Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 27 avril 2017) et les productions, que par une décision du 24 juillet 2007, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (le CSA) a autorisé l’association BANLIEUES DU MONDE (l’association) à utiliser, pendant dix ans, une fréquence pour l’exploitation d’un service de télévision à vocation locale dénommé « BDM TV », diffusé sur la télévision numérique terrestre ; qu’en mai 2012, l’association a créé, avec d’autres associés, la société France diversité média (la société) dont le capital était notamment constitué de l’apport en nature, par l’association, de l’autorisation d’exploitation octroyée par le CSA ; que, par une convention d’exploitation du 25 mai 2012, l’association a confié à la société l’exploitation exclusive et la gestion technique, commerciale et financière de la chaîne BDM TV ; qu’à partir de mai 2014, l’association a repris en intégralité l’exploitation de cette chaîne ; que, par une décision du 16 avril 2015, à la suite d’une enquête relative à la régularité de l’apport de l’autorisation d’émission à la société, le CSA a décidé qu’il n’y avait pas lieu de retirer l’autorisation délivrée à l’association, dès lors que celle-ci avait, en rompant sa relation avec la société, rétabli les conditions nécessaires à l’exploitation, par elle seule, de la chaîne considérée, et a mis en demeure l’association de respecter à l’avenir les dispositions de l’autorisation du 24 juillet 2007 ; qu’estimant que l’apport en nature était fictif et subsidiairement qu’elle devait être garantie du trouble de jouissance de cet apport résultant de son incessibilité, la société a assigné l’association en paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que la société fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes alors, selon le moyen, qu’un apport en société est fictif lorsqu’il n’a pas de valeur effective pouvant servir à la détermination du capital social et que la société ne peut en retirer aucun avantage direct ou indirect ; qu’il s’ensuit que l’autorisation délivrée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel pour l’utilisation d’une ressource radioélectrique, pour l’exploitation d’un service privé de télévision à caractère local, ne saurait faire l’objet d’un apport en société, ne serait-ce qu’en jouissance, dès lors qu’elle est personnelle et incessible ; qu’en affirmant qu’il n’appartient pas au juge de se prononcer sur l’utilité procurée à la société France diversité média par l’apport d’une telle autorisation d’émettre délivrée à l’association BANLIEUES DU MONDE, « notamment au regard des problèmes de gestion pratique qu’il allait soulever », en l’absence de sanction prononcée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, la cour d’appel a violé l’article 1843-3 du code civil, ensemble l’article L. 2111-17 du code général de la propriété des personnes publiques et l’article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986 ;
Mais attendu que l’arrêt retient, d’abord, que l’apport constituait un apport en jouissance de l’exploitation de la chaîne en cause ; qu’il constate, ensuite, que, de juin 2012 à mars 2014, l’autorisation accordée par le CSA a été exploitée par la société sans soulever de difficultés ; que de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu, abstraction faite des motifs erronés mais surabondants critiqués par le moyen, déduire que l’apport n’était pas fictif ; que le moyen n’est pas fondé ;
Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en ses première, troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième branches, qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société France diversité média aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé en l’audience publique du dix-neuf juin deux mille dix-neuf et signé par Mme Orsini, conseiller qui en a délibéré, en remplacement de Mme RIFFAULT-SILK.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour la société France diversité média
Le pourvoi fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué D’AVOIR débouté la société FRANCE DIVERSITE MÉDIA de ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE la société France diversité média se prévaut, ainsi qu’il l’est rappelé plus haut, de la fictivité de l’apport, relevant que, quelque soit la qualification retenue (apport en propriété ou en jouissance) cette fictivité découle de l’impossibilité pour elle d’en disposer ou d’en jouir librement ; que l’association BANLIEUES DU MONDE oppose sur ces moyens, le premier juge ayant écarté le caractère fictif de l’apport pour retenir l’existence d’un vice caché, la prescription biennale tirée de l’article 1648 (ancien) du code civil ; que la société France diversité média n’a pas conclu sur ce moyen ; que force est de constater que la décision du CSA n’a rien révélé qui puisse remettre en cause la validité de l’apport, dont il convient en préalable de dire qu’il ne pouvait matériellement constituer qu’un apport en jouissance de l’exploitation de la chaîne en cause, et qu’il ne s’agit pas pour le juge de dire si cette opération constituait, in fine, un apport profitable à la société France diversité média et notamment, en regard des problèmes de gestion « pratique » qu’il allait soulever ; que le CSA selon les propres termes de la société France diversité média, ne se serait pas « prononcé clairement sur l’impossibilité de l’autorisation d’utiliser la fréquence » et aurait ainsi « entrete(nu) une situation juridique non sécurisée et une situation économique non viable » ; mais qu’il n’était pas interdit à la société France diversité média de s’entourer, avant que de signer en mai 2014 l’accord querellé, de juristes et d’économistes aptes à lui faire appréhender de tels aléas, mention faite cependant qu’elle ne justifie pas qu’ils n’aient pu à cette époque être étudiés ou envisagés et que des données spécifiques sur ces points aient été connues et dissimulées par son partenaire ; que, de fait il convient de souligner, d’une part, que la CSA n’a, en l’état des choses, pas fait droit à la demande d’annulation suggérée par le rapporteur, Monsieur O…, et que le rappel des critiques faites par ce dernier quant l’exploitation de la chaîne par FDM est dès lors sans incidence, et ce d’autant que, d’autre part, la responsabilité éventuelle encourue d’une telle sanction serait commune aux deux partenaires ; que cette constatation vaut également pour le moyen tiré de la garantie due par l’association BANLIEUES DU MONDE au titre de la jouissance paisible et qui repose sur l’invocation que, « en l’état de la position du CSA » FDM ne serait plus en mesure d’exploiter librement la chaîne ; qu’il n’est pas plus cohérent de critiquer actuellement la violation par l’association BANLIEUES DU MONDE de la clause d’exclusivité, et la portée ultérieure de cette décision, dès lors que la société France diversité média, qui en était bénéficiaire, en a librement accepté le principe ; qu’il s’évince de ce qui précède qu’aucun vice caché n’affecte l’accord du 25 mai 2012 et que, partant, l’association BANLIEUES DU MONDE est fondée à invoquer la prescription de l’article 1648 (ancien) du code civil ; que ce moyen n’est, au delà du rappel dudit texte, appuyé par aucune mention des dates en permettant l’application ; que la cour relève que la seule date susceptible d’interrompre la prescription est celle de l’action en référé intentée par la société France diversité média devant le tribunal de grande instance de Paris et que l’assignation en est du 23 juin 2014 ; que la prescription était alors acquise ; que le jugement est en conséquence infirmé ;
1. ALORS QU’il est interdit aux juges du fond de dénaturer les documents de la cause ; qu’il ressort des termes clairs et précis de la décision du 16 avril 2015 du Conseil supérieur de l’audiovisuel que l’autorisation délivrée à l’association BANLIEUES DU MONDE « l’est intutitu personae et constitue un mode d’occupation privatif du domaine public de l’Etat » (décision du 16 avril 2015, p. 2, § 6), que l’apport de cette autorisation à la société FRANCE DIVERSITE MEDIA et la conclusion d’une convention d’exploitation du service de télévision avec la société FRANCE DIVERSITE MEDIA, caractérisent un changement de la personne morale chargée de l’exploitation du service « BDM TV », susceptible de constituer une modification substantielle, au sens de l’article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986, des données au vu desquelles l’autorisation a été délivrée à l’association BANLIEUES DU MONDE qui a rétabli les conditions d’exploitation initiales, après avoir rompu ses accords avec la société FRANCE DIVERSITE MEDIA qui a donc été privée du droit d’exploiter l’autorisation d’émettre ; qu’en affirmant que le Conseil supérieur de l’audiovisuel « n’avait rien relevé qui puisse remettre en cause la validité de l’apport », quand cette autorité administrative indépendante a constaté que l’autorisation d’émettre délivrée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel ne pouvait pas être apportée à la société FRANCE DIVERSITE MEDIA, quand bien même il n’a prononcé aucune sanction à l’encontre de l’association BANLIEUES DU MONDE, la cour d’appel a dénaturé la décision du 19 janvier 2015, en violation du principe précité, ensemble l’article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable à l’espèce ;
2. ALORS QU’un apport en société est fictif lorsqu’il n’a pas de valeur effective pouvant servir à la détermination du capital social et que la société ne peut en retirer aucun avantage direct ou indirect ; qu’il s’ensuit que l’autorisation délivrée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel pour l’utilisation d’une ressource radioélectrique, pour l’exploitation d’un service privé de télévision à caractère local, ne saurait faire l’objet d’un apport en société, ne serait-ce qu’en jouissance, dès lors qu’elle est personnelle et incessible ; qu’en affirmant qu’il n’appartient pas au juge de se prononcer sur l’utilité procurée à la société FRANCE DIVERSITE MEDIA par l’apport d’une telle autorisation d’émettre délivrée à l’association BANLIEUES DU MONDE, « notamment au regard des problèmes de gestion pratique qu’il allait soulever », en l’absence de sanction prononcée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, la cour d’appel a violé l’article 1843-3 du code civil, ensemble l’article L. 2111-17 du code général de la propriété des personnes publiques et l’article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986 ;
3. ALORS QU’aucune faute n’est imputable à la société antérieurement à son immatriculation ; qu’en considérant que la société FRANCE DIVERSITE MEDIA aurait manqué à son obligation de veiller à la protection de ses propres intérêts, à une époque où elle n’était pas encore immatriculée ni investie de la personnalité morale, dès lors qu’il ne lui était pas « interdit de s’entourer, avant que de signer en mai 2014 l’accord querellé, de juristes et d’économistes aptes à lui faire appréhender de tels aléas, mention faite cependant qu’elle ne justifie pas qu’ils n’aient pu à cette époque être étudiés ou envisagés et que des données spécifiques sur ces points aient été connues et dissimulées par son partenaire » (arrêt attaqué, p. 6, 9e alinéa), la cour d’appel a violé l’article 1843 du code civil ;
4. ALORS QUE la société FDM a rappelé dans ses conclusions que « dans sa décision du 16 avril 2015, le CSA exige que l’exploitation ait lieu par l’attributaire désigné, et par « lui seul », ce qui serait dès lors impossible puisque c’est un tiers, la société FDM, qui est bénéficiaire, via l’apport, de l’autorisation » (conclusions, p. 9, 5e alinéa), après avoir rappelé que l’autorisation d’émettre ne peut faire l’objet d’un apport en société en raison de son incessibilité ; qu’en affirmant que « le CSA, selon les propres termes de la société FRANCE DIVERSITE MEDIA, ne se serait pas « prononcé clairement sur l’impossibilité d’utiliser la fréquence » et aurait ainsi « entretenu une situation juridique non sécurisée et une situation économique non viable » » (arrêt attaqué, p. 6, 9e alinéa), la cour d’appel a dénaturé les conclusions de la société FDM, en violation de l’article 4 du code de procédure civile ;
5. ALORS QU’il résulte de l’article 1843-3, alinéa 4, du code civil que l’apporteur en jouissance doit la garantie du bailleur, à l’exclusion de celle due par le vendeur à raison des vices cachés de la chose vendue ; qu’en décidant que les demandes indemnitaires de la société FRANCE DIVERSITE MEDIA étaient atteintes par la prescription de l’action en garantie des vices cachés, après avoir constaté que l’apport de l’autorisation d’émettre constitue un apport en jouissance, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l’article 1843-3, alinéa 4, du code civil ;
6. ALORS QUE le défaut de libération de l’apport engage la responsabilité de droit commun du souscripteur, qui n’a pas respecté sa promesse d’apport, dans les conditions du droit commun ; qu’en retenant l’application de la garantie des vices cachés, la cour d’appel a violé l’article 1843-3, alinéa 1er, du code civil par refus d’application, ensemble l’article 1648, alinéa 2, du code civil ;
7. ALORS subsidiairement QU’à supposer que l’incessibilité de l’autorisation d’émettre puisse être considérée comme un vice relevant de l’application de l’article 1648 du code civil, le délai de prescription de l’action en garantie des vices cachés ne commence à courir qu’à compter de sa découverte effective par le bénéficiaire de l’apport ; qu’en affirmant que l’association BANLIEUES DU MONDE était fondée à opposer que les demandes indemnitaires formées à son encontre par la société FDM étaient atteintes par la prescription, en application de l’article 1648 du code civil, après avoir constaté que la saisine du juge des référés par acte du 23 juin 2014 était dépourvue de tout effet interruptif, sans vérifier la date à laquelle la société FRANCE DIVERSITE MEDIA avait découvert l’irrégularité de l’apport, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1648 du code civil.
ECLI:FR:CCASS:2019:CO00530