Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Joint les pourvois respectivement formés par les sociétés Total Outre-mer, Total Réunion, Chevron Products Company et Esso société anonyme française (Esso SAF) sous les n° R 13-16.764, S 13-16.765, V 13-16.745 et Y 13-16.955, qui attaquent le même arrêt ;
Donne acte à la société Chevron Products Company du désistement de son pourvoi au profit du procureur général près la cour d’appel de Paris, de la Société des pétroles Shell et des sociétés Total Outre-mer, Total Réunion et Esso SAF ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 28 mars 2013), rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 1er mars 2011, pourvois n° 09-72.655, 09-72.657, 09-72.705, 09-72.894, 09-72.830, Bull. 2011, IV, n° 29), que, saisie par la société Air France, l’Autorité de la concurrence (l’Autorité) a, par une décision n° 08-D-30 du 4 décembre 2008, dit qu’il est établi que les sociétés Total Outre-mer, Total Réunion, Chevron Global Aviation aux droits de laquelle vient la société Chevron Products Company (la société Chevron), Shell SPS (la société Shell) et Esso SAF (la société Esso) ont enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du Traité CE devenu l’article 101 TFUE, en faussant la concurrence entre elles lors de l’appel d’offres organisé par la société Air France en 2002 pour la fourniture en carburéacteur de son escale à La Réunion et leur a infligé des sanctions pécuniaires ;
Sur les premiers moyens des pourvois n° R 13-16.764, S 13-16.765, V 13-16.745 et Y 13-16.955, rédigés pour partie en termes identiques, réunis :
Attendu que les sociétés Total Outre-mer, Total Réunion, Chevron et Esso font grief à l’arrêt de dire recevable l’intervention de la société Air France alors, selon le moyen :
1°/ que les règles du code de procédure civile ne s’appliquent au contentieux des pratiques anticoncurrentielles relevant de l’Autorité de la concurrence qu’en l’absence de dispositions expresses contraires du code de commerce ; que, par dérogation à l’article 954, alinéa 4, du code de procédure civile, il résulte expressément de la combinaison des articles R. 464-12 2° et R. 464-17 du code de commerce, dans leurs rédactions applicables en la cause, que lorsque le recours risque d’affecter les droits ou les charges d’autres personnes qui étaient parties devant l’Autorité, ces personnes peuvent se joindre à l’instance devant la cour d’appel par déclaration écrite et motivée déposée au greffe et que lorsque cette déclaration ne comporte pas les motifs de l’intervention, ceux-ci peuvent être déposés dans les deux mois qui suivent la notification de la décision de l’Autorité, sous peine d’irrecevabilité relevée d’office ; qu’en décidant que la déclaration de la société Air France du 12 février 2009 comportant l’identification de l’intervenante et précisant seulement qu’elle entend solliciter la confirmation de la décision de l’Autorité de la concurrence dont elle approuve les motifs et dont l’annulation ou la réformation risque d’affecter ses droits ou ses charges, était suffisamment motivée, la cour d’appel, qui a implicitement appliqué la règle de procédure civile selon laquelle la partie qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs malgré les dispositions spéciales du code de commerce exigeant que la déclaration d’intervention soit elle-même écrite et spécialement motivée dans un délai précis à peine de nullité, ce qui excluait toute motivation par simple référence approbative à la décision déférée, a violé les textes susvisés ;
2°/ que les dispositions du titre IV du livre II du code de procédure civile, au nombre desquelles figure l’article 954, alinéa 4, d’après lequel « la partie qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs », sont sans application dans le contentieux de la répression des pratiques anticoncurrentielles ; qu’il résulte de la combinaison des articles R. 464-12, 2° et R. 464-17 du code de commerce, dans leur rédaction applicable en la cause, que lorsque le recours exercé à l’encontre d’une décision de l’Autorité de la concurrence risque d’affecter les droits ou les charges d’autres personnes qui étaient parties devant l’Autorité, ces personnes peuvent se joindre à l’instance devant la cour d’appel par déclaration écrite et motivée déposée au greffe et que lorsque cette déclaration ne comporte pas les motifs de l’intervention, ceux-ci peuvent être déposés dans les deux mois qui suivent la notification de la décision de l’Autorité, sous peine d’irrecevabilité relevée d’office ; qu’en jugeant que la simple formule de style par laquelle la société Air France, intervenante devant la cour d’appel de Paris, avait sollicité la confirmation de la décision frappée de recours, se bornant à déclarer que « le conseil a fait une exacte appréciation des circonstances de fait au regard des textes applicables en la cause, la société Air France se réservant de préciser ultérieurement les moyens à l’appui de son intervention », pouvait tenir lieu de motivation puisque les motifs de la décision de l’Autorité étaient connus de toutes les requérantes, la cour d’appel, qui a par là implicitement appliqué les dispositions de l’article 954, alinéa 4, du code de procédure civile, au mépris des dispositions expresses contraires des articles R. 464-12, 2° et R. 464-17 du code de commerce, a violé les textes susvisés, ensemble l’article R. 464-10 du même code ;
3°/ que lorsque le recours risque d’affecter les droits ou les charges d’autres personnes qui étaient parties devant l’Autorité, ces personnes peuvent se joindre à l’instance devant la cour d’appel par déclaration écrite et motivée déposée au greffe et que lorsque cette déclaration ne comporte pas les motifs de l’intervention, ceux-ci peuvent être déposés dans les deux mois qui suivent la notification de la décision de l’Autorité, sous peine d’irrecevabilité relevée d’office ; que, après avoir constaté que l’intervention de la société Air France ne portait pas d’autre mention qu’une formule de style approuvant de façon abstraite la décision de l’Autorité de la concurrence et que, bien au contraire, elle entendait présenter les moyens venant au soutien de son intervention dans des écritures ultérieures et en tout cas postérieures à l’expiration du délai de deux mois, ce dont il résultait que l’intervention n’était pas motivée dans le délai prescrit, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles R. 464-12, 2° et R. 464-17 du code de commerce, dans leur rédaction applicable en la cause ;
4°/ que la décision du Conseil ou de l’Autorité de la concurrence, autorité administrative, n’est pas un jugement, pas plus que le recours formé à son encontre n’est un appel, de sorte que la faculté offerte aux parties de s’approprier les motifs d’un jugement en en demandant la confirmation dans des conclusions d’appel issue de l’article 954 du code de procédure civile inscrit dans le titre VI du livre II de ce code n’est pas ouverte aux recours soumis aux dispositions des articles R. 464-10 et suivants du code de commerce qui y dérogent expressément ; qu’en admettant que la société Air France ait pu motiver son intervention en se bornant à faire référence aux motifs contenus dans la décision de l’Autorité pour satisfaire aux exigences des articles R. 464-12, 2° et R. 464-17 du code de commerce, la cour d’appel les a violés, ainsi que l’article R. 464-10 du même code ;
Mais attendu qu’ayant relevé, d’un côté, que la déclaration d’intervention de la société Air France se référait expressément à la décision de l’Autorité dont elle sollicitait la confirmation et déclarait approuver la motivation tant en fait qu’en droit, de sorte qu’il ne pouvait être soutenu que sa déclaration d’intervention n’était pas motivée au sens de l’article R. 464-17 du code de commerce, de l’autre, que la réserve contenue dans cette déclaration de la société Air France, relative à la précision ultérieure de « moyens à l’appui de son intervention », ne pouvait être interprétée comme une référence à l’article R. 464-12, 2° du code de commerce, qui ne trouve application que lorsque la déclaration ne comporte pas les motifs de l’intervention, la cour d’appel, qui ne s’est pas référée, fût-ce implicitement, aux dispositions de l’article 954, alinéa 4, du code de procédure civile, a légalement justifié sa décision ; que le moyen, qui ne peut être accueilli en ses première, deuxième et quatrième branches, n’est pas fondé pour le surplus ;
Sur les deuxièmes moyens des pourvois n° R 13-16.764 et S 13-16.765, pris en leurs première, deuxième, troisième, sixième, septième, huitième et neuvième branches, le deuxième moyen du pourvoi n° V 13-16.745 et le deuxième moyen du pourvoi n° Y 13-16.955, rédigés pour partie en termes identiques, réunis :
Attendu que les sociétés Total Outre-mer, Total Réunion, Chevron et Esso font grief à l’arrêt de rejeter leur recours à l’encontre de la décision 08-D-30 du 4 décembre 2008 de l’Autorité alors, selon le moyen :
1°/ que les communications de la Commission européenne et les observations présentées par celle-ci en application de l’article 15 § 3 du règlement n° 1/2003 sont dépourvues de toute valeur contraignante ; qu’en se fondant exclusivement sur la communication de la Commission du 27 avril 2004 définissant « les lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du Traité » et sur des observations présentées devant la Cour de cassation par la Commission européenne en tant qu’amicus curiae dans une affaire distincte, pour en déduire que le droit de l’Union européenne était applicable au présent litige, la cour de renvoi a violé l’article 81 du Traité CE devenu l’article 101 TFUE, ensemble l’article 15 § 3 du règlement n° 1/2003 ;
2°/ que les observations présentées par la Commission européenne en application de l’article 15 § 3 du règlement n° 1/2003 sont dépourvues de toute valeur contraignante ; qu’en affirmant « qu’il doit, en outre, être tenu compte dans le cadre du présent recours, des observations versées aux débats, qui ont été présentées par la Commission européenne en tant qu’ »amicus curiae » à la Cour de cassation dans une affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Chambre commerciale, financière et économique de cette Cour du 31 janvier 2012 (B. 16) », la cour de renvoi qui a expressément conféré une force obligatoire aux observations de la Commission adressées de surcroît dans un litige distinct en fait et en droit, a violé l’article 81 du Traité CE devenu l’article 101 TFUE, ensemble l’article 15 § 3 du règlement n° 1/2003 ;
3°/ qu’en présence d’une entente ne couvrant qu’une partie d’un Etat membre, le caractère sensible de l’affectation du commerce entre Etats membres doit être apprécié en priorité au regard du volume de ventes affecté par la pratique par rapport au volume de ventes global des produits en cause à l’intérieur de cet Etat ; que ce critère ne devient qu’un élément parmi d’autres liés à la nature des pratiques, la nature des produits concernés et la position de marché des entreprises en cause, qu’en l’état de pratiques cumulées d’entente et d’abus de position dominante commises sur une partie seulement d’un Etat membre ; qu’en affirmant, pour considérer que le commerce intracommunautaire avait, en l’espèce, été sensiblement affecté « qu’au vu tant des Lignes directrices ainsi explicitées que de la jurisprudence, il ne peut être soutenu qu’une analyse « multi-critères » ne serait pas nécessaire pour vérifier le caractère sensible de l’affectation du commerce entre Etats membres et ce, que soit en l’état de pratiques cumulées d’entente et d’abus de position dominante commises sur une partie seulement d’un Etat membre ou en l’état, comme en l’espèce, d’une entente ne couvrant qu’une partie d’un tel Etat », la cour de renvoi a violé l’article 81 du Traité CE devenu 101 TFUE ;
4°/ qu’en présence d’une entente ne couvrant qu’une partie d’un Etat membre, le caractère sensible de l’affectation du commerce entre Etats membres doit être apprécié en priorité au regard du volume de ventes affecté par la pratique par rapport au volume de ventes global des produits en cause à l’intérieur de cet Etat ; que ce critère ne devient qu’un élément parmi d’autres liés à la nature des pratiques, la nature des produits concernés et la position de marché des entreprises en cause, qu’en l’état de pratiques cumulées d’entente et d’abus de position dominante commises sur une partie seulement d’un Etat membre ; qu’en retenant que l’entente en cause ne couvrant qu’une partie du département de La Réunion était de nature à affecter sensiblement les échanges intracommunautaires, après avoir constaté que le volume des ventes de carburéacteur affecté par la pratique, réalisé à l’aéroport de la Réunion par les parties pour la période du 1er novembre 2002 au 31 octobre 2003 n’avait représenté que 1,24 % du volume de vente global de carburéacteur en France durant la même période, la cour de renvoi qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article 81 du Traité CE devenu 101 TFUE ;
5°/ qu’en retenant que la superficie de ce département d’outre-Mer « est aussi, voire plus, importante que celle de certains Etats membres de l’Union européenne », après avoir considéré que le caractère sensible de l’affectation du commerce entre Etats membres doit être apprécié au regard de la nature des pratiques, de la nature des produits concernés et de la position de marché des entreprises en cause, la cour de renvoi, qui a statué par des motifs impropres à établir le caractère sensible de l’affectation du commerce entre Etats membres, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 81 du Traité CE devenu 101 TFUE ;
6°/ qu’en tenant compte, pour apprécier le caractère sensible de l’affectation du commerce entre Etats membres d’une entente ne couvrant qu’une partie d’un seul Etat de prétendues spécificités inhérentes aux départements ou territoires d’outre-mer, la cour de renvoi a violé l’article 81 du Traité CE, devenu l’article 101 TFUE ;
7°/ que les observations présentées dans le cadre d’un litige particulier par la Commission européenne en application de l’article 15 § 3 du règlement n° 1/2003 sont dépourvues de force contraignante à l’égard des juridictions de l’Union et ne sauraient a fortiori se voir attribuer une autorité supérieure aux lignes directrices par lesquelles la Commission communique un guide d’interprétation des dispositions des articles 101 et 102 TFUE contribuant au bon fonctionnement du système décentralisé de mise en oeuvre du droit des ententes, tel qu’établi par le règlement n° 1/2003 ; qu’il s’ensuit que les juridictions nationales ne sauraient faire prévaloir les premières sur les secondes sans préciser les motifs qui fondent cette préférence ; que dans ses lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du Traité CE (devenus 101 et 102 TFUE), la Commission a énoncé qu’en l’état d’une entente ne couvrant qu’une partie du territoire d’un Etat membre, « le volume de ventes affecté doit être significatif par rapport au volume de ventes global des produits en cause à l’intérieur de l’Etat membre en cause pour que le commerce soit affecté de manière sensible » ; qu’en décidant néanmoins de faire prévaloir sur ce critère tiré du volume des ventes affectées par les pratiques incriminées rapporté au marché national, pourtant qualifié par les lignes directrices susvisées de « meilleur indicateur de la capacité de l’accord d’affecter sensiblement le commerce entre Etats membres », l’analyse « multicritères » particulièrement floue et imprévisible tardivement préconisée par la Commission dans les observations qu’elle avait délivrées dans le cadre d’un autre litige, sans s’expliquer sur les mérites intrinsèques de chacune de ces deux approches successives au regard des impératifs de sécurité juridique, de prévisibilité et d’effectivité du droit communautaire de la concurrence, ni préciser les raisons d’espèce pour lesquelles l’approche des lignes directrices aurait dû être écartée, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 101 TFUE et 15 § 3 du règlement susvisé, ensemble le principe de sécurité juridique ;
8°/ qu’en l’état d’une entente ne couvrant qu’une partie du territoire d’un Etat membre, le caractère sensible de l’affectation du commerce entre Etats membres doit s’apprécier par priorité au regard du volume de ventes affecté par l’entente par rapport au volume de ventes global des produits en cause à l’intérieur de cet Etat membre ; que ce critère prioritaire ne devient qu’un élément parmi d’autres, tirés de la nature des pratiques et des produits concernés et de la position de marché des entreprises en cause qu’en l’état de pratiques cumulées d’entente et d’abus de position dominante sur une portion du territoire national ; qu’en jugeant néanmoins qu’il ne pouvait être soutenu qu’une analyse « multicritères » ne serait pas nécessaire pour vérifier le caractère sensible de l’affectation du commerce entre Etats membres en l’état d’une entente ne couvrant qu’une partie d’un Etat membre, la cour d’appel a violé l’article 101 TFUE ;
9°/ qu’à supposer même qu’elle ait été fondée à mettre en oeuvre une analyse « multicritères » pour procéder à l’évaluation du caractère sensible de l’affectation du commerce entre Etats membres d’une entente ne couvrant qu’une partie d’un Etat membre, la cour d’appel ne pouvait, sans violer l’article 101 TFUE, tenir pour négligeable la circonstance, relevée par son propre arrêt, que le volume des ventes de carburéacteur à la société Air France affecté par la pratique (volume réalisé à l’aéroport de La Réunion par les parties pour la période du 1er novembre 2002 au 31 octobre 2003) n’avait représenté qu’un pourcentage insignifiant (1,24 %) du volume de ventes global de carburéacteur en France durant la même période ;
10°/ que l’évaluation de la capacité d’un accord d’affecter sensiblement le commerce entre Etats membres doit être menée sur la base d’éléments objectifs de droit ou de fait et ne saurait reposer sur des considérations purement hypothétiques ou spéculatives ; qu’en énonçant que l’entente reprochée aux sociétés pétrolières était « de nature à affecter d’autres entreprises pétrolières également actives sur le territoire de l’Union européenne et susceptibles de chercher à entrer sur le marché de la fourniture de carburant à La Réunion », sans préciser concrètement en quoi la concertation imputée aux sociétés pétrolières au sujet de la détermination des volumes de carburéacteur qu’elles étaient disposées à offrir à la société Air France aurait été, à la supposer établie, de nature à entraver l’accès de ce marché local à d’autres sociétés pétrolières, quand il n’était pas contesté par ailleurs que l’adhésion aux deux groupements d’intérêt économique titulaires des infrastructures essentielles de stockage, de transport et d’avitaillement du carburéacteur sur le territoire de La Réunion était ouverte à toute autre société pétrolière qui en aurait fait la demande, ce qu’attestait l’adhésion de Tamoil, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 101 TFUE ;
11°/ qu’en l’état d’une entente suspectée ne couvrant qu’une partie du territoire d’un Etat membre, le caractère sensible de l’affectation du commerce entre Etats membres ne saurait se déduire de considérations tirées de la dimension des entreprises auxquelles cette entente est imputée, de la « pérennité » du marché local affecté, de sa contribution au désenclavement d’un territoire ultramarin, ni enfin de la superficie du territoire concerné ; qu’en se déterminant au regard de tels éléments, dépourvus de tout rapport avec l’appréciation du caractère sensible de l’affectation du commerce entre Etats membres, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 101 TFUE ;
12°/ que le caractère sensible de l’affectation du commerce entre Etats membres doit, en l’état d’une entente ne couvrant qu’une partie d’un tel Etat, être apprécié en priorité au regard du volume de ventes affecté par la pratique par rapport au volume de ventes global des produits en cause à l’intérieur de cet Etat ; qu’en retenant que le seul fait que le volume des ventes de carburéacteur à la société Air France dit affecté par la pratique (volume réalisé à l’aéroport de La Réunion par les parties pour la période du 1er novembre 2002 au 31 octobre 2003) n’ait représenté que 1,24 % du volume de vente global de carburéacteur en France durant la même période, est insuffisant pour établir que l’accord en cause n’avait pas « la capacité » d’affecter de façon sensible le commerce entre Etats membres, pour finalement n’en tenir effectivement aucun compte, la cour d’appel a violé l’article 101, § 1er TFUE ;
13°/ que les avis délivrés par la Commission en application de l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003 dans le cadre d’un litige déterminé ne peuvent avoir valeur de chose interprétée au regard des textes de l’Union, la Cour de justice de l’Union ayant à cet égard le monopole de l’interprétation s’imposant aux juridictions des Etats membres ; qu’en se fondant, pour déterminer les règles applicables pour apprécier l’effet sensible de l’affectation du commerce entre Etats membres, sur un avis délivré par la Commission en qualité d’amicus curiae en application de l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003 dans le cadre d’un autre litige, la cour d’appel a violé le texte susvisé, ensemble l’article 101, § 1er TFUE ;
14°/ qu’en privilégiant l’avis délivré ponctuellement par la Commission en qualité d’amicus curiae en application de l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003 dans le cadre d’un autre litige, pour refuser de tenir compte du volume des ventes par rapport au marché national posé comme critère au paragraphe 90 des lignes directrices, par rapport à ces lignes directrices d’interprétation, d’application générale publiées au Journal officiel de l’Union européenne qui, au contraire, précisent que « la part de marché national à laquelle l’accès est interdit doit être important » (§ 90, in fine), la cour d’appel a violé le principe de sécurité juridique et de transparence, ensemble l’article 101 TFUE ;
15°/ que la position dominante d’une entreprise sur un marché affaiblit nécessairement le degré de concurrence par cette seule position, ce qui est de nature à tempérer la portée des critères quantitatifs applicables lorsque doivent être appréciés ensemble des faits d’entente conjugués à l’exploitation abusive d’une position dominante ; qu’en s’appuyant sur l’avis de la Commission délivré à l’occasion d’un litige dans lequel étaient poursuivis des faits d’entente et d’abus de position dominante et qui faisait au demeurant de l’application de l’article 102 TFUE relatif aux abus de domination un des fondements de son interprétation, sans rechercher si cette interprétation était pertinente et devait prévaloir lorsque seuls des faits d’entente étaient poursuivis, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article 101 TFUE ;
16°/ que le caractère sensible de l’affectation du commerce entre Etats membres s’apprécie par rapport aux critères tirés du volume des ventes sur le marché local concerné par les pratiques par rapport au volume des ventes globales des produits à l’intérieur de l’Etat membre concerné, posé par les lignes directrices et au demeurant non exclu par la Commission dans son avis litigieux, ainsi que la nature de l’accord ou de la pratique, la nature des produits concernés et la position de marché des entreprises en cause, les parts de marchés, ainsi que le volume, en terme de chiffres d’affaires, des produits concernés par l’accord ; qu’en se fondant sur la « taille mondiale » des entreprises, le caractère potentiellement attractif de l’appel d’offres de la société Air France, la pérennité du marché, la superficie de l’île de La Réunion par rapport à celle de certains Etats de l’Union et l’enclavement de cette île, la cour d’appel, qui en a déduit le caractère sensible de l’affectation du commerce entre Etats membres, s’est déterminée sur des éléments inopérants et étrangers en tous points aux critères posés par les lignes directrices, privant ainsi sa décision de base légale au regard du principe de sécurité juridique, ensemble l’article 101, § 1er TFUE ;
Mais attendu, en premier lieu, que, loin d’attribuer force contraignante à la communication de la Commission n° 2004C 101/07, JOUE du 27 avril 2004, intitulée « Lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81et 82 du Traité » (ci-après les lignes directrices), comme aux observations éventuellement présentées devant une juridiction nationale par la Commission européenne en application de l’article 15 du règlement n° 1/2003, l’arrêt retient, d’un côté, que le critère d’affectation du commerce intracommunautaire, qui conditionne l’application de l’article 81 du Traité CE devenu 101 TFUE, a été explicité par les juridictions communautaires, que les lignes directrices ont notamment pour objet d’exposer les principes dégagés par ces juridictions et qu’elles présentent, pour la notion d’affectation du commerce, une méthodologie à laquelle s’est référée à juste titre la décision critiquée, de l’autre, qu’il doit être également tenu compte des observations présentées par la Commission européenne en tant qu’amicus curiae à la Cour de cassation dans l’instance ayant donné lieu à l’arrêt de la chambre commerciale, financière et économique de cette Cour le 31 janvier 2012 (pourvois n° 10-25.882, 10-25.872 et 10-25.775), enfin, que le critère de l’affectation du commerce est un critère autonome du droit communautaire qu’il convient d’apprécier séparément dans chaque cas et qu’il en résulte que l’analyse ne peut être menée par analogie avec d’autres décisions rendues dans des situations qui ne sont pas en tous points identiques ;
Attendu, en second lieu, qu’après avoir rappelé que l’appréciation du caractère sensible de l’affectation du commerce entre Etats membres dépend des circonstances de chaque espèce et, notamment, de la nature de l’accord ou de la pratique, de la nature des produits concernés et de la position de marché des entreprises en cause, et s’agissant des accords ne couvrant qu’une partie d’un Etat membre, du volume de ventes affectées par la pratique par rapport au volume de ventes global des produits en cause à l’intérieur de cet Etat, et relevé que, dans ses observations précitées, présentées en tant qu’amicus curiae, la Commission européenne a précisé que les lignes directrices ne pouvaient être interprétées comme permettant l’exclusion automatique et a priori du champ d’application des articles 101 et 102 TFUE de certains territoires de l’Union ou de certaines pratiques, l’arrêt retient qu’au vu des lignes directrices ainsi explicitées et de la jurisprudence, il ne peut être soutenu qu’une analyse multicritères ne serait pas nécessaire pour vérifier le caractère sensible de l’affectation du commerce entre Etats membres et ce, que ce soit en l’état de pratiques cumulées d’entente et d’abus de position dominante commises sur une partie seulement d’un Etat membre ou en l’état d’une entente ne couvrant qu’une partie d’un Etat membre, et que le seul fait que le volume des ventes de carburéacteur à la société Air France dit affecté par la pratique n’ait représenté que 1,24 % du volume de ventes global de carburéacteur en France durant la même période, est insuffisant pour établir que l’accord en cause n’avait pas la « capacité » d’affecter de façon sensible le commerce entre Etats membres ; qu’il ajoute, par motifs propres et adoptés, que les compagnies pétrolières sont des entreprises de taille mondiale qui ont des activités dans l’Union européenne, les entreprises en cause étant soit des « filiales aviation » de ces groupes pétroliers, soit leurs filiales locales chargées de vendre du kérosène dans la zone concernée, les chiffres d’affaires cumulés des entreprises sanctionnées s’élevant, pour la seule vente de carburéacteur, à 16 milliards d’euros ; qu’il relève encore que l’entente reprochée à ces entreprises était de nature à affecter d’autres entreprises pétrolières également actives sur le territoire de l’Union européenne et susceptibles de chercher à entrer sur le marché de la fourniture de carburant à La Réunion, étant observé que le marché du carburéacteur à La Réunion, qui représentait pour les années en cause un chiffre d’affaires d’environ 50 millions d’euros dont 22 millions pour le seul appel d’offres de la société Air France, n’était pas insignifiant et pouvait donc être attractif, qu’il s’agit d’un marché pérenne dès lors que, pour les vols directs pour la métropole qui constituent la majorité des vols, il n’existe pas d’autre possibilité pour les compagnies aériennes que de s’approvisionner en carburéacteur à La Réunion, que l’aéroport de Saint-Denis de La Réunion, qui constitue le plus important aéroport français d’outre-mer avec un trafic de près de 1,5 million de passagers et de plus de 25 000 tonnes de fret pour les années en cause, ne peut être qualifié de petit aéroport, que s’agissant d’une île très éloignée de la France métropolitaine et des autres territoires de l’Union, le transport aérien constitue un facteur de non-enclavement qui lui confère une importance spécifique, d’autant qu’il n’existait pas, à l’époque des faits, de vols pour les passagers vers d’autres destinations européennes que Paris ; qu’il en déduit que la réunion de ces éléments qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants, établit que l’entente reprochée aux sociétés sanctionnées était de nature à affecter sensiblement les échanges communautaires ;
Qu’en l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel, qui s’est fondée à bon droit sur un ensemble d’éléments prenant en compte, notamment, la nature de l’accord ou de la pratique, la nature des produits concernés et la position de marché des entreprises en cause ainsi que le critère quantitatif visé par le paragraphe 90 des lignes directrices, a, sans porter atteinte au principe de sécurité juridique, légalement justifié sa décision ;
D’où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en ses première, deuxième, cinquième, septième, treizième et quatorzième branches, n’est pas fondé pour le surplus ;
Sur les troisièmes moyens des pourvois n° R 13-16.764, S 13-16.765, V 13-16.745 et Y 13-16.955, rédigés pour partie en termes identiques, réunis :
Attendu que les sociétés Total Outre-mer, Total Réunion, Chevron et Esso font le même grief à l’arrêt alors, selon le moyen :
1°/ qu’une autorité de concurrence d’un Etat membre ne peut exécuter sur son territoire toute inspection ou autre mesure d’enquête en application de son droit national au nom et pour le compte de l’autorité de concurrence d’un autre Etat membre que pour établir une infraction aux dispositions de l’article 81 ou 82 du Traité devenus 101 et 102 TFUE ; qu’ainsi la demande d’assistance adressée par une autorité nationale de concurrence à une autorité d’un autre Etat membre est subordonnée à une présomption d’infraction aux règles communautaires de la concurrence ; qu’en considérant qu’il importait peu que les dispositions du droit communautaire n’aient dans un premier temps pas été visées par le rapporteur général, bien que le risque d’infraction aux règles communautaires de la concurrence soit une condition de recevabilité de la demande d’assistance, la cour d’appel a violé les articles 12 et 22 du règlement n° 1/2003 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du Traité (le règlement 1/2003), ensemble les articles 81 du Traité CE, devenu 101 TFUE ;
2°/ qu’une autorité de concurrence d’un Etat membre ne peut exécuter sur son territoire toute inspection ou autre mesure d’enquête en application de son droit national au nom et pour le compte de l’autorité de concurrence d’un autre Etat membre que pour établir une infraction aux dispositions de l’article 81 ou 82 du Traité devenus 101 et 102 TFUE ; qu’ainsi la demande d’assistance adressée par une autorité nationale de concurrence à une autorité d’un autre Etat membre est subordonnée à une présomption d’infraction aux règles communautaires de la concurrence ; qu’en retenant « qu’il n’était