Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 14 octobre 2020, 18-16.887, Publié au bulletin

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Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 14 octobre 2020, 18-16.887, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION

______________________

Audience publique du 14 octobre 2020

Rejet

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 633 FS-P+B

Pourvoi n° C 18-16.887

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 OCTOBRE 2020

La société Crédit mutuel Arkéa, société anonyme, dont le siège est […] , a formé le pourvoi n° C 18-16.887 contre l’arrêt rendu le 27 février 2018 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige l’opposant à la confédération nationale du Crédit mutuel (CNCM), société coopérative ouvrière de production, dont le siège est […] , défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Mollard, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Crédit mutuel Arkéa, de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de la confédération nationale du Crédit mutuel, et l’avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l’audience publique du 15 septembre 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, M. Mollard, conseiller rapporteur, M. Guérin, conseiller doyen, Mmes Darbois, Poillot-Peruzzetto, Champalaune, Daubigney, Michel-Amsellem, M. Ponsot, Mme Boisselet, conseillers, Mmes Le Bras, de Cabarrus, Lion, Lefeuvre, Bessaud, M. Boutié, Mmes Tostain, Bellino, conseillers référendaires, M. Debacq, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 27 février 2018), le réseau Crédit mutuel, régi par les dispositions des articles L. 512-55 et suivants et R. 512-19 et suivants du code monétaire et financier, est formé, au niveau local, des caisses locales de crédit mutuel, au niveau régional, des caisses départementales ou interdépartementales, constituées par les caisses locales, et, au niveau national, de la caisse centrale du crédit mutuel, constituée par les caisses départementales ou interdépartementales. Chaque caisse de crédit mutuel doit adhérer à une fédération régionale de crédit mutuel, et chaque fédération régionale à la confédération nationale du crédit mutuel (CNCM), organe central du réseau Crédit mutuel, dont le rôle est notamment de veiller à la cohésion de ce réseau.

2. La CNCM est titulaire de la marque verbale collective « Crédit mutuel » n° 3828979, déposée le 5 mai 2011 pour les produits et services des classes 9, 16, 35, 36, 38, 41 et 45, dont les conditions d’utilisation sont régies par un règlement d’usage et contrôlées par le conseil d’administration de la CNCM. Sont notamment autorisées à utiliser cette marque les fédérations régionales de crédit mutuel et les caisses de crédit mutuel adhérentes.

3. La CNCM ayant indiqué à la société Crédit mutuel Arkéa (la société Arkéa), qui regroupe trois fédérations régionales, qu’elle ne pourrait plus utiliser la marque collective « Crédit mutuel », ou toute combinaison de marques associant cette marque, si elle quittait le réseau Crédit mutuel, cette dernière l’a alors assignée en annulation de la marque.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La société Arkéa fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande d’annulation de la marque collective « Crédit mutuel » pour caractère illicite, alors :

« 1°/ que ne peut être adopté comme marque un signe dont la réservation serait contraire à l’ordre public ; que la dénomination « crédit mutuel » est la désignation légale d’une activité réglementée par le code monétaire et financier et commune à l’ensemble des banques mutualistes ; qu’il s’en déduit que la dénomination « crédit mutuel » est indisponible et ne peut être déposée à titre de marque ; qu’en décidant du contraire, la cour d’appel a violé l’article L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l’article 3 § 1 et 2 de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008, ensemble l’article L. 511-9 du code monétaire et financier ;

2°/ que l’article L. 512-56 du code monétaire et financier charge la CNCM de représenter collectivement les caisses de crédit mutuel pour faire valoir leurs droits et intérêts communs, d’exercer un contrôle administratif, technique et financier sur l’organisation et la gestion de chaque caisse de crédit mutuel et de prendre toutes mesures nécessaires au bon fonctionnement du crédit mutuel ; que l’article R. 512-23 du code monétaire et financier réserve aux caisses inscrites sur la liste prévue à l’article R. 512-19, établie et tenue à jour par la CNCM, le droit d’utiliser l’appellation « caisse de crédit mutuel » ; que ces textes n’autorisent pas la CNCM à s’arroger un monopole d’exploitation sur la dénomination « crédit mutuel » ; qu’en affirmant que ces dispositions consacreraient la réservation, au profit de la CNCM, de la dénomination « crédit mutuel », la cour d’appel a violé ces textes par fausse interprétation, ensemble l’article L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l’article 3 § 1 et 2 de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008. »

Réponse de la Cour

5. Si, aux termes de l’article L. 711-3, b, du code de la propriété intellectuelle, alors applicable, ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe contraire à l’ordre public, la circonstance qu’un terme soit la désignation légale d’une activité réglementée ne suffit pas à en faire un signe contraire à l’ordre public.

6. Ayant relevé que la CNCM est l’organe central du groupe Crédit mutuel, chargée d’un rôle de contrôle, d’inspection et de représentation du réseau Crédit mutuel auprès des pouvoirs publics, la cour d’appel a exactement déduit de cette seule constatation que l’enregistrement, par cette association, du signe « Crédit mutuel » en tant que marque collective n’était pas contraire à l’ordre public.

7. Le moyen n’est donc pas fondé.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

8. La société Arkéa fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes d’annulation de la marque collective « Crédit mutuel » pour défaut de distinctivité, alors :

« 1°/ qu’un signe constituant la désignation légale et unique d’un produit ou d’un service ne peut acquérir, à son égard, un caractère distinctif par l’usage ; qu’en énonçant que l’article L. 711-2, dernier alinéa, du code de la propriété intellectuelle n’excluait pas la possibilité d’acquisition du caractère distinctif par l’usage pour les signes intrinsèquement dépourvus de ce caractère dans les cas prévus aux a) et b) et que la société Arkéa arguait donc vainement du fait que les termes « crédit mutuel » constituaient la désignation nécessaire d’un type d’activité bancaire et des produits et services s’y rattachant, la cour d’appel a violé l’article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l’article 3 § 3 de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 ;

2°/ qu’en toute hypothèse, la preuve de l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage ne peut résulter de la seule démonstration de l’usage de la dénomination à titre de marque, mais suppose qu’il soit en outre établi que le public pertinent la perçoit comme une indication d’origine des produits ou services concernés ; qu’en se bornant à relever, pour refuser d’annuler la marque « Crédit mutuel » en dépit de son absence initiale de caractère distinctif, d’une part, que la dénomination « crédit mutuel » était largement utilisée par le réseau Crédit mutuel à titre de marque et, d’autre part, qu’un sondage démontrait que, pour une majorité de consommateurs, l’expression « crédit mutuel » évoquait « une banque », la cour d’appel, qui n’a pas démontré que le public pertinent percevait la dénomination « crédit mutuel » comme une indication d’origine commerciale, a statué par des motifs impropres à démontrer que la dénomination « crédit mutuel » aurait acquis un caractère distinctif par l’usage et privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l’article 3 § 3 de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 ;

3°/ qu’en outre, la distinctivité d’une marque s’apprécie au regard de chacun des produits et services couverts par son enregistrement ; qu’en se bornant à constater, pour affirmer que la dénomination « crédit mutuel » aurait acquis un caractère distinctif par l’usage pour les produits ou services désignés dans l’enregistrement, qu’elle faisait l’objet d’un usage continu, intensif et durable dans le réseau Crédit mutuel, sans procéder à un examen de son caractère distinctif pour chacun des produits ou services concernés, qu’elle n’a même pas décrits, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l’article 3 § 3 de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008. »

Réponse de la Cour

9. En premier lieu, l’article L. 711-2, dernier alinéa, du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 13 novembre 2019, prévoit la possibilité, pour tout signe dépourvu de caractère distinctif intrinsèque en vertu des a) et b) du même article, d’acquérir un caractère distinctif par l’usage. Une telle possibilité existe quand bien même les termes dont est composé le signe seraient la désignation légale d’une activité réglementée.

10. Le grief de la première branche procède donc d’un postulat erroné.

11. En second lieu, l’arrêt constate que les caisses de crédit mutuel, membres du groupe Crédit mutuel, utilisent, sur l’ensemble du territoire national et depuis la fin des années 1950, les marques collectives dont la CNCM est titulaire, intégrant les termes « crédit mutuel ». Il relève que le tableau de synthèse produit par la CNCM met en évidence l’usage du signe « Crédit mutuel », seul ou accompagné du logo du groupe Crédit mutuel ou d’autres éléments verbaux, pour des produits et des services des classes 9, 16, 35, 36, 38 et 41 nommément désignés, puis retient que, si, dans la grande majorité des exemples fournis, le signe « Crédit mutuel » n’apparaît pas seul, mais le plus souvent comme un élément d’une des marques semi-figuratives incluant le logo du groupe et, le cas échéant, le slogan « La banque à qui parler », le consommateur moyen ne gardera pas nécessairement en mémoire les autres éléments figuratifs ou verbaux, les mots « crédit mutuel » seuls retenant son attention et lui permettant aisément de percevoir les produits ou services désignés par la marque « Crédit mutuel » comme provenant du groupe Crédit mutuel. Il ajoute que la CNCM produit un sondage duquel il ressort que 89 % des personnes interrogées associent les termes « crédit mutuel » à une banque, et pour 55 % depuis au moins dix ans, ce qui est de nature à démontrer sans ambiguïté qu’une fraction significative du public concerné perçoit la marque « Crédit mutuel » comme identifiant les produits et services désignés par elle comme provenant du groupe Crédit mutuel.

12. En l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel, qui a procédé à l’examen du caractère distinctif de la marque pour chacun des produits et services concernés et souverainement constaté que le signe « Crédit mutuel » était perçu par le public pertinent comme une indication de l’origine commerciale de ces produits et services, a légalement justifié sa décision.

13. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Crédit mutuel Arkéa aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Crédit mutuel Arkéa et la condamne à payer à la confédération nationale du Crédit mutuel la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze octobre deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Crédit mutuel Arkéa.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir débouté la société Crédit mutuel Arkea de sa demande en annulation de la marque verbale « Crédit mutuel » n° 3828979 pour caractère illicite,

AUX MOTIFS QUE l’article L. 711-3 b) du code de la propriété intellectuelle dispose que ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs, ou dont l’utilisation est légalement interdite ; que la société Crédit mutuel Arkea invoque vainement ces dispositions pour contester la validité de la marque litigieuse, dès lors que le code monétaire et financier consacre la réservation au profit de la CNCM, organe central du réseau Crédit mutuel, de l’expression « crédit mutuel », dont les marques collectives « Crédit mutuel » sont la traduction commerciale ; que le plan du code monétaire et financier montre, en effet, que le législateur a reconnu, sous la forme d’une énumération limitative, l’existence de différentes banques mutualistes ou coopératives parmi lesquelles figure « le crédit mutuel » (section 4 du chapitre II) ; qu’en outre, l’article L. 512-56 de ce code prévoit que la confédération nationale du crédit mutuel est chargée notamment de « représenter collectivement les caisses de crédit mutuel pour faire valoir leurs droits et intérêts communs » et « prendre toutes mesures nécessaires au bon fonctionnement du crédit mutuel, notamment en favorisant la création de nouvelles caisses ou en provoquant la suppression de caisses existantes […] » et l’article R. 512-23 dispose que « seules les caisses inscrites sur la liste prévue à l’article R. 512-19 peuvent se prévaloir de l’appellation de caisse de crédit mutuel et faire figurer cette appellation dans leur dénomination, leur raison sociale ou leur publicité, et l’utiliser d’une manière quelconque dans leur activité » ; que la décision invoquée par la société appelante, concernant une marque verbale « Notaires 37 » déposée par une société n’exerçant pas la profession de notaire, n’est pas transposable au cas d’espèce, puisque la CNCM, titulaire de la marque litigieuse, est l’organe central du groupe Crédit mutuel, chargé d’un rôle de contrôle, d’inspection et de représentation du réseau auprès des pouvoirs publics ; que la demande d’annulation de la marque en raison de son caractère illicite sera par conséquent rejetée ;

1°/ ALORS QUE ne peut être adopté comme marque un signe dont la réservation serait contraire à l’ordre public ; que la dénomination « crédit mutuel » est la désignation légale d’une activité réglementée par le code monétaire et financier et commune à l’ensemble des banques mutualistes ;

qu’il s’en déduit que la dénomination « crédit mutuel » est indisponible et ne peut être déposée à titre de marque ; qu’en décidant du contraire, la cour d’appel a violé l’article L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l’article 3 § 1 et 2 de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008, ensemble l’article L. 511-9 du code monétaire et financier ;

2°/ ALORS QUE l’article L. 512-56 du code monétaire et financier charge la CNCM de représenter collectivement les caisses de crédit mutuel pour faire valoir leurs droits et intérêts communs, d’exercer un contrôle administratif, technique et financier sur l’organisation et la gestion de chaque caisse de crédit mutuel et de prendre toutes mesures nécessaires au bon fonctionnement du crédit mutuel ; que l’article R. 512-23 du code monétaire et financier réserve aux caisses inscrites sur la liste prévue à l’article R. 512-19, établie et tenue à jour par la CNCM, le droit d’utiliser l’appellation « caisse de crédit mutuel » ; que ces textes n’autorisent pas la CNCM à s’arroger un monopole d’exploitation sur la dénomination « crédit mutuel » ; qu’en affirmant que ces dispositions consacreraient la réservation, au profit de la CNCM, de la dénomination « crédit mutuel », la cour d’appel a violé ces textes par fausse interprétation, ensemble l’article L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l’article 3 § 1 et 2 de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir débouté la société Crédit mutuel Arkea de ses demandes en annulation de la marque verbale « Crédit mutuel » n° 3828979 pour défaut de distinctivité,

AUX MOTIFS QU’ aux termes de l’article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, « le caractère distinctif d’un signe de nature à constituer une marque s’apprécie à l’égard des produits ou services désignés. Sont dépourvus de caractère distinctif : a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ; b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation de service ; c) Les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle ; que le caractère distinctif peut, sauf dans le cas prévu au c), être acquis par l’usage ; que l’acquisition du caractère distinctif par l’usage suppose la preuve d’un usage continu, intense et de longue durée du signe constituant la marque et ce, à titre de marque, de sorte que ce signe est connu et identifié par une partie significative du public pertinent intéressé par les produits et services qu’il propose ; que, pour apprécier le caractère distinctif acquis par l’usage, il faut se placer, lorsque la nullité de la marque est demandée à titre principal, au moment où le juge statue ; que, par ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que, « en ce qui concerne l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage, l’identification par les milieux intéressés du produit ou du service comme provenant d’une entreprise déterminée doit être effectuée grâce à l’usage de la marque en tant que marque [

]. Cette dernière condition [

] n’implique pas nécessairement, pour être remplie, que la marque dont l’enregistrement est demandé ait fait l’objet d’un usage indépendant. En effet, I’article 3, paragraphe 3, de la directive ne contient pas de restriction en ce sens, visant seulement l’usage qui [

] a été fait de la marque. L’expression ‘l’usage de la marque en tant que marque » doit donc être comprise comme se référant seulement à un usage de la marque aux fins de l’identification par les milieux intéressés du produit ou du service comme provenant d’une entreprise déterminée. Or, une telle identification, et donc l’acquisition d’un caractère distinctif peut résulter aussi bien de I ‘usage, en tant que partie d’une marque enregistrée, d’un élément de celle-ci que de l’usage d’une marque distincte en combinaison avec une marque enregistrée. Dans les deux cas, il suffit que, en conséquence de cet usage, les milieux intéressés perçoivent effectivement le produit ou le service, désigné par la seule marque dont l’enregistrement est demandé, comme provenant d’une entreprise déterminée [

]. Le caractère distinctif d’une marque [

] peut être acquis en conséquence de l’usage de cette marque en tant que partie d’une marque enregistrée ou en combinaison avec celle-ci » (CJUE, 7 juillet 2005, C-353/03, Nestlé) ; que l’article L. 711-2, dernier alinéa, n’excluant pas la possibilité d’acquisition du caractère distinctif par l’usage pour les signes intrinsèquement dépourvus de ce caractère dans les cas prévus aux a) et b), la société Crédit mutuel Arkea argue vainement du fait que les termes « crédit mutuel » constitueraient la désignation nécessaire d’un type d’activité bancaire et des produits et services s’y rattachant ; qu’il appartient à la CNCM d’établir la preuve d’un usage continu, intense et de longue durée, à titre de marque – c’est à dire pour identifier les produits et services concernés comme provenant d’une entreprise déterminée – du signe « Crédit mutuel », notamment par « la part de marché détenue par la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de l’usage de cette marque, l’importance des investissements faits par l’entreprise pour la promouvoir, la proportion des milieux intéressés qui identifie le produit comme provenant d’une entreprise déterminée grâce à la marque [

] » (CJCE, 4 mai 1999, C-109/97, Windsurfing Chiemsee) ; qu’en l’espèce, la CNCM produit aux débats de très nombreuses pièces desquelles il ressort :

que le groupe Crédit mutuel comprend aujourd’hui plus de 3 000 caisses locales et bureaux qui leur sont rattachés, qui utilisent les marques collectives dont la CNCM est titulaire, intégrant les termes « crédit mutuel », et ce, sur l’ensemble du territoire national et depuis la fin des années 50,

que fin 2014, 11,6 millions de personnes étaient clientes du Crédit mutuel », dont 7,6 millions de sociétaires (rapport annuel 2014),

que fin 2014, le Crédit mutuel représentait 9,2 % des dépôts et 10,7 % des crédits (attestation responsable du contrôle de gestion),

qu’en 2010 le Crédit mutuel figurait en deuxième position des réseaux bancaires en France pour les dépôts et les crédits, après le Crédit agricole (Les Echos, mars 2011),

qu’en 2012, le groupe a enregistré un bénéfice net de 2,15 milliard d’euros (AFP, mars 2013),

qu’en 2008, il figurait en 49ème position du classement des 100 premières banques européennes en terme de rentabilité opérationnelle et 60 en termes de couverture des coûts (données agence Fitch Ratings),

qu’en 2013, il était classé 11ème du top 25 des meilleures banques européennes depuis la crise élaboré par le magazine The Banker et, en mars 2013, était l’une des trois banques françaises à figurer parmi « les 50 banques les plus sûres du monde » (selon le classement du magazine Global Finance) avant de voir sa note dégradée par l’agence de notation Standard & Poor’s,

qu’en 2014, le Crédit mutuel figurait dans le top 10 des sociétés de gestion françaises du classement Morningstar de la collecte des fonds en Europe,

que le Crédit mutuel s’est développé à l’international (en Allemagne avec le réseau Targobank, en Espagne avec une prise de participation dans Banco Popular, Cofidis) ;

qu’il ressort de ces éléments, émanant de documents internes mais également de la presse économique ou de classements étrangers, que le groupe Crédit mutuel fait partie des 6 premiers groupes bancaires français, ce qui n’est pas sérieusement contesté ; que la CNCM justifie également que le groupe a diversifié ses activités dans plusieurs secteurs (services à la personne, financement du logement social, assurance) ; que dans le domaine de la « bancassurance », il constitue, selon l’AGEFI (janvier 2010), le modèle le plus ancien et le plus abouti, datant des années 1970 ; que fin 2009, l’assurance représentait un chiffre d’affaires de 8,1 milliards d’euros pour le Crédit mutuel et qu’en 2010, plus de 30% de clients disposaient d’un contrat dommages ; que la CNCM a également fourni de nombreuses pièces montrant une importante utilisation du signe litigieux, seul ou accompagné du logo ou d’autres éléments verbaux (« La banque à qui parler », « Le Crédit Mutuel donne le la », « Plus que jamais, la banque à qui parler », « Crédit mutuel Arkea », « Crédit mutuel Massif Central »…), à travers la mise en place de campagnes publicitaires nationales sur divers supports et de partenariats, notamment musicaux, et ce, de façon constante et depuis plusieurs années ; qu’elle justifie que, depuis 2008, son budget communication annuel s’élève en moyenne à 17 millions d’euros ; qu’elle fournit des pièces démontrant que la marque « Crédit mutuel » est ainsi présente sur différents supports (papier, internet, radio, TV), y compris à travers le seul signe verbal « Crédit mutuel » (ex. Tag Epargne 2013 ; spot TV 2014 « Crédit mutuel Une banque qui appartient à ses clients ça change tout ») ; qu’il est par ailleurs établi que la CNCM exploite un site internet et elle fournit une attestation sur le nombre de connexions à son site www.creditmutuel.fr (253 475 005 en 2011) ; qu’elle est présente sur les réseaux sociaux, étant en 2014, à la 24ème place dans le « Top 100 du rayonnement numérique des marques » publié par NPA Conseil ; qu’elle fournit un tableau de synthèse (sa pièce 426) mettant en évidence l’usage du signe « Crédit mutuel », seul ou accompagné d’autres éléments – le logo ou les autres éléments verbaux précités – pour des produits et services des classes 9, 16, 35, 36, 38 et 41, soit : – pour les produits de la classe 9 : visuels de cartes bancaires, factures des commandes de bobines comportant le filigrane Crédit mutuel pour les distributeurs de billets accompagnées des photographies des master bobines des commandes de ces produits et attestation relative à ces commandes et aux fichiers comportant la liste des clients livrés de ces produits, visuel de l’application Crédit mutuel sur iPhone, attestation relative à la date de mise à disposition des applications Crédit mutuel pour smartphone au public ; – pour les services en classe 35 : bons à tirer pour des publicités (« Au Crédit mutuel, ma voix n’est pas proportionnelle à mon compte en banque », « Etre proche de vous, et à votre écoute, ça change tout », « Au Crédit mutuel, mon chargé de clientèle n’est pas commissionné » (2010),  » Une banque qui n’a pas d’actionnaires mais des clients-sociétaires, ça change tout », « Le Crédit mutuel, banque de l’année en France » (2011), « Le Crédit mutuel vous dit merci », « Le Crédit mutuel on ne peut pas l’acheter » (2014)), extraits de sites internet concernant le paiement sécurité par carte bancaire, spots radio et TV (2007 à 2015) ; – pour les produits et services en classes 16 et 36 : spots radio et TV (2008 à 2014), articles de presse La Tribune, Le Revenu, L’Argus de l’assurance (2011, 2013, 2014), bons à tirer pour des publicités (« Livret Bleu » (2008), « Au Crédit mutuel, ma demande de prêt n’est pas étudiée de loin » (2010)), plaquettes publicitaires (« Objectif épargne » de novembre 2013, « Objectif indépendance » d’août 2014, « Découvrez nos avantages pour bien démarrer dans la vie  » de juin 2015, « Les jeunes qui osent » de janvier 2014, « Les jeunes qui s’engagent  » d’octobre 2014, « Un rendement qui ne manque pas de souffle » de février 1998, « Capital revenus  » de février 1998, « Objectif bien assuré  » de mai 2015), extrait du site internet Crédit mutuel, spots radio (2002, 2006), visuels de chéquier et de chèques, relevés de comptes, conditions tarifaires, contrats Crédit mutuel, fiches explicatives de produits ou services destinées aux clients ; que, s’il est vrai que dans la grande majorité des exemples d’usage fournis par la CNCM, le signe « Crédit mutuel » n’apparaît pas seul mais, le plus souvent, comme un élément d’une des marques semi-figuratives présentées supra, incluant le logo et le cas échéant le slogan « La banque à qui parler », il a été vu que le caractère distinctif d’une marque peut être acquis en conséquence de l’usage de cette marque en tant que partie d’une marque enregistrée ou en combinaison avec celle-ci (CJUE, 7 juillet 2005, C-353103, Nestlé) ; qu’en l’espèce, le signe « Crédit mutuel » au sein des marques semi-figuratives – dont l’usage résulte amplement des pièces fournies par l’appelante – constitue l’unique élément verbal ou du moins l’élément verbal principal des marques semi-figuratives invoquées, le logo de couleur rouge, inséré entre les termes « crédit » et « mutuel », n’assurant qu’une fonction décorative ou esthétique et l’expression « La banque à qui parler » apparaissant en tout petits caractères et en position inférieure ; le public pertinent, en l’occurrence le consommateur d’attention moyenne, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, reconnaîtra ces autres éléments figuratifs ou verbaux mais ne les gardera pas nécessairement en mémoire, les mots « Crédit mutuel » seuls retenant son attention et lui permettant aisément de percevoir les produits ou services désignés par la marque litigieuse comme provenant du groupe Crédit mutuel ; que la société Crédit mutuel Arkea soutient, par ailleurs, que les pièces fournies par la CNCM ne rapportent pas la preuve d’un usage à titre de marque mais font seulement référence au Crédit mutuel en tant qu’entreprise ou groupe bancaire ; que, cependant, le fait qu’un élément verbal soit utilisé en tant que nom commercial de l’entreprise n’exclut pas qu’il puisse être également utilisé en tant que marque pour désigner des produits ou services (CJCE, 11 septembre 2007, C-17/06, Céline) ; que cela est d’autant plus vrai dans le secteur bancaire où le consommateur personnifie couramment la marque ; qu’en l’espèce, le signe « Crédit mutuel » désigne à la fois la marque et le nom commercial de l’entreprise « groupe Crédit mutuel » ; que le signe « Crédit mutuel », qui est essentiellement une marque de services dont l’exploitation ne peut consister en une simple apposition sur lesdits services, est apposé sur différents supports matériels en relation avec ces services (plaquettes Crédit mutuel destinées à la clientèle (« Objectif Epargner », « Les jeunes qui s’engagent », « Un rendement qui ne manque pas de souffle »…) ; fiches explicatives concernant divers services destinées aux clients ; contrats (concernant des assurances complémentaires maladies, des contrats de prévoyance accompagnés des conditions générales, des contrats d’assurance, des contrats d’ouverture de crédit) ; conditions tarifaires ; conditions générales et particulières relatifs aux comptes courants ; chéquiers et chèques libellés en francs et donc antérieurs au 1er janvier 2002 ; visuels de cartes bancaires et de relevés de comptes datant de 2008 ; bobines de papier pour distributeurs automatiques de billets…) ; qu’enfin, la CNCM produit un sondage réalisé par l’Institut TNS Sofres en juin 2015 auprès d’un échantillon de 1003 personnes, relatif au caractère distinctif de la marque (sa pièce 79), duquel il ressort que 89% des personnes interrogées associent les termes « Crédit mutuel » à une banque et, pour 55%, depuis au moins 10 ans, ce qui est de nature à démontrer sans ambiguïté qu’une fraction significative du public concerné perçoit la marque « Crédit mutuel » comme identifiant les produits et services désignés par elle comme provenant du groupe Crédit mutuel ; qu’en définitive, la CNCM démontre que par l’usage continu, intensif, durable qui en a été fait, la marque « Crédit mutuel » a acquis après son enregistrement un caractère distinctif pour les produits et services pour lesquels elle a été enregistrée, en classes 9, 16, 35, 36 et 45 ; qu’il convient donc de débouter la société Crédit mutuel Arkea de sa demande en nullité de la marque « Crédit mutuel » pour défaut de distinctivité ;

1°/ ALORS QU’ un signe constituant la désignation légale et unique d’un produit ou d’un service ne peut acquérir, à son égard, un caractère distinctif par l’usage ; qu’en énonçant que l’article L. 711-2, dernier alinéa, du code de la propriété intellectuelle n’excluait pas la possibilité d’acquisition du caractère distinctif par l’usage pour les signes intrinsèquement dépourvus de ce caractère dans les cas prévus aux a) et b) et que la société Crédit mutuel Arkea arguait donc vainement du fait que les termes « crédit mutuel » constituaient la désignation nécessaire d’un type d’activité bancaire et des produits et services s’y rattachant, la cour d’appel a violé l’article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l’article 3 § 3 de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 ;

2°/ ALORS QU’ en toute hypothèse, la preuve de l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage ne peut résulter de la seule démonstration de l’usage de la dénomination à titre de marque, mais suppose qu’il soit en outre établi que le public pertinent la perçoit comme une indication d’origine des produits ou services concernés ; qu’en se bornant à relever, pour ref


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