Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 7 juillet 2021, 19-25.586 19-25.602, Publié au bulletin

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Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 7 juillet 2021, 19-25.586 19-25.602, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION

______________________

Audience publique du 7 juillet 2021

Rejet

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 644 FS-B

Pourvois n°

19-25.586

19-25.602 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 7 JUILLET 2021

I – La présidente de l’Autorité de la concurrence, domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° 19-25.586 contre un arrêt rendu le 14 novembre 2019 par la cour d’appel de Paris (pôle 5 – chambre 7), dans le litige l’opposant :

1°/ à la société Sanicorse, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la société Groupe [J], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],

3°/ au ministre chargé de l’économie, dont le siège est [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

II – Le ministre chargé de l’économie, a formé le pourvoi n° 19-25.602 contre le même arrêt rendu, dans le litige l’opposant :

1°/ à la société Sanicorse,

2°/ à la société Groupe [J],

3°/ à la présidente de l’Autorité de la concurrence,

défenderesses à la cassation.

La demanderesse au pourvoi n° 19-25.586 invoque, à l’appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le demandeur au pourvoi n° 19-25.602 invoque, à l’appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la présidente de l’Autorité de la concurrence, de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat du ministre chargé de l’économie, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés Sanicorse et Groupe [J], et l’avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l’audience publique du 8 juin 2021 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, M. Guérin, conseiller doyen, Mmes Champalaune, Daubigney, Michel-Amsellem, M. Ponsot, Mme Boisselet, conseillers, Mmes Le Bras, de Cabarrus, Lion, Comte, Lefeuvre, Tostain, Bessaud, Bellino, conseillers référendaires, M. Douvreleur, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 19-25.602 et 19-25.586 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 14 novembre 2019), le ministre chargé de l’économie a saisi l’Autorité de la concurrence (l’Autorité) de pratiques d’abus de position dominante mises en oeuvre par les sociétés Sanicorse et Groupe [J] prohibées par les dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce, dans le secteur des déchets d’activité de soins à risques infectieux (les DASRI) en Corse.

3. Par décision n° 18-D-17 du 20 septembre 2018, l’Autorité, après avoir constaté que la société Sanicorse jouissait d’un monopole de fait sur le marché de l’élimination des DASRI sur le territoire de la Corse, défini comme le marché pertinent, a dit établi qu’entre le 8 février 2011 et le 31 août 2015 la société Sanicorse, en qualité d’auteure, et la société Groupe [J], en qualité de société mère, avaient enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce en appliquant à leurs clients établissements professionnels de santé une augmentation brutale, significative, persistante et injustifiée du prix des prestations de traitement et d’élimination des déchets et leur a infligé des sanctions pécuniaires.

4. Les sociétés Sanicorse et Groupe [J] ont formé un recours en annulation et, subsidiairement, en réformation de cette décision.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi n° 19-25.586, pris en ses première et deuxième branches, et sur le moyen du pourvoi n° 19-25.602, pris en sa première branche, réunis

Enoncé des moyens

5. Par les deux premières branches de son moyen, l’Autorité fait grief à l’arrêt de réformer les articles 1er, 3, 4 et 5 de sa décision n° 18-D-17 du 20 septembre 2018, dire qu’il n’est pas établi que la société Sanicorse, en qualité d’auteure, et la société Groupe [J], en qualité de société mère, ont enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce, et rappeler que les sommes versées en exécution de cette décision devront être remboursées à ces sociétés, alors :

« 1°/ que constitue un abus de position dominante le fait d’appliquer un prix « non équitable » au sens de l’article 102 TFUE, ce qui peut être établi soit dans l’absolu, en démontrant que le prix était sans rapport avec la valeur économique de la prestation fournie, soit par comparaison avec un prix de référence, dès lors que l’écart entre le prix litigieux et le prix de référence est sensible, c’est-à-dire significatif et persistant, et qu’il n’est pas justifié par cette entreprise ; qu’en l’absence de prix de référence extérieurs, c’est-à-dire de prix pratiqués par des concurrents se trouvant dans une situation comparable, ou de prix pratiqués par la même entreprise sur d’autres marchés, le caractère inéquitable des prix litigieux peut être établi par une comparaison dans le temps, c’est-à-dire par référence aux prix antérieurement pratiqués avec les mêmes clients, en constatant un écart de prix sensible et non justifié par l’entreprise ; qu’en l’espèce, l’Autorité de la concurrence avait démontré l’abus de position dominante par comparaison dans le temps des prix pratiqués par la société Sanicorse ; que la cour d’appel a constaté que cette société avait imposé des « augmentations très importantes (?) à plusieurs cliniques entre 2011 et 2015 (+ 135 % en 2012 pour la Polyclinique du Sud de la Corse, + 137 % pour la période 2011/2012 pour la clinique de [1], + 98 % pour la clinique de [2] en 2013) » et à des établissements publics de santé (« + 194 % en 2011 pour le centre hospitalier de [Localité 3] ; + 131 % pour le centre hospitalier intercommunal [Localité 4] entre 2012 et 2013 ; + 123 % pour le centre hospitalier de [Localité 6] entre 2011 et 2012 ») ; qu’en jugeant que « le caractère non équitable de ces augmentations n’est pas établi », qu’  » en effet, l’Autorité ne soutient pas, et n’a d’ailleurs pas cherché à démontrer, que les prix résultant des augmentations tarifaires pratiquées par la société Sanicorse entre 2011 et 2015 étaient sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie et, partant, ne les a pas qualifiés d’excessifs », la cour d’appel, qui s’est fondée sur un motif inopérant, tiré de ce que l’Autorité n’avait pas employé l’une des deux méthodes alternatives envisageables, en l’occurrence l’analyse du prix dans l’absolu, sans rechercher si l’abus était établi par l’autre méthode utilisée par l’Autorité, en l’occurrence la comparaison dans le temps, a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 420-2 du code de commerce ;

2°/ qu’il résulte de l’arrêt attaqué que la société Sanicorse a imposé aux établissements de santé de Corse des « hausses importantes sur une période relativement courte » de ses tarifs, et donc qu’il y a eu une augmentation significative et persistante des tarifs litigieux ; qu’en s’abstenant de rechercher si la société Sanicorse justifiait ces augmentations, ce qui n’était pas le cas comme l’Autorité l’avait démontré, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 420-2 du code de commerce. »

6. Par la première branche de son moyen, le ministre chargé de l’économie fait le même grief à l’arrêt, alors « que constitue un abus de position dominante le fait, pour une entreprise détenant une telle position d’utiliser les possibilités qui en découlent pour obtenir des avantages qu’elle n’aurait pas obtenus en cas de concurrence praticable et suffisamment efficace ; qu’en écartant tout abus de position dominante, sans rechercher, comme l’y invitait le ministre de l’économie, si la société Sanicorse, qui était en situation de monopole, avait imposé des conditions de transaction inéquitables en pratiquant notamment des augmentations tarifaires brutales, significatives et non transitoires, qu’elle n’aurait pas obtenues dans un contexte concurrentiel normal, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 420-2 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

7. En premier lieu, l’Autorité ayant, devant les juges du fond, fait valoir qu’une augmentation de tarif pouvait, en elle-même, caractériser un abus, sans soutenir que la comparaison des prix pratiqués dans le temps par une entreprise en position dominante était nécessaire à la caractérisation d’un abus, son moyen, pris en sa première branche, mélangé de fait et de droit, est nouveau et, comme tel, irrecevable.

En second lieu, après avoir énoncé que, dès lors que l’application d’une augmentation tarifaire n’est rien d‘autre que la fixation d’un prix et que l’appréciation du caractère équitable ou non équitable d’une telle augmentation se confond avec celle du caractère équitable ou non équitable du prix en résultant, l’arrêt relève que l’Autorité ne soutient pas que les prix résultant des augmentations tarifaires pratiquées par la société Sanicorse entre 2011 et 2015 étaient sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie et, partant, ne les a pas qualifiés d’excessifs, de sorte que, eu égard à la charge de la preuve pesant sur l’Autorité, il y a lieu de présumer que les prix résultant des augmentations pratiquées étaient équitables. En cet état, la cour d’appel, qui n’avait pas à effectuer les recherches invoquées, a exactement retenu que l’abus allégué n’était pas établi.

8. Les moyens ne peuvent donc être accueillis.

Et sur le moyen du pourvoi n° 19-25.586, pris en sa troisième branche, ainsi que sur le pourvoi n° 19-25.602, pris en sa seconde branche

Enoncé des moyens

9. Par la troisième branche de son moyen, l’Autorité fait le même grief à l’arrêt, alors « qu’après avoir énoncé à tort que l’application d’une augmentation tarifaire n’était rien d’autre que la fixation d’un prix, et qu’une telle augmentation est inéquitable si le prix est en lui-même inéquitable, la cour d’appel a jugé qu’ « il en irait certes autrement si l’entreprise en position dominante violait le contrat qui la lie à son client pour lui imposer une augmentation tarifaire avant l’heure. Mais tel n’est pas le cas en l’espèce (…), et il n’est pas soutenu que la société Sanicorse avait manqué à ses engagements contractuels » ; que le respect ou le non-respect de stipulations contractuelles ne constitue cependant pas une condition d’appréciation du caractère abusif d’une augmentation des prix imposée à une clientèle captive, soumise à des contrats d’adhésion pratiqués par une entreprise détenant un monopole de fait ; qu’en tout état de cause, la décision a relevé que les pratiques d’augmentations tarifaires s’étaient accompagnées de comportements contractuels, que la société Sanicorse n’aurait pu adopter dans une situation de marché concurrentielle, de menace de résiliation de contrats ou d’abstention de soumissions à d’appels d’offres, sans craindre en l’occurrence de perdre des marchés en l’absence de tout opérateur alternatif en Corse et à l’égard de producteurs de DASRI tenus de faire appel à la société Sanicorse pour respecter la règlementation de traitement de leurs déchets ; qu’ainsi, en se fondant sur des motifs impropres à écarter l’existence d’un prix inéquitable, la cour d’appel a violé l’artice L. 420-2 du code de commerce. »

10. Par la seconde branche de son moyen, le ministre chargé de l’économie fait le même grief à l’arrêt, alors « que constitue un abus de position dominante le fait, pour une entreprise détenant une telle position d’utiliser les possibilités qui en découlent pour obtenir des avantages qu’elle n’aurait pas obtenus en cas de concurrence praticable et suffisamment efficace ; que, pour écarter l’abus d’exploitation reproché à la société Sanicorse, la cour d’appel énonce que celle-ci aurait agi dans le respect des stipulations contractuelles ; qu’en se prononçant ainsi, par des motifs impropres à exclure un abus de position dominante, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 420-2 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

11. La décision étant justifiée par les motifs vainement critiqués par les moyens précédemment écartés, les moyens, qui attaquent des motifs surabondants, sont inopérants et ne peuvent donc être accueillis.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la présidente de l’Autorité de la concurrence et le ministre chargé de l’économie aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la présidente de l’Autorité de la concurrence et le ministre chargé de l’économie et les condamne, chacun, à payer aux sociétés Sanicorse et Groupe [J] la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit au pourvoi n° 19-25.586 par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour la présidente de l’Autorité de la concurrence.

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’avoir réformé les articles 1er, 3, 4 et 5 de la décision de l’Autorité de la concurrence n° 18-D-17 du 20 septembre 2018 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de l’élimination des déchets d’activités de soins à risques infectieux en Corse, d’avoir dit qu’il n’était pas établi que la société Sanicorse, en tant qu’auteure, et la société Groupe [J], en tant que société-mère, aient enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce, et d’avoir rappelé que les sommes versées en exécution de cette décision devraient être remboursées à ces sociétés ;

AUX MOTIFS QUE, « Sur la qualification d’abus indépendamment du constat de prix excessifs (?)

87. Ainsi qu’il a été souligné au paragraphe 36 du présent arrêt, la preuve n’est pas rapportée que l’augmentation des tarifs avait pour objet ou pouvait avoir pour effet, réel ou potentiel, de dissuader des concurrents éventuels d’entrer sur le marché pertinent. La cour se bornera donc, ci-après, à rechercher si la pratique incriminée est constitutive d’un abus d’exploitation.

88. La cour a rappelé, au paragraphe 33 du présent arrêt, qu’est susceptible de constituer un abus de position dominante le fait, pour une entreprise détenant une telle position d’utiliser les possibilités qui en découlent pour obtenir des avantages de transactions qu’elle n’aurait pas obtenus en cas de concurrence praticable et suffisamment efficace.

89. Si, dans la décision attaquée, l’Autorité s’est bornée à citer des arrêts de la Cour de justice dans lesquels l’abus consistait dans la pratique d’un prix de vente excessif, c’est-à-dire sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie (CJUE, arrêts du 13 novembre 1975, General Motors Continentaal/Commission, 26/75, point 12, United Brands et United Brands Continentaal/Commission, précité, point 250 ; Kanal 5 et TV 4, précité, point 28 ; du 27 février 2014, OSA, C-351/12, point 88, et du 14 septembre 2017, Autortiesïbu un komunicéganàs konsultâciju aàentûra ? Latvij as Autoru apvienïba, C-177/16, point 35), c’est à tort que les requérantes en déduisent que, par principe, il ne peut exister d’autres abus d’exploitation que les prix de vente excessif.

90. En effet, outre que tant l’article 102 du TFUE que l’article L. 420-2 du code de commerce ne fournissent pas une liste exhaustive des abus de position dominante, il résulte du libellé même de l’article 102 du TFUE qu’un abus d’exploitation peut consister non seulement à « imposer de façon directe ou indirecte des prix […] de vente […] non équitables » mais également à imposer « des prix d’achat […] non équitables » ou « d’autres conditions de transaction non équitables ».

Appliquant cet article, la Cour de justice a rappelé que peuvent constituer des abus d’exploitation l’imposition de prix d’achat excessivement bas (CJUE, arrêt du 28 mars 1985, CICCE/Commission, 298/83) ou l’imposition d’autres conditions de transaction non équitables (CJUE, arrêts du 5 octobre 1988, Alsatel, 247/86).

91. En l’espèce, l’Autorité considère qu’en imposant aux producteurs de DASRI en Corse des augmentations tarifaires brutales, significatives, non transitoires et injustifiée, la société Sanicorse leur a imposé des conditions de transaction non équitables.

92. Deux conditions sont nécessaires pour qualifier des conditions de transaction d’abus d’exploitation. D’une part, il faut que ce soit la position dominante de l’entreprise en cause qui lui ait permis d’obtenir les avantages de transactions examinés ; d’autre part, ces avantages doivent être non équitables. S’agissant de la seconde condition, il n’appartient en effet pas à l’Autorité de se substituer aux organes de direction de l’entreprise en position dominante pour déterminer quelle doit être sa politique, notamment tarifaire, sur le marché pertinent, et ce n’est que si, et seulement si, les conditions de transactions passées entre cette entreprise et ses partenaires économiques peuvent, au vu de l’ensemble des circonstances de la cause, être objectivement qualifiées de non équitables, que l’Autorité est en droit d’intervenir.

93. Il y a lieu de relever que les hausses importantes appliquées sur une période relativement courte par la société Sanicorse ont été rendues possibles par le monopole de fait dont elle jouissait pour l’élimination des DASRI par inertage, dont il a résulté qu’elle n’avait pas à craindre que ses clients se tournent vers d’autres prestataires.

94. En revanche, le caractère non équitable de ces augmentations n’est pas établi.

95. En effet, l’Autorité ne soutient pas, et n’a d’ailleurs pas cherché à démontrer, que les prix résultant des augmentations tarifaires pratiquées par la société Sanicorse entre 2011 et 2015 étaient sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie et, partant, ne les a pas qualifiés d’excessifs. Dans la mesure où la charge de la preuve d’une pratique anticoncurrentielle pèse sur l’Autorité, il y a lieu pour la cour de présumer que ces prix sont équitables.

96. Or la cour considère que, dès lors que l’application d’une augmentation tarifaire n’est rien d’autre que la fixation d’un prix, l’appréciation du caractère équitable ou non équitable d’une telle augmentation se confond avec celle du caractère équitable ou non équitable du prix en résultant. Si le prix atteint apparaît équitable, l’augmentation ayant conduit à ce prix ne peut pas être jugée inéquitable, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’en rechercher les éventuelles justifications.

97. Il en irait certes autrement si l’entreprise en position dominante violait le contrat qui la lie à son client pour lui imposer une augmentation tarifaire avant l’heure. Mais tel n’est pas le cas en l’espèce : dans les deux cas où, selon l’Autorité, la société Sanicorse a résilié le contrat la liant à un producteur de DASRI afin de lui imposer de nouveaux tarifs (décision attaquée, § 42 à 56), celle-ci a agi dans le respect des stipulations contractuelles en se bornant à refuser la prorogation ou le renouvellement du contrat à son échéance (voir, s’agissant du centre hospitalier de [Localité 3], cotes 84 et 85, et, s’agissant de la polyclinique du Sud de la Corse, cotes 1691 et 1692). Plus généralement, il n’est pas soutenu que la société Sanicorse aurait manqué à ses engagements contractuels.

98. Aucune des circonstances entourant les augmentations tarifaires pratiquées par la société Sanicorse entre 2011 et 2015 n’est de nature à remettre en cause le constat qui précède que, faute d’avoir abouti à des prix inéquitables, ces augmentations ne sont pas constitutives d’un abus de position dominante.

99. Il y a donc lieu de réformer la décision attaquée et de dire qu’il n’est pas établi que la société Sanicorse, en tant qu’auteure, et la société SAS Groupe [J], en qualité de société mère, ont enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce » ;

1°) ALORS QUE constitue un abus de position dominante le fait d’appliquer un prix « non équitable » au sens de l’article 102 TFUE, ce qui peut être établi soit dans l’absolu, en démontrant que le prix était sans rapport avec la valeur économique de la prestation fournie, soit par comparaison avec un prix de référence, dès lors que l’écart entre le prix litigieux et le prix de référence est sensible, c’est-à-dire significatif et persistant, et qu’il n’est pas justifié par cette entreprise ; qu’en l’absence de prix de référence extérieurs, c’est-à-dire de prix pratiqués par des concurrents se trouvant dans une situation comparable, ou de prix pratiqués par la même entreprise sur d’autres marchés, le caractère inéquitable des prix litigieux peut être établi par une comparaison dans le temps, c’est-à-dire par référence aux prix antérieurement pratiqués avec les mêmes clients, en constatant un écart de prix sensible et non justifié par l’entreprise ; qu’en l’espèce, l’Autorité de la concurrence avait démontré l’abus de position dominante par comparaison dans le temps des prix pratiqués par la société Sanicorse ; que la cour d’appel a constaté que cette société avait imposé des « augmentations très importantes (?) à plusieurs cliniques entre 2011 et 2015 (+ 135 % en 2012 pour la Polyclinique du Sud de la Corse, + 137 % pour la période 2011/2012 pour la clinique de [1], + 98 % pour la clinique de [2] en 2013) » (arrêt, § 64) et à des établissements publics de santé (« + 194 % en 2011 pour le centre hospitalier de [Localité 3] ; + 131 % pour le centre hospitalier intercommunal [Localité 4] entre 2012 et 2013 ; + 123 % pour le centre hospitalier de [Localité 6] entre 2011 et 2012 ») (arrêt, § 73) ; qu’en jugeant que « le caractère non équitable de ces augmentations n’est pas établi », qu’« en effet, l’Autorité ne soutient pas, et n’a d’ailleurs pas cherché à démontrer, que les prix résultant des augmentations tarifaires pratiquées par la société Sanicorse entre 2011 et 2015 étaient sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie et, partant, ne les a pas qualifiés d’excessifs» (arrêt, § 94 et 95), la cour d’appel, qui s’est fondée sur un motif inopérant, tiré de ce que l’Autorité n’avait pas employé l’une des deux méthodes alternatives envisageables, en l’occurrence l’analyse du prix dans l’absolu, sans rechercher si l’abus était établi par l’autre méthode utilisée par l’Autorité, en l’occurrence la comparaison dans le temps, a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 420-2 du code de commerce ;

2°) ALORS QU’ il résulte de l’arrêt attaqué que la société Sanicorse a imposé aux établissements de santé de Corse des « hausses importantes sur une période relativement courte » de ses tarifs (arrêt, § 64, 73 et 94), et donc qu’il y a eu une augmentation significative et persistante des tarifs litigieux ; qu’en s’abstenant de rechercher si la société Sanicorse justifiait ces augmentations, ce qui n’était pas le cas comme l’Autorité l’avait démontré (décision, §161-193 ; observations, § 84-313), la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 420-2 du code de commerce ;

3°) ALORS QU’ après avoir énoncé à tort que l’application d’une augmentation tarifaire n’était rien d’autre que la fixation d’un prix, et qu’une telle augmentation est inéquitable si le prix est en lui-même inéquitable, la cour d’appel a jugé qu’« il en irait certes autrement si l’entreprise en position dominante violait le contrat qui la lie à son client pour lui imposer une augmentation tarifaire avant l’heure. Mais tel n’est pas le cas en l’espèce (?), et il n’est pas soutenu que la société Sanicorse avait manqué à ses engagements contractuels » (arrêt, § 97) ; que le respect ou le non-respect de stipulations contractuelles ne constitue cependant pas une condition d’appréciation du caractère abusif d’une augmentation des prix imposée à une clientèle captive, soumise à des contrats d’adhésion pratiqués par une entreprise détenant un monopole de fait ; qu’en tout état de cause, la décision a relevé que les pratiques d’augmentations tarifaires s’étaient accompagnées de comportements contractuels, que la société Sanicorse n’aurait pu adopter dans une situation de marché concurrentielle, de menace de résiliation de contrats ou d’abstention de soumissions à d’appels d’offres, sans craindre en l’occurrence de perdre des marchés en l’absence de tout opérateur alternatif en Corse et à l’égard de producteurs de DASRI tenus de faire appel à la société Sanicorse pour respecter la règlementation de traitement de leurs déchets ; qu’ainsi, en se fondant sur des motifs impropres à écarter l’existence d’un prix inéquitable, la cour d’appel a violé l’article L. 420-2 du code de commerce. Moyen produit au pourvoi n° 19-25.602 par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour le ministre chargé de l’économie.

Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR réformé les articles 1er, 3, 4 et 5 de la décision de l’Autorité de la concurrence n° 18-D-17 du 20 septembre 2018 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de l’élimination des déchets d’activités de soins à risque infectieux en CORSE, d’AVOIR dit qu’il n’était pas établi que la société SANICORSE, en tant qu’auteure, et la société Groupe [J], en tant que société mère, avaient enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce, et d’AVOIR rappelé que les sommes versées au titre de l’exécution de la décision n° 18-D-17, ainsi réformée, devraient être remboursées aux sociétés SANICORSE et Groupe [J], outre les intérêts au taux légal à compter de la notification de l’arrêt et, s’il y avait lieu, capitalisation des intérêts dans les termes de l’article 1154 du code civil ;

AUX MOTIFS QUE « 1.La cour est saisie du recours des sociétés SANICORSE et SAS Groupe [J] contre la décision de l’Autorité de la concurrence n° 18-D-17 du 20 septembre 2018 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de l’élimination des déchets d’activités de soins à risque infectieux en CORSE ; la réglementation de l’élimination des déchets d’activités de soins à risque infectieux ; 2. L’élimination des déchets d’activités de soins à risques infectieux (ci-après les « DASRI ») fait l’objet d’une réglementation spécifique figurant dans la section 1 du chapitre V du titre III du livre III de code de la santé publique, qui réunit les articles R. 1335-1 à R. 1335-8-11 ; 3. La définition des DASRI est donnée à l’article R. 1335-1 du code de la santé publique ; dans sa version antérieure au décret n° 2016-1590 du 24 novembre 2016 modifiant le code de la santé publique et relatif aux déchets assimilés à des déchets d’activités de soins à risques infectieux et aux appareils de prétraitement par désinfection, cet article dispose : « Les déchets d’activités de soins sont les déchets issus des activités de diagnostic, de suivi et de traitement préventif, curatif ou palliatif, dans les domaines de la médecine humaine et vétérinaire. Parmi ces déchets, sont soumis aux dispositions de la présente section ceux qui : 1° Soit présentent un risque infectieux, du fait qu’ils contiennent des micro-organismes viables ou leurs toxines, dont on sait ou dont on a de bonnes raisons de croire qu’en raison de leur nature, de leur quantité ou de leur métabolisme, ils causent la maladie chez l’homme ou chez d’autres organismes vivants ; 2° Soit, même en l’absence de risque infectieux, relèvent de l’une des catégories suivantes : a) Matériels et matériaux piquants ou coupants destinés à l’abandon, qu’ils aient été ou non en contact avec un produit biologique ; b) Produits sanguins à usage thérapeutique incomplètement utilisés ou arrivés à péremption ; c) Déchets anatomiques humains, correspondant à des fragments humains non aisément identifiables. Sont assimilés aux déchets d’activités de soins, pour l’application des dispositions de la présente section, les déchets issus des activités d’enseignement, de recherche et de production industrielle dans les domaines de la médecine humaine et vétérinaire, ainsi que ceux issus des activités de thanatopraxie, lorsqu’ils présentent les caractéristiques mentionnées aux 1° ou 2° ci-dessus » ; 4. La cour précise que, dans le cadre de la présente procédure, l’Autorité a considéré que les déchets produits par les traitements anticancéreux (cytostatiques) et les pièces anatomiques d’origine humaine doivent être assimilés à des DASRI et que les requérantes

ne contestent pas cette interprétation ; 5. Les DASRI peuvent être produits par trois catégories d’acteurs : – les établissements de santé, dont la production correspond généralement à des quantités de déchets importantes et concentrées en un même lieu ; – les professionnels en exercice libéral et les laboratoires de biologie médicale ; les quantités de déchets qu’ils produisent sont faibles et très dispersées géographiquement ; – les patients en auto-traitement, en dehors de l’intervention d’un professionnel de santé. Les DASRI produits proviennent par exemple des tests à domicile des diabétiques, des insuffisants rénaux ou encore des insuffisants respiratoires ; les quantités de déchets produites sont très faibles et extrêmement dispersées géographiquement ; 6. Aux termes de l’article R. 1335-2 du code de la santé publique, toutes les personnes qui produisent des DASRI sont tenues de les éliminer ; l’article R. 1335-3 du même code prévoit toutefois qu’elles « peuvent, par une convention qui doit être écrite, confier l’élimination de leurs déchets d’activités de soins et assimilés à une autre personne qui est en mesure d’effectuer ces opérations » ; 7. L’article R. 1335-8 du code de la santé publique, dans sa version antérieure au décret du 24 novembre 2016, précise que les DASRI « doivent être soit incinérés, soit pré-traités par des appareils de désinfection de telle manière qu’ils puissent ensuite être collectés et traités par les communes et les groupements de communes dans les conditions définies à l’article L. 2224-14 du code général des collectivités territoriales » ; 8. On dénombre quatre étapes dans la filière d’élimination : le tri, qui permet de séparer les DASRI des déchets banals ; le stockage, dont les conditions et délais sont fonction de la quantité produite ; la collecte et le transport, qui peuvent être réalisés soit via un prestataire soumis à la réglementation relative aux matières dangereuses, soit par apport volontaire sous emballages conformes ; enfin la destruction, seule concernée par le présent litige ; 9. La destruction ou élimination peut être réalisée suivant deux méthodes : – en une seule étape par l’incinération ou la co-incinération dans une usine d’incinération des ordures ménagères ; – en deux étapes par un prétraitement de désinfection (également appelé inertage ou banalisation) suivi d’une mise en décharge d’ordures ménagères ; 10. Ce dernier procédé ne permet pas de traiter tous les DASRI, notamment ceux produits par les traitements anticancéreux (cytostatiques) et les pièces anatomiques d’origine humaine ; en effet, d’une part, aux termes de la circulaire interministérielle DHOS/E4/DGS/SD7B/DPPR/2006/58 du 13 février 2006 relative à l’élimination des déchets générés par les traitements anticancéreux, les déchets souillés de médicaments anticancéreux « sont conditionnés et collectés en mélange avec les DASRI avant d’être éliminés par la filière des DASRI du producteur de déchets (établissement de santé ou professionnel de santé en libéral), à condition que celle-ci aboutisse à une incinération » ; ces déchets « ne peuvent en aucun cas être dirigés vers une filière des DASRI par prétraitement par des appareils de désinfection » ; quant aux médicaments anticancéreux concentrés, ils « sont impérativement éliminés par une filière spécifique aux déchets dangereux garantissant l’incinération à 1200° C » ; d’autre part, conformément à l’article R. 1335-11 du code de la santé publique les pièces anatomiques d’ori


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