Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique, après avis donné aux parties en application de l’article 1015 du code de procédure civile :
Vu les articles 56, 101, 102 et 106 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et les avenants n° 83 du 24 avril 2006 et n° 100 du 27 mai 2011 à la convention collective nationale de la boulangerie-pâtisserie du 19 mars 1976 ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que les représentants des employeurs et des organisations syndicales représentatives des salariés du secteur de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie, soumis à la convention collective nationale étendue des entreprises artisanales relevant de ce secteur, ont conclu, le 24 avril 2006, un avenant n° 83 à cette convention collective par lequel ils ont décidé de mettre en oeuvre un régime de remboursement complémentaire obligatoire des frais de santé pour les salariés entrant dans le champ d’application de ce secteur ; qu’AG2R prévoyance a été désignée aux termes de l’article 13 de cet avenant pour gérer ce régime et l’article 14 a imposé à toutes les entreprises entrant dans le champ d’application de l’avenant n° 83 de souscrire les garanties qu’il prévoit à compter du 1er janvier 2007 ; que l’accord a été étendu au plan national, par arrêté ministériel du 16 octobre 2006, à toute la branche de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie ; qu’AG2R prévoyance a été désignée par les partenaires sociaux, pour une nouvelle durée de cinq ans, comme unique gestionnaire du régime aux termes d’un avenant n° 100 du 27 mai 2011 étendu par arrêté du 23 décembre 2011 ; que la société Mivielle, adhérente d’une organisation d’employeurs signataire des avenants, ayant refusé d’adhérer au régime géré par AG2R prévoyance, cette dernière a, par acte du 1er février 2012, saisi le tribunal de grande instance pour obtenir la régularisation de l’adhésion de la société et le paiement des cotisations dues pour l’ensemble de ses salariés depuis le 1er janvier 2007 ;
que l’institution AG2R prévoyance est devenue AG2R Réunica prévoyance ;
Attendu que pour rejeter ces demandes, l’arrêt énonce que hormis le fait qu’AG2R prévoyance ait été désignée par les partenaires sociaux signataires de l’avenant nº 83, il n’est produit aucune pièce permettant de déterminer quels ont été les critères qui ont pu guider ces partenaires dans le choix de cet organisme et notamment les éléments économiques, la marge de négociation dont a pu disposer AG2R, les risques qu’elle pouvait encourir si elle était mise en concurrence avec d’autres institutions de prévoyance, mutuelles et entreprises d’assurance et ce alors que l’article L. 911-1 du code de la sécurité sociale prévoit la possibilité de confier la gestion d’un régime complémentaire des soins de santé à des institutions de prévoyance et de mutualisation, mais également à des entreprises d’assurance ; que dès lors, la seule allégation d’AG2R prévoyance qu’en l’absence de désignation exclusive et d’obligation d’affiliation à son profit des entreprises sans possibilité de dispense, il serait fait échec à l’accomplissement de la mission particulière d’intérêt général qui lui est impartie, n’est pas de nature à permettre à la cour de vérifier que les critères posés par la Cour de justice de l’Union européenne pour échapper à toute concurrence sont remplis en l’espèce ; qu’en l’absence d’éléments permettant à la cour de vérifier le respect du droit communautaire au regard des critères relatifs au jeu de libre concurrence, AG2R n’est donc pas fondée à demander l’adhésion forcée des sociétés ni leur condamnation à paiement d’arriérés de cotisations ;
Attendu, cependant, que la Cour de justice de l’Union européenne a jugé, par un arrêt du 3 mars 2011 (C437/09 ), d’une part, que l’affiliation obligatoire à un régime de remboursement complémentaire de frais de soins pour l’ensemble des entreprises du secteur concerné à un seul opérateur, sans possibilité de dispense, était conforme à l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), et d’autre part, que les articles 102 et 106 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne s’opposaient pas à ce que les pouvoirs publics investissent, dans des circonstances telles que celles de l’affaire, un organisme de prévoyance du droit exclusif de gérer ce régime, sans aucune possibilité pour les entreprises du secteur d’activité concerné d’être dispensées de s’affilier audit régime ; qu’il résulte également de l’arrêt du 17 décembre 2015 de la Cour de justice de l’Union européenne (C-25/14 et C-26/14) que c’est l’intervention de l’autorité publique – par le biais de l’arrêté d’extension – qui est à l’origine de la création d’un droit exclusif et qui doit ainsi, en principe, avoir lieu dans le respect de l’obligation de transparence découlant de l’article 56 du TFUE ; que les accords collectifs de branche instituant un régime de protection sociale complémentaire ne relèvent donc pas du champ d’application de l’article 56 du TFUE qui n’impose aucune obligation de transparence aux partenaires sociaux lesquels ne sont pas un pouvoir adjudicateur soumis aux règles régissant les marchés publics ou la commande publique ;
Qu’en statuant comme elle a fait, alors qu’il n’était pas contesté que la société Mivielle était adhérente d’une organisation d’employeurs signataire des avenants n° 83 du 24 avril 2006 et n° 100 du 27 mai 2011 à la convention collective nationale de la boulangerie-pâtisserie, en sorte qu’elle était tenue d’adhérer au régime géré par l’organisme désigné par les partenaires sociaux, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 18 décembre 2014, entre les parties, par la cour d’appel de Pau ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris ;
Condamne la société Mivielle aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept mars deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour l’institution AG2R prévoyance devenue AG2R Réunica prévoyance
Il est fait grief à l’arrêt attaqué :
D’AVOIR débouté AG2R Prévoyance de ses demandes tendant à voir ordonné à la société Mivielle de régulariser son adhésion en retournant dûment complété et signé l’état nominatif du personnel ainsi que les bulletins individuels d’affiliation de tous les salariés accompagnés de tous les justificatifs permettant d’enregistrer les affiliations, et ce sous astreinte,
AUX MOTIFS QUE « dans son arrêt préjudiciel du 3 mars 2011, arrêt Beaudout, qui s’impose obligatoirement non seulement à la juridiction qui a posé la question préjudicielle, mais aussi à toutes les juridictions saisies du même problème d’interprétation des textes et par conséquent à toutes les juridictions saisies des demandes d’AG2R dont l’objet et les moyens principaux sont identiques, ce qui est le cas en l’espèce, la CJUE estime tout d’abord que le droit des ententes (art. 101 TFUE, lu en combinaison avec art. 4, § 3 TFUE,) ne s’oppose pas à la décision des pouvoirs publics de rendre obligatoire, à la demande des organisations représentatives des employeurs et des salariés d’un secteur d’activité déterminé, un accord issu de négociations collectives qui prévoit l’affiliation obligatoire à un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé pour l’ensemble des entreprises du secteur concerné, sans possibilité de dispense et ce en raison de la nature (négociation collective) et de l’objet de cet accord (amélioration des conditions de travail des salariés), (point 28 à 36) ; s’agissant de l’abus de position dominante, les parties ne disconviennent pas qu’AG2R est titulaire de droits exclusifs (droit exclusif de percevoir et de gérer les cotisations versées par les employeurs et les salariés du secteur) ; par ailleurs, il se déduit de la l’arrêt Beaudout, que le régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé géré par AG2R se caractérise « par un degré élevé de solidarité» et qu’AG2R détient un monopole légal sur une partie substantielle du marché commun de sorte qu’elle occupe une position dominante au sens de l’article 102 du TFUE ; la Cour estime (point 81) pour autant que l’activité consistant dans la gestion d’un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé tel que celui en cause au principal doit être qualifiée d’économique, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, les articles 102 TFUE et 106 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, à ce que les pouvoirs publics investissent un organisme de prévoyance du droit exclusif de gérer ce régime, sans aucune possibilité pour les entreprises du secteur d’activité concerné d’être dispensées de s’affilier audit régime ; certes, les stipulations des articles 102 et 106 du TFUE n’imposent pas de modalités particulières d’attribution de droits exclusifs et notamment une procédure de mise en concurrence avec d’autres organismes susceptibles d’offrir les mêmes garanties ; néanmoins, la CJUE relève que les dispositions de l’article L. 911-1 du code de la sécurité sociale prévoit que les garanties collectives complémentaires dont bénéficient les salariés peuvent être instaurés de différentes manières, la voie de la convention collective étant une choix des partenaires sociaux mais que cette disposition permet également l’organisation d’une telle couverture à l’échelle de l’entreprise et non de tout un secteur professionnel et que celles de l’article 1er de la loi nº 89-1009 du 31 décembre 1989 modifiée permettent de confier ce régime de prévoyance non seulement à des institutions de prévoyances et de mutualisation, mais également à des entreprises d’assurance (points 59 à 61) ; elle en déduit qu’il n’y a d’obligation légale ni dans le chef des partenaires sociaux de désigner AG2R pour assurer la gestion d’un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé tel que celui prévu à l’avenant nº 83 ni dans le chef d’AG2R de prendre effectivement en charge la gestion d’un tel régime (point 62) et que dès lors se pose la question, d’une part, des circonstances dans lesquelles AG2R a été désiçnée par l’avenant n » 83 et, d’autre part, de la marge de négociation dont cet orqanlsme a pu disposer quant aux modalités de son engagement, et de la répercussion de ces éléments sur le mode de fonctionnement du régime concerné dans son ensemble (point 64) ; Elle estime (point 65), qu’en effet, en fonction de ces circonstances et de cette marge de négociation, qu’il appartient à la juridiction de renvoi, d’examiner, il pourrait être conclu qu’AG2R, bien que n’ayant pas de but lucratif et agissant sur le fondement du principe de solidarité, est une entreprise exerçant une activité économique qui a été choisie par les partenaires sociaux, sur la base de considérations financières et économiques, parmi d’autres entreprises avec lesquelles elle est en concurrence sur le marché des services de prévoyance qu’elle propose ; hormis le fait qu’AG2R ait été désignée par les partenaires sociaux signataires de l’avenant nº 83, il n’est produit devant la Cour aucune pièce permettant de déterminer quels ont été les critères qui ont pu guider ces partenaires dans le choix de cet organisme et notamment les éléments économiques, la marge de négociation dont a pu disposer AG2R, les risques qu’elles pouvaient encourir si elle était mise en concurrence avec d’autres institutions de prévoyance, mutuelles et entreprises d’assurance et ce alors que l’article 911-1 du code de la sécurité sociale prévoit la possibilité de confier la gestion d’un régime complémentaire des soins de santé à des institutions de prévoyances et de mutualisation, mais également à des entreprises d’assurance ; dès lors, la seule allégation d’AG2R qu’en l’absence de désignation exclusive et d1obligation d’affiliation à son profit des entreprises sans possibilité de dispense, il serait fait échec à l’accomplissement de la mission particulière d’intérêt général qui lui est impartie, n’est pas de nature à permettre à la cour de vérifier que les critères posés par la CJUE pour échapper à toute concurrence sont remplies en l’espèce ; en l’absence d’éléments permettant à la cour de vérifier le respect du droit communautaire au regard des critères relatifs au jeu de libre concurrence, AG2R n’est donc pas fondée à demander l’adhésion forcée de l’appelante ni sa condamnation à paiement d’arriérés de cotisations. Dès lors le jugement déféré sera infirmé dans toutes ses dispositions et AG2R déboutée de l’ensemble de ses demandes ».
1°) ALORS QU’il appartient à celui qui invoque l’illicéité d’une clause de désignation et de migration d’un accord collectif d’en rapporter la preuve ; qu’en énonçant, pour rejeter les demandes d’AG2R prévoyance tendant à voir ordonner à la société Mivielle de régulariser son adhésion, rendue obligatoire par l’avenant numéro 83 à la Convention collective nationale de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie, qu’elle ne justifiait pas d’éléments qui permettraient à la cour d’appel de vérifier le respect du droit communautaire au regard des critères relatifs au jeu de libre concurrence, la cour d’appel, qui a fait supporter à AG2R Prévoyance la charge de la preuve de la licéité des clauses de désignation et de migration, a ainsi inversé la charge de la preuve, en violation de l’article 1315 du code civil ;
2°) ALORS QUE, subsidiairement, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a décidé, par un arrêt du 3 mars 2011, que l’affiliation obligatoire à un régime de remboursement complémentaire de frais de soins pour l’ensemble des entreprises du secteur concerné à un seul opérateur, sans possibilité de dispense, était conforme aux articles 102 et 106 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ; que la Cour de justice de l’Union européenne a ainsi considéré que les clauses de désignation et de migration étaient valables au regard des règles de la libre concurrence ; qu’en décidant toutefois qu’il n’était pas justifié de la validité de ces clauses au regard du droit communautaire, et en réexaminant ainsi leur validité pourtant admise par la Cour de justice, la cour d’appel a violé l’article 267 TFUE ;
3°) ALORS QUE, tout aussi subsidiairement, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a décidé, par un arrêt du 3 mars 2011, que l’affiliation obligatoire à un régime de remboursement complémentaire de frais de soins pour l’ensemble des entreprises du secteur concerné à un seul opérateur, sans possibilité de dispense, était conforme à l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ; que la CJUE a jugé, par le même arrêt, que les articles 102 et 106 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne s’opposaient pas à ce que les pouvoirs publics investissent, dans des circonstances telles que celles de l’affaire, un organisme de prévoyance du droit exclusif de gérer ce régime, sans aucune possibilité pour les entreprises du secteur d’activité concerné d’être dispensées de s’affilier au dit régime ; que la Cour de justice de l’Union européenne a ainsi considéré que les clauses de désignation étaient valables, que l’organisme gestionnaire soit qualifié ou non d’entreprise ; que la cour d’appel quant à elle a toutefois affirmé qu’aux termes de l’arrêt du 3 mars 2011 rendu par la CJUE, la validité de la clause de désignation dépendait de la qualification d’entreprise d’AG2R Prévoyance, et donc des circonstances dans lesquelles elle avait été désignée et de la marge de négociation dont elle avait pu disposer quant aux modalités de son engagement et de la répercussion de ces éléments sur le mode de fonctionnement du régime concerné dans son ensemble ; qu’elle en a déduit qu’à défaut d’éléments lui permettant de se prononcer sur cette qualification, et partant, sur le respect du droit communautaire au regard des critères relatifs au jeu de la libre concurrence, et sur les risques qu’AG2R Prévoyance pourrait encourir si elle était mise en concurrence avec d’autres organismes, elle n’était pas fondée à demander l’adhésion forcée de la société Mivielle ; qu’en statuant ainsi, quand la validité de la clause de désignation au regard des articles 102 et 106 TFUE n’était pas subordonnée à la qualification d’entreprise exerçant une activité économique de la société Mivielle, la cour d’appel a violé les articles 102 et 106 du TFUE.
ECLI:FR:CCASS:2017:SO00342