Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Joint les pourvois n° K 16-19.186 et n° F 16-19.274, qui attaquent le même arrêt ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 19 mai 2016), que la société Bouygues télécom (la société Bouygues) a saisi le Conseil de la concurrence, devenu l’Autorité de la concurrence (l’Autorité), de pratiques d’abus de position dominante mises en oeuvre par la société Orange France et la Société française du radiotéléphone (la société SFR) sur le marché de la téléphonie mobile, en leur reprochant d’avoir généralisé, dans leurs forfaits respectifs, des offres d’appels « on net illimité » ; que par une décision n° 12-D-24 du 13 décembre 2012, l’Autorité a dit établi que la société Orange France, en tant qu’auteur des pratiques, et la société France télécom, en sa qualité de société mère, d’une part, et la société SFR, d’autre part, avaient enfreint les dispositions de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et de l’article L. 420-2 du code de commerce en mettant en oeuvre, depuis 2005, une différenciation tarifaire abusive entre les appels « on net » vers leurs propres réseaux et les appels « off net » à destination des réseaux concurrents et leur a infligé des sanctions pécuniaires ; que, les sociétés Orange France et France télécom, devenues la société Orange, et la société SFR ayant formé un recours en annulation et en réformation de cette décision, la cour d’appel, après avoir, par un premier arrêt, rejeté les moyens d’annulation et, sur le fond, saisi la Commission européenne d’une demande d’avis, a, par l’arrêt attaqué, réformé la décision de l’Autorité mais seulement quant au montant des sanctions infligées ;
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, du pourvoi n° K 16-19.186 :
Attendu que la société SFR fait grief à l’arrêt de ne réformer la décision que sur le montant des sanctions infligées alors, selon le moyen :
1°/ que le juge qui statue sur un abus de position dominante, ne peut pas refuser d’appliquer les critères et les tests économiques antérieurement admis par la doctrine économique et utilisés par les instances européennes ; qu’en décidant au contraire que l’Autorité avait pu valablement s’affranchir en l’espèce du test du ciseau tarifaire après avoir admis que « la pratique en cause pouvait, ainsi que l’ont fait les rapporteurs à la suite de la plainte, être examinée au regard du test de ciseau tarifaire, qui consiste à déterminer si l’opérateur qui se dit victime d’une pratique abusive est en mesure de produire une offre au moins aussi attractive que celle de l’opérateur dominant, compte tenu des coûts que représente l’accès au produit ou au service fourni par ce dernier », la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles 102 TFUE et L 420-2 du code de commerce ;
2°/ que le juge de la concurrence ne peut appliquer que les critères et tests antérieurement admis par la doctrine économique et la jurisprudence ; qu’en décidant au contraire que l’Autorité avait pu valablement apprécier la pratique en cause en fonction d’un test économique spécialement élaboré par celle-ci pour le présent litige ; la cour d’appel qui a méconnu le principe de sécurité juridique, a violé les articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;
Mais attendu qu’ayant constaté que les pratiques dénoncées consistaient dans la commercialisation d’offres, dites d’abondance, sur les appels « on net », qui étaient différentes, tant dans leur expression que dans leurs effets potentiels, de celles ayant donné lieu à la jurisprudence invoquée par les sociétés SFR et Orange et plus complexes que celles jusque là examinées par la Cour de justice de l’Union européenne, l’arrêt retient que le test de ciseau tarifaire n’est pas un test adapté à l’espèce dès lors qu’il ne permettrait pas d’appréhender la totalité des répercussions que les pratiques de différenciation abusive en cause sont susceptibles d’entraîner sur le marché et, notamment, l’effet de regroupement des clients ainsi que les effets statistiques ; qu’ayant relevé que la méthode mise en oeuvre par l’Autorité, qui visait à traduire en termes monétaires la différence entre le prix des communications « on net » et « off net », du fait de la présence d’avantages qui n’étaient pas, eux, définis en ces termes, était construite sur des hypothèses qui permettaient une comparaison objective des prix, qu’elle reposait sur des éléments objectifs et sur une analyse logique clairement exposée et permettait de faire ressortir une quantification des éléments de l’offre, il retient que cette méthode était, dès lors, appropriée pour analyser la construction tarifaire en cause et justifiée d’un point de vue économique ; qu’en cet état, c’est sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations ni le principe de sécurité juridique que la cour d’appel en a déduit que l’Autorité avait pu utiliser un test économique, autre que celui utilisé dans les précédents, permettant d’appréhender l’ensemble des effets anticoncurrentiels des pratiques ; que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le premier moyen, pris en ses septième, huitième et neuvième branches, du même pourvoi :
Attendu que la société SFR fait le même grief à l’arrêt alors, selon le moyen :
1°/ que l’application des articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce présuppose l’existence d’un lien entre la position dominante et le comportement prétendument abusif, qui n’est normalement pas présent lorsqu’un comportement sur un marché distinct du marché dominé produit des effets sur ce même marché ; qu’il n’en va autrement qu’à titre exceptionnel, lorsque les marchés distincts sont connexes, et que des circonstances particulières peuvent justifier une application de ces textes à un comportement constaté sur le marché connexe, non dominé, et produisant des effets sur ce même marché ; qu’en considérant, pour dire que la société SFR occupe une position dominante sur le marché de gros de la terminaison d’appel tandis que l’abus qui lui est reproché consiste en des écarts de prix excessifs entre les offres dites « on net » et celles dites « off net » sur le marché de détail de la téléphonie mobile, que le lien de causalité entre la position dominante détenue et l’abus allégué a été clairement caractérisé en relevant que les pratiques de différenciation tarifaire avaient été mises en oeuvre « en raison » de la position dominante détenue par Orange et SFR sur le marché de la terminaison d’appel, cette position dominante leur ayant permis de pratiquer des prix de terminaison d’appel « supra concurrentiels », tout en admettant que cette situation ne correspondait pas aux critères jurisprudentiels habituellement retenus pour caractériser l’existence de « circonstances particulières » permettant de sanctionner à titre exceptionnel au titre de l’abus de position dominante une pratique abusive commise sur un marché distinct de celui sur lequel son auteur occupe une position dominante, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles 102 TFUE et L 420-2 du code de commerce ;
2°/ que l’application des articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce implique l’existence d’un lien entre la position dominante et le comportement prétendument abusif, qui n’est normalement pas présent lorsqu’un comportement sur un marché distinct du marché dominé produit des effets sur ce même marché ; qu’il n’en va autrement qu’à titre exceptionnel, lorsque les marchés distincts sont connexes, et que des circonstances particulières peuvent justifier une application de ces textes à un comportement constaté sur le marché connexe, non dominé, et produisant des effets sur ce même marché ; qu’en considérant, pour retenir que l’Autorité avait caractérisé à suffisance de droit les circonstances particulières justifiant déroger au principe selon lequel un abus de position dominante est commis sur un marché unique que l’ensemble des constatations tenant en particulier au lien unissant la position dominante détenue sur les marchés amont et les pratiques abusives mises en oeuvre sur le marché aval de détail, constituent, au vu de la spécificité de ces marchés, des circonstances particulières propres à justifier l’application des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 TFUE, la cour d’appel qui a statué par des motifs impropres à caractériser les circonstances particulières indispensables pour condamner, de manière dérogatoire, au titre de l’abus de position dominante, un abus commis sur un marché distinct du marché dominé, a privé sa décision de base légale au regard des articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;
3°/ qu’il n’est dérogé au principe selon lequel l’abus est en principe commis sur le marché dominé que si les principaux concurrents de l’entreprise dominante sont présents sur l’ensemble des marchés en cause ; qu’en décidant de déroger aux règles traditionnelles définissant l’abus de position dominante, après avoir constaté que chaque opérateur disposait d’un monopole sur le marché amont de la terminaison appel, ce dont il résultait que les principaux concurrents de l’entreprise dominante sont présents sur l’ensemble des marchés en cause, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;
Mais attendu qu’après avoir énoncé que les articles L. 420-2 du code de commerce et 102 TFUE sont susceptibles de s’appliquer alors même que l’abus est constaté sur un marché autre que celui sur lequel l’entreprise en cause détient une position dominante, dès lors que sont réunies deux conditions tenant à l’existence, d’une part, de liens étroits entre ces marchés et, d’autre part, de circonstances particulières justifiant cette application, l’arrêt relève que l’existence de liens étroits entre les marchés amont de la terminaison d’appel vers leur propre réseau, sur lesquels les sociétés Orange et SFR sont en position dominante, et le marché aval de détail de la téléphonie mobile, sur lequel les pratiques abusives ont été mises en oeuvre, résulte de ce que la terminaison d’appel constitue une prestation technique intermédiaire, nécessaire à la réalisation d’un appel depuis le réseau de l’appelant vers le réseau de l’appelé ; qu’il relève, s’agissant de l’exigence de circonstances particulières, qu’ainsi que l’a constaté l’Autorité, la position dominante détenue par les sociétés Orange et SFR sur les marchés de leurs terminaisons d’appel respectives leur avait permis de facturer cette prestation à leurs concurrents à des prix supra-concurrentiels en s’alignant sur les tarifs maximums fixés par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, qui étaient, au cours de la période en cause, significativement supérieurs aux coûts réels supportés par elles, ce dont il était résulté une élévation sensible des coûts des concurrents et un effet d’éviction sur le marché de détail ; qu’il ajoute que, à l’inverse, si les opérateurs s’étaient trouvés en position de concurrence sur le marché de la terminaison d’appel vers leur réseau, les prix de ces prestations auraient convergé vers les coûts, de sorte que les opérateurs de petite taille auraient pu commercialiser des offres d’abondance cross-net, tandis que les offres d’abondance on net auraient été moins attractives ; qu’il en déduit que, ainsi que l’a relevé l’Autorité, du fait de la position dominante détenue par les sociétés Orange et SFR sur le marché de la terminaison d’appel, combinée à leurs parts de marché significatives sur le marché de détail de la téléphonie mobile, les pratiques de différenciation tarifaire mises en oeuvre par ces opérateurs étaient de nature à affaiblir la concurrence sur le marché de détail en évinçant ou en affaiblissant les concurrents au moins aussi efficaces sur ce marché ; qu’en cet état, la cour d’appel a exactement retenu que ces circonstances, tenant en particulier au lien unissant la position dominante détenue sur les marchés amont et les pratiques abusives mises en oeuvre sur le marché aval de détail, constituaient, au vu de la spécificité de ces marchés, des circonstances particulières propres à justifier l’application des articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce ; que le moyen n’est pas fondé ;
Et sur le second moyen, pris en sa première branche, de ce pourvoi et le premier moyen, pris en sa vingt-sixième branche, du pourvoi n° F 16-19.274, réunis :
Attendu que les sociétés SFR et Orange font grief à l’arrêt de leur infliger une sanction pécuniaire alors, selon le moyen :
1°/ qu’à défaut d’une interprétation jurisprudentielle accessible et antérieure au comportement dénoncé, lui conférant un caractère infractionnel, un tel comportement ne peut pas être sanctionné dans la mesure où il était difficile voire impossible pour son auteur de savoir, au moment des faits, qu’il pourrait entraîner une sanction ; qu’ainsi une pratique qui ne peut pas être raisonnablement considérée comme anticoncurrentielle au moment où elle a été commise, ne peut pas être sanctionnée ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé les articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ensemble l’article 464-2 du code de commerce ;
2°/ qu’en se bornant à diminuer le montant de la sanction pour sanctionner des pratiques dont elle reconnaissait le caractère inédit, la cour d’appel a violé l’article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, l’article 49 § 1 de la Charte européenne des droits fondamentaux et l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;
Mais attendu qu’après avoir constaté que l’application au cas d’espèce d’un grief de différenciation tarifaire se distinguait des précédents connus jusqu’alors en jurisprudence et dans la pratique décisionnelle des autorités de concurrence et relevé le caractère, à certains égards, inédit de l’application de la qualification d’abus de position dominante aux faits de la cause, l’arrêt retient que cette circonstance ne fait pas disparaître ni même n’atténue la contrariété au droit de la concurrence des pratiques reprochées aux sociétés Orange et SFR, avec les conséquences qui s’y attachent en ce qui concerne la responsabilité de ces opérateurs ; qu’ayant ainsi fait ressortir qu’il était raisonnablement prévisible, au moment où les pratiques ont été commises, que la qualification d’abus de position dominante leur était applicable, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation de la proportionnalité de la sanction et sans méconnaître les principes invoqués par les première et troisième branches que la cour d’appel a retenu qu’il n’y avait pas lieu de ramener à un montant symbolique les sanctions pécuniaires prononcées, ainsi que le demandaient les sociétés, mais qu’il convenait d’en diminuer le montant dans la proportion qu’elle a appréciée ; que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi n° F 16-19.274 :
Attendu que la société Orange fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes de renvoi de neuf questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne, en invoquant un défaut de base légale au regard de l’article 267 TFUE ;
Mais attendu qu’en vertu de l’article 267 TFUE, une juridiction dont les décisions sont susceptibles d’un recours de droit interne n’est pas tenue, lorsqu’une question d’interprétation du traité est soulevée devant elle, de demander à la Cour de justice de l’Union européenne de statuer sur cette question ; que le moyen n’est pas fondé ;
Et sur le premier moyen, pris en ses première, quatrième, cinquième, sixième, dixième, onzième et douzième branches, et le second moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi n° K 16-19.186, et sur le premier moyen, pris en ses première à vingt-cinquième branches, du pourvoi n° F 16-19.274 :
Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Et sur les demandes de transmission de questions préjudicielles :
Attendu que la société Orange demande que la Cour de justice de l’Union européenne soit saisie des questions préjudicielles suivantes :
1- Aux fins d’application de l’article 102 TFUE, l’existence d’une simple « connexité » entre marchés est-elle suffisante pour démontrer le lien de causalité indispensable à la qualification d’un abus entre le marché amont de gros de la terminaison d’appel voix mobile sur lequel est détenue la position et la pratique constatée sur le marché aval de la téléphonie mobile à destination des clients résidentiels ?
2- L’article 102 TFUE peut-il s’appliquer lorsqu’il n’existe aucune exploitation économique des ressources du marché amont sur lequel est détenue la position dominante au bénéfice du marché aval sur lequel la pratique est constatée ?
3- L’article 102 TFUE trouve-t-il à s’appliquer lorsque la régulation sectorielle ex ante a mis en place une tarification asymétrique sur le marché amont — niveau de terminaison d’appels plus élevé au bénéfice de l’opérateur dernier entrant et doté du plus petit parc clients — destinée à annihiler l’effet d’offres intégrant une composante d’illimité on-net sur le marché aval ?
4- L’article 102 TFUE peut-il interdire à un opérateur A de mettre en oeuvre des offres commerciales visant à limiter ses sorties de trésorerie, dans le cas précis où les appels sortant vers le réseau d’un autre opérateur B donnent lieu au paiement à cet opérateur d’une terminaison d’appel asymétrique, c’est-à-dire supérieure à celle que perçoit l’opérateur A pour les terminaisons d ‘appel sur son réseau ?
5- Aux fins de la mise en oeuvre de l’article 102 TFUE, et plus particulièrement de la qualification d’une pratique de discrimination, les communications on-net et les communications off-net peuvent-elles être considérées comme des prestations « équivalentes » ou « similaires » ?
6- Une pratique de discrimination tarifaire abusive entre appels on net et appels off net peut-être elle caractérisée au titre de l’article 102 TFUE lorsqu’elle repose sur une méthode qui constate une différenciation quelque soit la pratique tarifaire sur le marché (forfait avec une composante illimitée cross-net et forfait avec une composante illimitée on-net) ?
7- Aux fins de l’application de l’article 102 du TFUE, une pratique de différentiation tarifaire abusive sur le marché aval peut-elle être identifiée lorsque les tarifs des prestations ne sont pas différenciés et sont intégrés dans un forfait unique pour le consommateur ?
8- Aux fins de l’application de l’article 102 TFUE, la caractérisation d’une pratique de différenciation tarifaire abusive nécessite-t-elle de prendre en compte pour les appels on-net sur le réseau d’un opérateur les coûts réellement supportés par cet opérateur ou les tarifs de terminaison d’appel qu’il applique aux autres opérateurs pour terminer leurs appels off-net sur son réseau ?
9- L’article 102 TFUE peut-il s’appliquer alors qu’il est démontré que les offres illimitées on-net sur le marché aval étaient reproductibles par des concurrents ?
10- L’article 102 TFUE trouve-t-il à s’appliquer dans l’hypothèse où la méthode retenue par l’Autorité de la concurrence pour parvenir à un constat de différenciation abusive ne s’appuie sur aucun précédent topique de nature à rendre prévisible les manquements prétendument constatés ?
11- Aux fins d’application de l’article 102 TFUE, dès lors que la nouveauté de la méthode employée a été reconnue, l’absence de prévisibilité peut-elle conduire à une exonération seulement partielle des sanctions retenues ?
Mais attendu qu’en l’absence de doute raisonnable quant à l’interprétation de l’article 102 TFUE et son application aux faits de l’espèce, il n’y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne des questions préjudicielles posées par la société Orange ;
PAR CES MOTIFS :
Dit n’y avoir lieu à saisine à titre préjudiciel de la Cour de justice de l’Union européenne ;
REJETTE les pourvois ;
Condamne la Société française du radiotéléphone et la société Orange aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer la somme de 5 000 euros chacune au président de l’Autorité de la concurrence et rejette leurs demandes ;
Vu l’article R. 490-5 du code de commerce, dit que sur les diligences du directeur de greffe de la Cour de cassation, le présent arrêt sera notifié, par lettre recommandée avec accusé de réception, à la Commission européenne, à l’Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l’économie ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq avril deux mille dix-huit. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi n° K 16-19.186 par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la Société française du radiotéléphone.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l’arrêt attaqué de n’avoir réformé la décision de l’Autorité de la concurrence, relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la téléphonie mobile à destination de la clientèle résidentielle en France métropolitaine que sur le montant des sanctions pécuniaires infligées aux sociétés Orange et SFR et d’avoir en conséquence fixé le montant de la sanction de la société SFR à la somme de 52 566 400 euros.
AUX MOTIFS QUE (
) la société SFR soutient d’abord que la licéité des offres litigieuses devait s’apprécier au moyen d’un test de réplicabilité sous la forme d’un test de ciseau tarifaire, et non, comme l’a fait l’Autorité en commettant ainsi une « erreur fondamentale », par le biais d’un test de différenciation tarifaire conçu selon une méthode contestable et dont les résultats sont, selon elle, « aberrants » ; qu’elle rappelle que le test de réplicabilité avait d’ailleurs été spontanément choisi par les services de l’Autorité qui, dans la première notification de griefs comme dans le premier rapport, avaient écarté la possibilité d’identifier une différenciation tarifaire ;
qu’elle considère qu’en revanche, le test mis en oeuvre dans la décision est « complexe et mathématiquement aberrant », qu’il aboutit à la construction artificielle d’une différence de prix entre les appels on net et les appels off net, lesquels ne constituent pas des prestations équivalentes ; que SFR met ensuite en cause l’allégation de l’Autorité selon laquelle Bouygues ne pouvait pas répliquer aux offres litigieuses par des offres on net illimité et soutient qu’elle repose sur des éléments discutables et contredits par d’autres données du dossier ; qu’elle fait valoir qu’en tout état de cause, aucun lien de causalité n’est établi entre la position dominante qu’elle détient et les pratiques de différenciation tarifaire alléguées ; que s’agissant des effets anticoncurrentiels, SFR affirme qu’ils ne sont pas démontrés en ce qui concerne la prétendue rétention de trafic off net, pas plus qu’en ce qui concerne le verrouillage des « tribus » de proches ; que SFR, enfin, entend démontrer que les pratiques qui lui sont reprochées étaient objectivement justifiées, compte tenu des gains d’efficacité qu’elles ont procurés, sans que la concurrence en ait été diminuée ; qu’en conséquence, SFR demande à titre principal l’annulation de la décision de l’Autorité. Que subsidiairement, elle fait valoir que la Commission européenne n’a pas répondu aux questions que la cour lui avait posées par son arrêt avant dire droit, et qu’il y a donc lieu de transmettre à la Cour de Justice des questions préjudicielles relatives, en particulier, à l’équivalence des bonus on net et des autres appels, au test de réplicabilité et à la possibilité de ne retenir que des effets potentiels pour fonder une infraction au droit de la concurrence ; qu’à titre infiniment subsidiaire, SFR soutient que la sanction prononcée contre elle ne devrait être que symbolique ; qu’elle souligne le caractère à ses yeux inédit et imprévisible du caractère infractionnel des offres litigieuses et l’impact de la régulation sectorielle qui auraient dû conduire à ne pas prononcer de sanction.
QUE sur les marchés pertinents, l’Autorité a rappelé que dans le secteur des communications électroniques, la Commission européenne opérait une distinction entre, d’une part, les marchés de détail correspondant à des services fournis aux utilisateurs finals et, d’autre part, les marchés de gros des prestations permettant l’accès des opérateurs aux installations nécessaires à la fourniture des services et produits à ces utilisateurs, parmi lesquelles la prestation de terminaison d’appel, cette distinction ayant été explicitée dans sa recommandation du 17 décembre 2007 concernant les marchés pertinents de produits et services dans le secteur des communications électroniques susceptibles d’être soumis à une réglementation ex ante ; que sur cette base, elle a identifié les marchés en l’espèce pertinents, en distinguant, conformément à sa pratique décisionnelle constante et à celle de l’Arcep, le marché de détail des services fournis aux consommateurs et le marché des prestations de la terminaison d’appel vocale mobile offertes aux opérateurs de réseau ; que s’agissant du marché de gros de la terminaison d’appel vocale mobile, l’Autorité a considéré que les trois marchés amont de terminaison d’appel, correspondant aux trois réseaux de téléphonie mobile opérationnels à l’époque des faits en cause, constituaient des marchés pertinents. Les éléments sur lesquels elle s’est appuyée confirment cette analyse, d’ailleurs non contestée par les parties ; que c’est ainsi qu’il n’existe pas de prestations substituables à la terminaison d’appel, du point de vue ni du demandeur, c’est-à-dire de l’opérateur de l’appelant, ni de l’offreur, c’est-à-dire de l’opérateur de l’appelé, puisque l’opérateur de terminaison est le seul acteur susceptible de localiser la personne appelée et de terminer l’appel vers son numéro mobile, aucun autre opérateur ou nouvel entrant n’étant en mesure d’offrir ce service ; que s’agissant de la dimension géographique de ces marchés pertinents, l’Autorité a rappelé que selon les lignes directrices publiées par la Commission européenne en 2002, elle était déterminée par référence au territoire couvert par les réseaux concernés et par l’existence d’instruments juridiques, en l’occurrence les autorisations nécessaires à l’utilisation de fréquences mobiles : qu’elle en a conclu que les marchés géographiques pertinents correspondaient à la France métropolitaine ; que s’agissant du marché de détail des services de téléphonie mobile, l’Autorité a considéré que le marché pertinent était celui du marché de détail de la téléphonie mobile, accessible à une clientèle résidentielle en France métropolitaine. Elle a relevé, en effet, que ce marché se distinguait du marché de la téléphonie fixe et qu’en dépit du fait que certaines offres étaient commercialisées auprès de la clientèle professionnelle et résidentielle, le caractère très limité de la substituabilité conduisait à en limiter les frontières à cette dernière clientèle.
QUE sur les positions dominantes, l’Autorité a considéré que chaque opérateur réseau était en position dominante sur le marché de gros de sa propre terminaison d’appel puisque, comme elle l’avait relevé dans de précédents avis et décisions, chacun d’entre eux dispose « d’un monopole sur son propre réseau et qu’aucun contre-pouvoir d’acheteur ne vient contrebalancer ce pouvoir de marché » ; que cette analyse, qui n’est pas contestée par les parties, est conforme à celle que l’Arcep a développée dans l’avis qu’elle a rendu à l’Autorité et selon laquelle la terminaison d’appel constitue « un goulot d’étranglement, passage obligé pour tout opérateur tiers souhaitant acheminer des appels à destination des clients de l’opérateur concerné », de sorte que cet opérateur étant « en monopole sur sa boucle locale (
), qu’aucune concurrence ne peut se développer sur le marché de la terminaison d’appel sur le réseau d’un opérateur et qu’il y a aujourd’hui une impossibilité technique à rompre le monopole des opérateurs mobiles sur les marchés respectifs. de leur terminaison d’appel vocal et ni les acheteurs de terminaison d’appel ni les consommateurs sur le marché de détail n’exercent de contre-pouvoir d’acheteur suffisant pour contrebalancer cette position » (Avis p. 7) ; que l’Autorité en a, dès lors, conclu qu’Orange et SFR étaient en position dominante sur le marché de la terminaison d’appel vers leur propre réseau ; que s’agissant en revanche du marché aval de détail, l’Autorité a jugé qu’aucun des trois opérateurs de réseau ne pouvait être considéré comme y détenant seul une position dominante ; que ces opérateurs, en effet, ont détenu d’une façon stable sur la période en cause, soit de 2005 à 2009, des parts de marché à hauteur d’environ 45 % pour Orange, 35 % pour SFR et 17 % pour Bouygues.
QUE sur le grief de différenciation tarifaire, les sociétés Orange et SFR ont été sanctionnées par l’Autorité pour avoir abusé, sur le marché de détail de la téléphonie mobile, de leur position dominante en mettant en oeuvre une différenciation tarifaire entre appels on net et appels off net au travers de la commercialisation de leurs offres d’abondance à partir de mars 2005, lesquelles étaient toujours en cours à la date de notification de griefs le 5 août 2011 ; que les pratiques de différenciation tarifaire consistent à appliquer à des produits ou services identiques ou comparables des tarifs différents ; qu’elles ne sont pas, en elles-mêmes, anticoncurrentielles, mais peuvent le devenir, en particulier si la différence de tarif ne correspond pas, au moins dans une mesure raisonnable, à la différence des coûts en cause ; que l’Autorité a rappelé que dans le domaine de la téléphonie, les pratiques de différenciation tarifaire entre appels on net et appels off net avaient, depuis 2002, donné lieu de sa part, et avant elle de la part du Conseil de la concurrence, à plusieurs décisions mettant en cause des opérateurs et que ses analyses avaient été confirmées par la cour d’appel de Paris ; qu’en l’espèce, l’Autorité a d’abord considéré que les appels on net et les appels off net constituaient des prestations comparables, de sorte qu’il convenait de s’assurer de l’existence d’une différenciation tarifaire ; qu’elle a constaté qu’une telle différenciation était établie et résultait de ce que l’avantage d’abondance des offres commerciales d’Orange et SFR était réservé aux appels on net, à l’exclusion des appels off net, qui étaient toujours décomptés du forfait, et elle en a conclu « en moyenne et toutes communications confondues, que le prix des appels on net est moins élevé que celui des appels off net » et que « ce constat suffit donc à caractériser l’existence d’une différence de prix objective entre les deux types d’appel » ;que pour mesurer l’importance de cette différenciation, l’Autorité a quantifié, d’une part, le prix unitaire d’une minute appartenant au godet d’heures, représentant le prix d’une minute off net, et, d’autre part, le prix moyen d’une minute on net, déterminé à partir du prix unitaire précédemment calculé et du prix unitaire d’une minute appartenant au créneau d’abondance, pondéré par les trafics d’appels de ces deux créneaux d’appels. La comparaison entre le prix moyen de la minute on net ainsi obtenu et le prix moyen de la minute off net, précédemment calculé, a fait apparaître des différences de prix systématiques, le prix de la minute de communication off net étant toujours plus élevé que le prix de la minute de communication on net, dans les offres d’Orange comme dans celles de SFR (v. tableaux figurant aux § 117, 123, 127, 131, 136, 138, 143, 146, 148, 156, 159, 168, 172, 176, 180 et 183 de la décision) ; que ceci posé, l’Autorité a mis en rapport ces différenciations tarifaires avec les coûts afférents aux appels on net et aux appels off net ; qu’elle a relevé que la différence de coût entre un appel on net et un appel off net correspondait à la différence entre les terminaisons d’appel des deux opérateurs concernés, dans la mesure où les coûts de départ d’un appel on net et d’un appel off net étaient les mêmes ou, en tout cas, que les éventuelles différences étaient minimes ; que sur cette base, elle a constaté que les écarts de prix entre les appels on net et l