Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Basse-Terre, 28 avril 2014), statuant en matière de référé, que Mme Marie-Claude X…, épouse Y…, en sa qualité d’héritière de Mme Monique X…, laquelle était actionnaire minoritaire de la société anonyme X… frères, a contesté les conditions dans lesquelles leur frère, M. Roger X…, avait apporté à cette société, en contrepartie d’actions, un fonds de commerce qu’il avait reçu en héritage par acte transactionnel de partage ; qu’envisageant de rechercher la responsabilité de M. A…, commissaire aux apports, et des intervenants à cette opération ainsi que l’annulation de la délibération de l’assemblée générale ayant approuvé cet apport, elle a demandé en référé la désignation d’un expert sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ;
Sur le premier moyen :
Attendu que Mme Y… fait grief à l’arrêt de confirmer l’ordonnance par laquelle le juge des référés s’est déclaré incompétent pour connaître du litige l’opposant à M. A… et a renvoyé les parties devant le tribunal de grande instance alors, selon le moyen :
1°/ que les tribunaux de commerce connaissent des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux, de celles relatives aux sociétés commerciales et de celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes ; qu’en se déclarant incompétente aux seuls motifs insuffisants que le commissaire aux comptes et aux apports n’a pas la qualité de commerçant, n’effectue aucun acte de commerce et effectue une activité purement civile à titre individuel, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article L. 721-3 du code de commerce ;
2°/ que les tribunaux de commerce connaissent des contestations relatives aux sociétés commerciales ; qu’après avoir constaté que le litige portait sur la valeur d’un apport en nature à une société commerciale qui avait été approuvé par l’assemblée générale extraordinaire litigieuse en date du 7 juillet 2006 sur la base du rapport défaillant établi par M. A… en date du 16 juin précédent, la cour d’appel, qui avait ainsi constaté l’existence d’une contestation relative à une société commerciale, ne pouvait se déclarer incompétente sauf à méconnaître la portée légale de ses propres constatations en méconnaissance de l’article L. 721-3 du code de commerce ;
Mais attendu qu’ayant constaté que la demande d’expertise tendait à engager la responsabilité de M. A…, en sa qualité de commissaire aux comptes et aux apports, en raison de l’évaluation qu’il avait faite des éléments d’actifs apportés par l’un des associés, la cour d’appel a exactement retenu que l’action de Mme Y…, bien que le litige portât sur la valeur d’un apport en nature à une société commerciale, ne relevait pas de la compétence du tribunal de commerce ; que le moyen n’est pas fondé ;
Et sur le second moyen :
Attendu que Mme Y… fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande d’expertise alors, selon le moyen :
1°/ qu’en considérant qu’aucun motif légitime n’aurait justifié la confirmation de la mission de l’expert ordonnée en première instance tendant à évaluer l’apport du fonds de commerce litigieux à la société X… frères dès lors que la demanderesse et son ayant cause auraient accepté une valeur unitaire de 605, 565 euros par titre dans le cadre de l’acceptation du protocole transactionnel en date des 13 et 20 octobre 2005 tandis que cette valeur unitaire litigieuse était en réalité insérée dans le contrat d’apport conclu uniquement par M. Roger X… et la société X… frères et dont la demanderesse n’était pas partie, la cour d’appel a méconnu le sens, pourtant clair et précis, des documents de la cause en méconnaissance de l’article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que la cour d’appel ne pouvait, sans se contredire en méconnaissance des obligations de motivation qui s’évincent de l’article 455 du code de procédure civile, considérer qu’aucun motif légitime n’aurait justifié la confirmation de la mission de l’expert ordonnée en première instance tendant à examiner les modalités de convocation des actionnaires à l’assemblée générale de la société X… frères du 6 juillet 2006, notamment les doubles des lettres de convocation et des accusés de réception ainsi que les éléments d’information transmis, et simultanément puiser la prétendue régularité de la convocation litigieuse en se fondant sur les vérifications personnelles réalisées par l’expert ;
Mais attendu que sous le couvert des griefs infondés de dénaturation et contradiction de motifs, le moyen ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine, par les juges du fond, de l’existence d’un motif légitime, au sens de l’article 145 du code de procédure civile, d’ordonner la mesure d’instruction sollicitée ; que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme Y… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. Hervé X…, M. Jean-Luc X…, M. Roger X…, Mme Sandrine X…, la société Caraïbes Agricoles (Socaag), la société X… et fils (Sodaf), la société X… frères la somme globale de 1 500 euros, à M. A… la somme de 1 500 euros et à la SELAS Segard Carboni la somme de 1 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre novembre deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour Mme Y…
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR dit que le juge des référés du tribunal mixte de commerce de POINTE-A-PITRE n’a pas compétence pour connaître du litige opposant Marie-Claude Z… à Monsieur Silvère A… et renvoyé les parties devant le tribunal de grande instance de VERSAILLES, de l’avoir condamnée à payer à M. Roger X…, Messieurs Hervé et Jean Luc X…, Mme Sandrine X… et les sociétés SA X… FRERES, SOCAAG et SODAF, une somme globale de 5. 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « l’action en vue de Mme Z… tend à voir engager la responsabilité du commissaire aux comptes et apports, M. Silvère A…, laquelle ne relève pas de la compétence du tribunal de commerce, bien que le litige porte sur la valeur d’un apport en nature à une société commerciale ; Que c’est à juste titre que le premier juge a retenu la compétence de la juridiction de droit commun, en l’occurrence le tribunal de grande instance de Versailles, en se fondant sur la nature libérale de la profession de M. A… et même si ce dernier était appelé aux côtés des associés d’une société commerciale ; Qu’en effet, la solution est la même s’agissant d’une action en référé expertise, le juge des référés n’étant compétent que dans la limite de la compétence du tribunal » ;
AUX MOTIFS ADOPTES QU’« aux termes de l’article 721-3 du Code de commerce, les tribunaux de commerce connaissent des contestations relatives aux sociétés commerciales ; que la demande d’expertise in futurum tend à engager la responsabilité de Monsieur Silvère A… demeurant à CHATOU, en sa qualité de commissaire aux comptes et de commissaire aux apports ; que ce dernier n’a pas la qualité de commerçant, n’effectue aucun acte de commerce, effectue une activité purement civile à titre individuel ; qu’il convient de renvoyer le litige opposant la demanderesse à Silvère A… devant le Tribunal de grande instance de Versailles » ;
ALORS, de première part, QUE les tribunaux de commerce connaissent des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux, de celles relatives aux sociétés commerciales et de celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes ; qu’en se déclarant incompétente aux seuls motifs insuffisants que le commissaire aux comptes et aux apports n’a pas la qualité de commerçant, n’effectue aucun acte de commerce et effectue une activité purement civile à titre individuel, la Cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article L721-3 du Code de commerce ;
ALORS, de seconde part, QUE les tribunaux de commerce connaissent des contestations relatives aux sociétés commerciales ; qu’après avoir constaté que le litige portait sur la valeur d’un apport en nature à une société commerciale qui avait été approuvé par l’assemblée générale extraordinaire litigieuse en date du 7 juillet 2006 sur la base du rapport défaillant établi par Monsieur Silvère A… en date du 16 juin précédent, la Cour d’appel, qui avait ainsi constaté l’existence d’une contestation relative à une société commerciale, ne pouvait se déclarer incompétente sauf à méconnaître la portée légale de ses propres constatations en méconnaissance de l’article L721-3 du Code de commerce ;
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR dit n’y avoir lieu à expertise et d’avoir renvoyé Mme Z… à mieux se pourvoir et de l’avoir condamnée à payer à M. Roger X…, Messieurs Hervé et Jean Luc X…, Mme Sandrine X… et les sociétés SA X… FRERES, SOCAAG et SODAF, une somme globale de 5. 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens ;
AUX MOTIFS QU’« aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ; Que saisi d’une demande d’expertise in futurum, le juge doit s’assurer qu’elle est sollicitée en vue d’une action dont le fondement est suffisamment déterminé et qui n’est pas manifestement vouée à l’échec ; Que Mme Z…, demanderesse à la demande d’expertise, indique qu’elle envisage une action en responsabilité des différents intervenants à l’opération d’apport du fonds de commerce et notamment celle du commissaire aux apports sur le fondement de l’article L. 225-8 du code de commerce et l’annulation desdits actes dans le cadre de l’apport pour fraude ou abus de majorité ; Que M. Roger X… et ses enfants répondent qu’il n’y a pas de motif légitime justifiant la mesure d’instruction sollicitée, que les valeurs et conditions de l’apport ont été fixées dans le protocole transactionnel accepté par Mme Z… et Mme Monique X…, dans le cadre du partage de la succession de leur aïeul commun ; Que le magistrat des référés a rejeté cette argumentation au motif que la valeur du fonds de commerce apportée à la société X… FRERES a été fixée dans le protocole transactionnel mais qu’elle est distincte de la valeur des actions de cette dernière données en rémunération dudit apport ; Que cependant, le protocole transactionnel (en son article 7- rémunération de l’apport) prévoit également la valeur unitaire de l’action SA X… FRERES à attribuer en contrepartie de l’apport en nature, en l’occurrence une valeur unitaire de 605, 565 euros par titre, soit 2. 803 actions émises à ce prix en contrepartie ; Que Mme Z…, copartageante, a accepté ces valeurs fixées à titre forfaitaire et transactionnel, de même que Mme Monique D., aux droits de laquelle elle vient aujourd’hui ; Qu’elle ne peut dès lors contester à postériori lesdites valeurs retenues dans l’acte de partage transactionnel et dans le contrat d’apport, entérinées par l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la SA X… FRERES, en date du 6 juillet 2006, soit dans le délai prévu par le protocole de partage susmentionné ; Que Mme Z… ne justifie pas d’un motif légitime pour justifier une expertise de la valeur des actions de la société X… FRERES au moment de l’apport litigieux ; Qu’elle soutient par ailleurs que cette délibération est intervenue en fraude des droits de l’actionnaire minoritaire, ce qui permettrait l’annulation de l’augmentation de capital ; Qu’en effet, la résolution d’une assemblée d’actionnaires prise contrairement à l’intérêt social et dans l’unique dessein de favoriser des membres de la majorité au détriment de membres de la minorité peut être annulée sur le fondement de la fraude aux droits des minoritaires ou de l’abus de majorité ; Que se pose le problème de la régularité de la convocation de l’actionnaire minoritaire, aux droits de laquelle vient Mme Z…, à ladite assemblée générale extraordinaire ; Que cependant, la SA X… FRERES justifie avoir convoqué à deux reprises par lettre recommandée, Mme Monique X… ; Qu’en effet, suite à l’absence de quorum à la première assemblée, Mme Monique X… a été convoquée par lettre recommandée du 15 juin 2006 à une seconde assemblée générale extraordinaire du 6 juillet 2006. Qu’elle a été avisée le 5 juillet de ladite lettre, qu’elle n’a pas réclamée et qui a été retournée à l’expéditeur, la société X… FRERES ; Que d’ailleurs, Mme Z… a également été informée par lettre simple de ladite assemblée, bien qu’elle n’était pas actionnaire mais en tant que chargée des affaires de sa soeur Monique ; Que cette dernière, bien que régulièrement convoquée, ne s’est pas présentée lors de ladite assemblée pour son droit préférentiel de souscription à l’augmentation de capital ; Que ladite opération a été approuvée à l’unanimité des actionnaires présents ou représentés, après rapport du commissaire aux apports et lors d’une assemblée générale extraordinaire régulièrement convoquée ; Qu’en conséquence, l’action en annulation de ladite opération par ses ayants droit n’a pas un fondement déterminé suffisant pour justifier d’un motif à la désignation de l’expert commis avec la mission susmentionnée ; Que dès lors, le magistrat des référés commerciaux n’a pas caractérisé l’existence d’un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, et sa décision sera réformée ; Qu’il n’y a pas lieu à expertise et Mme Z… sera déboutée de sa demande »
ALORS, de première part, QU’en considérant qu’aucun motif légitime n’aurait justifié la confirmation de la mission de l’expert ordonnée en première instance tendant à évaluer l’apport du fonds de commerce litigieux à la société X… FRERES dès lors que l’exposante et son ayant cause auraient accepté une valeur unitaire de 605, 565 euros par titre dans le cadre de l’acceptation du protocole transactionnel en date des 13 et 20 octobre 2005 tandis que cette valeur unitaire litigieuse était en réalité insérée dans le contrat d’apport conclu uniquement par Monsieur Roger X… et la société X… FRERES et dont l’exposante n’était pas partie, la Cour d’appel a méconnu le sens, pourtant clair et précis, des documents de la cause en méconnaissance de l’article 455 du Code de procédure civile ;
ALORS, de seconde part, QUE la Cour d’appel ne pouvait, sans se contredire en méconnaissance des obligations de motivation qui s’évincent de l’article 455 du Code de procédure civile, considérer qu’aucun motif légitime n’aurait justifié la confirmation de la mission de l’expert ordonnée en première instance tendant à examiner les modalités de convocation des actionnaires à l’assemblée générale de la société X… FRERES SA du 6 juillet 2006, notamment les doubles des lettres de convocation et des accusés de réception ainsi que les éléments d’information transmis, et simultanément puiser la prétendue régularité de la convocation litigieuse en se fondant sur les vérifications personnelles réalisées par l’expert ;
ECLI:FR:CCASS:2015:CO01012