Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 12 juillet 2011, 10-24.006, Inédit

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Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 12 juillet 2011, 10-24.006, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le premier et le second moyens réunis :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 1er juillet 2010), rendu sur contredit, que faisant valoir que la société de droit suisse UBS AG,  » promoteur  » de la SICAV de droit luxembourgeois Luxalpha (la SICAV), gérée par l’une de ses filiales, avait engagé sa responsabilité quasi-délictuelle en s’abstenant d’informer les investisseurs que la société Bernard X… Investment Securities (BMIS) assurait la double fonction de sous-dépositaire et de courtier de la SICAV, la société Compagnie Lebon l’a assignée devant le tribunal de commerce de Paris en réparation du préjudice qu’elle avait subi au titre de la souscription d’actions de la SICAV intervenue le 1er février 2005 ;

Attendu que la société Compagnie Lebon fait grief à l’arrêt d’avoir accueilli le contredit de la société UBS AG, formé à l’encontre du jugement par lequel le tribunal s’était déclaré compétent pour connaître du litige, et de l’avoir renvoyée à mieux se pourvoir, alors, selon le moyen :

1°/ que selon l’article 5. 3 de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988, le défendeur peut être attrait, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ; que l’expression  » lieu où le fait dommageable s’est produit  » doit être entendue en ce sens qu’elle vise à la fois le lieu où le dommage est survenu et le lieu de l’événement causal ; que l’événement causal est le fait engageant la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle ; qu’en l’espèce la Compagnie Lebon invoquait au soutien de son action un événement causal consistant dans  » les conditions de commercialisation en France de la SICAV et la défaillance de l’information donnée aux investisseurs  » pendant la période 2004-2008 (conclusions sur contredit, par. 20) ; que si la Compagnie Lebon affirmait également que  » la souscription est le fait causal originel de cette affaire  » (ibid., par. 30), c’était dans un moyen distinct, qui s’ajoutait sans se substituer au moyen précédent ; qu’en se bornant néanmoins à localiser la souscription intervenue le 1er février 2005, sans rechercher où s’était produit le fait dommageable, allégué par la Compagnie Lebon, consistant dans les conditions fautives de la commercialisation de la SICAV et de l’information donnée aux investisseurs pendant les années 2004 à 2008, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 5. 3 de la convention de Lugano du 16 septembre 1988 ;

2°/ qu’en toute hypothèse, selon les articles 14 du décret n° 89-624 du 6 septembre 1989 et 411-59 du Règlement général de l’Autorité des marchés financiers (pris sur la base de l’article L. 214-12 du code monétaire et financier dans sa rédaction applicable à l’époque des faits litigieux), complétés par une instruction de la Commission des opérations de bourse du 15 décembre 1998, les OPCVM coordonnés autorisés à la commercialisation en France devaient diffuser et mettre à la disposition du public leurs rapports annuels et trimestriels, traduits en français, dans les locaux des établissements habilités à recevoir les ordres de souscription et de rachat ; qu’il résultait des mêmes dispositions que les actionnaires résidant en France devraient recevoir une information identique à celle donnée dans le pays d’origine de la SICAV ; qu’en l’espèce, la SICAV Luxalpha était donc tenue, après avoir été autorisée à commercialiser ses actions en France, d’y diffuser une information périodique et une information occasionnelle ; que la Compagnie Lebon reprochait à UBS, promoteur de la SICAV, de lui avoir dissimulé, pendant toute la période où elle était restée actionnaire de Luxalpha, le fait que la société BMIS était à la fois le sous-dépositaire et le courtier de cette société ; qu’en déclarant les juridictions françaises incompétentes pour connaître du litige, tandis que le défaut d’information allégué se localisait en France, la cour d’appel a violé l’article 5. 3 de la convention de Lugano du 16 septembre 1988, ensemble les articles L. 214-12 du code monétaire et financier, 14 du décret n° 89-624 du 6 septembre 1989 et 411-59 du règlement général de l’Autorité des marchés financiers dans leur rédaction applicable à l’époque des faits litigieux ;

3°/ que la Compagnie Lebon soutenait, dans ses conclusions sur contredit de compétence, que la SICAV Luxalpha avait été commercialisée en France  » avant même d’avoir reçu l’agrément officiel de l’AMF, et précisait, en se fondant sur plusieurs pièces versées aux débats, que la SICAV  » a été commercialisée en France dès novembre 2004 « , sur la base d’un prospectus datant d’août 2004 ; qu’en se bornant à relever que l’autorisation de commercialisation en France de Luxalpha n’a été accordée par l’AMF que le 25 mars 2005, sans rechercher si cette commercialisation n’avait pas commencé, en fait, antérieurement, auquel cas une information aurait été due par UBS, en France, aux souscripteurs, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 5. 3 de la convention de Lugano du 16 septembre 1988 ;

4°/ que selon l’article 14 du décret n° 89-624 du 6 septembre 1989, dans sa rédaction applicable à l’époque des faits litigieux, tout organisme de placement collectif doit, préalablement à sa commercialisation sur le territoire de la République française, faire l’objet d’une autorisation délivrée par la Commission des opérations de bourse (remplacée par l’Autorité des marchés financiers en vertu de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003) ; que ce texte ajoutait que lorsque l’organisme concerné dispose d’une attestation certifiant qu’il remplit les conditions énoncées par la directive 85/ 611/ CEE, cette autorisation est tacite au terme d’un délai de deux mois à moins que l’Autorité n’ait constaté avant l’expiration de ce délai que les modalités de commercialisation ne sont pas conformes aux règles françaises ; qu’en l’espèce, la Compagnie Lebon faisait valoir dans ses écritures sur contredit que le dépôt du dossier auprès de l’AMF était intervenu en août 2004, ce qui, compte tenu du délai de deux mois imparti à l’AMF pour se prononcer, pouvait rendre possible une commercialisation en France de Luxalpha dès novembre 2004 ; qu’en omettant de rechercher si la commercialisation de Luxalpha en France n’avait pas été autorisée tacitement par l’effet de l’expiration du délai de deux mois susvisé, sans attendre la décision formelle de l’AMF, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 11 du décret n° 89-624 du 6 septembre 1989 ;

Mais attendu, en premier lieu, qu’il ne résulte ni des conclusions ni de l’arrêt que la société Compagnie Lebon ait soutenu devant la cour d’appel que les textes de droit interne visés par le moyen prévoyaient des obligations d’information applicables à la société UBS AG en tant que  » promoteur  » d’un OPCVM dont la commercialisation était autorisée en France ; qu’il s’ensuit que l’argumentation développée par la deuxième branche est nouvelle et mélangée de droit et de fait ;

Attendu, en deuxième lieu, qu’ayant fait valoir  » que la souscription est le fait causal originel dans cette affaire « , la société Compagnie Lebon ne peut, sans se contredire, faire grief à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si celui-ci ne résultait pas de circonstances antérieures à celle-là ;

Attendu, enfin, qu’ayant constaté, d’un côté, que la société Compagnie Lebon avait investi dans la SICAV directement auprès de la société UBS Funds Services au Luxembourg le 1er février 2005 et, de l’autre, qu’il était justifié que l’autorisation de commercialisation en France de la SICAV n’avait été accordée par l’Autorité des marchés financiers que le 25 mars 2005, la cour d’appel, qui a par là-même procédé à la recherche visée par la quatrième branche, a pu en déduire que le fait dommageable, au sens de l’article 5. 3 de la convention de Lugano du 16 septembre 1988, ne s’était pas produit en France et a, ainsi, légalement justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen, pour partie irrecevable, n’est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Compagnie Lebon aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille onze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils pour la société Compagnie Lebon.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir dit les juridictions françaises incompétentes pour connaître de l’action en responsabilité délictuelle engagée par la Compagnie Lebon contre la société UBS ;

AUX MOTIFS QUE la souscription dont la compagnie Lebon admet qu’elle est « le fait causal originel dans cette affaire » ayant eu lieu au Luxembourg, le fait dommageable ne s’est pas produit en France, peu important que l’ordre de souscription ait été adressé du siège social de la Compagnie Lebon à Paris ;

1°) ALORS QUE selon l’article 5. 3 de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988, le défendeur peut être attrait, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ; que l’expression « lieu où le fait dommageable s’est produit » doit être entendue en ce sens qu’elle vise à la fois le lieu où le dommage est survenu et le lieu de l’événement causal ; que l’événement causal est le fait engageant la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle ; qu’en l’espèce la Compagnie Lebon invoquait au soutien de son action un événement causal consistant dans « les conditions de commercialisation en France de la SICAV et la défaillance de l’information donnée aux investisseurs » pendant la période 2004-2008 (conclusions sur contredit, par. 20) ; que si la Compagnie Lebon affirmait également que « la souscription est le fait causal originel de cette affaire » (ibid., par. 30), c’était dans un moyen distinct, qui s’ajoutait sans se substituer au moyen précédent ; qu’en se bornant néanmoins à localiser la souscription intervenue le 1er février 2005, sans rechercher où s’était produit le fait dommageable, allégué par la Compagnie Lebon, consistant dans les conditions fautives de la commercialisation de la SICAV et de l’information donnée aux investisseurs pendant les années 2004 à 2008, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 5. 3 de la convention de Lugano du 16 septembre 1988 ;

2°) ALORS QU’en toute hypothèse, selon les articles 14 du décret n° 89-624 du 6 septembre 1989 et 411-59 du Règlement général de l’Autorité des marchés financiers (pris sur la base de l’article L. 214-12 du Code monétaire et financier dans sa rédaction applicable à l’époque des faits litigieux), complétés par une instruction de la Commission des opérations de bourse du 15 décembre 1998, les OPCVM coordonnés autorisés à la commercialisation en France devaient diffuser et mettre à la disposition du public leurs rapports annuels et trimestriels, traduits en français, dans les locaux des établissements habilités à recevoir les ordres de souscription et de rachat ; qu’il résultait des mêmes dispositions que les actionnaires résidant en France devraient recevoir une information identique à celle donnée dans le pays d’origine de la SICAV ; qu’en l’espèce, la SICAV Luxalpha était donc tenue, après avoir été autorisée à commercialiser ses actions en France, d’y diffuser une information périodique et une information occasionnelle ; que la Compagnie Lebon reprochait à UBS, promoteur de la SICAV, de lui avoir dissimulé, pendant toute la période où elle était restée actionnaire de Luxalpha, le fait que la société BMIS était à la fois le sous-dépositaire et le courtier de cette société ; qu’en déclarant les juridictions françaises incompétentes pour connaître du litige, tandis que le défaut d’information allégué se localisait en France, la cour d’appel a violé l’article 5. 3 de la convention de Lugano du 16 septembre 1988, ensemble les articles L. 214-12 du code monétaire et financier, 14 du décret n° 89-624 du 6 septembre 1989 et 411-59 du règlement général de l’Autorité des marchés financiers dans leur rédaction applicable à l’époque des faits litigieux.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir dit les juridictions françaises incompétentes pour connaître de l’action en responsabilité délictuelle engagée par la Compagnie Lebon contre la société UBS ;

AUX MOTIFS QUE la Compagnie Lebon a investi dans la SICAV Luxalpha au mois de mars 2004 puis le 1er février 2005 et qu’il est justifié que l’autorisation de commercialisation en France de la SICAV n’a été accordée par l’AMF que le 25 mars 2005, soit postérieurement ;

1° ALORS QUE la Compagnie Lebon soutenait, dans ses conclusions sur contredit de compétence, que la SICAV Luxalpha avait été commercialisée en France « avant même d’avoir reçu l’agrément officiel » de l’AMF, et précisait, en se fondant sur plusieurs pièces versées aux débats, que la SICAV « a été commercialisée en France dès novembre 2004 », sur la base d’un prospectus datant d’août 2004 ; qu’en se bornant à relever que l’autorisation de commercialisation en France de Luxalpha n’a été accordée par l’AMF que le 25 mars 2005, sans rechercher si cette commercialisation n’avait pas commencé, en fait, antérieurement, auquel cas une information aurait été due par UBS, en France, aux souscripteurs, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 5. 3 de la convention de Lugano du 16 septembre 1988 ;

2° ALORS QUE selon l’article 14 du décret n° 89-624 du 6 septembre 1989, dans sa rédaction applicable à l’époque des faits litigieux, tout organisme de placement collectif doit, préalablement à sa commercialisation sur le territoire de la République française, faire l’objet d’une autorisation délivrée par la Commission des opérations de bourse (remplacée par l’Autorité des marchés financiers en vertu de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003) ; que ce texte ajoutait que lorsque l’organisme concerné dispose d’une attestation certifiant qu’il remplit les conditions énoncées par la directive 85/ 611/ CEE, cette autorisation est tacite au terme d’un délai de deux mois à moins que l’Autorité n’ait constaté avant l’expiration de ce délai que les modalités de commercialisation ne sont pas conformes aux règles françaises ; qu’en l’espèce, la Compagnie Lebon faisait valoir dans ses écritures sur contredit que le dépôt du dossier auprès de l’AMF était intervenu en août 2004, ce qui, compte tenu du délai de deux mois imparti à l’AMF pour se prononcer, pouvait rendre possible une commercialisation en France de Luxalpha dès novembre 2004 ; qu’en omettant de rechercher si la commercialisation de Luxalpha en France n’avait pas été autorisée tacitement par l’effet de l’expiration du délai de deux mois susvisé, sans attendre la décision formelle de l’AMF, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 11 du décret n) 89-624 du 6 septembre 1989.


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