Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 31 janvier 2012, 10-25.772 10-25.775 10-25.882, Publié au bulletin

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Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 31 janvier 2012, 10-25.772 10-25.775 10-25.882, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Vu les observations adressées à la chambre commerciale de la Cour de cassation par la Commission européenne en application de l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, transmises aux parties, ainsi qu’à l’avocat général ;

Joint les pourvois n° V 10-25.772 formé par les sociétés France Télécom et Orange Caraïbe, n° Y 10-25.775, formé par le président de l’Autorité de la concurrence et Q 10-25.882, formé par la société Digicel Ltd., qui attaquent le même arrêt ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’à la suite d’une plainte déposée par la société Bouygues Télécom Caraïbe, aux droits de laquelle vient la société Digicel Ltd. (la société Digicel), dénonçant des pratiques d’abus de position dominante commises, d’une part, sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane, d’autre part, sur le marché de la fourniture de liaisons louées et, enfin, sur le marché des appels fixes vers mobiles dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane, commises par les sociétés France Télécom et Orange Caraïbe, l’Autorité de la concurrence (l’Autorité), après avoir prononcé des mesures conservatoires, le 9 décembre 2004, a dit que la société Orange Caraïbe, par divers comportements, mis en œuvre entre les années 2000 et 2005, avait abusé de la position dominante qu’elle détenait sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane et s’était aussi entendue entre le 1er avril 2003 et le 24 janvier 2005 avec la société Cetelec seule société agréée pour assurer la réparation des terminaux mobiles ; que par ailleurs, l’Autorité a encore dit que la société France Télécom avait abusé de sa position dominante sur le marché de la téléphonie fixe dans la zone Antilles-Guyane, d’une part, en commercialisant une offre « Avantage Ameris » après l’arrivée de la société Bouygues Télécom sur le marché, en décembre 2000 jusqu’au 21 mai 2005, puis en la maintenant postérieurement à cette date pour les clients qui l’avaient déjà souscrite, d’autre part, par la présentation d’une offre de télécommunication « fixes vers mobiles » en dessous des coûts qu’un opérateur aussi efficace qu’elle devait nécessairement supporter pour proposer la même prestation, en réponse à un appel d’offres du Conseil général de Guyane en 2004 ; qu’en conséquence, l’Autorité a prononcé des sanctions pécuniaires à l’encontre des sociétés France Télécom et Orange Caraïbe ; que la cour d’appel a annulé la décision et, évoquant, a considéré que les pratiques retenues par l’Autorité étaient, pour plusieurs d’entre elles, constituées en application du seul droit national et condamné les deux sociétés à des sanctions pécuniaires ;

Sur la recevabilité du pourvoi n° Y 10-25.775 soulevée par la défense :

Attendu que les sociétés France Télécom et Orange Caraïbe font valoir que dans le cas où le Conseil constitutionnel déclarerait l’article L. 464-8 du code de commerce inconstitutionnel, à la suite de la question prioritaire de constitutionnalité dont elles demandaient la transmission, cette disposition serait abrogée et l’irrecevabilité du pourvoi du président de l’Autorité de la concurrence s’ensuivrait ;

Mais attendu que par arrêt rendu le 28 juin 2011, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a dit n’y avoir lieu à renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel ; que le pourvoi formé par le président de l’Autorité de la concurrence est donc recevable ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi n° V 10-25.772 :

Attendu que les sociétés France Télécom et Orange Caraïbe font grief à l’arrêt d’avoir prononcé à leur encontre des sanctions pécuniaires pour les pratiques d’abus de position dominante retenues, alors, selon le moyen, qu’en considérant que l’Autorité de la concurrence pourrait, devant la cour d’appel saisie d’un recours contre l’une de ses décisions, « étoffer son argumentation » par rapport à la motivation de la décision entreprise, la cour d’appel a violé l’article L. 464-2 du code de commerce, ensemble l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 sur la motivation des actes administratif et l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés ;

Mais attendu qu’en application de l’article R. 464-18 du code de commerce, le premier président de la cour d’appel ou son délégué fixe les délais dans lesquels l’Autorité peut produire des observations écrites ; que la cour d’appel a exactement retenu qu’il n’est pas interdit à l’Autorité d’expliciter son argumentation devant elle, dès lors qu’il n’apparaît pas que ces observations comportent un élément nouveau de nature à aggraver la culpabilité ou la condamnation des parties en cause, ce qui n’est pas soutenu en l’espèce ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° V 10-25.772 :

Attendu que ce moyen ne serait pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

Mais, sur le moyen unique du pourvoi n° Y 10-25.775, pris en sa première branche :

Vu les articles 3 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002, ensemble les articles 101 et 102 du TFUE ;

Attendu que pour annuler la décision n° 09-D-36 du 5 février 2009 de l’Autorité, l’arrêt, après avoir rappelé que l’application du droit européen de la concurrence suppose que soient réunies les trois conditions d’existence d’échanges entre Etats membres portant sur les produits ou les services faisant l’objet de la pratique, d’existence de pratiques susceptibles d’affecter ces échanges et de caractère sensible de cette affectation, relève que, si l’affectation du commerce intracommunautaire peut reposer sur une influence indirecte et potentielle, elle ne peut reposer sur une influence éloignée ou hypothétique ; que l’arrêt observe qu’en l’espèce, le seul opérateur non français qui s’est manifesté sur le marché concerné n’était pas ressortissant de l’Union, mais jamaïcain et en conclut que l’affectation du commerce entre États membres par les pratiques en cause n’est pas établie ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que les termes « susceptible d’affecter » énoncés par les articles 101 et 102 du TFUE supposent que l’accord ou la pratique abusive en cause permette, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres, sans que soit exigée la constatation d’un effet réalisé sur le commerce intracommunautaire, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° Y 10-25.775, pris en sa troisième branche :

Vu l’article 3 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002, ensemble les articles 101 et 102 du TFUE ;

Attendu que pour annuler la décision n° 09-D-36 du 5 février 2009 de l’Autorité, l’arrêt retient que pour établir le caractère sensible de l’affectation du commerce intracommunautaire il est nécessaire, notamment dans le cas où seule une partie d’un État membre constitue le marché géographique pertinent, de se référer au volume de ventes global concerné par rapport au volume national et qu’à cet égard, la détermination en volume de la part de marché national prétendument affectée par la pratique anticoncurrentielle aurait conduit l’Autorité à écarter l’existence d’une affectation sensible du commerce intracommunautaire ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’en l’état de pratiques cumulées d’entente et d’abus de position dominante commises sur une partie seulement d’un État membre, le caractère sensible de l’affectation directe ou indirecte, potentielle ou actuelle, du commerce intracommunautaire résulte d’un ensemble de critères, parmi lesquels la nature des pratiques, la nature des produits concernés et la position de marché des entreprises en cause, le volume de ventes global concerné par rapport au volume national n’étant qu’un élément parmi d’autres, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° Y 10-25.775, pris en sa quatrième branche :

Vu l’article 3 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002, ensemble les articles 101 et 102 du TFUE et les articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce ;

Attendu qu’ayant constaté que le commerce intracommunautaire n’était pas affecté par les pratiques de façon sensible, l’arrêt annule la décision en ce qu’elle est fondée sur des violations tant des articles 101 et 102 du TFUE que des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que les articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce sont, en l’absence d’affectation du commerce intracommunautaire, applicables aux pratiques d’entente et d’abus de position dominante anticoncurrentielles mises en œuvre sur le territoire national et que quand bien même l’arrêt serait fondé en ce qu’il a annulé la décision pour avoir appliqué le droit communautaire de la concurrence, celle-ci demeurait valide en ce qu’elle avait appliqué les dispositions du droit national, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 23 septembre 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

Condamne les sociétés France Télécom et Orange Caraïbe aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer au président de l’Autorité de la concurrence, ès qualités, la somme globale de 2 500 euros et la même somme globale à la société Digicel Ltd., et rejette leur demande ;

Vu l’article R. 470-2 du code de commerce, dit que sur les diligences du greffe de la Cour de cassation, le présent arrêt sera notifié, par lettre recommandée avec avis de réception, à la Commission européenne, à l’Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l’économie ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un janvier deux mille douze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Defrenois et Levis, avocat aux Conseils pour les sociétés France Télécom et France Caraïbe, demanderesses au pourvoi n° V 10-25.772

PREMIER MOYEN DE CASSATION : perte de fondement juridique

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR :

– dit que la société Orange Caraïbe a abusé, entre 2000 et 2005, de la position dominante qu’elle détient sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane en imposant des clauses d’exclusivité dans les contrats de distribution conclus avec ses distributeurs indépendants; a abusé, entre le printemps 2002 et le printemps 2005 de sa position dominante sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane par le biais de son programme de fidélisation «Changez de mobile » ; a abusé, entre 2003 et 2004, de sa position dominante sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane par la différenciation tarifaire qu’elle a pratiqué entre les appels« on net » et les appels « off net» pour ses cartes « Orange Card Soir et Week-end », « Orange Card Classique» et « Orange Card Seconde » ; s’est entendue, entre le 1er avril 2003 et le 24 janvier 2005, avec la société Cetelec, seule société agréée dans les Caraïbes pour assurer la réparation des terminaux (téléphones individuels) mobiles, en concluant un contrat comprenant une clause d’exclusivité interdisant la réparation des terminaux commercialisés par des opérateurs concurrents;

– dit que la société France Telecom, a abusé de sa position dominante sur le marché de la téléphonie fixe dans la zone Antilles-Guyane en commercialisant l’offre «Avantage Améris » après l’arrivée de Bouygues Telecom sur le marché en décembre 2000 jusqu’au 21 mai 2005, puis en la maintenant postérieurement à cette date jusqu’à la fin de l’année 2005 pour les clients qui l’avaient déjà souscrite;

– dit que doivent être écartés: – le grief n° 3 relatif à l’imposition de prix de revente des terminaux; -la seconde branche du grief n° 4 visant de manière générale la pratique d’Orange Caraïbe consistant à ne proposer, pour les offres de forfaits, que des engagements initiaux de 12 mois et des réengagements pour des périodes de 24 mois; -le grief n° 6 relatif à la pratique de ciseau tarifaire reprochée à Orange Caraïbe et le grief n° 8 relatif à la pratique de ciseau tarifaire reprochée à France Telecom;

– condamné les sociétés Orange Caraïbe et France Telecom au titre de l’ensemble des griefs n° 1,2, 4A et 5, solidairement à une sanction pécuniaire de 35 millions d’euros;

– condamné la société France Telecom à une sanction de 5 millions d’euros, pour le grief n°7 ;

– dit que ces sanctions pécuniaires seront affectées ensuite d’une majoration de 50% pour réitération, de sorte qu’elles atteignent respectivement 52,5 millions € pour Orange Caraïbe et France Telecom solidairement et 7,5 millions € pour France Télécom seule;

– dit que les sanctions doivent être assorties d’une obligation de publication d’un résumé de la Décision, élaboré par l’Autorité de la concurrence, dans trois quotidiens régionaux et donne acte aux parties que cette obligation a été exécutée le 22 janvier 2010 ;

AUX MOTIFS QUE :

« il n’est pas interdit à l’Autorité de la concurrence d’étoffer son argumentation devant la cour par rapport à la décision elle-même, dès lors que la cour examine à nouveau l’ensemble des faits instruits par le rapporteur ;

(…) il est seulement prescrit à l’Autorité de la concurrence, pour user de la faculté qui lui est reconnue, de se soumettre aux délais fixés par l’article R. 464-18 du code de commerce, ce qu’elle a scrupuleusement respecté en l’espèce ;

(…)

B3 -Causalité générale des dysfonctionnements du marché «Mobile»

(…)

comme le conclut la société Digicel Ltd, l’accusation d’inefficacité que profère Orange Caraïbe contre Bouygues Telecom Caraïbes, qu’absorbera la société Digicel Ltd, procède à la fois d’une comparaison avec les résultats d’Outremer Telecom, présentés comme meilleurs, et d’une analyse péjorative de l’effet des mesures conservatoires ordonnées en 2005 ; (…) ces deux affirmations ne sont corroborées par aucun élément probant;

(…) , sur l’évolution d’Outremer Telecom, l’ARCEP a évalué les parts de marché de cette société à moins de 5 p. 100 en 2007, fin de la période d’incrimination, ce qui semble indiquer que des stratégies commerciales diverses, celle de Bouygues Telecom Caraïbes ou celle d’Outremer Telecom, ont abouti aux mêmes résultats médiocres, en raison de la présence d’Orange Caraïbe;

(…) les mesures conservatoires, si elles ont produit leur effet de libération du segment « cartes» et de nouvelles incitations à entrer sur le marché, n’ont pas conduit à un renversement du marché, sur lequel Orange Caraïbe est resté dominant; (…) d’ailleurs, ce n’est qu’après l’intervention du Conseil de la concurrence que la société Digicel Ltd et Outremer Telecom sont entrées sur le marché; qu’en effet, la première injonction (art. 1 er) prévue par la décision de mesures conservatoires du 9 décembre 2004, confirmée par la cour d’appel dans son arrêt du 28 janvier 2005, enjoignait à la société Orange Caraïbe, à titre conservatoire, de supprimer dans tous les contrats, en cours ou à venir, conclus avec ses distributeurs indépendants les obligations d’exclusivité liant ces derniers; qu’ainsi, les développements de la société Digicel Ltd qui a racheté la société Bouygues Telecom Caraïbe en 2006 – et de la société Outremer Telecom -qui n’est entrée sur le marché guadeloupéen qu’en 2006 -, postérieurs à l’exécution de ces injonctions, ne peuvent, à l’évidence, prouver que les clauses d’exclusivité, alors supprimées, n’auraient produit aucun effet ;

(…)

B4 -Effets généraux des pratiques incriminées :

(…)

comme le conclut la société Digicel Ltd, la société Orange Caraïbe, première arrivée sur le marché, a proposé son offre « Changez de mobile» qui consistait à procurer aux clients une remise sur l’achat d’un« terminal» (poste téléphonique mobile), sous réserve d’un réengagement de deux ans, a un objet et un effet clairement fidélisant;

(…) le rapport du cabinet MAPP, fourni par Orange Caraïbe, qui étudie une cohorte de clients, ne fait -sans préjudice de ses autres limites examinées plus bas (B5-3) -que confirmer l’importance de cet effet de fidélisation puisqu’il met en lumière un taux très important de clients fidélisés, les autres clients étant résiliés pour la plupart par Orange Caraïbe elle-même pour impayés;

(…) cette clientèle fidélisée, qui est la plus rentable, ne peut être recrutée par les autres opérateurs, même compétitifs en raison (i) de l’effet incitatif du programme «Changez de mobile » qui promet un mobile gratuit à qui aura accumulé suffisamment de points, et (ii) de la longueur et du chevauchement des périodes de réengagement durant lesquelles le client est privé de la possibilité de changer d’opérateur ;

(…) ainsi, il apparaît que les contrats proposés par Orange Caraïbe à sa clientèle conduisaient d’emblée à un verrouillage, dont Orange ne peut dénier la réalité et la persistance pendant toute la période d’incrimination, sans préjudice de ce qui sera dit plus loin sur l’abus que pourraient constituer de telles clauses dans les contrats avec les clients finaux ou encore les contrats passés avec les distributeurs et réparateurs;

(…)

B 51 -Clauses Distribution (clauses d’exclusivité et de nonconcurrence; grief n°1)

(…) il est reproché à la société Orange Caraibe «d’avoir abusé de sa position dominante sur le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane en imposant à ses distributeurs des obligations d’exclusivité et de non-concurrence les interdisant de commercialiser des services concurrents. Une telle pratique ( …) a eu pour objet et pour effet de conforter la position d’Orange Caraïbe en rendant artificiellement plus difficile l’accès et le développement d’entreprises concurrentes, notamment depuis l’arrivée de Bouygues Telecom Caraïbe sur le marché en décembre 2000 jusqu’à la suppression de ces restrictions en janvier 2005» ainsi que «de s’être entendue avec ses distributeurs indépendants par la signature de contrats de commercialisation contenant des obligations d’exclusivité et de non concurrence interdisant ces derniers de commercialiser des services concurrents de l’opérateur. Une telle pratique ( … ) a eu pour objet et pour effet de limiter la concurrence effective et potentielle entre les opérateurs de téléphonie mobile de la zone Antilles-Guyane, notamment depuis l’arrivée de Bouygues Telecom Caraïbe sur le marché en décembre 2000 jusqu’à la suppression de ces restrictions en janvier 2005» ;

(…)

(…) en premier lieu, sur l’effet anticoncurrentiel du «monomarquisme», (…) en tant que premier entrant, Orange Caraïbe s’est naturellement tournée vers les distributeurs indépendants, lesquels disposaient par la force des choses des meilleurs emplacements commerciaux; (…) dans un contexte de relative rareté des distributeurs, l’accès au marché de nouveaux entrants a été entravé, sauf à se contenter d’un réseau de très faible ampleur et d’emplacements commerciaux médiocres, de nature à nuire à l’image de marque et au développement de ces opérateurs; (…) le fait de disposer d’un réseau de points de vente étoffé et bien situé est un élément particulièrement essentiel sur le marché de la téléphonie mobile; (…) toutes clauses faisant obstacle à la distribution multimarque entravaient l’accès au marché de la distribution dès lors que Bouygues Telecom Caraïbe doit, pour trouver des distributeurs indépendants qualifiés et disposant d’un emplacement attractif, sur de petits territoires, faire des efforts bien supérieurs à ceux qu’il aurait besoin de fournir dans des conditions de concurrence normale; (…) dès lors, le développement de Bouygues Telecom Caraïbe sur le marché antillo-guyanais, et notamment son développement d’un réseau commercial bénéficiant de certains emplacements de premier ordre, ne peut être considéré comme témoignant de la faible portée des clauses d’exclusivité incriminées, mais comme une illustration des «efforts biens supérieurs à ceux qu’il aurait besoin de fournir dans des conditions de concurrence normale» entrepris par l’opérateur;

(…) ce verrouillage a affecté directement les consommateurs finaux puisque les clauses d’exclusivité figurant dans les contrats de distribution conclus entre Orange Caraibe et ses distributeurs indépendants ont généralisé une distribution monomarque dans la zone Antilles-Guyane en privant ainsi lesdits consommateurs des avantages -prix, qualité d’une distribution multimarque ;

(…) les modalités juridiques du monomarquisme en faisaient une réalité difficilement surmontable par les concurrents, puisque: -le fournisseur Orange Caraïbe était en situation de monopole à l’époque de la mise en place de la clause puis en position ultra-dominante par la suite avec 82 % de parts de marché; -le fournisseur concerné bénéficiait d’avantages très importants liés à son appartenance au groupe de l’opérateur historique France Telecom en position dominante sur les marchés connexes de la téléphonie fixe et de l’Internet; -le seul concurrent d’Orange Caraïbe était arrivé sur le marché cinq ans après lui et souffrait de ce fait d’un handicap pour attirer les clients et pour développer son réseau de distribution; -la durée de l’exclusivité était indéterminée puisqu’elle s’appliquait pendant toute la durée du contrat de distribution lui-même à durée indéterminée; -la portée de l’exclusivité était encore renforcée par le fait que le distributeur s’interdisait de participer à une autre société qui distribuerait un concurrent;

(…) de fait: -les ventes réalisées par les distributeurs indépendants liées à une obligation d’exclusivité représentaient une part très importante (82%) des ventes; -les barrières à l’entrée sur le marché étaient très élevées s’agissant de la mise en place d’un réseau de distribution efficace qui constitue une opération longue, difficile et coûteuse; -seul un très faible nombre de distributeurs d’Orange Caraïbe a pu effectivement distribuer les services de Bouygues Telecom Caraïbe, cette distribution multimarque ayant d’ailleurs rapidement cessé;

(…) en deuxième lieu, s’agissant des justifications des pratiques avancées par la société Orange Caraïbe, (…) si le monomarquisme peut potentiellement produire des effets vertueux, sa mise en place et son maintien par un opérateur en position de monopole de fait sur un marché de dimension limitée a eu, en l’espèce, pour conséquence d’ériger des barrières artificielles à l’entrée;

(…) en outre, Orange Caraïbe n’avait pas à craindre et ne peut se réclamer à titre de fait justificatif, du parasitisme de ses aménagements en boutique et de promotion de ses services, précisément parce que l’exclusivité la garantissait contre ce risque; (…) d’ailleurs, ces investissements ont été faibles (0,6 p. 100 du résultat net de la période considérée), en sorte que la rigueur de cette exclusivité et l’effet de verrouillage qui en résultait étaient largement disproportionnés;

(…) en troisième lieu, sur la nécessité économique du«monomarquisme », (…) des entreprises en position dominante peuvent se défendre ou contester le caractère éventuellement abusif d’une pratique en démontrant qu’elle est objectivement justifiée ou qu’elle est source d’efficacité au profit des consommateurs, mais qu’il faut alors, que l’exclusivité soit nécessaire et proportionnée à l’objectif poursuivi; que les gains d’efficacité qu’elle génère, en partie au bénéfice des consommateurs, soient supérieurs à l’atteinte à la concurrence qu’elle peut créer;

(…) en l’espèce, les investissements invoqués par Orange Caraïbe ont trait à la promotion de la marque et des services d’Orange (investissements de 250 000 à 600000 euros pour les années 2002 et 2003 et de l’ordre de 35 000 à 50 000 euros pour l’année 2004 au titre de la mise en place de la marque Orange, présentation et mise en valeur des services Orange Caraïbe pour 140 000 euros pour deux campagnes en 2001 et 2004 et participation à la réalisation d’une opération promotionnelle spéciale pour 143000 euros) ; (…) en revanche, Orange Caraïbe ne démontre pas avoir réalisé des investissements importants dans le service de conseil au consommateur;

en quatrième et dernier lieu, sur le lien de causalité entre la position dominante d’Orange Caraïbe et les dysfonctionnements prétendus du marché, il a été répondu par la cour aux allégations de la société Orange Caraïbe relatives au verrouillage du marché et aux erreurs, réelles ou supposées, de Bouygues Telecom Caraïbes ;

(…)

B52 -Clauses Réparateurs (entente verticale avec Cetelec Caraïbes; grief n°2)

(…) il est reproché à la société Orange Caraïbe de «s’être entendue avec Cétélec Caraïbe par la signature de contrats envisageant des obligations d’exclusivité et de non concurrence interdisant ce dernier d’assurer des services de réparation et de maintenance pour tout concurrent de l’opérateur. Une telle pratique (…) a eu pour objet et pour effet de limiter la concurrence effective et potentielle entre les opérateurs de téléphonie mobile de la zone Antilles-Guyane, notamment depuis l’arrivée de Bouygues Telecom Caraïbe sur le marché en décembre 2000 jusqu’à la suppression de ces restrictions en janvier 2005 » ;

(…)

la nécessité devant laquelle Bouygues Telecom Caraïbe s’est trouvée, faute de pouvoir offrir à ses abonnés des prestations de maintenance dans la zone Antilles-Guyane, d’envoyer les «terminaux » défectueux en métropole a généré des délais de réparation notablement plus longs que ceux garantis par Orange Caraïbe, ce qui était une source d’insatisfaction pour sa clientèle et a entraîné des coûts supplémentaires; (…) cet avantage a d’ailleurs été mis en avant par Orange Caraibe vis à vis des clients;

(…) l’exclusivité, qui a effectivement été opposée à Bouygues Telecom Caraïbes puisque toute négociation entre elle et Cétélec a échoué, a eu pour effet de rendre impossible pour le nouvel entrant le bénéfice d’un service local de maintenance, d’engendrer une dégradation de l’image de marque de Bouygues Telecom Caraïbes et d’accroître directement ou indirectement les coûts de réparation, incluant l’envoi en métropole et la mise à disposition, très longue à amortir, d’un parc de «terminaux » de remplacement pour les clients en panne; (…) ainsi les barrières à l’entrée créées par l’exclusivité de maintenance ont donc été non seulement techniques mais aussi économiques;

(…) sur la justification économique de cette pratique, les restrictions imposées par l’exclusivité n’étaient pas indispensables pour atteindre les objectifs poursuivis puisqu’Orange Caraïbe pouvait mettre en place son service de réparation sans imposer une exclusivité, et que parallèlement Cétélec se serait passée volontiers d’une clause commercialement dangereuse; (…) en conséquence les pratiques reprochées ne peuvent bénéficier des dispositions du 1-2 de l’article L. 420-4 du code de commerce;

(…) s’agissant du lien de causalité entre la pratique et les effets constatés, la dégradation de l’image de marque de tout nouvel entrant et l’augmentation des coûts pour les concurrents démontrent que l’exclusivité a bien eu un lien de cause à effet entre la pratique et les effets d’éviction constatés;

(…)

B55 Effet de club (différenciation tarifaire entre les appels on-net et les appels off-net ; grief n° 5)

(…) il a encore été reproché à Orange Caraibe « ( … ) d’avoir abusé de sa position dominante sur le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane en pratiquant une discrimination tarifaire injustifiée entre les appels à destination de son réseau (on net) et ceux à destination des autres opérateurs (et notamment de Bouygues Telecom Caraïbe). Une telle pratique ( … ) a eu pour objet et pour effet de conforter la position d’Orange Caraïbe en rendant artificiellement plus difficile l’accès et le développement d’entreprises concurrentes, notamment depuis l’arrivée de Bouygues Telecom Caraïbe sur le marché en décembre 2000 jusqu’à sa suppression au printemps 2005» ;

(…)

il a été répondu précédemment (§ A-4-3) sur les éléments nouveaux que l’Autorité aurait indûment introduit dans la discussion et sur la requalification juridique à laquelle elle se serait illégalement livrée;

(…) au fond, pour qu’une pratique de différenciation tarifaire soit considérée comme abusive, il est nécessaire qu’elle ait un objet ou un effet anticoncurrentiel ; (…) une pratique discriminatoire devient abusive dès lors que (i) le traitement différencié des opérateurs ne repose sur aucune justification économique objective, (ii) les acheteurs sont dans une situation équivalente et (iii) elle crée un désavantage dans la concurrence ;

(…) ayant posé ces principes, il faut encore constater que: Orange Caraïbe détenait plus de 80 p. 100 du parc de clients, en sorte que la même proportion d’appels potentiels de son client-type était dirigée vers ses autres clients « on net» et 20 p. 100 seulement vers les clients des opérateurs concurrents « off net» ; les appels «on net» étaient significativement moins chers que les appels «off net» (entre 53 et 70 p. 100 d’écart, en sorte que le client-type était incité à privilégier les appels «on net» et à contracter avec l’opérateur dominant pour bénéficier des tarifs les plus bas vers le plus grand nombre d’abonnés;

(…) s’agissant de la justification de cette pratique, elle ne serait possible que si les coûts de terminaison d’appels, facturés par l’opérateur du réseau de l’appelé à l’opérateur du réseau de l’appelant, étaient plus élevés pour les appels sortant du réseau que pour les appels intraréseau ; (…) en l’espèce, tel n’était pas le cas;

(…) agissant des effets, s’ils ne peuvent être quantifiés isolément, ils sont certains car un mécanisme de club anticoncurrentiel apparaît lorsque l’avantage qu’un consommateur tire d’un produit ou d’un service augmente avec le nombre de personnes qui consomme le même produit ou le même service (voir document OCDE); (…) cet effet se trouve renforcé en cas d’asymétrie forte des parts de marché entre les opérateurs et de différenciation tarifaire importante entre les appels «on net» et les appels « off net» ; (…) ces caractéristiques sont réunies en l’occurrence, ainsi qu’il a été dit; qu’en somme, l’attractivité du réseau Orange Caraïbe confortait ainsi sa position dominante;

(…) la pratique incriminée a eu également pour effet de dégrader l’image de Bouygues Telecom Caraïbe, considéré comme un opérateur cher; qu’elle a enfin privé Bouygues Telecom Caraïbe de revenus tirés des appels entrants (la différenciation tarifaire en cause a amené les clients Orange Caraïbe a diminué le nombre et la durée de leurs communications vers Bouygues Telecom Caraïbes générant ainsi des pertes de revenus au titre des charges de terminaison d’appels) ;

(…)

B53 Offres de fidélisation (programme « Changez de mobile» ; grief n°4A)

(…) il a été fait reproche à Orange Caraibe, dans la première branche du grief n°4, «d’avoir abusé de sa position dominante sur le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane en imposant un réengagement de 24 mois pour l’utilisation des points de fidélité du programme « Changez de mobile » du printemps 2002 au printemps 2005 »; ( … ) De telles pratiques ( … ) ont eu pour objet et pour effet de conforter la position d’Orange Caraïbe en rendant artificiellement plus difficile l’accès et le développement d’entreprises concurrentes, notamment depuis l’arrivée de Bouygues Telecom Caraïbe sur le marché en décembre 2000 et d’Outremer Telecom en 2005, sans qu’elles puissent être justifiées à suffisance par des contreparties au bénéfice aux consommateurs et/ou au marché ;

(…)

la pratique concernée est une gratification accordée à un client en contrepartie d’un engagement de ce dernier pour l’avenir, et non pas seulement une récompense pour une fidélité passée; (…) ce


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