Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le 25 octobre 2005, M. et Mme X… ont adhéré au groupement agricole d’exploitation en commun Le Parc (le Gaec), dont MM. Bernard et François Y… étaient déjà associés ; qu’estimant avoir été trompés sur la situation financière du Gaec, ils l’ont assigné ainsi que ses associés en annulation de leur adhésion et paiement de diverses sommes ; que le Gaec a été mis en redressement judiciaire le 9 juin 2009 ;
Sur le premier et le troisième moyens, réunis :
Attendu que ce moyen n’est pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu les articles L. 622-17 et L. 622-21 du code de commerce, rendus applicables au redressement judiciaire par l’article L. 631-14, alinéa 1er, du même code ;
Attendu que le principe d’ordre public de l’interdiction des poursuites individuelles énoncé au second de ces textes s’applique aux créanciers dont les créances ne sont pas mentionnées au I du premier ;
Attendu que, pour déclarer recevables les prétentions de M. et Mme X… contre le Gaec au titre des restitutions consécutives à l’annulation de leur adhésion, l’arrêt retient que les créances correspondantes de restitution trouvent leur source dans la décision qui ordonne la restitution, laquelle est postérieure à l’ouverture du redressement judiciaire du Gaec, de sorte que ces créances ne sont pas soumises à déclaration ;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si ces créances, bien que postérieures au jugement d’ouverture du redressement judiciaire, étaient nées pour les besoins du déroulement de la procédure ou en contrepartie d’une prestation fournie au Gaec, à défaut de quoi elles étaient soumises à déclaration, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a déclaré recevables les prétentions de M. et Mme X… contre le Gaec du Parc au titre des restitutions, et, avant dire droit, ordonné une expertise, l’arrêt rendu le 4 juin 2013, entre les parties, par la cour d’appel d’Angers ; remet en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Poitiers ;
Laisse à chaque partie la charge des dépens par elle exposés ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour M. Y….
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir prononcé l’annulation de l’adhésion de M. et Mme X… au GAEC du Parc à compter du 1er septembre 2007, puis d’avoir déclaré recevables les prétentions de M. et Mme X… contre le GAEC du Parc au titre des restitutions, d’avoir condamné in solidum MM. Bernard et François Y… à payer à M. et Mme X… la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts et d’avoir, avant dire droit sur les restitutions, ordonné une expertise tendant, notamment, à déterminer et chiffrer le montant des restitutions à opérer entre M. et Mme X…, d’ une part et le GAEC du Parc, d’ autre part, ainsi qu’à procéder à l’apurement des compte entre eux,
AUX MOTIFS QUE
« … Sur le fond :
2.1. Sur l’annulation de l’adhésion, il convient d ‘indiquer à titre liminaire que le regroupement des exploitations des époux X… et du Gaec du Parc avait pour but, d’une part, de rationaliser et de moderniser les moyens de production (volailles et lait au siège de l’exploitation des X… avec construction d ‘un bâtiment pour abriter une stabulation et une salle de traite, vaches allaitantes et cultures au siège du Gaec, étant précisé que les époux X… dépassaient leurs quotas de lait tandis que le Gaec n’atteignait pas les siens), d ‘autre part, de permettre une meilleure organisation du travail ;
L’étude de faisabilité a été effectuée par le cabinet d’expert-comptable Cogedis qui était déjà le comptable des époux X… et qui est devenu celui du Gaec à compter du 1er septembre 2007;
Les apports en nature des époux X… se sont élevés à 298.980,50 euros et le capital social a été porté à 353.130 euros, l ‘augmentation de capital se traduisant par la création de 13.142 parts sociales et l’inscription d’une prime d’apport de 101.850,50 euros;
Pour débouter les époux X… de leur demande d’annulation, le tribunal a retenu qu ‘ils ne rapportaient la preuve ni de la dissimulation de dettes antérieures à Leur adhésion dans la mesure où, assistés de leur propre expert-comptable, ils avaient eu connaissance des bilans des années précédentes dans lesquels figuraient le prêt familial de 45.000 euros et où ils avaient le devoir de réclamer communication des comptes arrêtés au 31 août 2007 s’ils estimaient que c’était un élément déterminant de leur consentement, ni du détournement des fonds du Gaec par les consorts Y…, les bâtiments agricoles ayant été achevés et financés, peu important qu’ils ne l’aient pas été avec les prêts consentis à cette fin par la banque ;
En appel, les époux X… produisent une pièce nouvelle, le rapport de synthèse du SRPJ d’Angers établi à la suite de l’enquête diligentée sur leur plainte du chef d’escroquerie et d’abus de confiance ;
Selon eux, il confirme leurs soupçons en ce qu’il conclut qu’ils ont été victimes de la part des consorts Y…, avec la complicité du Crédit agricole, de manoeuvres frauduleuses consistant en la dissimulation des difficultés financières du Gaec, proche de l’état de cessation des paiements, et de pratiques susceptibles de recevoir une qualification pénale ;
Compte tenu du fondement choisi par les appelants, il convient d’examiner si, comme ils le prétendent, les consorts Y… leur ont sciemment dissimulé des informations qui, si elles avaient été connues d’eux, les auraient conduits à ne pas contracter, étant rappelé que la cessation des paiements a été définitivement fixée à la date du 8 avril 2009;
Il résulte du dossier que :
– d’après le document intitulé »prévisionnel économique » daté du 27 mars 2007, le taux d’endettement du GAEC était de 55,64 % et l’excédent brut d’exploitation (EBE), de 50.145 euros au 31 décembre 2006, ratios proches de ceux de l’exploitation des époux X… ; le cabinet Sogedis indiquait avoir retenu des annuités de 35.000 euros pour le GAEC après relissage des prêts et concluait que le regroupement des deux exploitations avec le montant d’investissements envisagé laissait une marge de sécurité très faible le préconisait de le diminuer ;
– d’après les comptes au 31 août 2007, établis le 17 janvier 2008, le taux d’endettement du Gaec était de 72 %, l’EBE de – 19.794 euros, les annuités bancaires de 52.383 euros; la comparaison avec les comptes au 31 décembre 2006 montre un résultat courant de- 48.259 euros contre 16.413 euros pour 2006 et que les emprunts à moyen et long terme sont passés de 131.542 lire 125.553 euros à 189.579 euros;
Celle dégradation des chiffres et des ratios est expliquée dans le rapport de synthèse des enquêteurs ;
Le découvert autorisé était de 15.000 euros mais ce montant a été dépassé la plupart du temps entre décembre 2006 et novembre 2007, oscillant entre 21.000 euros et 44.000 euros ;
Il apparaît dans les comptes arrêtés au 31 décembre 2005 et au 31 décembre 2006 mais à hauteur de 20.000 euros ;
Le 28 mars 2007, le Crédit agricole a accordé au GAEC un prêt de trésorerie de 40.000 euros remboursable en juin 2007 ;
Il n’a pas servi à financer l’achat de matériels agricoles utiles aux deux exploitations, comme l’indique Bernard Y…, mais a résorbé le découvert et rendu la position du compte créditrice (+ 15.296 euros) ;
Il n’a pas été remboursé à son échéance (le solde débiteur était de 44.511 euros en juin) ;
D’après l’enquête, le prix d ‘achat du tracteur et de la charrue, qualifié par les intéressés « d’achat d’impulsion », a été réglé comptant en janvier 2007 (20.000 euros) ;
Le 23 août 2007, le Crédit agricole a accordé au GAEC deux autres prêts remboursables en dix ans qui avaient pour but le relissage de prêts anciens mais qui ont aussi servi à régler leur échéances impayées depuis avril-mai 2007 (52.934,14 euros), l’échéance impayée du prêt de trésorerie du 28 mars et une partie du solde débiteur (23.904,24 euros);
Leurs échéances n ‘ont été payées ni en septembre, ni en octobre ;
Bernard lire François Y… a déclaré aux enquêteurs que ces prêts étaient une initiative de la banque pour diminuer l ‘endettement du GAEC et assurer l’acceptation des prêts à venir de 270.000 euros;
S’il existe une allusion au re lissage des prêts dans le prévisionnel, force est de constater que ces prêts avaient un montant très supérieur au capital des prêts restructurés avec, pour corollaire, une charge supplémentaire pour le GAEC au titre des remboursements ;
Le devoir de loyauté qui préside à la conclusion des contrats devait conduire les frères Y… à tenir informés les époux X… de cette aggravation de l’endettement dont ils allaient devenir comptables en adhérant au GAEC.
Bernard Y… réplique qu ‘il avait communiqué tous les éléments utiles aux époux X… et à la société Cogedis ;
il procède cependant par voie d’affirmations alors que la charge de la preuve lui incombe;
Contrairement à ce qu’il écrit dans ses conclusions, la comptabilité du GAEC a été assurée par la société Cogedis à partir du 1er septembre de sorte qu’elle n’avait pas à traiter les factures et autres documents y afférents avant cette date et ne disposait que de ce qui lui avait été communiqué par les consorts Y… ;
Monsieur Z…, pour la société Cogedis, a déclaré aux enquêteurs que son collaborateur avait eu des difficultés à rencontrer Bernard Y… et n’avait pas pu avoir communication du grand livre de l’exercice 2007 en raison des difficultés informatiques alléguées par Bernard Y…, que lors de la rencontre au siège du GAEC le 24 août, ce dernier ne lui avait pas fait part des prêts de consolidation qui venaient d ‘être mis en place et que les premiers documents comptables révélant l’ampleur de l’endettement lui avaient été transmis fin octobre-début novembre ;
La personne du cabinet chargée du prévisionnel, quant à elle, a démenti les allégations de Bernard Y… relatives à la communication de documents début 2007;
La dissimulation des informations et documents permettant de connaître l’évolution de la situation financière du GAEC depuis le 31 décembre 2006 et son endettement réel est ainsi avérée ;
Il est indéniable qu’ils étaient de nature à modifier le prévisionnel, étant rappelé que les quatre associés étaient convenus de s’endetter à hauteur de 270.000 euros pour construire la stabulation, mais également la perception que les époux X… pouvaient avoir du mode de gestion de leur exploitation par les consorts Y… ;
La réticence dolosive est établie ;
Les appelants sont fondés à soutenir qu ‘ils n’auraient pas contracté s’ils en avaient eu connaissance, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres griefs;
Contrairement à ce qui a été jugé, le devoir d’information ne dispense pas le cocontractant de son devoir de loyauté ;
Le premier juge ne pouvait pas non plus ne pas tenir compte de ce que les éléments permettant de dresser les comptes au 31 août 2007 avaient été vainement réclamés à Bernard Y… ;
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu ‘il a débouté les époux X… en les autorisant à se retirer du GAEC pour mésentente grave entre associés, l’annulation de leur adhésion étant prononcée »,
ALORS QUE le manquement à une obligation précontractuelle d’information ne peut suffire à caractériser le dol par réticence, si ne s’y ajoute la constatation du caractère intentionnel de ce manquement ; qu’en se bornant néanmoins à retenir, pour décider que M. Bernard Y… avait commis un dol par réticence et prononcer l’annulation de l’ adhésion de M. et Mme X… au GAEC du Parc à compter du 1er septembre 2007, d’une part, que M. Bernard Y… avait manqué à son obligation précontractuelle d’information à l’égard de M. et Mme X… quant à l’aggravation de l’endettement du GAEC du Parc entre le 31 décembre 2006 et le 31 août 2007 et, d’autre part, que M. et Mme X… n’auraient pas contracté s’ils en avaient eu connaissance, sans rechercher si la réticence ainsi reprochée à M. Bernard Y… revêtait un caractère intentionnel, la cour d’ appel a privé sa décision de base légale au regard de l’ article 1116 du code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir déclaré recevables les prétentions de M. et Mme X… contre le GAEC du PARC au titre des restitutions consécutives à l’annulation de leur adhésion au GAEC du Parc à compter du 1er septembre 2007, puis d’avoir, avant dire droit sur les restitutions, ordonné une expertise tendant, notamment, à déterminer et chiffrer le montant des restitutions à opérer entre M. et Mme X…, d’ une part, et le GAEC du Parc, d’ autre part, ainsi qu’à procéder à l’apurement des comptes entre eux,
AUX MOTIFS QUE
« … 2.3 Sur les conséquences de l’annulation:
2.3.1. Sur la recevabilité des prétentions à l ‘égard du GAEC du Parc, Me Rousseau ès qualité soulève plusieurs moyens devant tendre, selon lui, à l’irrecevabilité des prétentions des époux X… présentées contre le GAEC ;
…
Sur les moyens pris des articles L 622-21 et L 622-24 du code de commerce, l’interdiction des poursuites individuelles et son corollaire, la déclaration de créance, s’applique aux créances antérieures au jugement d ‘ouverture ;
Or, les créances de restitution trouvent leur source dans la décision qui l’ordonne;
C’est donc à juste titre que les appelants ont formé leurs prétentions au titre des restitutions contre le GAEC, celles-ci étant dès lors recevables »,
ALORS QUE même postérieure au jugement d’ouverture de la procédure collective, une créance n’est affranchie de la nécessité d’ une déclaration que si elle est née pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période ; qu’en se bornant à affirmer, pour déclarer recevables les prétentions de M. et Mme X… au titre des restitutions consécutives à l’ annulation de leur adhésion au GAEC du Parc à compter du 1er septembre 2007, que leur créance de restitution était née postérieurement au jugement d’ouverture de la procédure collective du GAEC du Parc, sans rechercher si cette créance était née pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L 622-17, L 622-24 et L 622-26 du code de commerce.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir condamné M. Bernard Y…, in solidum avec M. François Y…, à payer à M. et Mme X… la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts,
AUX MOTIFS QUE
« Sur les dommages-intérêts, les agissements dolosifs des consorts Y… ont indéniablement causé un préjudice moral aux époux X… qui sera réparé par l’octroi d’une indemnité de 10.000 euros», (arrêt p. ll)
ALORS QUE seul peut être tenu de réparer le préjudice résultant d’une réticence dolosive, le cocontractant auteur de celle-ci, de sorte qu’est irrecevable la demande en réparation d’une partie, dirigée à titre personnel contre le représentant de la personne morale cocontractante ayant agi en cette qualité ; qu’en condamnant néanmoins M. Bernard Y…, pris en son nom personnel, à réparer le préjudice moral subi par M. et Mme X… du fait de ses agissements dolosifs commis en sa qualité de représentant du GAEC du Parc, la cour d’appel a violé les articles 1116 et 1165 du code civil.
ECLI:FR:CCASS:2014:CO01123