Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Carré Blanc distribution a assigné la société ACHP, ainsi que ses cautions, Mmes X… et Y…, en règlement de factures impayées et, a en outre réclamé la condamnation de la société ACHP au paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de franchise les unissant ;
Attendu que le premier moyen, pris en ses cinq premières branches, et le second moyen ne seraient pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa sixième branche :
Vu l’article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que pour accueillir, à concurrence de 35 000 euros, la réclamation formée à l’encontre de la société ACHP par la société Carré Blanc distribution, l’arrêt retient que cette dernière est fondée en sa demande d’indemnisation du préjudice résultant pour elle de la cessation d’activité de la société ACHP, de la mi-décembre 2005 au 30 juillet 2006, date normale de fin de contrat, soit pendant sept mois et demi, et que ce préjudice sera évalué sur la base du chiffre d’affaires réalisé en 2004, soit 175 000 euros ; qu’ayant ensuite constaté que le mode de calcul de la marge brute du franchiseur doit se calculer selon la formule « chiffre d’affaires du franchisé x 0,45 x 0,45 », l’arrêt fixe la réparation à « 175 000 euros x 0,45 x 0,45 = 35 437 euros, arrondis à 35 000 euros » ;
Attendu qu’en arrêtant cette somme sur la base du chiffre d’affaires de l’entier exercice annuel retenu à titre de référence, tout en relevant que le préjudice n’avait couru que durant sept mois et demi, la cour d’appel, qui s’est contredite, n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
Et vu l’article 627 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a fixé à la somme de 35 000 euros le montant des dommages-intérêts dus par la société ACHP à la société Carré Blanc distribution, l’arrêt rendu entre les parties le 8 janvier 2009, rectifié le 19 février 2009, par la cour d’appel de Lyon ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
Fixe le montant des dommages-intérêts dus à ce titre par la société ACHP à la société Carré Blanc distribution à la somme de 22 148, 44 euros ;
Partage les dépens par moitié entre la société Carré Blanc distribution, d’une part, la société ACHP, Mme X… et Mme Y…, d’autre part ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze juin deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la société ACHP et Mmes X… et Y…
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir, infirmant le jugement entrepris de ce chef, débouté la société A.C.H.P. et Mmes X… et Y… de leurs demandes de dommages-intérêts et d’avoir, y ajoutant, au contraire condamné la société A.C.H.P. à payer à la société CARRE BLANC DISTRIBUTION la somme de 35 000 euros à titre de dommages-intérêts,
AUX MOTIFS, EN SUBSTANCE, QU’en premier lieu, la société A.C.H.P.
reproche à la société CARRE BLANC DISTRIBUTION de lui avoir communiqué un document précontractuel non-conforme, comme faisant état d’une estimation initiale du stock largement sous-évaluée ; qu’à l’appui de ses dires, elle verse une lettre à la société CARRE BLANC DISTRIBUTION, en date du 30 novembre 2005, de Maître Z…, son ancien conseil, selon lequel «la situation financière dans laquelle se trouve (la société A.C.H.P.) procède notamment d’une surestimation du stock initial» et une lettre de son expert-comptable, également adressée au franchiseur, en date du 19 février 2002, selon laquelle elle rencontrait des difficultés de trésorerie car devant constituer son stock ; que, cependant, on peut douter de l’impartialité de son ancien conseil, à ses côtés dans la présente procédure ; qu’ensuite, l’affirmation de Maître Z… sur la sur-estimation du stock est démentie par la lettre de l’expert-comptable qui fait état d’une difficulté à constituer le stock, qui aurait donc été sous-estimé et non sur-estimé ; que, de plus, ce dernier indique que le prévisionnel de chiffre d’affaires est bien respecté, ce qui tend à établir le caractère sérieux du document précontractuel ; que ces éléments contradictoires sont inopérants à démontrer le bien-fondé du grief et l’existence d’un dol ;
QU’en deuxième lieu, la société A.C.H.P. fait grief à la société CARRE BLANC DISTRIBUTION de l’absence de savoir faire et d’un abus de position dominante ; mais que ces reproches n’ont jamais été formulés en cours d’exécution du contrat ; qu’ils sont trop tardifs pour être crédibles ; qu’ensuite, la pertinence du grief d’absence de savoir-faire n’est en rien démontrée ; qu’à l’inverse, quand la société A.C.H.P. reproche au franchiseur d’avoir divulgué son savoir-faire en février 2002 lors d’une opération commerciale dans une grande surface voisine, au cours de laquelle a été proposé à la vente un produit CARRE BLANC, elle reconnaît l’existence de ce savoir-faire ; quant à cette manifestation ponctuelle, qui s’est déroulée après la signature du contrat, elle ne saurait en justifier l’annulation ; qu’enfin, sur l’abus de position dominante, la société A.C.H.P. ne justifie pas de pratiques prohibées dans ses relations avec la société CARRE BLANC DISTRIBUTION ; qu’il n’y a donc pas lieu à annulation du contrat de franchiseur ;
QUE, par ailleurs, l’indication par la société A.C.H.P. dans ses écritures de l’envoi à la société CARRE BLANC DISTRIBUTION, courant 2002, 2003 et 2004, d’un nombre important de courriers ou télécopies, sans en préciser le contenu, ne démontre pas la carence du franchiseur dans son obligation d’assistance ; qu’à l’inverse, il ressort de l’examen desdites correspondances versées aux débats que le franchiseur a accepté en mars 2002, la demande de délais de paiement présentée par le franchisé, en avril 2002, la reprise d’un sur-stock’ d’une valeur de 7 800 euros, en juin 2002, de nouvelles reprises de stocks pour un montant de 7 000 euros, en mars 2003, la livraison de marchandises en deux fois, pour répondre aux plaintes du franchisé relatives à l’augmentation excessive de son stock, en avril 2004, un plan d’apurement de la dette de la société A.C.H.P. jusqu’en janvier 2005 ; que la société A.C.H.P. ne justifie pas s’être plainte alors de l’insuffisance de ces mesures ; que bien plus, par courrier du 15 mai 2004, elle a vivement remercié la société CARRE BLANC DISTRIBUTION pour la venue de l’un de ses représentants au magasin, au cours de laquelle un bilan a été fait, largement repris dans l’échange de correspondances qui a suivi, et par courrier du 25 février 2005, relatif à une annulation de commande, a déclaré «profiter de ce mot pour remercier (le service commercial) pour (sa) disponibilité, (son) souci de faire au mieux» ; qu’enfin, aux termes du contrat, la société CARRE BLANC DISTRIBUTION n’avait pas l’obligation de lui faire une proposition d’achat du magasin en cas de mise en vente ; que le reproche n’est donc pas fondé ; que de surcroît, il est singulièrement mal venu de la part du franchisé qui, de son côté, s’est délibérément soustrait à son obligation, non contestée, de communiquer au franchiseur tout projet de vente du fonds ; que la preuve du manquement du franchiseur à son obligation d’assistance n’est donc pas rapportée ;
QUE le reproche de soutien abusif est inopérant en l’espèce, où le franchiseur n’est pas un établissement de crédit et où la société A.C.H.P., selon les éléments au dossier, n’a fait l’objet d’aucune procédure collective ; que de surcroît, seuls d’éventuels créanciers pourraient l’articuler, non la société qui aurait sollicité et obtenu le soutien litigieux ; qu’enfin, la société A.C.H.P. ne fournit aucun élément comptable pour l’année 2005 et ne donne aucune information sur son passif global au moment de la cession d’activité ni sur le prix de vente du fonds de commerce en janvier 2006 ; qu’elle n’établit donc pas l’existence d’une insuffisance d’actif ;
QU’en conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a fait droit à la demande de dommages-intérêts formée par les intimées ;
ALORS, DE PREMIERE PART, QUE la Cour d’appel, qui a retenu que les éléments invoqués par la société A.C.H.P. et Mmes X… et Y… étaient inopérants à démontrer que la société CARRE BLANC DISTRIBUTION avait commis un dol, n’a pas recherché, comme cela lui était demandé par la franchisée et ses cautions, si la société CARRE BLANC DISTRIBUTION, indépendamment de toute intention dolosive, avait correctement rempli son obligation d’information découlant de l’article L. 330-1 du Code de commerce ; qu’elle a donc privé sa décision de base légale au regard de ce texte ;
ALORS, DE SECONDE PART, QUE la Cour d’appel, qui s’est abstenue de rechercher si l’article 18 du contrat de franchise, imposant à la société A.C.H.P. de recevoir et payer, aux prix unilatéralement déterminés par la société CARRE BLANC DISTRIBUTION, des livraisons de produits nouveaux sélectionnés par cette même société CARRE BLANC DISTRIBUTION et dans les quantités déterminées par elle, n’était pas illicite au regard de l’article 1129 du Code civil, a privé sa décision de base légale au regard de ce texte ;
ET QU’en retenant la tardiveté de ce «reproche», sans rechercher si dans leurs lettres des 12, 18 et 29 mars 2002, expressément invoquée dans leurs conclusions d’appel, Mmes X… et Y… ne s’étaient pas déjà plaintes du surstock qui résultait de cette pratique des «dispatches» obligatoires, la Cour d’appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l’article 1129 du Code civil ;
ALORS, DE TROISIEME PART, QUE la Cour d’appel a retenu que le franchiseur avait divulgué son savoir-faire en février 2002 lors d’une opération commerciale dans une grande surface voisine du magasin de la société A.C.H.P., au cours de laquelle a été proposé à la vente un produit CARRE BLANC ; que faute d’avoir recherché si ce manquement de la société CARRE BLANC DISTRIBUTION à ses obligations, même ponctuel et postérieur à la conclusion du contrat, ne justifiaient pas à tout le moins sa condamnation à dommages-intérêts envers la franchisée, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 du Code civil ;
ALORS, DE QUATRIEME PART, QU’en statuant ainsi sans rechercher, ni si la persistance des plaintes émises par la société franchisée n’établissait pas à elle seul l’insuffisance des mesures adoptées, ni si la bonne foi nécessaire dans l’exécution du contrat de franchise et l’obligation d’assistance du franchiseur à sa franchisée n’auraient pas dû conduire le premier notamment à mettre fin ou du moins à limiter les livraisons obligatoires et à réduire ses prix de vente, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134, alinéa 1er, et 1135 du Code civil, ensemble l’article 1147 du même Code ;
ET AUX MOTIFS, EGALEMENT, QUE la société CARRE BLANC DISTRIBUTION est fondée en sa demande d’indemnisation du préjudice résultant pour elle de la cessation d’activité de la société A.C.H.P. à compter de la mi-décembre 2005 au 30 juillet 2006, date normale de fin de contrat, soit pendant 7 mois ½ ; que son préjudice sera évalué sur la base du chiffre d’affaires réalisé en 2004, soit 175 000 euros, l’année 2005 n’étant pas probante en raison de la mise en sommeil de l’activité dès le début de l’année ; qu’il n’y a pas lieu, non plus, de retenir les années antérieures en raison, selon les éléments au dossier, de la baisse constante du chiffre d’affaires depuis l’année 2002 ; que le mode de calcul de la marge brute du franchiseur indiqué par la société CARRE BLANC DISTRIBUTION, soit le chiffre d’affaires du franchisé x 0,45 x 0,45, n’est pas contesté en son principe ; que le préjudice sera donc fixé à 175 000 euros x 0,45 x 0,45 = 35 437 euros, arrondis à 35 000 euros ;
ALORS, D’UNE PART, QUE la société A.C.H.P., contestant ainsi le principe même du recours à la notion de marge brute pour déterminer l’étendue du préjudice de la société CARRE BLANC DISTRIBUTION, faisait valoir en appel que «La marge brute correspond à un événement aléatoire, sur lequel on ne saurait fonder le moindre préjudice, celui-ci relevant de la pure hypothèse» ; que la Cour d’appel, qui a délaissé ce moyen pertinent, a méconnu les exigences de l’article 455 du Code de procédure civile ;
ALORS, D’AUTRE PART, QUE la Cour d’appel qui, pour déterminer le préjudice prétendument subi par la société CARRE BLANC DISTRIBUTION du fait de la cessation d’activité de la société A.C.H.P. «pendant 7 mois ½», s’est fondée sur le chiffre d’affaires réalisé par la société A.C.H.P. sur une période de 12 mois, se bornant ensuite à en déduire la marge brute annuelle qu’elle a déclaré correspondre au préjudice subi, s’est contredite, violant derechef l’article 455 du Code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l’arrêt attaqué, confirmatif de ce chef, d’avoir condamné la société A.C.H.P. à payer à la société CARRE BLANC DISTRIBUTION la somme de 49 991,68 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 10 novembre 2005, au titre des factures impayées, d’avoir condamné solidairement Mmes X… et Y… à payer à la société CARRE BLANC DISTRIBUTION la somme de 30 489,80 euros au titre de leur engagement de caution en cas de non-exécution par la société A.C.H.P. de la condamnation précitée,
AUX MOTIFS, TANT PROPRES QUE REPUTES ADOPTES DES PREMIERS JUGES, EN SUBSTANCE, QUE la créance de la société CARRE BLANC DISTRIBUTION au titre de ses factures impayées n’est pas contestée en elle-même par les concluantes, qui discutent son exigibilité’ en se prévalant, d’une part, de leur bonne foi, ce qui est inopérant, et d’autre part, du manquement du franchiseur à ses obligations, reproche non fondé pour les motifs exposés supra ; que la demande à ce titre est donc fondée ;
ET QUE les cautions n’ont pas contesté leur engagement de caution en lui-même ; que des pièces versées aux débats et notamment de l’acte de caution, il ressort que le cautionnement est une garantie qui s’ajoute au nantissement du fonds de commerce ; que le fait que la société CARRE BLANC DISTRIBUTION ait perçu la somme de 30 489,80 euros à ce dernier titre ne décharge donc pas les cautions de leur engagement ; qu’en conséquence, il y a lieu de faire droit à la demande formée à leur encontre à hauteur de la somme de 30 489,80 euros ;
ALORS, DE PREMIERE PART, QUE la Cour d’appel, qui a retenu que les éléments invoqués par la société A.C.H.P. et Mmes X… et Y… étaient inopérants à démontrer que la société CARRE BLANC DISTRIBUTION avait commis un dol, n’a pas recherché, comme cela lui était demandé par la franchisée et ses cautions, si la société CARRE BLANC DISTRIBUTION, indépendamment de toute intention dolosive, avait correctement rempli son obligation d’information découlant de l’article L. 330-1 du Code de commerce ; qu’elle a donc privé sa décision de base légale au regard de ce texte ;
ALORS, DE SECONDE PART, QUE la Cour d’appel, qui s’est abstenue de rechercher si l’article 18 du contrat de franchise, imposant à la société A.C.H.P. de recevoir et payer, aux prix unilatéralement déterminés par la société CARRE BLANC DISTRIBUTION, des livraisons de produits nouveaux sélectionnés par cette même société CARRE BLANC DISTRIBUTION et dans les quantités déterminées par elle, n’était pas illicite au regard de l’article 1129 du Code civil, a privé sa décision de base légale au regard de ce texte ;
ET QU’en retenant la tardiveté de ce «reproche», sans rechercher si dans leurs lettres des 12, 18 et 29 mars 2002, expressément invoquée dans leurs conclusions d’appel, Mmes X… et Y… ne s’étaient pas déjà plaintes du surstock qui résultait de cette pratique des «dispatches» obligatoires, la Cour d’appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l’article 1129 du Code civil ;
ALORS, DE TROISIEME PART, QUE la Cour d’appel a retenu que le franchiseur avait divulgué son savoir-faire en février 2002 lors d’une opération commerciale dans une grande surface voisine du magasin de la société A.C.H.P., au cours de laquelle a été proposé à la vente un produit CARRE BLANC ; que faute d’avoir recherché si ce manquement de la société CARRE BLANC DISTRIBUTION à ses obligations, même ponctuel et postérieur à la conclusion du contrat, ne justifiaient pas à tout le moins sa condamnation à dommages-intérêts envers la franchisée, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 du Code civil ;
ALORS, DE QUATRIEME PART, QU’en statuant ainsi sans rechercher, ni si la persistance des plaintes émises par la société franchisée n’établissait pas à elle seul l’insuffisance des mesures adoptées, ni si la bonne foi nécessaire dans l’exécution du contrat de franchise et l’obligation d’assistance du franchiseur à sa franchisée n’auraient pas dû conduire le premier notamment à mettre fin ou du moins à limiter les livraisons obligatoires et à réduire ses prix de vente, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134, alinéa 1er, et 1135 du Code civil, ensemble l’article 1147 du même Code.