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SOC.
ZB
COUR DE CASSATION
_____________________
Audience publique du 28 septembre 2022
Cassation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1003 F-D
Pourvois n°
A 20-21.171
B 20-21.172 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 28 SEPTEMBRE 2022
1°/ La société Groupe Royer, société anonyme, dont le siège est [Adresse 7],
2°/ La société MA, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 4],
ont formé les pourvois n° A 20-21.171 et B 20-21.172 contre deux arrêts rendus le 17 juin 2020 par la cour d’appel de Bordeaux (chambre sociale, section A), dans les litiges les opposant respectivement :
1°/ à Mme [K] [N], épouse [Z], domiciliée [Adresse 1],
2°/ à Mme [W] [B], domiciliée [Adresse 2],
3°/ à Pôle emploi, dont le siège est, le Cinétic, 1 à [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La société Groupe Royer, demanderesse, invoque, à l’appui de ses recours, les deux moyens de cassation communs annexés au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Lay, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société Groupe Royer, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mmes [B] et [N], après débats en l’audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Le Lay, conseiller rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° A 20-21.171 et B 20-21.172 sont joints.
Désistement
2. Il est donné acte à la société MA du désistement de ses pourvois.
Faits et procédure
3. Selon les arrêts attaqués (Bordeaux, 17 juin 2020), Mmes [N], épouse [Z], et [B] (les salariées), salariées de la société Groupe Royer (la société), ont vu en septembre 2013, leur contrat de travail rompu pour motif économique, après la mise en place en juin 2013 d’un plan de sauvegarde de l’emploi au sein de l’unité économique et sociale Royer, composée de dix-sept sociétés.
4. Contestant le bien-fondé de la rupture, elles ont saisi la juridiction prud’homale de demandes en paiement de dommages-intérêts licenciement sans cause réelle et sérieuse et en réparation de leur préjudice d’anxiété.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
5. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La société fait grief aux arrêts de la condamner à payer aux salariées des dommages-intérêts en réparation du préjudice d’anxiété, alors « qu’en application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, le salarié qui justifie d’une exposition à l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n’aurait pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée ; qu’en se prononçant par des motifs généraux insuffisants à établir que les salariées avaient été exposées personnellement à leur poste de travail à des poussières d’amiante au sein des sites Les Pins ou Moulin de Canteret et que cette exposition personnelle était à l’origine d’un risque élevé de développer une pathologie grave liée à l’amiante, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, ensemble l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
7. Les salariées contestent la recevabilité du moyen. Elles soutiennent que l’employeur n’avait jamais contesté leur exposition à l’amiante décelée sur le site de [Localité 5] où elles étaient affectées.
8. Cependant, il résulte de la lecture des conclusions de la société que celle-ci ne contestait pas que les salariées aient été exposées à l’amiante mais précisaient qu’elles ne l’avaient jamais été à des taux pouvant mettre en danger leur sécurité et leur santé au travail.
9. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 4121-1 dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, L. 4121-2 dans sa version antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
10. En application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, le salarié qui justifie d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété personnellement subi résultant d’une telle exposition, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.
11. Le salarié doit justifier d’un préjudice d’anxiété subi résultant de ce risque.
12. Pour condamner la société à payer aux salariées une indemnité en réparation de leur préjudice d’anxiété, les arrêts retiennent, concernant le site « Les Pins », qu’en 2008, un rapport de l’APAVE faisait état de la présence de plaques en amiante dégradées dans les faux plafonds d’un entrepôt du site, qu’en 2011, l’APAVE signalait que les résultats d’empoussièrement ne montraient pas de présence d’amiante, qu’en 2012, un nouveau rapport de l’APAVE soulignait que « les niveaux d’empoussièrement en fibres d’amiante mesurées étaient inférieurs au seuil de référence de 5 fibres/litres d’air et que les travaux préconisés par l’inspecteur du travail et l’APAVE n’avaient pas été réalisés. »
13. Ils ajoutent concernant le site « [Localité 6] » qu’en 2008, un rapport de l’APAVE faisait état de la « présence d’amiante dans les dalles de sol et dans la colle, dans le local DP étage, le local de stockage matière première, au rez-de-chaussée, dans la salle de restaurant (dalle de sol et poteaux coffrage perdu), dans le mur extérieur bâtiment C2, le rez-de-chaussée bâtiment C2 (notamment sur des dalles de sol) », que dans ce rapport, un état dégradé de ces plaques n’était noté que pour « des dalles de sol noires prélèvement n°10 dans les locaux produits finis et quai expédition » et « des dalles de sol gris clair prélèvement n° 4 dans le bureau stockage matière première au 1er étage », qu’en 2012, l’inspection du travail notait « la présence d’amiante dans les dalles (et/ou colle) de sol », des « sols détériorés et la circulation quotidienne des salariés et matériels mécaniques, l’amiante friable qui permettait l’émission de fibres dans l’atmosphère », qu’à l’occasion de trois rapports de 2013, il avait été mesuré un niveau inférieur à la valeur limite d’exposition professionnelle.
14. Ils soulignent également concernant les deux sites, qu’alors que le CHSCT et les organisations syndicales avaient alerté l’employeur et que l’inspection du travail avait préconisé la réalisation de travaux, l’employeur n’avait pas exécuté dans les délais impartis les travaux nécessaires pour prévenir le risque d’exposition et que malgré les rapports et contrôles, ainsi que les alertes, aucune mesure n’avait été prise hormis la fermeture tardive des sites concernés, qu’il importe peu à cet égard que les taux d’amiante relevés n’aient pas excédé la valeur limite d’exposition professionnelle, dès lors d’une part, que les conditions dans lesquelles les mesures ont été effectuées, en dehors de la présence des salariés, ne permettent pas d’en assurer la totale fiabilité, et que, d’autre part, l’exposition des salariés à l’amiante est avérée, seul l’empoussièrement à un taux élevé n’étant pas établi.
15. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser, pour chacun des salariés, une exposition personnelle à des poussières d’amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur l’autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE mais seulement en ce qu’ils condamnent la société Groupe Royer à payer à Mmes [N], épouse [Z], et [B] une somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice d’anxiété, les arrêts rendus le 17 juin 2020, entre les parties, par la cour d’appel de Bordeaux ;
Remet, sur ce point, les affaires et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d’appel de Toulouse ;
Condamne Mmes [N], épouse [Z], et [B] aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit septembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens communs produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour la société Groupe Royer, demanderesse aux pourvois, n° A 20-21.171 et B 20-21.172,
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Groupe Royer fait grief aux arrêts attaqués d’AVOIR dit les licenciements des salariées sans cause réelle et sérieuse, de l’AVOIR condamnée à payer des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de lui AVOIR ordonné le remboursement des indemnités de chômage.
1° ALORS QUE l’employeur doit rechercher s’il existe des possibilités de reclassement et proposer aux salariés dont le licenciement est envisagé des emplois disponibles, de même catégorie ou, à défaut, de catégorie inférieure, fût-ce par voie de modification des contrats de travail, en assurant au besoin une formation d’adaptation ; qu’il n’est pas tenu de proposer des postes disponibles de catégorie supérieure nécessitant que soit assurée une formation initiale faisant défaut aux salariés concernés ; qu’en reprochant aux coemployeurs d’avoir adressé aux salariées une liste non individualisée et imprécise de postes disponibles nécessitant un niveau de compétence et d’expérience ne pouvant être acquis dans un délai raisonnable, quand ces postes ne relevaient pas de l’obligation de reclassement, la cour d’appel a violé l’article L. 1233-4 du code du travail dans sa version applicable au litige issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010.
2° ALORS QUE la société faisait valoir qu’elle avait joint à titre seulement informatif une liste des postes disponibles de catégorie supérieure en annexe de la proposition de reclassement individualisée, pour le cas où les salariées auraient omis de signaler qu’elles détenaient une compétence leur permettant d’occuper l’un de ces postes (v. conclusions de l’exposante, para. III, A, 2, b) ; qu’en s’abstenant de répondre à ce moyen décisif, la cour d’appel a privé sa décision de motifs en méconnaissance des exigences de l’article 455 du code de procédure civile.
3° ALORS QUE ne caractérise pas un manquement de l’employeur à son obligation de reclassement d’un salarié dont le licenciement pour motif économique est envisagé, le juge qui se contente de relever que les postes disponibles non proposés relevaient de la même catégorie que celui précédemment occupé, sans établir au surplus que ces postes ne requéraient aucune formation complémentaire ou nécessitaient une simple formation d’adaptation ; qu’en reprochant à l’employeur de ne pas avoir proposé aux salariées tous les postes disponibles au niveau du groupe relevant de la même catégorie que la leur, sans caractériser que ces postes ne nécessitaient aucune formation complémentaire ou, à tout le moins, requéraient une simple formation d’adaptation, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1233-4 du code du travail dans sa version applicable au litige issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010.
4° ALORS QUE le jugement doit être motivé ; qu’en affirmant qu’il existait au sein du groupe des postes disponibles de même catégorie ou de catégorie inférieure qui n’avaient pas été proposés aux salariées de manière individuelle, sans préciser sur quelle pièce elle se fondait pour procéder à une telle affirmation, la cour d’appel a privé sa décision de motifs en méconnaissance des exigences de l’article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
La société Groupe Royer fait grief aux arrêts attaqués de l’AVOIR condamnée à payer des dommages et intérêts en réparation du préjudice d’anxiété.
1° ALORS QUE en application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, le salarié qui justifie d’une exposition à l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n’aurait pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée ; qu’en se prononçant par des motifs généraux insuffisants à établir que les salariées avaient été exposés personnellement à leur poste de travail à des poussières d’amiante au sein des sites Les Pins ou Moulin de Canteret et que cette exposition personnelle était à l’origine d’un risque élevé de développer une pathologie grave liée à l’amiante, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, ensemble l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
2° ALORS QUE en application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, le salarié qui justifie d’une exposition à l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n’aurait pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée ; qu’en s’abstenant de constater que les salariées justifiaient subir personnellement une anxiété résultant de la connaissance du risque de développer une maladie induite par leur exposition à l’amiante au sein de la société MA, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, ensemble l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.