Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 24 mai 2018, 16-18.307 16-18.308 16-18.309 16-18.310 16-18.311 16-18.312 16-18.313 16-18.317 16-18.318 16-18.319 16-18.320 16-18.321 16-18.322 16-18.323 16-18.324 16-18.325, Inédit

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Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 24 mai 2018, 16-18.307 16-18.308 16-18.309 16-18.310 16-18.311 16-18.312 16-18.313 16-18.317 16-18.318 16-18.319 16-18.320 16-18.321 16-18.322 16-18.323 16-18.324 16-18.325, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Vu la connexité joint les pourvois n° E 16-18.307 à M 16-18.313 et R 16-18.317 à Z 16-18.325 ;

Attendu, selon les arrêts attaqués, que la société CL Innovation santé (la société) avait pour activité la promotion de spécialités pharmaceutiques et était détenue à 99,90% par la société Holding Celimox ; que, le 31 juillet 2012, la société a cédé à la société Pharmafield cinq de ses sept filiales ; que, le 22 août 2012, à la suite du dépôt d’une déclaration de cessation des paiements par la société, le tribunal de commerce a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société CL Innovation santé, avec une période d’observation de six mois et a fixé provisoirement au 15 juillet 2012 la date de cessation des paiements ; que le 16 octobre 2012, le juge-commissaire a ordonné la suppression de deux cent trente et un emplois sur quatre cent-quatre-vingt-deux ; que, par jugement du 22 novembre 2012, à effet au 31 décembre 2012, le tribunal a prononcé la liquidation judiciaire de la société CL Innovation santé, désigné M. P… en qualité de mandataire liquidateur ; que M. X… et quinze autres salariés de la société CL Innovation santé, licenciés pour motif économique le 10 janvier 2013, ont saisi la juridiction prud’homale notamment de demandes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, faillite frauduleuse et exécution déloyale du contrat de travail ;

Sur le premier moyen :

Vu l’article L. 1222-1 du code du travail ;

Attendu que pour fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société des sommes dues aux salariés à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale des contrats de travail, les arrêts retiennent que si les difficultés économiques rencontrées par la société étaient indéniables à la suite de la perte de plusieurs clients historiques et d’une activité sur un marché en difficulté en raison de la multiplication des contraintes réglementaires et à la volonté des pouvoirs publics de réduire les dépenses de santé, il est cependant relevé que, pendant la période précédant l’ouverture de la procédure collective et pendant la période suspecte, l’employeur a cédé ses plus importantes filiales à bas prix dans lesquelles des salariés licenciés auraient pu être reclassés, et sans qu’il soit démontré que les prix de cession aient été intégralement versés, qu’alors que la société était en difficulté, d’importantes dépenses de fonctionnement ont été constatées notamment pour la rémunération des dirigeants ou pour certaines sans justification précise, qu’un tel comportement de l’employeur, s’il ne peut caractériser une faillite frauduleuse, a néanmoins contribué à aggraver la situation économique de l’entreprise et fait perdre aux salariés une chance de préserver leur emploi au moins un certain temps ou de bénéficier d’un reclassement dans les sociétés cédées ;

Qu’en statuant ainsi, alors que les décisions de gestion du chef d’entreprise, quand bien-même elles auraient pu aggraver les difficultés économiques de l’entreprise, n’étaient pas de nature à caractériser un manquement à l’exécution de bonne foi du contrat de travail, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Sur le deuxième moyen :

Vu l’article L. 1233-4 du code du travail ;

Attendu que pour dire les licenciements sans cause réelle et sérieuse pour manquement à l’obligation de reclassement et fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société CL Innovation santé des sommes à ce titre, les arrêts retiennent que la société CL Innovation santé et l’administrateur judiciaire l’assistant à partir du 22 août 2012, puis le liquidateur étaient tenus à une obligation de reclassement externe, ce que le mandataire liquidateur admet d’ailleurs lui-même aux termes de ses différents courriers-circulaires du 8 janvier 2013 adressées à de nombreuses sociétés pharmaceutiques, évoquant clairement « une obligation de reclassement externe, qui le conduit, en application de l’article L. 1233-62 du code du travail, à recenser tous les postes disponibles dans les différentes sociétés dont l’activité est similaire », qu’en omettant de rechercher dès novembre 2012 des postes de reclassement dans les sociétés filiales cédées et en envoyant seulement des courriers à ces diverses sociétés le 8 janvier 2013, pour des licenciements le 10 janvier 2013, il est évident que l’obligation externe de reclassement ne pouvait avoir de caractère effectif, compte tenu du fait que les entreprises sollicitées étaient dans l’impossibilité de répondre aux différents courriers avant les licenciements ;

Qu’en statuant ainsi, sans qu’il résulte de ses constatations que les sociétés cédées appartenaient au même groupe que l’employeur pour le reclassement des salariés ou étaient tenues par convention ou engagement à une obligation de reclassement à l’égard des salariés de cet employeur, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le troisième moyen :

Vu l’article 1147 du code civil, en sa rédaction applicable en la cause ;

Attendu que pour fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société CL Innovation santé aux bénéfices des salariés des sommes à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, les arrêts retiennent encore que le comportement de l’employeur, qui a sciemment aggravé les difficultés structurelles et anciennes de la société, a fait perdre une chance aux salariés de préserver leur emploi au moins un certain temps, puis de se voir reclasser dans une des sociétés cédées, que l’indemnité pour exécution déloyale du contrat de travail est cumulable avec l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le préjudice étant distinct et situé dans une période distincte ;

Attendu, cependant, que la réparation d’un dommage ne peut excéder le montant du préjudice ;

Qu’en statuant comme elle l’a fait, en retenant la perte de chance de préserver un emploi et d’être reclassé, alors qu’elle réparait dans le même temps les conséquences de la survenance de la perte injustifiée d’emploi par l’allocation de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’ils déclarent sans cause réelle et sérieuse les licenciements pour non-respect de l’obligation de reclassement et fixent au passif de la liquidation de la société CL Innovation santé aux bénéfices des salariés des sommes à titre d’indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse et à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, les arrêts rendus le 5 avril 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris ;

Condamne les salariés aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mai deux mille dix-huit.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens communs produits par la SCP de Chaisemartin et Doumic-Seiller, avocat aux Conseils, pour la société BTSG, demanderesse aux pourvois n° E 16-18.307 à M 16-18.313 et R 16-18.317 à Z 16-18.325

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir fixé au passif de la société CL Innovation Santé la somme due au salarié à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

AUX MOTIFS QU’aux termes de l’article L. 1222-1 du code du travail, « le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi ». L’appelant(e) soutient que l’employeur a organisé frauduleusement les conditions d’insolvabilité de son entreprise et qu’il a exécuté le contrat de travail de façon déloyale. A cet égard, il demande des indemnités distinctes réparant l’exécution déloyale d’une part, et la faillite frauduleuse, d’autre part. Le mandataire liquidateur et l’AGS réfutent les faits avancés par l’appelant pour justifier de la faillite frauduleuse et de l’exécution déloyale ; ils soutiennent que le motif économique est incontestable, compte tenu des difficultés économiques rencontrées par la société. Or, les difficultés économiques rencontrées par la société sont indéniables. En effet, le rapport de l’administrateur judiciaire en date du 20 novembre 2012 souligne que « la société CL Innovation santé a surtout souffert de la perte de quelques clients historiques ». Il fait également état du fait que « le marché sur lequel travaille la société est un secteur difficile depuis plusieurs années pour les principales raisons suivantes liées à la fois à la multiplication des contraintes réglementaires et à la volonté des pouvoirs publics de réduire les dépenses de santé ». Néanmoins, des éléments factuels importants témoignent d’une attitude déloyale de l’employeur dans l’exécution du contrat de travail qui le liait à l’appelant(e) : * En premier lieu, la cour constate que la société CL Innovation santé a cédé le 31 juillet 2012, ses plus importantes filiales (5 sur 7) à la société Pharmafield, au sein desquelles le salarié n’a pas été repris, alors que le 21 novembre 2012, veille du jugement de liquidation de la société CL Innovation santé, la société cédée Pharminov émettait une offre d’emploi de « délégué pharmaceutique », mentionnant le lieu du siège social de la société CL Innovation santé. Par la suite, alors que l’appelant a été licencié le 10 janvier 2013, une autre société cédée à la société Pharmafield, la société Dompharm Antilles, recrutait un nouveau salarié, selon la promesse d’embauche en date du 30 janvier 2013. * En deuxième lieu, il est avéré que ces cessions ont été effectuées le 31 juillet 2012 pendant la période suspecte (entre la date de la cessation des paiements fixée au 15 juillet 2012 et l’ouverture de la procédure collective le 22 août 2012) et pourraient donner lieu à une action des organes de la procédure en cas de prix de cession minoré par rapport à la valeur de ces sociétés. Il ressort du rapport du cabinet Explicite, désigné par le comité d’entreprise et remontant à fin 2012, que les sociétés ont été cédées à un prix bas, disproportionné par rapport au chiffre d’affaire réalisé par certaines des sociétés cédées, pendant l’année précédant la cession du 31 juillet 2012. En effet, le rapport d’expertise fait état « d’un prix de vente peu élevé » concernant les sociétés cédées et mentionne que : – « le prix de vente de la société Pharminov apparaît pour seulement 289.800 € dans les comptes de la société CL Innovation santé, alors qu’en 2011, cette société réalisait un chiffre d’affaires de 11.750.000 €, avec un résultat net de 216.000 € ». – les sociétés Dom Pharm antilles et Océan indien ont été cédées pour 100.000 €, alors qu’en 2011, elle réalisait un chiffre d’affaire de 4.456.000 € et un résultat net de 216.000 €. Par ailleurs, la cour ignore si ce prix de cession d’un montant global de 903.000 €, dont la majeure partie (environ 500.000 €) devait être versée avec un différé, selon le rapport de l’expert, a été effectivement totalement versé. * En troisième lieu, la société n’a pas informé le comité d’entreprise de la vente de ces cinq filiales, comme l’impose l’article L. 2323-19 du code du travail en cas de cession, ce qui démontre une volonté de dissimulation. * Enfin, le rapport de l’expert fait état de sérieuses difficultés économiques de la société, alors que la CL Innovation santé continuait, malgré tout, à dépenser des sommes importantes, ce qui questionne, compte tenu de l’ancienneté des difficultés économiques de la société, lesquelles, selon le rapport de l’administrateur judiciaire remontent à 2006 et n’ont pu être surmontées malgré une recapitalisation en 2009. En effet, il ressort de ce rapport et du rapport de l’expert que depuis 2005 le résultat net (EBE), bien qu’en amélioration entre 2009 et 2011, n’a jamais été bénéficiaire. Néanmoins, malgré ce contexte, la société holding Celimox « a continué de bénéficier de versements de frais de siège significatifs », de la part de la société CL Innovation, lesquels ont aussitôt été consommés. Il y a lieu de préciser que la société Celimox, avec pour président M. Q…, avait 3 salariés : M. Q…, M. Claude R… et M. S… (salaire mensuel de 12.000 € avec prime de 100.000 €/an). Le rapport de l’expert relève également le versement, par la société CL Innovation « d’importantes dépenses, non détaillées par carte bancaire, d’un salaire et de frais de mission au profit de M. Claude R…, dont nous n’avons pas pu clairement identifier le rôle dans la société, des versements au profit de la société SFE Pharma, qui ne paraît pas avoir d’autre activité que celle d’actionnaire minoritaire de Celimox ». Le rapport souligne aussi que « l’évolution des charges de fonctionnement se situe au niveau des rémunérations brutes, qui valorisent les fonctions dirigeantes », ce qui en d’autres termes signifie que la rémunération des dirigeants était importante, alors que la société se trouvait d’ores et déjà en difficulté. Si ces différents éléments peuvent ne pas suffire à caractériser, faute notamment de mise en cause de ses dirigeants, une faillite frauduleuse, ils sont, à tout le moins, constitutifs d’une exécution déloyale du contrat de travail de la part de l’employeur, qui s’est en effet borné à aggraver sciemment, au profit de ses seuls dirigeants, les difficultés structurelles et anciennes de la société, tout en dissimulant aux représentants du personnel la cession des 5 sociétés filiales – effectuée en période suspecte – emportant toute chance de poursuite d’activité et d’emploi. Un tel comportement a fait perdre une chance à M. X… de préserver son emploi au moins un certain temps, puis de se voir reclassé dans une des sociétés cédées, dans la mesure où la société, si elle avait conservée ses sociétés les plus rentables (Dompharm) au lieu de les céder, aurait pu envisager de trouver un repreneur même pour une partie de ces activités, et à tout le moins la liquidation aurait été moins rapide. L’indemnité pour exécution déloyale du contrat de travail est cumulable avec l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le préjudice étant distinct et situé dans une période distincte (pendant le contrat de travail pour l’indemnité pour exécution déloyale du contrat de travail et après la rupture pour l’indemnité de licenciement). Dès lors, infirmant le conseil, la cour fera droit à la demande du salarié tenant au versement de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, et ce à hauteur de la somme de 3.000 €, mais rejettera sa demande relative à des dommages intérêts pour faillite frauduleuse de l’employeur ;

1) ALORS QUE ne constitue pas un manquement à l’exécution de bonne foi du contrat de travail, la décision de l’employeur de céder certains de ces actifs, y compris lorsque cette cession intervient pendant la période suspecte ; qu’un manquement à l’exécution de bonne foi du contrat de travail implique en effet que l’employeur ait pris une mesure qui concerne personnellement le salarié ; qu’en se fondant pourtant sur le fait que l’employeur avait cédé ses plus importantes filiales pendant la période d’observation, pour en déduire une exécution déloyale du contrat de travail de la part de l’employeur, la cour d’appel a violé l’article L. 1222-1 du code du travail ;

2) ALORS QU’en tout état de cause, en retenant que les cessions des filiales, effectuées pendant la période suspecte, pourraient donner lieu à une action des organes de la procédure, en cas de prix de cession minoré par rapport à la valeur de ces sociétés, la cour d’appel s’est déterminée par un motif hypothétique, violant ainsi l’article 455 du code de procédure civile ;

3) ALORS QUE ne constitue pas non plus un manquement à l’exécution de bonne foi du contrat de travail, le fait que l’employeur ait contribué aux difficultés économiques de l’entreprise ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a de nouveau violé l’article L. 1222-1 du code du travail ;

4) ALORS QU’en tout état de cause, il n’existait aucun lien de causalité entre le licenciement pour motif économique du salarié et le fait personnel de l’employeur ; que la cour d’appel a en effet constaté que les difficultés économiques rencontrées par la société étaient indéniables, qu’en effet, le rapport de l’administrateur judiciaire en date du 20 novembre 2012 soulignait que « la société CL Innovation santé a surtout souffert de la perte de quelques clients historiques », et faisait également état du fait que « le marché sur lequel travaille la société est un secteur difficile depuis plusieurs années pour les principales raisons suivantes liées à la fois à la multiplication des contraintes réglementaires et à la volonté des pouvoirs publics de réduire les dépenses de santé » , ce dont il résulte que le licenciement pour motif économique du salarié était dû aux difficultés économiques de l’entreprise et non au fait personnel de l’employeur ; qu’en considérant pourtant que l’employeur, qui avait aggravé sciemment au profit de ses seuls dirigeants, les difficultés structurelles et anciennes de la société, avait emporté toute chance de poursuite d’activité et d’emploi, et fait perdre une chance au salarié de conserver son emploi au moins un certain temps, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard de l’article 1147 du code civil, violant ainsi ledit article.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir déclaré sans cause réelle et sérieuse, pour non-respect de l’obligation de reclassement, le licenciement de Monsieur Sadik X… et fixé au passif de la liquidation de la société CL Innovation Santé une somme à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

AUX MOTIFS QUE lorsque l’entreprise dans laquelle est envisagé un licenciement collectif ne peut fournir de reclassement interne, elle doit rechercher un reclassement externe ; (

) le salarié soutient que la recherche de reclassement doit être personnalisée. Or la société n’a pas respecté cette exigence en envoyant des courriers-circulaires. Le mandataire liquidateur et l’AGS soutiennent que c’est l’offre de reclassement au salarié qui doit être personnalisée et non la recherche de reclassement effectuée par l’employeur. Or, si l’offre de reclassement doit être personnalisée, il ressort de la jurisprudence de la cour de cassation la plus récente (Cass., 28 octobre 2015), que la recherche de reclassement effectuée par l’employeur dans le cadre de difficultés économiques rencontrées par l’entreprise, n’a pas à être assortie du profil personnalisé des salariés. Par deux courriers-circulaires envoyés le 10 septembre 2012, le gérant de la société CL Innovation santé, Christian Q… a interrogé les société Selitis et Celimox quant au fait de savoir si elles disposaient « de postes disponibles qui pourraient être proposés » aux salariés dans le cadre du reclassement interne ; ces courriers qui mentionnent notamment les postes, l’intitulé et le nombre de postes, ainsi que la rémunération annuelle des salariés à reclasser, satisfont de manière formelle à l’obligation de reclassement interne de M. X…. En effet, M. Q… savait pertinemment que ces deux sociétés ne pouvaient offrir de poste de reclassement, la société Selitis étant en état de cessation de paiement (un dépôt de bilan sera régularisé en novembre 2012 et la société Celimox (société holding de CLI) n’ayant pas de salarié. Le salarié soutient aussi que la recherche de reclassement externe a été tardive mais en outre mal dirigée, des postes étant disponibles entre novembre 2012 et janvier 2013 au sein des sociétés du groupe CLI cédées en juillet 2012. Le mandataire liquidateur soutient que l’obligation individuelle de reclassement externe n’est pas imposée par le code du travail. En outre, la critique liée à la tardiveté de l’interrogation des sociétés extérieures au groupe est infondée car les sociétés avaient déjà été interrogées par l’administrateur judiciaire quelques semaines auparavant. L’AGS soutient qu’en ce qui concerne les licenciements au sein du groupe, les filiales de la société CL Innovation santé ont été, soit placées en liquidation judiciaire, soit cédées de sorte qu’elles ne faisaient plus partie du groupe et que le reclassement interne était impossible. Or, la cour constate que si les cinq filiales n’avaient pas été cédées, un poste aurait pu être recherché en interne dans ces filiales, lesquelles étaient justement en train de recruter de nouveaux salariés, après la cession, pour des postes de délégués pharmaceutiques. En effet, il ressort des pièces versées aux débats que la société cédée Pharminov a émis une offre d’emploi le 21 novembre 2012, alors qu’à cette période, l’administrateur judiciaire et le gérant de la société CL Innovation santé d’une part, mais aussi Maître Marc P…, mandataire puis liquidateur judiciaire d’autre part, savaient que des licenciements allaient être diligentés (vu l’ordonnance du juge commissaire du 16 octobre 2012 autorisant 231 licenciements économiques et le rapport de Maître T… en date du 20 novembre 2012 excluant toute reprise de la société) et que les recherches de reclassement internes étaient vaines. Par la suite, alors que l’appelant(e) a été licencié(e) le 10 janvier 2013, une des sociétés cédées, la société Dompharm Antilles, recrutait un nouveau salarié, selon la promesse d’embauche en date du 30 janvier 2013. La cour constate également que la société CL Innovation Santé et Maître T… l’administrateur judiciaire l’assistant à partir du 22 août 2012, puis le mandataire liquidateur à partir du jugement de liquidation du 22 novembre 2012, étaient tenus à une obligation de reclassement externe, ce que le mandataire liquidateur admet d’ailleurs lui-même aux termes de ses différents courriers-circulaires du 8 janvier 2013 adressées à de nombreuses sociétés pharmaceutiques, évoquant clairement « l’obligation de reclassement externe, qui le conduit, en application de l’article L. 1233-62 du code du travail, à recenser tous les postes disponibles dans les différentes sociétés dont l’activité est similaire ». Or, la cour constate qu’en envoyant des courriers à ces diverses sociétés le 8 janvier 2013, pour un licenciement en date du 10 janvier 2013, il est évident que l’obligation externe de reclassement ne pouvait avoir de caractère effectif, compte tenu du fait que les entreprises sollicitées étaient dans l’impossibilité de répondre aux différents courriers avant la date de licenciement du (de la) salarié(e). Au regard de la tardiveté des recherches concernant le reclassement externe, recherches omises courant novembre/décembre 2012 au sein des sociétés filiales du groupe CLI cédées quelques mois avant et recherches tardives à partir du jugement de liquidation au sein de sociétés étrangères à l’ancien groupe CLI, il apparaît que l’obligation de reclassement externe n’a pas été respectée par la société dans la période d’observation (entre le 22 août et le 21 novembre 2012) et au-delà par son mandataire liquidateur la SCP BTSG, prise en la personne de Maître Marc P…, de telle sorte que le licenciement pour motif économique est dépourvu de caractère réel et sérieux. Aux termes d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation, le non respect de l’obligation de reclassement implique que le licenciement pour motif économique est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Infirmant le jugement du conseil, la cour fera donc droit à la demande du salarié concernant l’indemnité pour licenciement économique sans cause réelle et sérieuse ;

1) ALORS QUE l’obligation de reclassement qui pèse sur l’employeur ne s’étend pas aux entreprises extérieures au groupe dont il relève sauf convention ou engagement contraire ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a considéré que la société CL Innovation santé et Maître T… l’administrateur judiciaire l’assistant à partir du 22 août 2012, puis le mandataire liquidateur à partir du jugement de liquidation du 22 novembre 2012, étaient tenus à une obligation de reclassement externe, tant à l’égard des sociétés filiales du groupe CLI cédées quelques mois avant, qu’à l’égard des sociétés étrangères à l’ancien groupe CLI, pour en déduire qu’au regard de la tardivité des recherches, l’obligation de reclassement externe n’avait pas été respectée, de telle sorte que le licenciement pour motif économique était dépourvu de caractère réel et sérieux ; qu’en statuant de la sorte, sans qu’il résulte de ses constatations que la société Cl Innovation Santé et l’administrateur judiciaire, puis le liquidateur judiciaire étaient tenus, par convention ou engagement, à une obligation de reclassement externe, la cour d’appel a violé l’article L. 1233-4 du code du travail ;

2) ALORS, subsidiairement, QU’en énonçant que « si les cinq filiales n’avaient pas été cédées, un poste aurait pu être recherché en interne dans ces filiales, lesquelles étaient justement en train de recruter de nouveaux salariées, après la cession », pour reprocher à la société CL Innovation santé d’avoir omis des recherches de reclassement « au sein des sociétés filiales du groupe CLI cédées quelques mois avant », la cour d’appel s’est fondée sur un motif hypothétique, violant l’article 455 du code de procédure civile ;

3) ALORS QUE, et à titre infiniment subsidiaire, le préjudice résultant du manquement de l’employeur à une obligation de reclassement externe consiste seulement dans la perte d’une chance pour le salarié de trouver un nouvel emploi ; qu’un tel manquement n’a pas pour effet de priver le licenciement d’une cause réelle et sérieuse ; qu’il s’ensuit qu’en considérant, pour allouer au salarié une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, que l’obligation de reclassement externe n’ayant pas été respectée, le licenciement pour motif économique du salarié était dépourvu de caractère réel et sérieux, la cour d’appel a violé l’article L. 1233-4 du code du travail.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir alloué au salarié une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

AUX MOTIFS QUE si ces différents éléments peuvent ne pas suffire à caractériser, faute notamment de mise en cause de ses dirigeants, une faillite frauduleuse, ils sont, à tout le moins, constitutifs d’une exécution déloyale du contrat de travail de la part de l’employeur, qui s’est en effet borné à aggraver sciemment, au profit de ses seuls dirigeants, les difficultés structurelles et anciennes de la société, tout en dissimulant aux représentants du personnel la cession des 5 sociétés filiales – effectuée en période suspecte – emportant toute chance de poursuite d’activité et d’emploi. Un tel comportement a fait perdre une chance à M. X… de préserver son emploi au moins un certain temps, puis de se voir reclassé dans une des sociétés cédées, dans la mesure où la société, si elle avait conservée ses sociétés les plus rentables (Dompharm) au lieu de les céder, aurait pu envisager de trouver un repreneur même pour une partie de ces activités, et à tout le moins la liquidation aurait été moins rapide. L’indemnité pour exécution déloyale du contrat de travail est cumulable avec l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le préjudice étant distinct et situé dans une période distincte (pendant le contrat de travail pour l’indemnité pour exécution déloyale du contrat de travail et après la rupture pour l’indemnité de licenciement). Dès lors, infirmant le conseil, la cour fera droit à la demande de M. X… tenant au versement de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, et ce à hauteur de la somme de 3.000 €, mais rejettera sa demande relative à des dommages intérêts pour faillite frauduleuse de l’employeur ; (

) Au regard de la tardiveté des recherches concernant le reclassement externes, recherches omises courant novembre/décembre 2012 au sein des sociétés filiales du groupe CLI cédées quelques mois avant et recherches tardives à partir du jugement de liquidation au sein de sociétés étrangères à l’ancien groupe CLI, il apparaît que l’obligation de reclassement externe n’a pas été respectée par la société dans la période d’observation (entre le 22 août et le 21 novembre 2012) et au-delà par son mandataire liquidateur la SCP BTSG, prise en la personne de Maître Marc P…, de telle sorte que le licenciement pour motif économique est dépourvu de caractère réel et sérieux. Aux termes d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation, le non respect de l’obligation de reclassement implique que le licenciement pour motif économique est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Infirmant le jugement du conseil, la cour fera donc droit à la demande de M. X… concernant l’indemnité pour licenciement économique sans cause réelle et sérieuse (

) ;

ALORS QUE l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse a pour objet de réparer le préjudice subi par le salarié résultant de la perte de son emploi ; qu’il s’ensuit que la cour d’appel ne pouvait allouer au salarié une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des dommages-intérêts pour perte d’une chance de préserver son emploi au moins un certain temps, puis de se voir reclassé dans une des sociétés cédées ; qu’en réparant deux fois le même préjudice, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil.

ECLI:FR:CCASS:2018:SO00787


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