Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 février 2020
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 130 F-D
Pourvoi n° P 18-24.188
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 FÉVRIER 2020
M. W… T…, domicilié […] , a formé le pourvoi n° P 18-24.188 contre l’arrêt rendu le 28 juin 2018 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (8e chambre A), dans le litige l’opposant :
1°/ à la société N… K…, société civile professionnelle, dont le siège est […] , prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société Sud coquillages marée,
2°/ à M. A… C…, domicilié […] ,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de M. T…, après débats en l’audience publique du 7 janvier 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 28 juin 2018), que la société Sud coquillages marée, qui était dirigée par M. T…, a bénéficié, le 23 juillet 2012, d’une procédure de sauvegarde, convertie en liquidation judiciaire le 25 mars 2013, la société N… K… étant désignée liquidateur ; que ce dernier a assigné M. T… en responsabilité pour insuffisance d’actif ;
Attendu que M. T… fait grief à l’arrêt de le condamner au titre de l’insuffisance d’actif alors, selon le moyen, que la responsabilité du dirigeant de droit ou de fait au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée en cas de simple négligence dans la gestion de la société ; que ce principe édicté par l’article L. 651-2 du code de commerce issu de la loi du 9 décembre 2016 est immédiatement applicable aux procédures collectives en cours et aux instances en responsabilité en cours ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé l’article L. 651-2, alinéa 1er du code de commerce ;
Mais attendu que si c’est à tort que l’arrêt retient que la loi du 9 décembre 2016 écartant la responsabilité pour insuffisance d’actif en cas de simple négligence dans la gestion de la société n’était pas applicable en la cause, il n’encourt pas pour autant la censure dès lors qu’il relève que M. T… a adopté une politique de fuite en avant en constituant une trésorerie par le non-règlement ou l’allongement des délais de paiement des fournisseurs et le non-paiement des dettes sociales et fiscales, qu’il n’a prêté aucune attention à la gestion des comptes clients, prorogeant les délais de paiement sans effectuer les relances qui s’imposaient, qu’il a eu recours, de manière croissante, à des prestations facturées par une société dont il était également le dirigeant et qu’il a participé à une distribution de dividendes contraire à l’intérêt social ; que ces constatations et appréciations font ressortir que les fautes reprochées à M. T… ne constituaient pas que de simples négligences dans la gestion de la société ; que le moyen est inopérant ;
Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen, qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. T… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six février deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour M. T….
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d’AVOIR déclaré recevable l’appel interjeté par la SCP N…-K… ès-qualités de mandataire liquidateur de la liquidation judiciaire de la SA Sud Coquillages Marée, contre le jugement rendu le 18 septembre 2017 par le tribunal de commerce de Fréjus et d’AVOIR, en conséquence, condamné M. T… au paiement de la somme de 400.000 € au titre de l’insuffisance d’actif à la SCP N… K…, ès-qualités de mandataire liquidateur de la liquidation judiciaire de la SA Sud Coquillages Marée ;
AUX MOTIFS QUE l’article L.651-2 du code de commerce applicable en matière d’action en responsabilité, au 25 mars 2013, stipulait : « Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à raison de l’activité d’un entrepreneur individuel à responsabilité limitée à laquelle un patrimoine est affecté, le tribunal peut, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l’insuffisance d’actif. La somme mise à sa charge s’impute sur son patrimoine non affecté. L’action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire. Les sommes versées par les dirigeants ou l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée entrent dans le patrimoine du débiteur. Elles sont réparties au marc le franc entre tous les créanciers. Les dirigeants ou l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée ne peuvent pas participer aux répartitions à concurrence des sommes au versement desquelles ils ont été condamnés. » ; que la loi nº2016-1691 du 9 décembre 2016 a jouté à la fin du premier alinéa de cet article la formule suivante : « Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée » ; que l’article 2 pose le principe selon lequel la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a pas d’effet rétroactif ; qu’en conséquence, la loi du 9 décembre 2016, et donc la disposition de l’article L.651-2 du code de commerce afférente à la négligence du dirigeant social dans la gestion de sa société, est sans application à la situation juridique dont les effets ont été consommés sous l’empire de l’ordonnance nº2010-1512 du 9 décembre 2010, texte en vigueur au 25 mars 2013 ; que l’article L.651-2 du code de commerce modifié par la loi du 9 décembre 2016 ne comporte aucune disposition dérogatoire à la règle ordinaire de la non-rétroactivité et qu’il est de jurisprudence constante qu’il ne peut y avoir de rétroactivité tacite même si la loi nouvelle est susceptible d’intéresser l’ordre public ; qu’en conséquence, c’est par une interprétation erronée du principe posé par l’article 2 du code civil que le tribunal de commerce de Fréjus, aux termes du jugement entrepris, a déclaré irrecevable l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif de la SCP N…-K…, ès-qualités, à l’encontre de A… C… et W… T…; que le jugement querellé sera d’autant plus infirmé sur ce point qu’il expose, dans sa motivation, que l’action dont s’agit est recevable avant de la déclarer irrecevable dans son dispositif, tout en statuant sur le fond du litige ;
ALORS QUE la responsabilité du dirigeant de droit ou de fait au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée en cas de simple négligence dans la gestion de la société ; que ce principe édicté par l’article L. 651-2 du code de commerce issu de la loi du 9 décembre 2016 est immédiatement applicable aux procédures collectives en cours et aux instances en responsabilité en cours ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé l’article L. 651-2, alinéa 1er du code de commerce.
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d’AVOIR condamné M. T… au paiement de la somme de 400 000 € au titre de l’insuffisance d’actif à la SCP N…-K…, ès-qualités de mandataire liquidateur de la liquidation judiciaire de la SA Sud Coquillages Marée ;
AUX MOTIFS D’UNE PART QUE W… T… a été désigné président du conseil d’administration de la SA Sud Coquillages Marée à compter du 16 avril 2009 et jusqu’en novembre 2012, date à laquelle il a été remplacé par A… C…, la SA Sud Coquillages Marée ayant été rachetée par la SARL I… le 25 mai 2012 ; Attendu qu’il ressort de l’état des créances nées avant le jugement d’ouverture de la procédure collective qu’il avait été déclaré un total non définitif de créances à hauteur de 3 284 520,17 € (pièce nº21 de l’appelante) ; que selon la SCP N…-K…, dans le cadre de la conversion de la procédure de sauvegarde en liquidation judiciaire, le passif a donné lieu à vérification et est désormais définitivement admis pour un montant de 1 667 259,26 € alors que le total de l’actif réalisé se monte à 177 281,88 € ; que cependant les données chiffrées relatives aux créances ainsi énoncées ne sont étayées par aucun document que l’appelante verse aux débats de sorte que la Cour n’est pas en situation d’exercer un contrôle sur le véritable état des créances en question ; que la seule pièce fournie est afférente à un document du mandataire liquidateur faisant référence à un total de créances d’un montant de 3 284 520,17 € dont 864 710,76 € admis à titre définitif et 2 419 809,41 € contesté ; qu’en revanche, le montant de l’actif réalisé, tel que chiffré par la SCP N…-K… n’est contesté ni dans son principe, ni dans son quantum par les intimés et se retrouve détaillé dans les écritures groupées par compte financier et par compte analytique tenus par l’appelante et versées aux débats (pièces nº21 et nº22) ; que, cependant, à la lecture du compte analytique de la SA Sud Coquillages Marée, il apparaît que l’actif réalisé correspond à une somme de 179 781,88 €, se composant en réalité du montant : -des créances recouvrées par l’administrateur provisoire : 47 917,60 € ; -des créances recouvrées postérieurement au virement de l’administrateur provisoire : 46 942,51 € ; -du prix de cession du fonds de commerce ou du droit au bail : 60 000,00 € ; -du prix de vente du mobilier : 2 500,00 € ; -des versements effectués par le débiteur : 22 421,77 € ; qu’ainsi, il résulte de la comparaison entre le passif définitif de la SA Sud Coquillages Marée susceptible d’être retenu par la Cour, soit 854 710,76 €, et l’actif réalisé, soit 179 781,88 €, une insuffisance d’actif d’un montant de 674 928,88€ ; qu’il convient de rappeler que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif à l’encontre des dirigeants de la société en liquidation judiciaire est indépendante de l’état de santé financière de la société et se justifie soit dans les fautes de gestion commises par les dirigeants , soit dans des abus de biens sociaux dont ceux-ci se seraient rendus coupables ; qu’il importe peu, dès lors que la SA Sud Coquillages Marée n’ait pas été en état de cessation de paiement au 23 juillet 2012 pour apprécier si les dirigeants sociaux successifs ont pu commettre des fautes de gestion, durant la période où ils exerçaient leurs responsabilités et si lesdites fautes de gestion ont contribué à l’insuffisance d’actif qui a été précédemment constaté ; qu’en conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a déclaré l’état d’insuffisance d’actif de la SA Sud Coquillages Marée non démontré ;
1°) ALORS QUE le juge ne peut méconnaître les termes du litige dont il est saisi et qui résulte des prétentions respectives des parties ; qu’en l’espèce, pour contester l’existence d’une insuffisance d’actif, M. T… avait expressément contesté le montant de l’ actif, tel que chiffré par la SCP N…-K…, ès qualités (conclusions d’appel p. 5), faisant notamment valoir qu’un élément d’actif non négligeable constitué par la clientèle de la société Sud Coquillages Marée avait été détourné par M. I…, ce dont il convenait de tenir compte pour établir une éventuelle insuffisance d’actif ; que dès lors, en retenant que « le montant de l’actif réalisé, tel que chiffré par la SCP N…-K… n’est contesté ni dans son principe, ni dans son quantum par les intimés », quand, précisément, M. T… avait soulevé une contestation de ce chef, la cour d’appel, qui a dénaturé les conclusions de ce dernier, a méconnu les termes du litige , en violation de l’article 4 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS D’AUTRE PART QUE conformément à l’article L.3232-12 du code de commerce, c’est par décision d’une assemblée générale des actionnaires de la SA Sud Coquillages Marée, qu’il a été décidé , le 28 septembre 2011, une distribution de dividendes à hauteur de 215 000 € ; que W… T… fait valoir que, dès lors qu’une telle décision relève du pouvoir du conseil d’administration, elle ne peut lui être imputée comme une faute de gestion personnelle et d’autre part que la somme litigieuse, comparée au chiffre d’affaires annuel réalisé en 2011, soit 6 141 725 €, n’est pas déraisonnable et n’a pas pu contribuer à l’insuffisance d’actif ; mais que pour l’exercice 2011, les capitaux propres étaient de -175 813 € et donc inférieurs à la moitié du capital social de sorte que, aux termes de l’article L.232-11 alinéa 3 du code de commerce qui stipule « Hors le cas de réduction du capital, aucune distribution ne peut être faite aux actionnaires lorsque les capitaux propres sont ou deviendraient à la suite de celle-ci inférieurs au montant du capital augmenté des réserves que la loi ou les statuts ne permettent pas de distribuer », il ne pouvait être procédé à une distribution de dividendes ; qu’en 2011, les capitaux propres étaient devenus négatifs à concurrence de -175 813 €, ce qui n’était pas de nature à redouter l’existence d’une insuffisance d’actif (Cass. Com. 24 mai 2018, nº de pourvoi : 17.10.117) ; qu’en permettant à l’assemblée générale des actionnaires de statuer sur cette question et en laissant se concrétiser une distribution de dividendes, W… T… a commis, par abstention, une faute de gestion qui lui est personnellement imputable en sa qualité de président du conseil d’administration, responsable de la direction générale de la société, chargé de rendre compte dans un rapport devant rendre compte de l’ensemble des procédures mises en place afin de prévenir et de maîtriser les risques pour l’entreprise résultant de son activité et au premier chef, de procéder à une distribution de dividendes, si tant est qu’elle soit possible, alors que la santé financière de l’entreprise la rend non pertinente ; que la distribution de dividendes entraîne un décalage de trésorerie au niveau du résultat net qui ne correspond presque jamais à la trésorerie réellement encaissée ; qu’or, les dividendes sont des éléments qui sont effectivement décaissés et qui mettent en péril la trésorerie ; qu’en l’espèce, la trésorerie se situant à – 271 075 €, la distribution de dividendes a nécessairement contribué à accroître l’insuffisance d’actif constaté à hauteur de 125 000€ ; que doit être retenue à l’encontre de W… T… une faute de gestion caractérisée par une distribution illégale, et en tout cas contraire à l’intérêt social, de dividendes à hauteur de 125 000 € et ce , dans son intérêt personnel ou dans celui de la SARL […] , société familiale dont il était le gérant ; qu’il résulte de l’ensemble des éléments développés l’existence de plusieurs fautes de gestion directement imputables à W… T…, accomplies dans le dessein de servir son intérêt personnel ou celui d’une société à caractère familial, dont il détenait une part du capital social et où il exerçait les fonctions de gérant et ce, au détriment de l’intérêt social de la SA Sud Coquillages Marée, toutes fautes de gestion ayant contribué directement, par les conséquences de leur commission, à l’insuffisance d’actif de cette dernière ; qu’en conséquence, il convient d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la SCP N…-K…, agissant ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SA Sud Coquillages Marée de son action en responsabilité pour insuffisance d’actif dirigée contre W… T…, de déclarer ladite action recevable et bien fondée et de condamner de ce chef W… T… à verser à la SCP N…-K…, ès-qualités, la somme de 400 000 € ;
2°) ALORS QUE M. T… avait expressément soutenu que la « distribution » de dividendes litigieuse s’était « seulement et exclusivement traduite par un jeu d’écritures comptables au crédit du compte de la société T… dans les livres de la société Sud Coquillages Marée » (conclusions p. 7) de sorte qu’elle n’avait pas pu avoir pour effet de grever la trésorerie de cette dernière ; que pour accueillir l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif dirigée contre M. T…, la cour d’appel a retenu que celui-ci a laissé se concrétiser une distribution de dividendes, que les dividendes sont « effectivement décaissés » et que cette distribution « a nécessairement contribué à accroître l’insuffisance d’actif » ; qu’en statuant de la sorte, sans répondre au chef de conclusions tiré de l’absence de distribution effective et ainsi déterminant en ce qu’il était de nature à établir l’absence de tout lien de causalité entre le manquement imputé et l’insuffisance d’actif allégué, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile.
ECLI:FR:CCASS:2020:CO00130