Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 7 juin 2013), que par acte du 31 mai 1991, M. Ludovic X… a consenti un bail commercial sur des locaux lui appartenant à la société Moulin à huile Alzieri, devenue la société Néolive ; que le contrat, renouvelé ensuite, contenait un pacte de préférence au bénéfice du locataire, lui conférant le droit de devenir acquéreur des biens immobiliers loués dans le cas où le bailleur déciderait de les vendre au cours du bail, et prévoyant que ce pacte s’imposerait à tous les bailleurs successifs, sauf en cas de cession à titre onéreux aux successibles en ligne directe des bailleurs ; que, le 20 avril 2007, M. Ludovic X… étant décédé, ses enfants et héritiers, M. André X… et Mme Paule X…, ont fait apport en nature du bien loué à la société civile immobilière Moulin 318 (la SCI) dont ils sont devenus associés à parts égales ; que le 7 août 2007, Mme Paule X… a cédé la totalité de ses parts sociales à Mme Anne X…, fille de M. André X… ; que la société Néolive s’est prévalue du pacte de préférence pour demander l¿annulation de la cession ;
Attendu que la société Néolive fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande alors, selon le moyen :
1°/ que le bénéficiaire d’un pacte de préférence est en droit d’exiger l’annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d’obtenir sa substitution à l’acquéreur à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu’il a contracté, de l’existence du pacte de préférence et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir ; que cette solution est applicable à tous les mécanismes conventionnels de préférence ou de préemption, notamment aux cessions de parts sociales ou d’actions ; qu’en l’espèce, la cession litigieuse portait sur des parts de la SCI, propriétaire d’un tènement immobilier de sorte que le pacte de préférence conférant au preneur le droit de devenir acquéreur des biens immobiliers loués devait recevoir application ; qu’en conséquence, en décidant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil ;
2°/ que le juge ne peut statuer par voie de simple affirmation ; qu’en se bornant à affirmer que « la cession de parts sociales d’une société constitue une opération immobilière et ne peut relever du pacte de préférence » sans expliquer en quoi la vente de parts sociales d’une SCI constituée par apport en nature d’un bien immobilier n’était pas soumise au pacte de préférence, la cour d’appel a en toute hypothèse statué par voie de simple affirmation et a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que le bail du 31 mai 1991 instituait un pacte de préférence au profit du locataire en précisant que « ce pacte de préférence s’applique à tous les bailleurs successifs, mais ne s’applique pas en cas de cession à titre onéreux aux successibles en ligne directe desdits bailleurs » ; qu’il résultait de cette clause claire et précise que le pacte de préférence était écarté dans la seule hypothèse où le successible en ligne directe du (ou des) bailleur(s) devenait cessionnaire à titre onéreux des droits de celui-ci ; qu’une telle stipulation excluait, en cas d’indivision, que l’un des bailleurs puisse céder à titre onéreux au successible en ligne directe d’un autre bailleur pour ainsi faire échec au pacte de préférence ; qu’en conséquence, en affirmant que « le pacte de préférence n’exige pas, pour qu’il puisse être écarté, que le cédant vende ses droits à son propre successible », la cour d’appel a dénaturé la clause du bail précité, en violation de l’article 1134 du code civil ;
4°/ que le juge est tenu d’examiner les pièces régulièrement versées aux débats par les parties ; que la société Néolive avait fait valoir qu’elle avait manifesté son intention d’acquérir les parts de la SCI avant l’assignation puisque les parties avaient toujours discuté le prix d’acquisition de l’immeuble, ces discussions ayant été à l’origine de la demande de report de l’expertise en 2005 ; qu’elle avait, à cet égard, versé aux débats un certain nombre de lettres échangées entre les parties révélant l’existence de négociations sur le prix d’achat des murs ainsi que le rapport d’expertise de M. Y… qui indiquait que la mesure d’instruction avait été ralentie en raison de ces discussions ; qu’en n’examinant pas ces éléments de preuve de nature à établir que la société Néolive avait manifesté son intention d’acquérir et, partant, la fraude entre Mme Paule X… et Mme Anne X…, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu’après avoir constaté que l’apport du bien loué à la SCI n’est pas contesté, et relevé que la cession des parts représentant le capital d’une société constitue une opération mobilière qui ne relève pas du pacte de préférence, l’arrêt retient que la cession des parts s’est opérée au profit de Mme Anne X…, qui est successible en ligne directe de M. André X…, son père, et que le pacte litigieux n’exige pas, pour qu’il puisse être écarté, que le cédant vende ses droits à son propre successible ; que la cour d’appel, qui n’avait pas à effectuer une recherche que ses constatations rendaient inopérantes, et qui n’a pas dénaturé la clause litigieuse, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Néolive aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à M. André X…, Mme Anne X…, épouse Z…, Mme Paule X…, épouse A…, M. Michel X… et la société civile immobilière Moulin 318 la somme globale de 3 000 euros et rejette sa demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un octobre deux mille quatorze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour la société Néolive
Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR débouté la société NEOLIVE de ses demandes tendant à voir dire la cession de parts sociales du 7 août 2007 nulle et de nul effet et, à défaut, en prononcer l’annulation pour non-respect du pacte de préférence et tendant à lui donner acte que, conformément au pacte de préférence, elle offrait d’acquérir les parts concernées de la société MOULIN 318 numérotées de 1001 à 2000 moyennant le prix principale de 1.000 ¿ ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE l’apport du bien loué en société n’est pas contesté ; que le pacte de préférence s’applique à la vente des biens immobiliers loués ; qu’or, la cession de parts sociales d’une société constitue une opération mobilière et ne peut relever du pacte de préférence ; que certes, la société NEOLIVE argue de la fraude de la famille X… qui aurait selon elle constitué la SCI MOULIN 318 pour contourner ce pacte de préférence ; mais que la fraude ne se présume pas et il incombe à celui qui l’invoque de la prouver ; qu’après le décès de M. Ludovic X…, le bien loué s’est trouvé en indivision entre M. André X… et Mme Paule X… et l’apport par ceux-ci de ce bien à une société civile immobilière qu’ils constituaient, s’analyse une opération normale destinée à faciliter son exploitation et à diminuer les aléas résultant de l’indivision ; que certes, la proximité de temps entre l’apport de l’immeuble à la SCI MOULIN 318 (20 avril 2007) et la cession de parts sociales de Mme Paule X… à Mme Anne X… (7 août 2007) constitue un indice fort que cette cession était déjà envisagée lors de cet apport, aucun événement survenant dans ce délai et pouvant l’expliquer n’étant invoqué ; mais que cela ne suffit pas à démontrer la fraude ; qu’en effet, la clause de préférence doit s’interpréter comme exprimant la volonté des parties de conserver le bien dans la famille, le preneur d’alors étant parent du bailleur et c’est pour cela qu’elle exclut son jeu en cas de vente aux successibles en ligne directe des bailleurs ; qu’après l’apport en société, la SCI MOULIN 318 est devenue le bailleur mais il convient de considérer que les successibles de celui-ci sont ceux de ses membres c’est à dire de M. André X… et de Mme Paule X… ; qu’or, la cession des parts s’est opérée au profit de Mme Anne X… qui est successible en ligne directe de M. André X…, son père ; que si elle n’est pas successible de la cédante, Mme Paule X…, sa tante, elle l’est de l’un des bailleurs et le pacte de préférence n’exige pas, pour qu’il puisse être écarté, que le cédant vende ses droits à son propre successible ; qu’au surplus, le même jour (7 août 2007) de ses parts par Mme Paule X… à Mme Anne X…, M. André X… a fait donation à celle-ci de 500 parts sociales ; que cela corrobore que l’apport de l’immeuble à la SCI MOULIN 318 n’a pas été faite pour éluder le pacte de préférence mais pour réorganiser les biens indivis ; que dès lors, la confirmation du jugement attaqué s’impose ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE le contrat du 31 mai 1991 n’institue un droit de préférence au profit du preneur que dans l’hypothèse d’une cession des biens immobiliers donnés à bail ; qu’en l’espèce, l’acte critiqué du 7 août 2007 ne réalise pas la cession des biens immobiliers au sein desquels est exploité le fonds mais celle des parts sociales de madame Paule X… épouse A… dans le capital de la société Moulin 318, dont l’actif comporte non seulement les locaux à usage commercial mais également la maison à usage d’habitation ; qu’en outre, la société NEOLIVE ne rapporte pas la preuve d’un concert frauduleux entre madame Paule X… épouse A… et madame Anne X… épouse Z…, ni même éventuellement avec la société Moulin 318 en vue de faire échec au pacte de préférence dont elle bénéficie, étant notamment précisé qu’elle ne justifie pas avoir fait connaître son intention d’acquérir les parts de la société Moulin 318 avant l’assignation ;
1°) ALORS QUE le bénéficiaire d’un pacte de préférence est en droit d’exiger l’annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d’obtenir sa substitution à l’acquéreur à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu’il a contracté, de l’existence du pacte de préférence et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir ; que cette solution est applicable à tous les mécanismes conventionnels de préférence ou de préemption, notamment aux cessions de parts sociales ou d’actions ; qu’en l’espèce, la cession litigieuse portait sur des parts de la SCI Moulin 318, propriétaire d’un tènement immobilier de sorte que le pacte de préférence conférant au preneur le droit de devenir acquéreur des biens immobiliers loués devait recevoir application ; qu’en conséquence, en décidant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil ;
2°) ALORS QUE le juge ne peut statuer par voie de simple affirmation ; qu’en se bornant à affirmer que « la cession de parts sociales d’une société constitue une opération immobilière et ne peut relever du pacte de préférence » sans expliquer en quoi la vente de parts sociales d’une SCI constituée par apport en nature d’un bien immobilier n’était pas soumise au pacte de préférence, la cour d’appel a en toute hypothèse statué par voie de simple affirmation et a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE le bail du 31 mai 1991 instituait un pacte de préférence au profit du locataire en précisant que « ce pacte de préférence s’applique à tous les bailleurs successifs, mais ne s’applique pas en cas de cession à titre onéreux aux successibles en ligne directe desdits bailleurs » ; qu’il résultait de cette clause claire et précise que le pacte de préférence était écarté dans la seule hypothèse où le successible en ligne directe du (ou des) bailleur(s) devenait cessionnaire à titre onéreux des droits de celui-ci ; qu’une telle stipulation excluait, en cas d’indivision, que l’un des bailleurs puisse céder à titre onéreux au successible en ligne directe d’un autre bailleur pour ainsi faire échec au pacte de préférence ; qu’en conséquence, en affirmant que « le pacte de préférence n’exige pas, pour qu’il puisse être écarté, que le cédant vende ses droits à son propre successible », la cour d’appel a dénaturé la clause du bail précité, en violation de l’article 1134 du code civil
4°) ALORS QU’ENFIN le juge est tenu d’examiner les pièces régulièrement versées aux débats par les parties ; que la société NEOLIVE avait fait valoir (conclusions d’appel du 8 août 2011 p. 8) qu’elle avait manifesté son intention d’acquérir les parts de la société Moulin 318 avant l’assignation puisque les parties avaient toujours discuté le prix d’acquisition de l’immeuble, ces discussions ayant été à l’origine de la demande de report de l’expertise en 2005 ; qu’elle avait, à cet égard, versé aux débats un certain nombre de lettres échangées entre les parties révélant l’existence de négociations sur le prix d’achat des murs ainsi que le rapport d’expertise de monsieur Y… qui indiquait que la mesure d’instruction avait été ralentie en raison de ces discussions ; qu’en n’examinant pas ces éléments de preuve de nature à établir que la société NEOLIVE avait manifesté son intention d’acquérir et, partant, la fraude entre madame Paule X… et madame Anne X…, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile.
ECLI:FR:CCASS:2014:CO00929