléments étant de nature à exclure le caractère économique de l’activité considérée ; que la Cour avait jugé que le régime en cause était caractérisé par un degré élevé de solidarité mais qu’elle avait estimé, sur la question du contrôle de l’Etat, qu’il appartenait au juge national de trancher cette question en fonction des circonstances dans lesquelles AG2R avait été désignée et de la marge de négociation dont cet organisme avait bénéficié quant aux modalités de son engagement ; qu’elle avait ensuite retenu qu’à supposer que l’institution AG2R soit considérée comme une entreprise au sens de l’article 102 du TFUE, le simple fait de créer une position dominante par l’octroi de droits exclusifs au sens de l’article 106 § 1 n’était pas, en tant que tel, incompatible avec l’article 102, et que les conditions d’application de la dérogation prévue par l’article 106 § 2 étaient remplies ; qu’en raison du degré élevé de solidarité, qu’AG2R était chargée de la gestion d’un service d’intérêt économique général au sens de ces dispositions ; que c’était ainsi que la CJUE avait répondu, dans son considérant 81, au second terme de la question posée relatif à la conformité du dispositif à l’article 102 du TFUE : « Il convient dès lors de répondre à la seconde partie de la question telle que reformulée que, pour autant que l’activité consistant dans la gestion d’un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé tel que celui en cause au principal doit être qualifié d’activité économique, ce qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier, les articles 102 TFUE et 106 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, à ce que les pouvoirs publics investissent un organisme de prévoyance du droit exclusif de gérer ce régime, sans aucune possibilité pour les entreprises du secteur d’activité concerné d’être dispensées de s’affilier audit régime. » ; que, s’agissant de l’appréciation par le juge national de l’abus de position dominante d’AG2R sur le marché de la protection complémentaire en matière de santé au regard des dispositions du droit communautaire, que le Conseil d’Etat avait, dans sa décision du 30 décembre 2013, écarté l’existence d’un tel abus de la part de l’institution AG2R en retenant que, même si celle-ci devait être regardée comme une entreprise exerçant une activité économique, il ne résultait pas du fait prétendu que sa désignation n’avait pas été contrôlée par l’Etat et que le fonctionnement du régime ferait l’objet d’un contrôle limité de celui-ci qu’elle serait amenée, par le simple exercice des droits exclusifs qui lui avaient été conférés, à exploiter une position dominante de façon abusive, alors que les prestations et les cotisations du régime étaient fixées par avenant à la convention collective et qu’il n’était pas soutenu que les prestations fournies ne correspondraient pas aux besoins des entreprises concernées ; que c’était en vain que la société CL GC soutenait que le choix d’AG2R Prévoyance n’avait pas été précédé d’une procédure de mise en concurrence, alors que d’autres organismes étaient susceptibles d’offrir les mêmes garanties et qu’il existait déjà des liens entre l’institution de prévoyance et certains acteurs de la branche, le Conseil d’Etat ayant rappelé, dans sa décision du 30 décembre 2013, que les stipulations des articles 102 et 106 du traité n’imposaient pas de modalité particulière d’attribution de droits exclusifs ; que la Cour de cassation avait également retenu, dans ses arrêts du 11 février 2015, que la validité de la clause de désignation du gestionnaire d’un régime de prévoyance obligatoire n’était pas subordonnée à une mise en concurrence préalable par les partenaires sociaux de plusieurs opérateurs économiques ; que dès lors, il y avait lieu de rejeter la demande de la société CL GC visant à voir dire que la clause de désignation contenue dans l’avenant nº83 et désignant l’institution AG2R serait contraire aux dispositions des articles 9, 102 et 106 du TFUE et que le choix de cette institution, sans mise en concurrence et sans respect de l’obligation de transparence imposée par le droit de l’Union Européenne, serait illégal, sans qu’il soit besoin de procéder au renvoi préjudiciel devant la CJUE sollicité par la société CL GC sur la question de la nécessité de l’ouverture à concurrence (arrêt, pp. 7 à 12) ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE, concernant l’illicéité des clauses litigieuses en droit interne soulevée par la société défenderesse, il convenait d’une part de rappeler que le principe d’adaptabilité résultant de l’article L2253-2 du code du travail ne s’appliquait que dans la mesure où l’accord de prévoyance mis en place par les partenaires sociaux était susceptible de se heurter à un autre dispositif de prévoyance mis en place par un accord collectif, ce qui n’était pas le cas en l’espèce , d’autre part, l’arrêt de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation du 21 juin 2005 dont se prévalait la société CL CG visait un cas où les dispositions de l’accord prévoyaient expressément une liberté d’adhésion pour les entreprises disposant déjà d’un régime de prévoyance avant l’entrée en vigueur de l’accord litigieux, d’où l’impossibilité de procéder au changement d’assureur en imposant l’opérateur désigné dans l’accord collectif ; que cet arrêt n’avait donc pas vocation à s’appliquer en l’espèce ; que concernant l’illicéité au regard du droit communautaire, l’arrêt rendu le 3 mars 2011 par la CJUE (AG2R PREVOYANCE/ BEAUDOUT) écartait les moyens tirés de la prohibition des ententes illicites ou des positions dominantes abusives et pose le principe de l’adhésion obligatoire justifiée par un degré élevé de solidarité du régime en cause imposant de contraintes spécifiques, notamment financières, pouvoir garantir la pérennité de la couverture accordée aux assurés ; qu’il résultait notamment du point 65 de l’arrêt du 3 mars 2011 qu’il « pourrait être conclu qu’AG2R, bien que n’ayant pas de but lucratif et agissant sur le fondement du principe de solidarité, est une entreprise exerçant une activité économique qui a été choisie par les partenaires sociaux, sur la base de considérations financières et économiques, parmi d’autres entreprises avec lesquelles elle est en concurrence sur le marché des services de prévoyance qu’elle propose » ; que la CJUE n’excluait donc pas que l’activité puisse être qualifiée d’économique mais exposait dans son article 81 que les articles 102 et 106 TFUE devaient être interprétés en ce sen qu’ils ne s’opposaient pas à ce que les pouvoirs publics investissent un organisme de prévoyance du droit exclusif de gérer ce régime, sans aucune possibilité pour les entreprises du secteur concerné d’être dispensées de s’affilier audit régime ; que sur ce point, il convenait de relever que seuls les partenaires sociaux avaient la capacité de négocier et de signer des accords de prévoyance et s’étaient en l’espèce déterminés en faveur d’AG2R PREVOYANCE, ce qui, selon la CJUE, n’était pas contraire à l’article 101 TFUE lue en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, aucun texte n’imposant en tout état de cause le recours à un appel d’offre dans le cadre d’un accord collectif de prévoyance dont l’objet est l »amélioration des conditions de travail ; qu’il y avait donc lieu de considérer AG2R comme bénéficiant d’un droit exclusif, justifié par des contraintes spécifiques rendant l’organisme concerné moins compétitif qu’un service comparable fourni par des compagnies d’assurance non soumises à ces contraintes (point 79), et non comme abusant d’une position dominante ; que la CJUE ajoutait que la suppression d’une clause de migration telle que celle prévue par l’avenant no 83 pourrait aboutir à une impossibilité pour l’organisme concerné d’accomplir les missions d’intérêt économique général qui lui ont été imparties dans des conditions économiquement acceptables ; qu’en conséquence, la clause de désignation et la clause de migration qui en était le complément apparaissent parfaitement licites , l’arrêt de la CJUE du 3 mars 2011 apparaissant suffisamment clair et précis pour ne pas avoir à opérer de nouveau un renvoi préjudiciel devant la Cour ; qu’il y avait donc lieu de constater que l’adhésion de la société CL CG à AG2R PREVOYANCE était obligatoire depuis le 1er janvier 2007 et d’ ordonner à la société défenderesse de régulariser son adhésion selon les modalités précisées au dispositif et ce, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter de l’expiration d’un délai de dix jours suivant la signification de la présente décision (jugement, pp. 4 à 6) ;
ALORS, EN PREMIER LIEU, QU’il résulte des dispositions de l’article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, en sa rédaction antérieure à la loi n°2013-1203 du 23 décembre 2013, et de celles de l’article L. 2253-2 du code du travail, que les entreprises concernées par un accord de mutualisation conservent leur liberté d’adhésion pourvu que la garantie des risques par elles souscrite antérieurement à l’accord soit équivalente à la garantie visée par celui-ci ; qu’en retenant au contraire qu’il s’imposait à toute entreprise ayant déjà souscrit un contrat auprès d’un organisme différent de celui désigné par l’accord de mutualisation dont elle relevait, de résilier le contrat en cours et d’en souscrire un autre auprès de ce dernier organisme, même si le contrat en cours offrait des garanties équivalentes voire supérieures à celles proposées par celui-ci, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
ALORS, EN DEUXIEME LIEU, QU’en tout état de cause, la déclaration d’inconstitutionnalité faite par la décision n°2013-672 DC du 13 juin 2013 du Conseil constitutionnel à l’égard de l’article L. 912-1 du code de la sécurité sociale – en ce que ce texte permettait d’imposer notamment que les entreprises d’une branche se trouvent liées à l’organisme de prévoyance désigné par un accord de branche cependant qu’antérieurement à celui-ci, elles étaient liées par un contrat conclu avec un autre organisme –, est applicable à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel et dispense en conséquence les entreprises d’une branche de conclure des contrats individuels impérativement avec le seul organisme désigné par l’accord de branche, les contrats individuels déjà conclus avec ledit organisme n’étant toutefois pas remis en cause ; qu’en retenant au contraire que la déclaration d’inconstitutionnalité ne faisait pas obstacle à l’application des conventions conclues entre les signataires des accords collectifs de branche et l’organisme de prévoyance impérativement désigné par chacun des accords et qu’en conséquence, nonobstant la déclaration d’inconstitutionnalité, les entreprises demeuraient tenues de souscrire un contrat avec l’organisme désigné par l’accord de branche dont elles relevaient, la cour d’appel a violé l’article 62 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;
ALORS, EN TROISIEME LIEU, QUE le principe d’égalité et l’obligation de transparence qui découlent de l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne s’opposent à ce qu’une réglementation nationale permette l’attribution d’un marché à un opérateur unique sans garantir que la désignation dudit opérateur ait été précédée d’une publicité de nature à permettre le jeu de la concurrence entre les opérateurs économiques et que la procédure de désignation ait été impartiale ; qu’en regardant néanmoins comme conforme au droit de l’Union européenne la clause contenue dans l’avenant nº83 du 24 avril 2006 à la convention collective nationale des entreprises artisanales de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie du 19 mars 1976 désignant AG2R Prévoyance comme unique institution de prévoyance complémentaire des frais de soins de santé des salariés dans la branche boulangerie et pâtisserie, nonobstant l’absence d’une procédure de mise en concurrence préalable, la cour d’appel a violé l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QU’en appréciant la nécessité ou non d’une procédure de mise en concurrence préalable