Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt confirmatif déféré, que le 17 avril 2003, la société les Bétons contrôlés de Saint-Barthélémy (les Bétons contrôlés) a conclu avec la société Laplace services un contrat de mise à disposition de matériels ; qu’une convention modifiée a été signée entre les parties le 22 décembre 2004 pour une durée de cinq ans ; qu’aux termes de ces deux contrats la société les Bétons contrôlés s’engageait à faire assurer le transport de tout le béton et de tous les matériaux qu’elle produisait et fabriquait par la société Laplace services de façon exclusive et sur toute l’île de Saint-Barthélémy quelle que soit l’entreprise ou la société à laquelle ce béton était vendu ou destiné à être vendu ou utilisé ; que la société Laplace services s’engageait à s’approvisionner en béton et matériaux divers exclusivement auprès de la société les Bétons contrôlés ; que la société Laplace services reprochant à la société les Bétons contrôlés d’avoir violé les termes du contrat en confiant, à partir de septembre 2005, le transport d’une partie de son béton à la société BTM Caraïbes, tiers au contrat, l’a assignée pour violation de l’article L. 442-6 du code de commerce ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu que la société les Bétons contrôlés fait grief à l’arrêt d’avoir constaté qu’elle avait rompu le contrat qui la liait à la société Laplace services sans respecter aucun délai de préavis, et de l’avoir déclarée responsable du préjudice causé à celle-ci, alors, selon le moyen, qu’un arrêt doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens ou viser les conclusions des parties avec l’indication de leur date ; qu’en l’espèce faisant application de l’article 915, alinéa 3, du code de procédure civile, la cour d’appel a déclaré inopérantes les conclusions de la société les Bétons contrôlés, appelante, déposées après que l’intimée ait sollicité le rétablissement de l’affaire et n’a ni visé les dernières conclusions de première instance de la société les Bétons contrôlés au regard desquelles elle devait statuer ni procédé à aucun rappel des prétentions des parties ; qu’en statuant ainsi elle a violé ensemble les articles 915 alinéa 3 et 455, alinéa 1, du code de procédure civile ;
Mais attendu que l’arrêt retient que l’affaire a été rétablie à la demande de la société Laplace services pour être jugée au vu des seules conclusions et pièces échangées en première instance sur le fondement des prescriptions de l’article 915, alinéa 3, du code de procédure civile, et qu’il se réfère aux énonciations de la décision du tribunal de commerce, qui contenait cet exposé ; qu’en l’état de ces constatations, et alors qu’il n’est pas soutenu que les parties auraient formulé lors du débat oral devant le tribunal de commerce des moyens ou prétentions autres que celles présentées à l’écrit, la cour d’appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième, sixième et septième branches :
Attendu que ces griefs ne seraient pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;
Mais sur le moyen, pris en sa cinquième branche, après avertissement délivré aux parties :
Vu l’article L. 442-6- I du code de commerce ;
Attendu que, pour dire que la société Laplace services est fondée à solliciter l’allocation de dommages et intérêts, l’arrêt retient, par motifs adoptés, que la société les Bétons contrôlés a violé la clause d’exclusivité qui la liait à la société Laplace services ;
Attendu qu’en se déterminant ainsi alors qu’en vertu de l’article L. 442-6- I du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, sans préavis écrit, une relation commerciale établie, la cour d’appel, qui n’a pas recherché si la société les Bétons contrôlés avait rompu la relation commerciale établie avec la société Laplace services, a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 10 mars 2008, entre les parties, par la cour d’appel de Basse-Terre ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Basse-Terre, autrement composée ;
Condamne la société Laplace services aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Laplace services, la condamne à payer à la société les Bétons contrôlés de Saint-Barthélémy la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mars deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Thomas-Raquin et Bénabent, avocat aux conseils pour la société les Bétons contrôlés de Saint-Barthélémy
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir constaté que la Société LES BETONS CONTROLES DE SAINT-BARTHELEMY avait rompu le contrat qui la liait à la Société LAPLACE SERVICES sans respecter aucun délai de préavis, et de l’avoir déclarée responsable du préjudice causé à celleci ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « par conclusions déposées le 10 décembre 2007 notifiées à l’adversaire le 30 novembre 2007, l’intimé demande à la cour de céans de statuer au vu des seules conclusions et pièces échangées en première instance, de confirmer le jugement entrepris, et de condamner l’appelante aux entiers dépens, ainsi qu’à lui payer la somme de 2. 500 au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ; l’appelant a déposé au greffe des conclusions aux fins de rétablissement au rôle et au fond le 14 décembre 2007 ; l’affaire a été rétablie sur requête de l’intimée et clôturée par ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 15 janvier 2008 ; que l’article 915 alinéa 1 et 2 impose à l’appelant de conclure dans les quatre mois de la déclaration d’appel à peine de radiation privant l’appel de tout effet suspensif ; que l’article 915 alinéa 3 dispose que : « l’affaire est rétablie soit sur justification du dépôt des conclusions de l’appelant, l’appel restant privé de tout effet suspensif, soit sur l’initiative de l’intimé qui peut demander que la clôture soit ordonnée et l’affaire renvoyée à l’audience pour être jugée au vu des conclusions de première instance » ; qu’en l’espèce l’affaire a été radiée le 8 octobre 2007 faute de conclusions de l’appelante dans le délai de quatre mois à compter de la déclaration d’appel ; que l’intimée a conclu en premier pour solliciter le rétablissement de l’affaire ; que l’affaire ayant été rétablie à son initiative, les conclusions postérieures de l’appelante sont dès lors inopérantes ; que c’est par une exacte appréciation des faits et des motifs pertinents qui méritent adoption que les premiers juges ont rendu la décision querellée, laquelle sera en conséquence confirmée en toutes ses dispositions » (cf. arrêt p. 2 et 3) ;
ALORS, D’UNE PART, QU’un arrêt doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens ou viser les conclusions des parties avec l’indication de leur date ; qu’en l’espèce faisant application de l’article 915 alinéa 3 du Code de procédure civile, la Cour d’appel a déclaré inopérantes les conclusions de la société LES BETONS CONTROLES, appelante, déposées après que l’intimée ait sollicité le rétablissement de l’affaire et n’a ni visé les dernières conclusions de première instance de la société LES BETONS CONTROLES au regard desquelles elle devait statuer ni procédé à aucun rappel des prétentions des parties ; qu’en statuant ainsi elle a violé ensemble les articles 915 alinéa 3 et 455 alinéa 1 du Code de procédure civile.
ALORS, D’AUTRE PART, QUE si le droit au procès équitable prévu par l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’exclut pas la motivation par incorporation des motifs des premiers juges, c’est à la condition que les questions essentielles soumises aux juges d’appel aient été vraiment examinés par ceux-ci et qu’ils ne se soient pas contentés d’entériner purement et simplement la motivation des premiers juges ; qu’en l’espèce, la Cour d’appel de BASSE-TERRE, qui n’a fait qu’entériner la motivation des premiers juges sans même rappeler les prétentions respectives des parties et indiquer les questions essentielles en litige, a violé l’article 6 § 1 susvisé ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « par acte sous seing privé du 17 avril 2003, les SARL LES BETONS CONTROLES DE SAINTBARTHELEMY et LAPLACE SERVICES ont signé un contrat de mise à disposition de matériel ; qu’une convention modifiée a été signée entre les parties le 22 décembre 2004 ; qu’aux termes de ces deux contrats, la Société LES BETONS CONTROLES s engageait à faire assurer le transport de tout le béton et de tous les matériaux qu’elle produit et fabrique par la Société LAPLACE SERVICES de façon exclusive et sur toute l’île de SAINT-BARTHELEMY, quelle que soit l’entreprise ou la société à laquelle ce béton est vendu ou destiné à être vendu ou utilisé ; que cette convention a été conclue pour cinq ans ; que, par ailleurs, selon ce contrat, à titre de réciprocité, la Société LAPLACE SERVICES prenait l’engagement de s’approvisionner en béton et matériaux divers exclusivement auprès de la Société LES BETONS CONTROLES DE SAINT-BARTHELEMY ; que la SARL LAPLACE SERVICES reproche à la SARL LES BETONS CONTROLES d’avoir violé les termes du contrat en confiant, à partir de septembre 2005, le transport d’une partie de son béton à une société tiers au contrat, la Société BTM CARAÏBES ; que la défenderesse conteste avoir violé son engagement d’exclusivité au bénéfice de la SARL LAPLACE SERVICES en soutenant qu’elle n’a jamais confié la livraison du béton à la Société BTM CARAÏBES, qui a réalisé une vente de béton à emporter, conformément à la loi ; or, les termes de la convention liant les parties ne prévoient aucune exception à l’exclusivité réciproque mais prévoient expressément que tout le béton fabriqué et distribué par la Société LES BETONS CONTROLES doit obligatoirement être transporté par la Société LAPLACE SERVICES ; que les sommations interpellatives, datées du 21 septembre 2005, délivrées à la SAS SBTPB, la SARL CDC et à Monsieur X… par la SARL LAPLACE SERVICES ainsi que les procès-verbaux établis les 27 avril, 5 septembre et 21 septembre 2005 démontrent que du béton fabriqué par la SARL LES BETONS CONTROLES DE SAINT-BARTHELEMY a été livré par la BTM CARAÏBES à des clients qui, auparavant, se faisaient livrer par la SARL LAPLACE SERVICES ; que, dans ces conditions, le tribunal ne peut que constater que la défenderesse a violé la clause d’exclusivité la liant à la SARL LAPLACE SERVICES ; qu’outre la distinction entre vente de béton à emporter et achat de béton livré qui ne découle pas des termes de la convention, la Société LES BETONS CONTROLES se justifie en soutenant que la demanderesse avait rompu son propre engagement en s’approvisionnant auprès de son concurrent direct, la Société RENE SUPER BETON ; mais que, non seulement cette allégation n’est corroborée par aucune preuve mais au surplus contredite par le gérant de la Société RENE SUPER BETON ; que, par ailleurs, la défenderesse fait valoir qu’elle ne peut imposer la livraison à ses clients sans tomber sous le coup d’un abus de position dominante ; or, il résulte des pièces versées aux débats et des explications fournies par les parties que l’accès au marché du béton n’est pas limité par la convention liant les parties dans la mesure où il existe d’autres centrales à béton sur l’île de SAINTBARTHELEMY, et notamment la Société RENE SUPER BETON que cite la défenderesse dans ses écritures ; que, de même, les documents produits dans la cause révèlent que, selon les années, la Société LES BETONS CONTROLES produit environ 50 % du béton produit dans l’île ; que l’ensemble de ces éléments ne démontre pas l’abus de position dominante allégué par la défenderesse ; qu’enfin, la Société LES BETONS CONTROLES tire argument de ce que la société LAPLACE SERVICES n’est pas inscrite au registre des transporteurs tenu par le Préfet, conformément au décret du 30 août 1999 relatif aux transports routiers de marchandises, et ne dispose pas d’un certificat d’inscription au registre des transporteurs, conformément aux dispositions de l’arrêté ministériel du 16 novembre 1999, pour en conclure qu’elle ne saurait valablement poursuivre ses relations contractuelles avec la SARL LAPLACE SERVICES ; or, si la défenderesse produit la copie d’un document qui émanerait de Madame Y…de la DDE, il convient d’observer que ce document n’est pas signé, est très lapidaire, que les textes cités ne sont pas produits et qu’il n’est pas démontré quelle incidence un défaut d’enregistrement au registre des transporteurs, tenu par la DDE, pourrait avoir sur la validité des conventions liant les parties, alors que les deux cogérants de la SARL LAPLACE SERVICES gèrent une entreprise de transport depuis de nombreuses années et qu’il n’est pas établi que le décret cité s’applique en l’espèce ; qu’il résulte en conséquence de l’ensemble de ces éléments que la SARL LAPLACES SERVICES est bien fondée à solliciter l’allocation de dommages et intérêts, conformément aux dispositions de l’article L. 442-6-1 du Code de commerce, la SARL LES BETONS CONTROLES DE SAINTBARTHELEMY ayant rompu partiellement le contrat la liant à la SARL LAPLACE SERVICES sans respecter aucun délai de préavis » (cf. jugement p. 4 et 5) ;
ALORS, DE TROISIEME PART, SUBSIDIAIREMENT, QUE l’engagement d’une partie de ne faire effectuer le transport du matériel qu’elle produit et vend que par son cocontractant ne peut concerner que les prestations de transport dont elle a la charge ; que le débiteur d’une telle obligation d’exclusivité de transport ne méconnaît celle-ci que si, en charge d’une prestation de transport, il confie cette prestation à un tiers, en violation de son engagement de la réserver à son cocontractant ; qu’aucune violation de la clause d’exclusivité de transport ne peut en revanche lui être imputée s’il ne contracte aucune prestation de transport ; qu’en l’espèce, la Société LES BETONS CONTROLES DE SAINTBARTHELEMY s’était engagée « à ne faire effectuer le transport du béton qu’elle produit et vend que par la Société LAPLACE SERVICES, à l’exclusion de toute autre société exerçant une activité de transport ou toute autre activité » ; que la Société LES BETONS CONTROLES DE SAINT-BARTHELEMY faisait valoir qu’aucune violation de cet engagement ne pouvait lui être imputée lorsque, n’ayant réalisé que des ventes de béton « à emporter », elle ne faisait ainsi effectuer aucun transport de son béton et ne confiait pas le transport de celui-ci à une autre société que la Société LAPLACE SERVICES ; qu’en retenant que « les termes de la convention liant les parties ne prévoient aucune exception à l’exclusivité réciproque mais prévoient expressément que tout le béton fabriqué et distribué par la Société LES BETONS CONTROLES doit obligatoirement être transporté par la Société LAPLACE SERVICES », en sorte que la Société LES BETONS CONTROLES aurait violé cette clause d’exclusivité lorsque, ayant vendu du béton « à emporter », le transport de celui-ci n’était pas assuré par la Société LAPLACE SERVICES, bien que la Société LES BETONS CONTROLES ne faisait alors effectuer aucun transport de son béton permettant la mise en oeuvre de la clause d’exclusivité, la Cour d’appel a violé l’article 1134 du Code civil ;
ALORS, DE QUATRIEME PART, QU’en application de l’article L. 420-2 du Code de commerce, une entreprise en position dominante ne peut pratiquer des ventes liées sans commettre d’abus anticoncurrentiel ; qu’en reprochant en l’espèce à la Société LES BETONS CONTROLES de ne pas avoir pratiqué des ventes liées à un contrat de transport en refusant de vendre son béton dès lors que ne lui était pas également confiée la prestation de son transport, sans caractériser que la Société LES BETONS CONTROLES n’était pas en situation de position dominante lors des ventes de « béton à emporter » litigieuses, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;
ALORS, DE CINQUIEME PART, QUE l’inexécution partielle par une partie de ses obligations n’entraîne pas la rupture de plein droit du contrat, l’autre partie ayant alors seulement la faculté de demander en justice sa résolution avec dommages-intérêts ; qu’un manquement par une partie à ses obligations ne vaut donc pas rupture par elle sans préavis du contrat ; qu’en retenant en l’espèce qu’en violant la clause d’exclusivité la liant à la Société LAPLACE SERVICES, la Société LES BETONS CONTROLES avait « rompu partiellement le contrat la liant à la SARL LAPLACE SERVICES sans respecter aucun délai de préavis », ce qui engageait sa responsabilité en application de l’article L. 442-6-1 du Code de commerce, la Cour d’appel a violé ensemble ledit article et l’article 1184 du Code civil ;
ALORS, DE SIXIEME PART, SUBSIDIAIREMENT, QUE la faculté de résiliation sans préavis est toujours réservée en cas d’inexécution par l’une des parties de ses obligations ; que constitue une inexécution de ses obligations l’absence de justification par un transporteur de son inscription au registre des transports tenu par la DDE requise pour exercer une activité de transport par le décret du 30 août 1999 et ce, à peine de sanction pénale ; qu’en retenant en l’espèce que ne serait pas démontrée l’incidence que pourrait avoir sur les conventions liant les parties un défaut d’inscription de la Société LAPLACE SERVICES au registre des transports alors que ses deux cogérants gèrent une entreprise de transports depuis de nombreuses années, la Cour d’appel a violé l’article L. 442-6-15° du Code de commerce et le décret du 30 août 1999 ;
ALORS, ENFIN, QU’il appartient au juge de trancher le litige conformément aux règles qui lui sont applicables ; qu’en retenant « qu’il n’est pas établi » que le décret du 30 août 1999 dont la violation était invoquée par la Société LES BETONS CONTROLES « s’applique en l’espèce », sans procéder elle-même à cette recherche, la Cour d’appel a méconnu son office, en violation de l’article 12 du Code de procédure civile.