Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 2 septembre 2020, 18-18.501 18-18.582 18-19.933, Publié au bulletin

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Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 2 septembre 2020, 18-18.501 18-18.582 18-19.933, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

COMM.

CM

COUR DE CASSATION

______________________

Audience publique du 2 septembre 2020

Rejet

et irrecevabilité

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 494 FS-P+B

Pourvois n°

H 18-18.501

V 18-18.582

P 18-19.933 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 2 SEPTEMBRE 2020

I – 1°/ La société Umicore France, société par actions simplifiée, dont le siège est […] ,

2°/ la société Umicore, société anonyme, dont le siège est […],

ont formé le pourvoi n° H 18-18.501 contre un arrêt n° RG : 16/16621 rendu le 17 mai 2018 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 7), dans le litige les opposant :

1°/ à la présidente de l’Autorité de la concurrence, dont le siège est […] ,

2°/ au ministre de l’économie de l’industrie et du numérique, dont le siège est […] ,

défendeurs à la cassation.

II – la présidente de l’Autorité de la concurrence,

a formé le pourvoi n° V 18-18.582 contre le même arrêt n° RG : 16/16621 rendu, dans le litige l’opposant :

1°/ à la société Umicore France, société par actions simplifiée,

2°/ à la société Umicore, société anonyme,

3°/ au ministre de l’Economie et des Finances,

défendeurs à la cassation.

III – 1°/ la société Umicore France, société par actions simplifiée,

2°/ la société Umicore, société anonyme,

ont formé le pourvoi n° P 18-19.933 contre l’arrêt RG : 18/10061 rendu le 5 juillet 2018, dans le litige les opposant :

1°/ à la présidente de l’Autorité de la concurrence,

2°/ au ministre de l’économie de l’industrie et du numérique,

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses aux pourvois n° H 18-18.501 invoquent, à l’appui de leur recours, sept moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

La demanderesse aux pourvois n° V 18-18.582 invoque, à l’appui de son recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Les demanderesses aux pourvois n° P 18-19.933 invoquent, à l’appui de leur recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés Umicore France et Umicore, de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la présidente de l’Autorité de la concurrence, et l’avis de Mme Pénichon, avocat général, après débats en l’audience publique du 23 juin 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, Mmes Darbois, Champalaune, Daubigney, M. Ponsot, Mme Boisselet, conseillers, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Jonction

1.Il y a lieu de joindre les pourvois n° H 18-18.501, formé par les sociétés Umicore France et Umicore, et n° V 18-18.582, formé par la présidente de l’Autorité de la concurrence, qui attaquent le même arrêt.

Il y a lieu de leur joindre le pourvoi n° P 18-19.933, formé par les sociétés Umicore France et Umicore, qui attaque l’arrêt rectificatif du précédent.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Paris, 17 mai 2018, rectifié le 5 juillet 2018), la société Umicore SA/NV, établie en Belgique, est la société faîtière d’un groupe mondial spécialisé dans la technologie des matériaux, notamment du zinc, qui comprend une branche d’activité sur les métaux de performance au sein de laquelle se trouve l’unité de production des produits de construction en zinc.

3. La filiale française de cette société, la société Umicore France, a mis en place, en 1993, pour la vente des produits de sa marque VM Zinc, un réseau de distributeurs composé de points de ventes dénommés « Centres VM Zinc », agréés par elle sur la base de critères qualitatifs fixés dans un contrat de collaboration technique et commerciale. La société Umicore France refusait, en principe, d’approvisionner directement des distributeurs non agréés ou acceptait de le faire, mais à des conditions moins favorables que celles accordées aux centres VM Zinc.

4. A la suite de la réception d’un rapport de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), l’Autorité de la concurrence (l’Autorité) s’est saisie d’office des pratiques mises en oeuvre dans le secteur du zinc laminé et des produits ouvrés en zinc destinés au bâtiment et a, par une décision du 23 juin 2016, dit qu’il était établi que la société Umicore France, en tant qu’auteure des pratiques, et la société Umicore SA/NV, en sa qualité de société mère de la société Umciore France, avaient enfreint les dispositions de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et celles de l’article L. 420-2 du code de commerce, en liant les centres VM Zinc et divers autres distributeurs par des obligations d’achats exclusifs en produits VM Zinc, entre 1999 et 2007, sur les deux marchés de produits de couverture en zinc et de produits d’évacuation des eaux pluviales (produits EEP) en zinc, et a infligé une sanction pécuniaire, solidairement, aux sociétés Umicore France et Umicore SA/NV (les sociétés Umicore).

5. Sur le recours des sociétés Umicore, la cour d’appel de Paris, par un arrêt du 17 mai 2018, a retenu une durée moindre de l’infraction et réduit, en conséquence, le montant de la sanction.

6. Se saisissant ultérieurement d’office, elle a, par un arrêt du 5 juillet 2018, relevé une erreur matérielle dans le dispositif de son précédent arrêt et l’a modifié pour majorer la sanction au titre de l’appartenance des entreprises à un groupe.

Examen de la recevabilité du pourvoi n° V 18-18.582, contestée par les sociétés Umicore

7. Selon l’article L. 464-8 du code de commerce, le président de l’Autorité de la concurrence peut former un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris ayant annulé ou réformé une décision de l’Autorité dans le délai d’un mois suivant sa notification.

8. Il résulte des productions que l’arrêt attaqué du 17 mai 2018 a été notifié à l’Autorité le 18 mai 2018. Le délai du pourvoi en cassation expirant le 18 juin 2018, le pourvoi n° V 18-18.582, formé par la présidente de l’Autorité le mardi 19 juin 2018, tardif, n’est pas recevable.

Sur le pourvoi n° P 18-19.933

Examen du moyen unique

Enoncé du moyen :

9. Les sociétés Umicore font grief à l’arrêt rectificatif du 5 juillet 2018 de dire que le chef du dispositif de l’arrêt du 17 mai 2018 par lequel la cour a : « DIT qu’au titre des pratiques visées à l’article 1er de la décision n° 16-D-14, il est infligé solidairement à la société Umicore France et à la société Umicore SA/NV, une sanction pécuniaire d’un montant de 56 653 000 euros » est entaché d’une erreur matérielle sur le montant prononcé et, en conséquence, de dire que ce chef du dispositif doit être rédigé de la façon suivante : « DIT qu’au titre des pratiques visées à l’article 1er de la décision n° 16-D-14, il est infligé solidairement à la société Umicore France et à la société Umicore SA/NV, une sanction pécuniaire d’un montant de 62 318 900 euros », alors :

« 1°/ que le juge ne peut sous couvert de rectification d’erreur matérielle, procéder à une nouvelle appréciation des éléments de la cause et modifier les droits et obligations des parties ;que si une simple erreur arithmétique de calcul peut être rectifiée, le juge ne saurait, en revanche, modifier les règles de calcul du montant d’une condamnation sous prétexte de rectifier une erreur matérielle ; qu’en décidant, sous couvert de rectifier une erreur matérielle, d’appliquer un coefficient d’aggravation de la sanction de 10 %, la cour d’appel qui a modifié les règles de calcul de la sanction et les droits et obligations des parties a violé l’article 462 du code de procédure civile ;

2°/ qu’en affirmant que l’omission de l’application du coefficient d’aggravation de la sanction de 10 % par la cour n’est pas une erreur de raisonnement ou une erreur d’appréciation, mais une erreur matérielle qu’il convient de rectifier, tout en justifiant cette rectification par l’interdiction de statuer ultra petita ou de soulever un moyen d’office sans que les parties aient pu s’expliquer, ce qui au contraire confirmerait l’existence d’une possible erreur intellectuelle et non matérielle, la cour d’appel a, encore, violé l’article 462 du code de procédure civile ;

3°/ que le communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires prévoyant notamment la possibilité de majorer le montant de la sanction en fonction de la puissance économique du groupe sanctionné a désormais une valeur normative et son application relève du contrôle de la Cour de cassation : qu’en considérant qu’une prétendue erreur commise dans l’application des règles du communiqué du 16 mai 2011, et spécialement du coefficient de majoration de 10 % relatif à la puissance économique du groupe sanctionné pouvait constituer une simple erreur matérielle susceptible d’être rectifiée quand une telle erreur de droit, à la supposer établie, ne peut être réparée qu’en se livrant à une nouvelle appréciation des éléments de la cause, sous le contrôle de la Cour de cassation, la cour d’appel a violé de plus fort l’article 462 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. L’arrêt relève que l’arrêt du 17 mai 2018 a remplacé par un coefficient moindre le coefficient multiplicateur retenu par l’Autorité, au regard de la durée effective de la pratique, a rejeté tous les autres moyens de réformation de la sanction soulevés par les sociétés Umicore et a recalculé le montant de la sanction sur la base de ce coefficient diminué, sans appliquer ensuite la majoration de 10 % relative à la puissance économique du groupe sanctionné, telle qu’elle avait été retenue par la décision de l’Autorité. Relevant ensuite que l’influence déterminante de la société Umicore SA sur la société Umicore France n’est pas contestée, l’arrêt ajoute que, sauf à statuer ultra petita, la cour d‘appel est tenue d’appliquer au montant de base de la sanction la majoration de 10 % que les sociétés Umicore ne contestait pas.

11. En l’état de ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d’appel, qui, dans l’arrêt rectificatif, n’a pas modifié les règles de calcul de la sanction mais en a corrigé la mise en oeuvre erronée, a exactement retenu que, par cette omission, elle avait commis une erreur, qui n’était pas une erreur de raisonnement ni une erreur d’appréciation mais une erreur matérielle, qu’il convenait de rectifier pour rétablir le montant de la sanction telle qu’elle aurait dû être au regard de la raison et du dossier.

12. Le moyen n’est donc pas fondé.

Sur le pourvoi n° H 18-18.501

Examen des moyens

Sur le quatrième moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

13. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

14. Les sociétés Umicore font grief à l’arrêt, tel que rectifié, du rejet de leur moyen pris de la prescription quinquennale alors :

« 1°/ qu’en déniant tout caractère pénal à la décision du juge des libertés et de la détention ayant statué sur la validité d’opérations de visites domiciliaires, pour décider que celle-ci n’avait pas autorité de la chose jugée, bien que les recours contre les décisions en cause sont formés, instruits et jugés selon les règles du code de procédure pénale, la cour d’appel a violé les articles L. 450-4 et L. 462-7 du code de commerce dans leur rédaction applicable en la cause ;

2°/ que la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles relève de la matière répressive et les sanctions prononcées par l’Autorité qui ont le caractère d’une punition, sont assimilées à des sanctions pénales ; qu’en affirmant que le ministre chargé de l’économie, à la demande duquel les opérations de visite et saisie ont eu lieu « n’est pas chargé de poursuites pénales » mais agit « dans l’objectif de poursuivre des pratiques anticoncurrentielles, qui ne font pas l’objet d’une incrimination pénale », la cour d’appel a violé les articles 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et L. 462-7 du code de commerce ;

3°/que lorsque le ministre a prescrit une enquête aux fins de rechercher des pratiques susceptibles d’être relevées dans le secteur du zinc laminé et des produits ouvrés en zinc destinés au bâtiment et qu’une autorisation de procéder à des visites domiciliaires a été sollicitée et obtenue, l’article L. 420-6 du code de commerce punissait déjà le fait, pour toute personne physique de prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en oeuvre de pratiques visées aux articles L. 420-1 et L. 420-2, d’un emprisonnement de quatre ans et d’une amende de 75 000 euros et prévoyait aussi que les actes interruptifs de la prescription devant le Conseil de la concurrence en application de l’article L. 462-7 sont également interruptifs de la prescription de l’action publique ; qu’en affirmant que les pratiques anticoncurrentielles recherchées par le ministre dans le cadre d’opérations de visite et saisie ne font pas l’objet d’une incrimination pénale, la cour d’appel a violé l’article L. 420-6 du code de commerce dans sa rédaction applicable en la cause ;

4°/ que pour faire droit à la demande de restitution de trente documents antérieurs au 10 avril 2002 en raison de la prescription quinquennale, le juge des libertés et de la détention a retenu « qu’aucune poursuite ne peut (

) être exercée pour des faits remontant à plus de 5 ans (et) qu’une saisie d’un document de plus de cinq ans concernerait nécessairement la saisie d’un document concernant des faits, à les supposer reprochables, prescrits » ; qu’en affirmant que le juge des libertés et de la détention a seulement dit que des documents datés de plus de cinq années avant l’ouverture de la procédure concerneraient des faits qui seraient prescrits, (mais n’a pas) statué sur la prescription des pratiques, ni sur l’extinction de poursuites qui pourraient être mises en oeuvre, quand le juge a expressément retenu qu’une partie des faits, à les supposer reprochables, étaient d’ores et déjà prescrits, la cour d’appel a dénaturé l’ordonnance susvisée en violation du principe lui interdisant de dénaturer l’écrit qui lui est soumis ;

5°/ que les sociétés mises en cause doivent pouvoir bénéficier d’un recours effectif de pleine juridiction leur permettant de contester les ordonnances d’autorisation de visites domiciliaires et le déroulement des opérations de visite et saisie ; qu’un tel recours n’est effectif que si, en cas de constat d’irrégularité d’une opération ayant déjà eu lieu, ce recours fournit à l’intéressé un redressement approprié ; qu’en considérant que la solution consistant à retenir que l’Autorité ne serait pas liée par une décision précédente rendue dans la même affaire en matière de visites domiciliaires ne revient pas à priver d’effectivité le recours, qui portait sur la validité des opérations de visite et saisie, exercé par les parties devant le juge des libertés et de la détention, quand elle prive de tout effet la constatation d’une irrégularité d’une opération de visite et ne permet donc pas aux intéressés d’obtenir un redressement approprié, la cour d’appel a violé les articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

6°/ qu’en considérant, pour écarter la prescription quinquennale, que l’Autorité avait exactement retenu que la décision du juge des libertés et de la détention n’avait pas à son égard autorité de la chose jugée, dans la mesure où elle n’était pas partie à la procédure devant le juge des libertés et de la détention et que l’objet de la saisine de ce dernier – la validité des opérations de visite et saisie – n’était pas identique à celui de sa propre saisine – la conformité au droit de la concurrence des pratiques de la société Umicore France – quand l’Autorité s’est expressément fondée sur le rapport administratif établi par la direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes à la suite des opérations de visite et saisie litigieuses pour se saisir d’office, ce dont il résulte que les deux procédures n’étaient pas distinctes et poursuivaient les mêmes objectifs, à savoir démontrer l’existence de pratiques anticoncurrentielles, la cour d’appel a violé l’article L. 462-7 du code de commerce ;

7°/ que la circonstance qu’une infraction ait été qualifiée de continue ne permet pas de poursuivre des faits déjà prescrits ; qu’en affirmant le contraire, la cour d’appel a violé les articles L. 462-7 du code de commerce et 1355 du code civil. »

Réponse de la Cour

15. En premier lieu, après avoir énoncé que le principe jurisprudentiel de l’autorité absolue de la chose jugée au pénal sur le civil, invoqué par les sociétés Umicore, signifie que ce qui a été définitivement jugé par le juge pénal quant à l’existence du fait incriminé, sa qualification, la culpabilité ou l’innocence de ceux auxquels le fait est imputé s’impose au juge civil et a effet à l’égard de tous, l’arrêt précise que l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ne s’attache qu’à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et de l’action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé et que les décisions de la justice pénale ont au civil autorité absolue, à l’égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l’existence du fait incriminé, sa qualification, la culpabilité ou l’innocence de ceux auxquels le fait est imputé. Il en déduit que, pour avoir autorité absolue de la chose jugée, il faut que la décision statue sur une action pénale.

Ayant relevé, ensuite, qu’en l’espèce, le juge des libertés et de la détention avait statué sur des opérations qui ne sont pas de nature pénale, effectuées à la demande du ministre chargé de l’économie, lequel n’est pas chargé de poursuites pénales, et dans l’objectif de poursuivre des pratiques anticoncurrentielles qui ne font pas l’objet d’une incrimination pénale, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que le principe de l’autorité absolue de la chose jugée au pénal sur le civil n’était pas applicable.

En deuxième lieu, après avoir retenu que l’ordonnance litigieuse avait été rendue dans le cadre d’un recours formé contre le déroulement d’ opérations de visite et de saisie, sans que la question de la prescription des pratiques ait été en cause, la cour d‘appel, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la quatrième branche, en a, à bon droit, déduit que la solution ne privait pas d’effectivité ce recours formé par les sociétés Umicore.

16. En troisième lieu, ayant relevé que l’Autorité n’était pas partie à la procédure de contestation des opérations de visites et de saisies dont l’objet n’était pas identique à celui de sa propre saisine, la conformité au droit de la concurrence des pratiques de la société Umicore France, c’est exactement que la cour d’appel en a déduit que la décision du juge des libertés et de la détention n’avait pas autorité de la chose jugée à l’égard de l’Autorité et, partant, que la prescription quinquennale n’était pas acquise lors de la saisine de celle-ci, le 11 janvier 2011.

17. En quatrième lieu, après avoir énoncé que la prescription d’une infraction continue ne commence à courir qu’à compter de sa cessation, et constaté que la pratique litigieuse avait été continue de 1999 à 2007, c’est à bon droit que la cour d‘appel en a déduit que la prescription quinquennale n’était pas acquise lors de la saisine de l’Autorité, le 11 janvier 2011.

18. Le moyen n’est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

19. Les sociétés Umicore font grief à l’arrêt, tel que rectifié, du rejet de leur moyen pris de l’incompétence des services d’instruction, pour leur refuser l’ouverture d’une procédure d’engagements, alors :

« 1°/ que seul le collège de l’Autorité est compétent pour se prononcer sur une demande de procédure d’engagements présentée par une entreprise mise en cause ; qu’en considérant que l’Autorité avait pu valablement retenir que « le refus opposé par les services d’instruction à la demande d’ouverture d’une procédure d’engagements était légitime et justifié », quand les services d’instruction étaient incompétents pour prendre une telle décision, la cour d’appel a violé les articles L. 464-2, I et R. 464-2 du code de commerce dans leur rédaction applicable en la cause ;

2°/ qu’en considérant que l’Autorité avait pu valablement retenir que les services d’instruction pouvaient refuser de répondre favorablement à la demande d’ouverture d’une procédure d’engagements d’une entreprise, après avoir pourtant constaté que le collège de l’Autorité, qui envisagerait d’accepter des engagements proposés par une entreprise, peut demander au rapporteur d’établir une évaluation préliminaire et que celui-ci serait tenu de la faire quand bien même ne serait-il pas favorable à cette procédure, ce dont il résulte que les services d’instruction ne sont pas compétents pour refuser d’ouvrir une telle procédure, mais seulement pour procéder à une évaluation préalable, la cour d’appel a derechef violé les articles L. 464-2, I et R. 464-2 du code de commerce dans leur rédaction applicable en la cause ;

3°/que si le collège de l’Autorité dispose d’une grande latitude pour statuer favorablement ou non sur une demande de procédure d’engagements, il est néanmoins tenu de répondre de manière expresse et motivée à une demande d’ouverture d’une procédure d’engagements adressée par une partie mise en cause ; qu’en affirmant au contraire que le refus de recourir à la procédure d’engagements découlait en l’espèce d’une décision négative implicite du collège, la cour d’appel a violé les articles L. 464-2, I et R. 464-2 du code de commerce dans leur rédaction applicable en la cause ;

4°/ qu’en affirmant « que le refus de recourir à la procédure d’engagements découle de la décision négative implicite du collège qui, alors qu’il avait tout loisir de demander aux rapporteurs une évaluation préliminaire des pratiques, ne l’a pas fait », quand la décision déférée avait au contraire retenu à tort que « c’est aux services d’instruction de se prononcer, au cours de l’instruction conduite sous la seule direction du rapporteur général, sur la question de savoir s’il convient de mettre en oeuvre la procédure d’engagements prévue aux articles L. 464-2 et R. 464-2 du code de commerce », la cour d’appel a violé l’article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la cour

20. Après avoir constaté que les sociétés Umicore n’alléguaient pas que le collège, qui n’était pas dessaisi ni privé d’accès au dossier pendant la phase d’instruction, aurait envisagé d’accepter les engagements proposés par elles, la cour d’appel a énoncé que le collège peut toujours demander au rapporteur, qui serait tenu de le faire quand bien même il n’y serait pas favorable, d’établir une évaluation préliminaire et n’a donc pas affirmé que les services d’instruction pouvaient refuser de répondre favorablement à la demande d’ouverture d’une procédure d’engagement.

21. Si l’article L.464-2, I du code de commerce permet à l’Autorité d’accepter les engagements de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence, proposés par les entreprises, ces dernières ne disposent pas d’un droit aux engagements, l’Autorité jouissant d’un pouvoir discrétionnaire en la matière. C’est donc exactement que la cour d’appel, qui, pour se prononcer sur la régularité de la procédure suivie devant l’Autorité, n’était pas tenue par l’analyse de celle-ci, a retenu que le collège n’avait pas à formaliser sa décision ni, a fortiori, à la motiver et, partant, que son refus des engagements pouvait résulter, comme en l’espèce, de sa décision négative, implicite, de ne pas demander au rapporteur de procéder à l’évaluation préliminaire d’une telle mesure.

22. Le moyen, qui manque en fait en ses première, deuxième et quatrième branches, n’est donc pas fondé pour le surplus.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

23. Les sociétés Umicore font grief à l’arrêt, tel que rectifié, du rejet de leur moyen pris de la violation, par les services d’instruction ainsi que par l’Autorité, des obligations d’objectivité, d’impartialité et de loyauté leur incombant, alors «que les garanties du procès équitable s’appliquent dès la phase de l’instruction lorsque leur inobservation initiale risque de compromettre gravement le caractère équitable du procès ; que l’exigence d’impartialité s’impose aux services d’instruction de l’Autorité ; qu’en considérant que les services d’instruction n’avaient pas préjugé de la culpabilité des sociétés Umicore quand il ressort du point 115 du rapport qu’en janvier 2003, quatorze mois avant la clôture de l’instruction, les services d’instruction considéraient déjà que « les pratiques en cause ont été mises en oeuvre à partir de 1999 et sont toujours en cours aujourd’hui et sont, par ailleurs, constitutives d’abus de position dominante ayant causé un dommage à l’économie important », ce qui constitue une affirmation péremptoire et prématurée de culpabilité laissant peser un doute sur l’impartialité des services d’instruction à tout le moins de janvier 2003 à mars 2004, la cour d’appel a violé les articles 6 §3 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’union européenne. »

Réponse de la cour

24. Ayant rappelé que les rapporteurs ont pour fonction d’instruire et de décrire dans la notification des griefs, puis dans le rapport, ce qui, à leurs yeux, doit conduire à la qualification et à la sanction de pratiques anticoncurrentielles, l’Autorité ayant en charge d’examiner le bien-fondé des éléments ainsi retenus, c’est exactement que la cour d’appel a retenu que les énonciations du rapport, reprises par le moyen, relèvent des hypothèses que les services de l’instruction avaient à examiner, et éventuellement à établir, et ne démontrent pas leur prétendue partialité.

25. Le moyen n’est donc pas fondé.

Sur le quatrième moyen, pris en ses deuxième, troisième, et quatrième branches

Enoncé du moyen

26. Les sociétés Umicore font grief à l’arrêt, tel que rectifié, de dire qu’il est établi que la société Umicore France, en tant qu’auteure des pratiques, et la société Umicore SA, en sa qualité de société mère de la société Umicore France, ont enfreint les dispositions de l’article 102 du TFUE et celles de l’article L. 420-2 du code de commerce, en liant les centres VM Zinc, l’enseigne Asturienne, appartenant au groupe Point P-Saint-Gobain, l’enseigne Point P, appartenant au groupe Point P-Saint-Gobain, l’enseigne Larivière, appartenant au groupe Larivière-SIG, par des obligations d’achats exclusifs en produits VM Zinc entre 2000 et la fin 2007 et, en conséquence, de leur infliger solidairement une sanction pécuniaire d’un montant de 62 318 900 euros alors :

« 1°/ que le marché pertinent est celui où se confrontent l’offre et la demande de produits ou de services considérés par les demandeurs comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande ; que la substituabilité entre différents biens ou services du point de vue de la demande, qui constitue le critère déterminant pour la délimitation du marché pertinent, s’apprécie en fonction d’un faisceau d’indices tenant compte de la réalité du fonctionnement du marché et pouvant comprendre notamment, les besoins et perceptions des utilisateurs, les caractéristiques spécifiques du produit, son usage, son coût et ses conditions de commercialisation ; qu’en se fondant sur les seules caractéristiques du segment de la rénovation pour considérer que le zinc n’était pas substituable aux autres matériaux, après avoir pourtant admis que seulement 55% de la superficie du zinc posé en couverture l’est sur le segment de la rénovation mais aussi qu’en 2011 le zinc a représenté en France 3,5% des produits de couverture, tous matériaux confondus, et 8,5% des produits de couverture en métal, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;

2°/ qu’en considérant qu’il existerait un marché spécifique de la couverture en zinc en raison d’une prétendue « insubstituabilité du zinc par un autre matériau » tout en constatant que le zinc est peu substituable dans le seul secteur de la rénovation ou encore que selon l’Autorité « il n’existe pas de règles générales prescrivant le remplacement à l’identique des couvertures en zinc », ce dont il résultait que le remplacement du zinc par un autre matériau demeurait possible pour de nombreux usages ce qui le rendait substituable dans bon nombre d’hypothèses, la cour d’appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;

3°/ qu’en affirmant, pour définir le marché pertinent comme étant celui des EEP en zinc sans distinguer selon les usages du produit, que pour les produits EEP, le zinc est un matériau choisi pour des caractéristiques qui lui sont spécifiques et qui le rendent insubstituable par d’autres matériaux sans qu’aucune de ces spécificités ne justifie de réduire les marchés à un périmètre plus étroit, tout en constatant que le zinc n’était pas substituable à d’autres matériaux pour certains usages seulement, ce qui le rend, en réalité, très souvent substituable, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

27. Ayant relevé que l’espèce ne concerne pas un bien gratuit ou un secteur dans lequel les prix sont régulés et retenu que, dans ce contexte, la mise en oeuvre du test du monopoleur hypothétique n’est pas opérante puis que, concernant le zinc laminé destiné à la couverture, il ne peut être affirmé que le prix soit sans impact, la cour d’appel, qui a mis en oeuvre de multiples indices pour retenir que le marché de référence est le marché du zinc laminé destiné à la couverture, ne s‘est pas fondée sur les seules caractéristiques du segment de la renovation.

28. Après avoir relevé que le zinc est un matériau qualifié de noble, souvent utilisé sur des immeubles de caractère ou relevant du patrimoine ancien ou sur des bâtiments à valeur patrimoniale, et que, s’il n’existe pas de règle générale prescrivant le remplacement à l’identique des couvertures en zinc, il est néanmoins de pratique courante de remplacer le zinc par le zinc, la cour d‘appel a pu retenir que, sur le segment de la rénovation, le zinc est peu substituable par d’autres matériaux.

29. Pour les produits EEP, la cour d’appel, qui a relevé différents indices pour déterminer le marché de référence soit, l’absence de diminution des quantités de produits EEP vendues lors de la forte hausse des prix du zinc en 2006, l’existence d’écarts de prix significatifs entre le zinc et le PVC, qui traduisaient de fortes différences de qualité et de durabilité, des déclarations concordantes de professionnels faisant état d’une substituabilité limitée entre le zinc et d’autres matériaux sur le segment de la rénovation, l’existence de circuits de distribution distincts et celle d’une analyse tarifaire effectuée par rapport aux seuls produits en zinc, a pu en déduire que, pour ces produits EEP, le zinc est un matériau choisi pour des caractéristiques qui lui sont spécifiques et qui le rendent insubstituable par d’autres matériaux, sans qu’il soit justifié de caractériser un marché pertinent réduit à chacune de ces situations propres et diverses.

30. Le moyen n’est donc pas fondé.

Sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

31. Les sociétés Umicore font le même grief à l’arrêt, tel que rectifié, alors :

« 1°/ qu’en affirmant que l’Autorité avait pu valablement considérer que la puissance d’achat des distributeurs


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