Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 21 juin 2016, 15-10.438, Inédit

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Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 21 juin 2016, 15-10.438, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 19 septembre 2014), qu’ayant conclu, le 4 mars 2004, avec la société Guyapat, un contrat de distribution sélective pour un point de vente situé à Cayenne, la société Rolex France (la société Rolex), a résilié ce contrat par lettre du 22 mai 2008 ; qu’estimant répondre aux conditions d’agrément, la société Guyapat l’a assignée en exécution de ses commandes des 2 septembre 2008 et 22 avril 2009 et en réparation de ses préjudices ;

Attendu que la société Guyapat fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes alors, selon le moyen :

1°/ que si la loi n° 96-588 du 1er juillet 1996 sur la loyauté et l’équilibre des relations commerciales, dite loi « Galland », qui a réformé l’ordonnance du 1er décembre 1986, a abrogé la prohibition générale du refus de vente entre professionnels, les pratiques discriminatoires demeurent réprimées, en particulier lorsqu’il s’agit de vérifier si les critères de distribution sélective constituent des pratiques restrictives de concurrence ; qu’en déboutant la société Guyapat de sa demande tendant à voir constater que la société Rolex France, en tant que fournisseur de montres de luxe, s’était rendue coupable à son égard de pratiques discriminatoires restrictives de concurrence, motifs pris que « la discrimination n’est plus interdite en droit commercial », la cour d’appel a violé, par refus d’application, l’article L. 420-1 du code de commerce ;

2°/ que le refus du fournisseur d’approvisionner le distributeur qui, après la rupture du contrat de distribution, continue de répondre aux conditions d’agrément, peut constituer une pratique discriminatoire restrictive de concurrence et une entente illicite prohibée ; que l’égalité de traitement entre les distributeurs est une condition de licéité du réseau de distribution sélective, qui s’apprécie au regard des motifs concrets de refus d’agrément que le promoteur du réseau est tenu de faire connaître ; qu’en considérant que la société Rolex France n’avait pas à justifier du refus opposé à la société Guyapat d’exécuter les commandes, en se contentant de relever qu’il n’était pas démontré que cette pratique nuisait au bon fonctionnement du marché et avait pour conséquence de porter atteinte de manière sensible à la concurrence, sans vérifier si cette pratique procédait d’une application non discriminatoire des critères de sélection objectifs à l’égard de la société Guyapat, qui réunissait toutes les conditions d’agrément, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 420-1 du code de commerce ;

3°/ qu’en retenant, pour débouter la société Guyapat de ses demandes, qu’il n’était pas démontré que la pratique de la société Rolex France nuisait au bon fonctionnement du marché et avait ainsi pour conséquence de porter atteinte de manière sensible à la concurrence, cependant qu’il incombait à la société Rolex France, qui a refusé d’exécuter les commandes de la société Guyapat, qui n’a jamais cessé de réunir les conditions d’agrément, d’établir que le choix des distributeurs revendeurs s’opérait de façon concrète, selon des critères objectifs opposables à tous, sans discrimination entre les commerçants candidats à l’adhésion au réseau de distribution et spécialement à l’égard de la société Guyapat, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve et violé les articles 1315 du code civil et L. 420-1 du code de commerce ;

4°/ que le bénéfice de l’exemption par catégorie prévue par le règlement de la commission n° 330/2010 est subordonné à la réunion de plusieurs conditions, parmi lesquelles celle que le fournisseur ne dépasse pas une part de marché de 30 % sur le marché où il vend les produits et que le distributeur ne dépasse pas, de son côté, une part de marché de 30 % sur le marché où il achète les produits et celle tenant à une application non discriminatoire des critères de sélection ; qu’en retenant que société Rolex France bénéficiait de l’exemption automatique du règlement communautaire n° 330/2010 et n’avait en conséquence pas l’obligation de répondre à la nouvelle demande d’agrément de la société Guyapat ni à sa demande de fourniture de montres, au seul motif qu’elle détenait une part de marché inférieure à 30 %, sans évaluer la part de marché détenue par la société Guyapat, ni vérifier que le refus de l’approvisionner n’était pas discriminatoire, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 du code de commerce et 10 du règlement UE de la commission n° 330/2010 du 20 avril 2010 ;

Mais attendu qu’ayant relevé que la société Rolex avait résilié le contrat sans se référer au défaut de respect des conditions d’agrément par le distributeur mais afin de réorganiser son réseau de distribution, comme elle en avait la possibilité, et que la société Guyapat ne rapportait pas la preuve d’une entente sur le marché de l’horlogerie de luxe et de prestige, la cour d’appel, abstraction faite de l’application erronée du règlement n° 330/2010 de la commission du 20 avril 2010 qui n’était pas entré en vigueur, et des motifs surabondants visés à la première branche, a pu en déduire, sans inverser la charge de la preuve, que le refus opposé à la société Guyapat n’était pas discriminatoire ; que le moyen, inopérant en ses première et quatrième branches, n’est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Guyapat aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 3000 euros à la société Rolex France et rejette sa demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour la société Guyapat

Il est fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué d’avoir débouté la société Guyapat de sa demande tendant à voir dire que la société Rolex France ne pouvait refuser d’exécuter les commandes passées par la société Guyapat, qui satisfaisait objectivement aux critères d’agrément prévus par le contrat de distribution sélective Rolex, à enjoindre en conséquence à la société Rolex France, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, d’exécuter les commandes qu’elle lui a adressées le 2 septembre 2008 et le 22 avril 2009, et à condamner la société Rolex France à lui verser la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial occasionné par le refus prolongé d’exécuter ces commandes ;

AUX MOTIFS QUE sur l’existence d’une discrimination, la société Guyapat expose qu’exclue du réseau de distribution Rolex, elle a, par courrier du 3 juin 2009 demandé à la société Rolex France son intégration dans le réseau de distribution sélective ; que la société Rolex France n’a pas jugé utile de répondre à cette demande et ce, bien que le promoteur du réseau soit tenu de faire connaître les motifs concrets de son refus d’agrément, l’égalité de traitement entre les distributeurs étant une condition de licéité du réseau de distribution sélective au regard de l’interdiction des ententes ; que lorsque la société Rolex France a mis fin au contrat de distribution avec la société Guyapat en 2008, le fait que la société Guyapat n’aurait plus satisfait à un ou plusieurs des critères d’agrément du réseau n’a jamais été évoqué ; que le fournisseur est dans l’obligation de continuer à approvisionner le distributeur si ce dernier répond aux conditions d’agrément sinon il adopte un comportement discriminatoire à l’égard d’un opérateur économique, et par le fait même transforme son réseau en entente illicite ; Considérant que la société ROLEX FRANCE répond que le refus de vente ne constitue plus une faute depuis la loi du 1er juillet 1996 sauf s’il résulte d’une entente, d’un abus de position dominante, d’un abus de droit ou de la mise en oeuvre d’une pratique restrictive visée à l’article L 442-6 du code de commerce ; que la loi du 4 août 2008 dite de modernisation de l’économie a mis fin à l’interdiction des discriminations en tant que pratique restrictive de concurrence ; que les distributeurs agréés remplissent tous les mêmes critères, appliqués de façon identique ; que compte tenu de sa part de marché, elle n’est pas en mesure de pouvoir fournir tous les candidats à son réseau de distribution sous peine de le désorganiser ; qu’elle conserve la prérogative d’accorder ou non des agréments sans que ses motivations puissent être contestées ; que la société GUYAPAT ne conteste pas la régularité du contrat de distribution mais dénonce une pratique discriminatoire à son égard ; que cependant, la loi du 4 août 1996 a supprimé l’interdiction des pratiques discriminatoires à compter de son entrée en vigueur soit le 4 août 1996 ; qu’outre le fait que la discrimination, n’est plus interdite en droit commercial, la société ROLEX qui a une part de marché inférieure à 30% bénéficie en conséquence de l’exemption automatique du règlement n° 330/2010 de la commission du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 10, paragraphe 3 du traité de fonctionnement du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées ; que la société ROLEX FRANCE a résilié le contrat sans avoir à donner de motifs et qu’elle a été sanctionnée uniquement pour ne pas avoir respecté un préavis suffisant ; qu’elle n’a jamais invoqué que la société GUYAPAT ne remplissait pas les conditions pour obtenir l’agrément ; que la résiliation résulte de sa volonté de réorganiser son réseau de distribution ce qui relève de son choix personnel dès lors qu’il n’est pas démontré que cette pratique nuit au bon fonctionnement du marché et a pour conséquence de porter atteinte de manière sensible à la concurrence ; que la société Guyapat demeure libre de vendre des produits concurrents de ceux de la marque ROLEX ; que le nombre de marques fabriquant de l’horlogerie de luxe et de prestige est conséquent ; que l’appelante ne rapporte pas la preuve d’une entente de nature à affecter le fonctionnement concurrentiel du marché de l’horlogerie de luxe et de prestige au vu des dispositions de l’article L 420-1 du code de commerce ; qu’en raison de sa part de marché inférieure à 30%, la société ROLEX FRANCE n’avait pas l’obligation de répondre à la nouvelle demande d’agrément de la société GUYAPAT ni à sa demande de fourniture de montres alors même qu’elle venait de mettre fin au contrat de distribution sélective et qu’elle était fondée à limiter voire à réduire le nombre de ses distributeurs sans avoir à se justifier ; que la société GUYAPAT sera déboutée de sa demande de réparation à ce titre ; que le jugement sera confirmé sur ce point ; qu’une demande de donné acte ne constitue pas une demande en justice ; qu’il n’y a donc pas lieu d’examiner la demande de la société GUYAPAT qui sollicite qu’il lui soit donné acte qu’elle demande à être intégrée au réseau Rolex en sa qualité de distributeur agréé pour la Guyane française ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE tout d’abord GUYAPAT affirme répondre aux critères imposés par le contrat de distribution sélective de ROLEX France pour devenir distributeur agréé, mais ne le prouve pas ; qu’ensuite en demandant au tribunal de faire injonction sous astreinte à ROLEX France de livrer du matériel à GUYAPAT, cela revient à imposer cette dernière comme distributeur agrée ; que la Cour de Cassation a jugé dans un arrêt de principe du 26 janvier 1999 que les tribunaux ne peuvent ordonner l’agrément forcé, ni une injonction de satisfaire une commande dans la mesure où le refus de vente entre professionnels ne constitue plus une faute civile (Loi du 01/7/1999) ; qu’enfin la liberté de contracter que GUYAPAT remet en cause, est un principe constitutionnel constamment affirmé par les juridictions ; qu’en conséquence de ces constatations le tribunal dira que ROLEX France ne s’est pas livré à des pratiques anticoncurrentielles a l’égard de la Sté GUYAPAT, et déboutera celle-ci de ses demandes de ce chef ;

1°) ALORS QUE si la loi n° 96-588 du 1er juillet 1996 sur la loyauté et l’équilibre des relations commerciales, dite loi « Galland », qui a réformé l’ordonnance du 1er décembre 1986, a abrogé la prohibition générale du refus de vente entre professionnels, les pratiques discriminatoires demeurent réprimées, en particulier lorsqu’il s’agit de vérifier si les critères de distribution sélective constituent des pratiques restrictives de concurrence ; qu’en déboutant la société Guyapat de sa demande tendant à voir constater que la société Rolex France, en tant que fournisseur de montres de luxe, s’était rendue coupable à son égard de pratiques discriminatoires restrictives de concurrence, motifs pris que « la discrimination n’est plus interdite en droit commercial », la cour d’appel a violé, par refus d’application, l’article L. 420-1 du code de commerce ;

2°) ALORS QUE le refus du fournisseur d’approvisionner le distributeur qui, après la rupture du contrat de distribution, continue de répondre aux conditions d’agrément, peut constituer une pratique discriminatoire restrictive de concurrence et une entente illicite prohibée ; que l’égalité de traitement entre les distributeurs est une condition de licéité du réseau de distribution sélective, qui s’apprécie au regard des motifs concrets de refus d’agrément que le promoteur du réseau est tenu de faire connaître ; qu’en considérant que la société Rolex France n’avait pas à justifier du refus opposé à la société Guyapat d’exécuter les commandes, en se contentant de relever qu’il n’était pas démontré que cette pratique nuisait au bon fonctionnement du marché et avait pour conséquence de porter atteinte de manière sensible à la concurrence, sans vérifier si cette pratique procédait d’une application non discriminatoire des critères de sélection objectifs à l’égard de la société Guyapat, qui réunissait toutes les conditions d’agrément, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 420-1 du code de commerce ;

3°) ALORS QU’en retenant, pour débouter la société Guyapat de ses demandes, qu’il n’était pas démontré que la pratique de la société Rolex France nuisait au bon fonctionnement du marché et avait ainsi pour conséquence de porter atteinte de manière sensible à la concurrence, cependant qu’il incombait à la société Rolex France, qui a refusé d’exécuter les commandes de la société Guyapat, qui n’a jamais cessé de réunir les conditions d’agrément, d’établir que le choix des distributeurs revendeurs s’opérait de façon concrète, selon des critères objectifs opposables à tous, sans discrimination entre les commerçants candidats à l’adhésion au réseau de distribution et spécialement à l’égard de la société Guyapat, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve et violé les articles 1315 du code civil et L. 420-1 du code de commerce ;

4°) ALORS QUE le bénéfice de l’exemption par catégorie prévue par le Règlement de la commission n° 330/2010 est subordonné à la réunion de plusieurs conditions, parmi lesquelles celle que le fournisseur ne dépasse pas une part de marché de 30 % sur le marché où il vend les produits et que le distributeur ne dépasse pas, de son côté, une part de marché de 30 % sur le marché où il achète les produits et celle tenant à une application non discriminatoire des critères de sélection ; qu’en retenant que société Rolex France bénéficiait de l’exemption automatique du règlement communautaire n° 330/2010 et n’avait en conséquence pas l’obligation de répondre à la nouvelle demande d’agrément de la société Guyapat ni à sa demande de fourniture de montres, au seul motif qu’elle détenait une part de marché inférieure à 30 %, sans évaluer la part de marché détenue par la société Guyapat, ni vérifier que le refus de l’approvisionner n’était pas discriminatoire, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 du code de commerce et 10 du règlement UE de la commission n° 330/2010 du 20 avril 2010.

ECLI:FR:CCASS:2016:CO00589


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