Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 26 mars 2015), que la société Reckitt Benckiser Healthcare Ltd (la société Reckitt), détentrice des droits sur le médicament princeps » Subutex « , dont le principe actif est la buprénorphine haut dosage (BHD) en a confié la commercialisation en France à la société Schering-Plough ; qu’après avoir obtenu une autorisation de mise sur le marché, la société Arrow génériques (la société Arrow) a entrepris la commercialisation, en mars 2006, de la » Buprénorphine Arrow « , médicament générique du » Subutex » ; que le 15 novembre 2006, le Conseil de la concurrence, devenu l’Autorité de la concurrence (l’Autorité), a été saisi par la société Arrow d’une plainte relative à des pratiques anticoncurrentielles mises en oeuvre par la société Schering-Plough visant à entraver l’entrée sur le marché de ce médicament générique ; que, par une décision n° 13- D-21 du 18 décembre 2013, l’Autorité a dit établi que les sociétés Schering-Plough, Financière MSD et Merck & Co. avaient enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), en mettant en oeuvre une pratique de dénigrement du médicament générique de la société Arrow, et en octroyant aux pharmaciens d’officine des avantages financiers à caractère fidélisant, sans aucune contrepartie économiquement justifiée, sur le marché français de la BHD commercialisée en ville ; que, par la même décision, l’Autorité a dit établi que ces sociétés, d’une part, et les sociétés Reckitt Benckiser Healthcare (UK) Ltd et Reckitt Benckiser Plc, sa maison mère, (les sociétés Reckitt), d’autre part, avaient enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 TFUE en participant à une entente anticoncurrentielle et a prononcé des sanctions pécuniaires prenant en compte l’absence de contestation des griefs de la part des sociétés Schering-Plough, Financière MSD et Merck & Co. ; que les sociétés Reckitt ont formé un recours contre cette décision ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les sociétés Reckitt font grief à l’arrêt du rejet de leurs recours alors, selon le moyen, que l’interruption de la prescription pour des faits dont l’Autorité est saisie ne vaut qu’à l’égard des entreprises déjà mises en cause dans la procédure ; qu’en décidant que les actes d’instruction accomplis dans le cadre de la procédure initiée pour abus de position dominante, notamment contre la société Schering-Plough avaient interrompu la prescription à l’égard des sociétés Reckitt, bien qu’elles étaient restées totalement étrangères à cette procédure jusqu’au 9 novembre 2011, date à laquelle l’Autorité leur a adressé pour la première fois une demande d’information, et qu’elles n’ont été informées de leur mise en cause qu’avec la réception de la notification d’un grief le 19 novembre 2012, la cour d’appel a violé l’article L. 462-7 du code de commerce ;
Mais attendu qu’un acte tendant à la recherche, la constatation ou la sanction de pratiques anticoncurrentielles, même s’il ne concerne que certaines des entreprises incriminées ou une partie seulement des faits commis pendant la période visée par la saisine, interrompt la prescription à l’égard de toutes les entreprises concernées et pour l’ensemble des faits dénoncés dès lors que ceux-ci présentent entre eux un lien de connexité ; que l’arrêt relève que les pratiques d’abus de position dominante dénoncées par la société Arrow dans sa plainte et les faits d’entente reprochés aux sociétés Reckitt et sanctionnés par l’Autorité, lesquels auraient consisté dans la conclusion d’un accord avec la société Schering-Plough ayant pour objet la mise en oeuvre, par cette dernière, des pratiques d’abus de position dominante, poursuivaient un objet commun, celui d’entraver l’accès de la société Arrow au marché de la BHD ; qu’ayant ainsi caractérisé le lien de connexité existant entre ces pratiques, c’est à juste titre que la cour d’appel a retenu que la prescription concernant la pratique d’entente reprochée aux sociétés Reckitt avait été interrompue par les actes d’instruction ou de poursuite relatifs aux pratiques d’abus de position dominante et qu’elle n’était dès lors pas acquise à la date de notification des griefs ni à celle de la décision ; que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que les sociétés Reckitt font le même grief à l’arrêt alors, selon le moyen :
1°/ que seul le grief notifié sur lequel la société a pu présenter ses observations peut être retenu à son encontre par l’Autorité ; qu’en considérant que l’Autorité avait pu valablement retenir à l’encontre des sociétés Reckitt un grief consistant dans la participation à l’élaboration des pratiques d’abus de position dominante, tout en admettant que celui-ci était différent de celui notifié qui leur reprochait d’avoir participé aux pratiques d’abus elles-mêmes, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 6 § 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et L 463-2 du code de commerce ;
2°/ qu’en retenant que le fait de condamner une entreprise sur un grief différent de celui notifié ne peut avoir porté atteinte aux droits de la défense de l’intéressée, tout en constatant que cette substitution de griefs tient compte des objections et explications apportées par les sociétés Reckitt dans le cadre de leur défense, ce dont il résultait qu’elles étaient ainsi parvenues à démontrer l’inanité du grief qui leur avait été notifié, raison pour laquelle celui-ci a été modifié, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé de plus fort les articles 6 § 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et L. 463-2 du code de commerce ;
Mais attendu qu’ayant relevé que la décision avait sanctionné les sociétés Reckitt pour avoir participé à l’élaboration des pratiques d’abus de position dominante, tandis que le grief notifié visait la participation aux pratiques d’abus elles-mêmes, l’arrêt retient que cette réduction du champ du grief s’appuie sur les éléments de fait contenus dans la notification de griefs ainsi que dans le rapport du rapporteur, et tient compte des objections et explications apportées par les sociétés Reckitt dans le cadre de leur défense ; qu’il ajoute que les sociétés Reckitt ne précisent pas quels éléments de fait elles auraient invoqués, ni quels moyens de droit elles auraient soutenus pour défendre leurs droits, sans pouvoir le faire ; qu’en cet état, c’est sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations, que la cour d’appel a rejeté le grief pris d’une violation des droits de la défense invoqué par les sociétés Reckitt ; que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que les sociétés Reckitt font le même grief à l’arrêt alors, selon le moyen :
1°/ que la preuve d’une entente verticale requiert la démonstration de l’accord de volontés des parties à l’entente, c’est-à-dire l’invitation d’une partie à l’accord à mettre en oeuvre une pratique illicite et l’acquiescement de l’autre à cette invitation ; qu’en écartant expressément ce standard de preuve après avoir admis que son application était impossible en l’espèce bien que les sociétés Reckitt fabriquaient le Subutex et que la société Schering-Plough bénéficiait d’une exclusivité de distribution du médicament en France ce dont il résulte que l’entente reprochée aux opérateurs était nécessairement verticale, la cour d’appel a violé les articles 101 TFUE et L 420-1 du code de commerce ;
2°/ qu’en reprochant aux sociétés Reckitt d’avoir échangé avec leur distributeur exclusif Schering-Plough sur la politique de commercialisation du Subutex dans le cadre de l’arrivée d’un médicament générique, tout en constatant, par adoption de motifs, qu’une clause de l’accord de commercialisation du Subutex précisait que les responsables marketing des sociétés Schering-Plough et Reckitt Benckiser devaient se rencontrer au moins une fois par an pour se mettre d’accord sur les stratégies de vente, mais que cet accord n’était pas anticoncurrentiel, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 101 TFUE et L 420-1 du code de commerce ;
3°/ qu’en considérant que les sociétés Reckitt et Schering-Plough avaient défini en commun une stratégie d’entrave à la concurrence, après avoir constaté que le plan litigieux avait été établi par la société Schering-Plough et qu’il avait ensuite été unilatéralement mis en oeuvre par celle-ci, ce dont il résultait que les sociétés Reckitt n’avaient participé ni à l’élaboration, ni à la mise en oeuvre du plan litigieux, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles 101 TFUE et L 420-1 du code de commerce ;
4°/ que la preuve d’un acquiescement à une entente peut être exprès ou tacite mais doit résulter d’actes positifs ; qu’en reprochant aux sociétés Reckitt d’avoir participé à une entente tout en constatant que la société Schering-Plough a élaboré le plan d’action litigieux qu’elle a ensuite unilatéralement mis en oeuvre, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles 101 TFUE et L 420-1 du code de commerce ;
5°/ que la participation d’une entreprise non dominante à l’élaboration de pratiques d’abus de position dominante d’une autre société, ne peut pas être constitutive d’entente ; qu’en décidant le contraire la cour d’appel a violé les articles L. 420-1 du code de commerce et 101 TFUE ;
Mais attendu, en premier lieu, qu’analysant les courriers électroniques et les documents échangés entre la société Schering-Plough et la société Reckitt Benckiser, l’arrêt retient, dans l’exercice de son pouvoir souverain, que ces pièces montrent que, dès le mois d’octobre 2005, ces sociétés se sont entendues pour mettre en place une stratégie destinée à entraver l’entrée des génériques du » Subutex » ou encore à en réduire le développement sur le marché et, qu’ensemble, elles ont convenu des actions permettant de mettre en oeuvre cette stratégie, parmi lesquelles la tenue d’un discours dénigrant les génériques qui entreraient sur le marché et la mise en oeuvre de remises fidélisantes afin de saturer les linéaires des pharmaciens et entraver l’entrée des génériques ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu retenir, sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations ni le standard de preuve mentionné à la première branche, que l’existence d’un accord de volonté des sociétés Schering-Plough et Reckitt, portant sur la définition en commun d’une stratégie d’entrave au libre jeu de la concurrence et sur les moyens de la mettre en oeuvre, était établie et que ni le fait que le contrat de licence conclu entre les parties, qui prévoyait qu’elles se rencontreraient une fois par an pour se mettre d’accord sur les stratégies de vente, ait été licite, ni celui que les comportements, objet de l’accord, aient été exécutés unilatéralement par la société Schering-Plough, n’avaient d’incidence sur la caractérisation de cet accord ;
Et attendu, en second lieu, que la position non dominante sur le marché de l’une des entreprises partie à l’entente est sans incidence sur la caractérisation de cette entente ;
D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le quatrième moyen :
Attendu que les sociétés Reckitt font le même grief à l’arrêt alors, selon le moyen :
1°/ que la distinction entre « infractions par objet » et « infractions par effet » tient à la circonstance que certaines formes de collusion entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence ; que le degré suffisant de nocivité d’une pratique dispensant le juge de rechercher ses effets anticoncurrentiels doit être appréciée en fonction de la teneur de ses dispositions, des objectifs qu’elle vise à atteindre ainsi qu’en fonction du contexte économique et juridique dans lequel cette pratique est intervenue ; qu’en se bornant à affirmer que « l’élaboration d’une stratégie visant à retarder l’arrivée sur les marchés de médicaments des génériques, qui, après l’arrivée à leur terme des brevets, permettent de rétablir une concurrence jusqu’alors inexistante, constitue une pratique d’une particulière nocivité économique », sans procéder à la moindre analyse de la teneur de l’accord ou de son contexte économique et juridique et en confondant les objectifs de concurrence et les impératifs de santé publique, la cour d’appel qui a statué par une pétition de principe insuffisante à établir le degré de nocivité suffisant de la forme de collusion retenue et partant l’objet anticoncurrentiel de la pratique, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 TFUE ;
2°/ que la distinction entre « infractions par objet » et « infractions par effet » tient à la circonstance que certaines formes de collusion entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence ; qu’ainsi seules les pratiques les plus nocives sont restrictives de concurrence par objet ; que le fait de s’entendre sur un dénigrement qui ne constitue en principe qu’un acte de concurrence déloyale ou une pratique commerciale déloyale ne saurait être assimilé à une pratique anticoncurrentielle particulièrement nocive, restrictive de concurrence par objet, qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé les articles L. 420-1 du code de commerce et 101 TFUE ;
3°/ qu’en affirmant « qu’il importe peu que l’une des parties à cette entente ne soit pas en concurrence directe avec l’opérateur visé par la pratique de dénigrement » tout en constatant que l’entente consistait à convenir de diffuser des propos qui sont de nature à induire un doute ou une prévention non justifiée contre un produit concurrent, ce dont il résulte que les auteurs de l’entente par dénigrement doivent opérer sur le même marché que leur victime, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles L. 420-1 du code de commerce et 101 TFUE ;
4°/ que l’existence d’un dénigrement suppose de démontrer l’accomplissement d’actes positifs et caractérisés exclusifs de toute omission ou abstention ; qu’en considérant que les sociétés Reckitt Benckiser avaient participé à une entente par dénigrement après avoir constaté que « les éléments relevés dans le cadre des échanges entre les sociétés Reckitt Benckiser et Schering-Plough ne comportent pas explicitement d’indications selon lesquelles cette dernière diffuserait des informations de nature à jeter le discrédit sur les génériques de Subutex au moyen de la diffusion d’informations inexactes ou subjectives à son encontre (…) » et qu’il ne résulte pas de l’arrêt attaqué que les sociétés Reckitt Benckiser aient procédé, elles-mêmes, à un quelconque dénigrement, la cour d’appel a violé de plus fort les articles L. 420-1 du code de commerce et 101 TFUE ;
5°/ que seuls les rabais dont l’octroi est subordonné à un engagement exclusif ou quasi exclusif d’approvisionnement ont par leur nature même la capacité de restreindre la concurrence ; qu’en considérant que les rabais accordés par la société Schering-Plough aux pharmaciens d’officine avaient un objet anticoncurrentiel tout en constatant qu’il s’agissait de remises quantitatives fidélisantes au comptant et de courte durée, la cour d’appel a violé les articles L. 420-1, et 101 TFUE ;
6°/ qu’en matière de rabais, seules les restrictions apportées à la liberté du revendeur d’en accorder pour diminuer son prix de vente peuvent être considérées comme restrictives de concurrence par objet ; qu’en considérant au contraire que des remises quantitatives avaient par nature un objet anticoncurrentiel, quand elles n’affectaient pas la liberté du revendeur de fixer librement son prix de vente et pouvaient au contraire même devenir pro concurrentielles, la cour d’appel a violé les articles L. 420-1 du code de commerce et 101 TFUE ;
7°/ qu’une pratique qui ne peut pas être appréhendée sans tenir compte de ses effets sur le marché, ne peut pas être restrictive de concurrence par objet ; qu’en examinant les remises litigieuses au regard de leurs effets attendus, pour les considérer ensuite comme étant restrictives de concurrence par objet, la cour d’appel a violé les articles L. 420-1 du code de commerce et 101 TFUE ;
Mais attendu, en premier lieu, qu’ayant énoncé que l’élaboration d’une stratégie visant à retarder l’arrivée, sur les marchés de médicaments, des génériques qui, après l’arrivée à leur terme des brevets, permettent de rétablir une concurrence jusqu’alors inexistante, constitue une pratique d’une particulière nocivité économique, l’arrêt relève que la société Reckitt, qui était sur le point de perdre le monopole légal qu’elle détenait depuis dix ans en raison de l’expiration de ses droits de propriété intellectuelle, a convenu d’un plan stratégique avec la société Schering-Plough, son distributeur, visant à retarder ou décourager l’entrée des génériques sur le marché, par la mise en oeuvre de pratiques de dénigrement et de remises fidélisantes ; qu’il relève que les premières consistaient en une communication de nature à induire un doute ou une prévention non justifiée contre le médicament générique, chez les professionnels de santé, et que les secondes étaient destinées à provoquer, grâce à des rabais de fidélité, sans contrepartie économiquement justifiée, la constitution de stocks importants de » Subutex » dans les pharmacies afin de saturer les linéaires des pharmaciens et ainsi de dissuader ces derniers de substituer le générique au princeps ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que les sociétés Reckitt et Schering-Plough, actives sur le marché du médicament princeps, s’étaient entendues pour mettre en oeuvre des pratiques faussant le libre jeu de la concurrence, la cour d’appel, qui a pris en compte le contenu de l’accord, les objectifs qu’il visait à atteindre et les éléments du contexte économique et juridique dans lesquels il s’insérait, a pu retenir que l’accord conclu entre les sociétés Reckitt et Schering-Plough avait un objet anticoncurrentiel, peu important que la société Reckitt n’ait pas procédé elle-même à la pratique de dénigrement ;
Et attendu, en second lieu, que contrairement à ce que soutient le moyen, la cour d’appel n’a pas retenu que les remises quantitatives avaient par nature un objet anticoncurrentiel et n’a pas davantage examiné les remises litigieuses au regard de leurs effets attendus ;
D’où il suit que le moyen, qui manque en fait en ses sixième et septième branches, n’est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés Reckitt Benckiser Plc et Reckitt Benckiser Healthcare (UK) Ltd aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer à la société Arrow génériques et au président de l’Autorité de la concurrence la somme globale de 3 000 euros chacun et rejette leur demande ;
Vu l’article R. 470-2 du code de commerce, dit que sur les diligences du directeur de greffe de la Cour de cassation, le présent arrêt sera notifié, par lettre recommandée avec accusé de réception, à la Commission européenne, à l’Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l’économie ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze janvier deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour les sociétés Reckitt Benckiser Plc et Reckitt Benckiser Healthcare (UK) Ltd
PREMIER MOYEN DE CASSATION (sur la prescription)
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté les recours formés par les sociétés Reckitt Benckiser plc et Reckitt Benckiser Healthcare (UK) Ltd contre la décision n° 13- D-21 de l’Autorité de la concurrence du 18 décembre 2013 ;
AUX MOTIFS QUE (…) sur la prescription, aux termes de l’article L. 462-7 du Code de commerce, « L’Autorité ne peut être saisie de faits remontant à plus de cinq ans s’il n’a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction » ; que les requérantes font valoir que le délai de prescription a commencé à courir au jour de la cessation des pratiques constitutives de l’entente supposée, soit le 9 décembre 2005, alors que le premier acte d’instruction relatif aux faits de ce grief est intervenu le 23 septembre 2011, soit plus de cinq ans plus tard ; que dès lors, la prescription a été acquise le 10 décembre 2010 ; qu’elles objectent que les faits objets des mesures d’enquête concernaient seulement la mise en oeuvre unilatérale par la société Schering-Plough d’un abus de position dominante visant à limiter l’accès de la société Arrow au marché de la BHD, ainsi qu’à restreindre les possibilités de choix des pharmaciens d’officine concernant leurs sources d’approvisionnement pour ce médicament et non pas une préparation ou une facilitation de l’abus de position dominante ; qu’elles font valoir que les faits se sont d’abord déroulés sur des marchés différents et à des périodes différentes, que les pratiques ensuite mises en oeuvre par la société Schering-Plough l’ont été de manière unilatérale rompant ainsi tout lien de causalité entre les discussions entreprises et les pratiques finalement mises en oeuvre, qu’il existe des différences fondamentales entre les éléments discutés et les pratiques d’abus de la société Schering-Plough et qu’en l’absence de discussions entre les sociétés, les pratiques d’abus auraient été néanmoins mises en oeuvre ; que selon elles, il ne peut en conséquence y avoir de connexité entre les pratiques objet de l’enquête et celles qui leur sont reprochées ; qu’elles ajoutent que leur rôle n’a été invoqué à aucun moment des débats concernant les mesures conservatoires, de même que l’ordonnance ayant autorisé les visites et saisies n’a pas été annexée à la notification des griefs, alors que l’article L. 450-4 du Code de commerce ouvre un recours à l’encontre de ces opérations au profit de toute personne mise en cause au moyen des pièces saisies, ce qui démontre l’absence de connexité entre les faits : que (cependant) l’Autorité de la concurrence est, dans le cadre des missions de police économique qui lui sont confiées, saisie « in rem » de l’ensemble des faits et pratiques affectant le fonctionnement du ou des marchés concernés par la saisine ; qu’ainsi que le rappellent le Ministre de l’économie et l’Autorité, il découle de ce principe que les actes d’instruction ou de poursuite produisent un effet interruptif de prescription à l’égard des personnes qui ne seraient pas impliquées par cet acte, ainsi qu’à l’égard des pratiques qui n’y seraient pas visées mais sont comprises dans le champ de la saisine, ou sont de même nature, ou encore sont connexes ; qu’en l’espèce, indépendamment du point de savoir si le grief sanctionné est fondé, l’Autorité a retenu que les sociétés Schering-Plough, Financière MSD et Merck & Co. (La société Schering-Plough), d’un côté, et Reckitt Benckiser Healthcare (UK) Ltd et Reckitt Benckiser plc., de l’autre, ont participé à une entente anticoncurrentielle ; que les développements de la décision précisent que cette entente a consisté dans la conclusion d’un accord ayant pour objet la mise en oeuvre, d’une part, d’un dénigrement de la Buprénorphine Arrow auprès des professionnels de santé, d’autre part, de la saturation des linéaires des pharmaciens figurant parmi les plus importants dispensateurs de Subutex, afin d’entraver l’accès de ce produit au marché en cause (paragraphes 468 et 476 de la décision) ; que ces pratiques de conception d’un plan d’action sont liées par leur objet aux pratiques d’abus de position dominante exécutées ensuite par la société Schering-Plough et consistant en la mise en oeuvre d’une stratégie de dénigrement à l’encontre de Buprénorphine Arrow à partir d’actions de communications menées durant trois mois et demi, du 15 février 2006 à mai 2006, ainsi que dans la mise en place de remises quantitatives qui ont visé à empêcher l’approvisionnement des pharmaciens auprès de la société Arrow ; qu’au regard des principes sus énoncés et de la connexité précédemment relevée, il est sans portée que les mesures d’enquête n’aient pas visé une pratique d’entente, qui d’ailleurs n’a pu être détectée qu’au moyen des éléments recueillis par les visites et saisies ; que, de même, les différences de temporalité et de marchés invoquées par les requérantes, le fait que la société Schering-Plough pouvait décider de ne pas mettre en oeuvre les pratiques discutées avec les sociétés Reckitt Benckiser, ou, encore, qu’il puisse exister une différence entre ces pratiques ayant fait l’objet des discussions et ce qui a été exécuté, enfin, le fait que ces pratiques auraient pu être décidées sans la participation de la société Reckitt Benckiser, sont inopérants ; qu’en effet, l’entente visant à examiner et déterminer les comportements permettant à la société Schering-Plough d’entraver l’accès de la société Arrow au marché du BHD avait, ainsi qu’il sera précisé ultérieurement, le même objet que la pratique d’abus, sans qu’importe la part de la conception ou de la réalisation dans la réussite du but poursuivi ; que le fait que des pratiques soient différentes ne fait nullement obstacle à leur connexité lorsque, comme en l’espèce, elles poursuivent un même objet ; que, de plus, l’Autorité n’a pas fondé son analyse relative à la connexité sur le caractère secret de l’entente, mais seulement opposé cet argument pour expliquer que celle-ci n’avait pas pu être mentionnée dans les actes d’enquête et que cette absence de mention n’était pas de nature à exclure l’effet interruptif de prescription pour l’ensemble des pratiques en cause ; que la pratique d’entente reprochée à la société Reckitt Benckiser est distincte du contrat qui la liait à la société Schering-Plough et qu’il n’était nullement nécessaire aux enquêteurs, puis au rapporteur du Conseil, d’examiner le contrat de licence pour établir la réalité de la pratique d’entente ; qu’il ne peut, dans ces conditions, être reproché à l’Autorité de ne pas avoir accompli d’actes d’enquête liés à l’existence du contrat de licence ou à l’examen de ses stipulations ; que dans ces conditions, la prescription concernant la pratique d’entente reprochée aux sociétés Schering-Plough et Reckitt Benckiser et dont le point de départ, non contesté, est le 9 décembre 2005, a été interrompue par les actes de saisine de l’Autorité de la concurrence le 15 novembre 2006, puis par la demande d’enquête le 19 novembre 2006, puis par les actes relatifs aux visites et saisies décrits dans l’exposé des faits ci-dessus (Ordonnances du JLD de Nanterre du 17 janvier 2007 et du 17 juillet 2007, arrêt de la Cour de cassation du 20 mai 2009, ordonnance du premier président de la cour d’appel de Paris, du 4 mars 2010, arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2011) ; que les faits n’étaient donc pas prescrits lorsque la rapporteure générale de l’Autorité a notifié les griefs aux sociétés en cause, le 15 novembre 2012, ni lorsque l’Autorité de la concurrence a examiné les faits lors de sa séance le 1er octobre 2013, puis rendu sa décision le 18 décembre 2013 (…) ;
ALORS QUE l’interruption de la prescription pour des faits dont l’Autorité de la concurrence est saisie ne vaut qu’à l’égard des entreprises déjà mises en cause dans la procédure ; qu’en décidant que les actes d’instruction accomplis dans le cadre de la procédure initiée pour abus de position dominante, notamment contre la société Schering-Plough avaient interrompu la prescription à l’égard des sociétés Reckitt Benckiser, bien qu’elles étaient restées totalement étrangères à cette procédure jusqu’au 9 novembre 2011, date à laquelle l’Autorité de la concurrence leur a adressé pour la première fois une demande d’information, et qu’elles n’ont été informées de leur mise en cause qu’avec la réception de la notification d’un grief le 19 novembre 2012, la cour d’appel a violé l’article L 462-7 du Code de commerce.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (sur la discordance entre les griefs notifiés et l’incrimination finalement retenue par l’Autorité de la concurrence)
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté les recours formés par les sociétés Reckitt Benckiser PLC et Reckitt Benckiser Healthcare contre la décision n° 13- D-21 de l’Autorité de la concurrence du 18 décembre 2013 ;
AUX MOTIFS QUE (…) sur la discordance entre les griefs notifiés et l’incrimination finalement retenue par l’Autorité de la concurrence les sociétés Reckitt Benckiser soutiennent qu’il existe une différence substantielle entre le grief qui leur a été notifié et la décision les sanctionnant ; qu’elles précisent à ce sujet que le grief notifié incriminait la mise en oeuvre d’une pratique d’entente complexe et continue visant à entraver l’accès des médicaments génériques de Subutex au marché français de la BHD en ville en mettant en oeuvre des accords ou pratiques concertées ayant consisté à dénigrer le générique de la société Arrow et à octroyer aux pharmaciens d’officine des avantages financiers fidélisants, alors que la décision les a sanctionnées pour un accord dont l’objet était de préparer ou faciliter la mise en oeuvre unilatérale par Schering-Plough d’une stratégie de dénigrement et de fidélisation ; qu’elles font valoir que la décision litigieuse, sanctionnant une participation à des discussions ayant servi d’élément de préparation à un abus de position dominante ultérieur et non la mise en oeuvre d’une pratique, soulève ainsi des questions de fait et droit non débattues avant son adoption et contre lesquelles elles n’ont pu utilement se défendre ; qu’ainsi que le soutiennent les sociétés requérantes la pratique sanctionnée consiste dans le fait d’avoir « (..) conclu un accord visant à retarder et dissuader l’entrée du générique sur le marché en cause au moyen, d’une part, de la tenue d’un discours dénigrant relatif à la mise en cause auprès des médecins et pharmaciens de la bioéquivalence des génériques concurrents de Subutex, sur les risques pour la santé des patients (mésusage et instabilité psychiatrique) en cas de commercialisation de ces génériques, et sur l’accroissement du « trafic » qui résulterait de cette commercialisation et, d’autre part, du recours à des pratiques commerciales à caractère fidélisant à destination des pharmaciens afin de saturer leurs linéaires » (§ 451), alors que le grief notifié était rédigé dans les termes suivants : « d’avoir participé à une entente complexe et continue sur le marché français de la buprénorphine haut dosage en ville, entre octobre 2005 et fin juillet 2006, visant à entraver l’accès des médicaments génériques de Subutex au marché français de la buprénorphine haut dosage en ville, en mettant en oeuvre des accords ou pratiques concertées ayant consisté à : dénigrer la buprénorphine haut dosage générique de la société Arrow générique et à octroyer aux pharmaciens d’officine des avantages financiers à caractère fidélisant, et notamment des rémunérations pour services distincts, sans contrepartie économique qui les justifie. (…) » ; que si la décision a retenu un grief consistant dans la participation à l’élaboration des pratiques d’abus de position dominante, et non celui notifié d’avoir participé aux pratiques d’abus elles-mêmes, cette réduction du champ du grief qui s’appuie sur les éléments de fait contenus dans la notification de griefs, ainsi que dans le rapport du rapporteur, et qui tient compte des objections et explications apportées par les sociétés Reckitt Benckiser dans le cadre de leur défense, ne peut avoir porté atteinte aux droits de la défense de celles-ci ; que les requérantes ne précisent d’ailleurs pas les éléments de fait qu’elles auraient invoqués, ni les moyens de droit qu’elles auraient soutenus pour défendre leurs droits, sans pouvoir le faire ; qu’il se déduit de ce qui précède que les moyens pris d’une violation des droits de la défense ne sont pas fondés et doivent être rejetés (…) ;
1°) ALORS QUE seul le grief notifié sur lequel la société a pu pr