Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1235-1 du code du travail ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X… a été engagé le 19 septembre 1977 par la société Solvay France (la société) en qualité d’ouvrier d’entretien, pour occuper en dernier lieu le poste de directeur des services généraux ; qu’à compter du 1er janvier 2006, la société a conclu avec la société ODS un contrat de prestations multiservices ; qu’à la suite de la découverte de la détention par le salarié de 50 % des parts de la société ODS, il a été licencié pour faute grave par lettre du 19 janvier 2010 ;
Attendu que pour dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et condamner l’employeur à payer au salarié diverses sommes, l’arrêt retient que celui-ci, désormais avisé de la qualité d’associé de son directeur des services généraux, avait la possibilité de veiller à la régularité des commandes de prestations passées auprès de la société dont ce dernier était actionnaire et que les faits reprochés ne rendaient pas impossible le maintien du salarié dans l’entreprise durant la période limitée du préavis ;
Qu’en statuant ainsi, par des motifs inopérants et alors que le fait, pour un salarié investi de la responsabilité des services généraux et ayant le pouvoir de décider les conclusions de contrats de prestations de service avec les entreprises extérieures, de dissimuler à son employeur une situation de conflits d’intérêts et de maintenir, pendant plus de trois années, les relations contractuelles entre les deux entreprises à des conditions avantageuses pour la société dont il est actionnaire à 50 %, constitue une faute rendant impossible son maintien dans l’entreprise, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 24 septembre 2013, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Amiens ;
Condamne M. X… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze avril deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société Solvay
Il est fait grief à la décision attaquée d’AVOIR infirmé le jugement entrepris en ce qu’il a retenu l’existence d’une faute grave à l’encontre de Monsieur Bruno X… et l’a condamné à payer à la société SOLVAY FRANCE une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, d’AVOIR condamné la société SOLVAY FRANCE à payer à Monsieur Bruno X… les sommes de 110 532,80 € à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement, 16 579,92 € à titre d’indemnité de préavis, 1 658 € au titre des congés payés afférents et 3 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et de l’AVOIR condamné aux dépens ;
AUX MOTIFS QUE « Monsieur X…, dont il est constant que la société SOLVAY FRANCE a toujours apprécié ses services et lui accordait sa confiance, a été licencié lorsque l’employeur a découvert qu’il était associé à 50 % de la société ODS avec laquelle il aurait traité régulièrement au nom de SOLVAY dans le cadre de ses fonctions, ce dont il n’avait pas eu connaissance, la dissimulation de cette situation pendant près de quatre ans s’analysant à ses yeux en un manquement à son obligation de loyauté. Monsieur X… conteste l’existence d’un conflit d’intérêts lié à sa qualité d’associé de la société ODS en soutenant : – que les faits qui lui sont reprochés s’inscriraient dans une politique d’économie menée par la société SOLVAY en 2009, et constitueraient un prétexte pour rompre les relations d’affaires avec la société ODS et mettre un terme à moindres frais à son contrat de travail, – qu’aucune disposition contractuelle ni aucune règle de discipline générale de l’entreprise ne lui faisait interdiction d’être associé dans d’autres sociétés, – que les deux sociétés avaient des activités distinctes, – que la conclusion des contrats entre la société SOLVAY FRANCE et la société ODS s’opérait directement entre la direction des achats de la société SOLVAY, en la personne de Madame Brigitte Y…, et la société ODS, lui-même n’ayant pas de rôle actif dans les relations commerciales entre les deux sociétés, – que, loin de causer un préjudice à son employeur, ses relations contractuelles avec la société ODS auraient au contraire procuré un avantage financier à la société SOLVAY FRANCE, – qu’il importe de considérer l’historique de la relation commerciale née entre la société SOLVAY FRANCE et la société ODS créée par son actuel gérant Monsieur Z…, lequel a constitué la société nouvelle par l’acquisition de la société ADDENDA qui assurait les prestations de service pour SOLVAY depuis de nombreuses années. La société SOLVAY FRANCE fait valoir que les moyens développés par Monsieur X… sont inopérants dès lors que la preuve est rapportée de ce que : – Monsieur X… était responsable des relations avec les prestataires extérieurs, fonction qu’il exerçait avec une réelle autonomie inhérente à son niveau de responsabilité et à son statut de cadre, – le responsable des services généraux était décisionnaire s’agissant de la négociation des tarifs et de l’évaluation de l’adéquation entre la prestation proposée et le prix négocié par la direction des achats. L’employeur soutient que l’attestation de Madame Y… démontre à suffire que Monsieur X… a nécessairement influencé la négociation en fournissant à son associé et gérant de la société ODS, Monsieur Z…, des renseignements que ce dernier n’était pas censé connaître. Selon la société SOLVAY FRANCE, Monsieur X… ne pouvait que tirer un avantage évident à maintenir des relations contractuelles entre la société dont il était associé et celle dont il était salarié, dès lors qu’en favorisant l’apport d’affaires à la société ODS, il générait un chiffre d’affaires conséquent pour la société SOLVAY FRANCE. La société souligne le refus, par Monsieur X…, de communiquer, en dépit d’une sommation du 6 juillet 2011, les bilans 2008, 2009 de la société ODS, seul étant produit le bilan 2010, portant sur une période postérieure à la rupture du contrat de travail, le prétexte de l’absence de lien entre la communication des documents sollicités et la procédure prud’homale à laquelle la société ODS n’est pas partie n’étant pas recevable aux yeux de l’employeur. Considérant que si le seul risque de conflit d’intérêts ne peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, lorsqu’aucun manquement du salarié à l’obligation contractuelle de bonne foi n’est caractérisé, il en va différemment lorsque le licenciement prononcé pour une cause inhérente à la personne du salarié, est fondé sur des éléments objectifs personnellement imputables au salarié ; Considérant qu’il résulte de l’aveu même de monsieur X… que la société ODS à laquelle il a apporté la moitié de son capital a été constituée consécutivement à la cession de la société ADDENDDA, la société nouvelle ayant « repris le marché SOLVAY France avec le personnel y attaché » ; Considérant que Monsieur X…, qui était alors salarié de la société SOLVAY FRANCE depuis près de trente ans et bénéficiait de la confiance de son employeur qui lui avait fait bénéficier de promotions régulières et importantes puisque, entré à son service en qualité d’ouvrier d’entretien, il en était devenu le directeur des services généraux, a manqué à l’obligation essentielle de loyauté inhérente à son contrat de travail et à ses responsabilités d’encadrement en s’abstenant de porter à la connaissance de son employeur sa participation à la société ODS à laquelle étaient confiées des prestations de petit entretien sur site ainsi que de gestion de contrats délégués (pour l’entretien des locaux, la maintenance, la sécurité incendie, le chauffage et la climatisation, le gardiennage, etc. pour lesquels ODS avait elle-même conclu des contrats de prestations ou de fournitures), de sorte qu’il bénéficiait d’intérêts financiers personnels directs à l’activité de son prestataire principal qu’il contribuait à générer ; Considérant que Monsieur X… a pu bénéficier, grâce à son association avec le repreneur de la société ADDENDA, et en qualité d’associé égalitaire de la société ODS, à l’insu de son employeur du chiffre d’affaires important réalisé par cette dernière société, alors qu’il avait nécessairement un rôle dans le choix des entreprises auxquelles étaient confiées de telles prestations, fût-ce en liaison avec le service compétent, en l’occurrence la direction des achats ; Considérant que la réalité de cette situation résulte des débats et des pièces communiquées, singulièrement : – d’un message électronique adressé le 4 février 2009 par Brigitte Y…, acheteuse aux services généraux de la société SOLVAY FRANCE, à ODS, duquel il résulte que, s’agissant des espaces verts et des interventions OTIS, la négociation intervenait directement entre Monsieur X… et la société ODS, en la personne de son associé Monsieur Z…, – des échanges de courriels permettant de vérifier que Monsieur X… se trouvait de manière systématique destinataire en copie des messages adressés à la société ODS, étant au premier chef concerné par les négociations des tarifs, la direction des achats menant les négociations en tant que support fonctionnel de la direction des services généraux qui intervenait en amont pour la présentation des prestataires, ainsi qu’en aval, pour évaluer l’adéquation de la prestation proposée et le prix négocié par la direction des achats ; Considérant que le responsable des services généraux était décisionnaire dans la négociation des contrats de prestations avec les entreprises extérieures, alors surtout que la maîtrise des dépenses et la gestion du budget des services généraux faisaient partie des objectifs qui lui avaient été donnés, comme cela résulte de son entretien d’évaluation du 25 novembre 2008 ; Considérant qu’en raison de sa seule qualité d’actionnaire du principal prestataire des services généraux de la société SOLVAY FRANCE dont il assurait la direction, Monsieur X… avait un intérêt personnel au maintien de relations contractuelles entre les deux sociétés à des conditions avantageuses pour le prestataire ; que les premiers juges ont estimé avec raison que Monsieur X… avait fait prévaloir ses intérêts personnels sur sa qualité de salarié en tenant notamment compte de l’importante diminution des frais généraux entre les exercices 2009 et 2010, soit avant et après le départ de Monsieur X… ; qu’il est en effet établi, par la production d’une étude comparative des coûts externes des services généraux entre l’année 2009 et l’année 2010, une diminution des dépenses représentant 35 % ; Considérant que la société SOLVAY FRANCE a pris soin de ne tenir compte, pour opérer ce calcul, au sein des données extraites du système d’information comptable de la société, que des coûts intéressant le présent litige, à savoir les coûts directs constitués par les achats réalisés par les services généraux, et, parmi ceux-ci, les seuls coûts sur lesquels Monsieur X… avait un pouvoir de décision, sans prendre en considération les dépenses sur lesquelles le responsable des services généraux n’avait pas d’autorité ; que la comparaison des coûts entre la période de gestion de Monsieur X… (année 2009) et celle de la période postérieure à son départ laisse apparaître un écart de dépenses de 222 436,82 € (soit 640 917,66 ¿ 41 480,84 ¿), objectivant l’intérêt de Monsieur X… de faire travailler la société ODS sans que le salarié justifie d’un avantage qui en serait résulté pour la société SOLVAY FRANCE ; Considérant que le conflit d’intérêts né de la participation de Monsieur X… à la société ODS dont il a été associé dès sa création constitue un manquement à son obligation de loyauté dès lors qu’il lui appartenait d’informer l’employeur de cette situation particulière et nouvelle tandis qu’il était investi de sa confiance et de la responsabilité des services généraux, peu important la possibilité pour la société SOLVAY FRANCE d’obtenir la copie des statuts de son prestataire en raison du caractère public de tels documents ; que ce manquement justifiait le licenciement du salarié ; qu’il ne rendait cependant pas impossible le maintien de Monsieur X… dans l’entreprise pendant la période de préavis, dans la mesure où, connaissant désormais la qualité d’associé de son responsable des services généraux, l’employeur avait la possibilité de veiller à la régularité des commandes de prestations auprès de la société ODS durant la période limitée du préavis ; Considérant que le jugement est infirmé en ce qu’il a retenu l’existence d’une faute grave et condamné le salarié à payer à la société SOLVAY FRANCE une indemnité de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ; qu’il y a lieu de condamner la société SOLVAY FRANCE à payer à Monsieur X… les indemnités de rupture dont le montant n’est pas subsidiairement contesté et correspond à l’application des dispositions conventionnelles, soit : – une somme de 110 532,80 ¿ à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement, – une somme de 16 579,92 € à titre d’indemnité de préavis, – une somme de 1658 € au titre des congés payés afférents » ;
ALORS QUE constitue une faute grave celle qui interdit le maintien du salarié dans l’entreprise ; qu’en l’espèce, la Cour d’appel a elle-même constaté que le salarié, responsable des services généraux, « était décisionnaire dans la négociation des contrats de prestations avec les entreprises extérieures » et avait pour objectif « la maîtrise des dépenses et la gestion du budget des services généraux » ; qu’elle a encore retenu qu’il avait « manqué à l’obligation essentielle de loyauté inhérente à son contrat de travail et à ses responsabilités d’encadrement en s’abstenant de porter à la connaissance de son employeur sa participation à la société ODS », à hauteur de 50 %, à laquelle ce dernier confiait des prestations pour un montant, en 2009, de 450 000 euros, de sorte que monsieur X… « bénéficiait d’intérêts financiers personnels directs à l’activité de son prestataire principal qu’il contribuait à générer » ; que la Cour d’appel a encore jugé que le salarié avait fait « prévaloir ses intérêts personnels sur sa qualité de salarié », le coût des prestations fournies par la société ODS ayant aisément pu être réduit de 35 % une fois le conflit d’intérêts découvert ; qu’en écartant cependant la qualification de faute grave au prétexte que l’employeur avait la possibilité de veiller à la régularité des commandes de prestations auprès de la société ODS durant la période limitée du préavis, quand il ressortait de ses propres constatations qu’était caractérisé un comportement rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et constitutif d’une faute grave, la cour d’appel a violé les articles L.1234-1, L.1234-5 et L.1235-1 du Code du travail.
ECLI:FR:CCASS:2015:SO00679